Alors que le gouvernement s’apprête à prendre des engagements pour la protection de la nature, force est de constater que la France bafoue allègrement une bonne partie des textes qui la contraignent sur le sujet.
Au fil des ans, de la qualité de l’eau à la préservation des ours, de l’information du grand public à la répression du trafic illégal de bois, la France a signé un nombre faramineux de traités, conventions et protocoles ayant trait à la protection de l’environnement. Cette accumulation d’engagements en rend le suivi ardu, dans un contexte de relative indifférence. Car comme l’explique l’avocat Benoist Busson, conseil de l’association France Nature Environnement (FNE) : « Pour le Conseil d’Etat, le droit international ne produit des effets qu’au niveau inter-étatique. Au niveau national, les particuliers et les associations ne peuvent donc pas invoquer devant les tribunaux les traités internationaux, qui de fait sont sans réelle portée juridique ». Rendre compte de l’actualité du suivi des traités internationaux permet néanmoins d’évaluer l’ampleur de l’écart qui sépare parfois les principes professés de la réalité des politiques menées. Seuls les directives et règlements européens s’imposent au droit français (ainsi que les conventions internationales liant l’Union européenne). Le suivi de leur application est logiquement beaucoup plus pointilleux car ils constituent pour le coup un potentiel levier d’action politique. Au niveau européen, on distingue deux types d’infractions : la transposition insuffisante de directive et les manquements à des dispositions du droit communautaire. L’appréciation exacte du degré de respect ou de manquement aux engagements pris est à l’évidence un enjeu sensible, objet de dures batailles entre les uns et les autres. Florilège de promesses non tenues, extraites d’une liste exhaustive bien plus fournie.
Eau
Pour la Commission européenne, la France enfreint -et depuis longtemps- deux directives : celles relative à la pollution des eaux par le nitrate en Bretagne, et au traitement des eaux usées. Dans le premier cas, suite à l’intervention des pouvoirs publics, elle vient tout juste de suspendre, en septembre dernier, sa décision de traduire Paris pour la deuxième fois devant la Cour de Justice des Communautés européennes, qui l’a déjà condamné en 2001 pour non-conformité de la teneur en nitrate des eaux superficielles destinées à l’alimentation en eau potable. « L’article 4 de la directive datant de 1975 prévoyait que les Etats membre parviennent dans un délai de 10 ans, à des valeurs quantitatives en nitrate inférieures aux valeurs limites fixées (- de 50mg/l), ce qui n’a pas été le cas pour la France puisqu’il y avait un dépassement de la concentration maximale autorisée de nitrates dans 37 prises d’eau en Bretagne » explique Marie-Cécile Jean du Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MGRDF). La France a obtenu un délai de grâce supplémentaire mais doit faire livrer tous les trois mois à la Commission un rapport sur la mise en oeuvre du plan d’action. Avant le retournement de Bruxelles, elle risquait de devoir s’acquitter d’une amende de 40 millions d’euros.
Mais c’est pour ne pas avoir mis aux normes les stations d’épuration des eaux résiduaires urbaines de dix à vingt agglomérations (dont l’énorme installation d’Achères, dans les Yvelines) qu’elle encourt une sanction record qui pourrait atteindre entre 300 et 400 millions d’euros. Dans un rapport publié en juin 2007 sur « la France face au droit communautaire de l’environnement », la sénatrice UMP Fabienne Keller s’inquiète du « montant exorbitant de la sanction encourue », et signale que comme la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser incombe aux collectivités territoriales, l’Etat envisage de reporter sur elles la charge financière de la condamnation annoncée. Hypothèse émise par Nelly Ollin, alors qu’elle était encore ministre de l’Ecologie et du Développement Durable, qui suscite les réserves de la sénatrice, jugeant « inopportun de faire payer aux collectivités le non respect de normes communautaires à l’élaboration desquelles elles ne sont nullement associées ».
Gaz à effet de serre
La France s’est engagée à réduire de 75% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, conformément aux objectifs du Protocole de Kyoto. Enoncé pour la première fois par le Premier ministre en 2002, cet objectif a été confirmé dans le Plan Climat validé par le gouvernement en 2004, par le président de la République en février 2005 et figure dans la loi dite « POP » (Programmation et orientation de la politique énergétique) du 13 juillet 2005 : « la France soutient la définition d’un objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2050, ce qui nécessite, compte tenu des différences de consommation entre pays, une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés ». Devant les Nations Unies, Nicolas Sarkozy a réaffirmé en septembre dernier que Paris avait « inscrit dans sa loi l’obligation de réduire ses émissions de 75% d’ici 2050 ». Pour y parvenir, la loi POP établit un objectif de réduction de 3% par an en moyenne d’ici à 2050. Problème, selon les calculs du Centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique (CITEPA), la France affiche en 2005 une baisse de 1,8% de ses émissions, après les avoir réduites de 0,5% en 2004. « L’objectif de -3% par an n’est qu’une moyenne suggérée pour atteindre la division par 4 en 2050, explique Diane Vandele, chargée de mission au Réseau Action Climat (RAC). On ne peut donc pas dire qu’aujourd’hui la France ne respecte pas ses objectifs mais il est inquiétant de toujours reporter à plus tard des diminutions qui, par force devront être de plus en plus importantes ». C’est dans ce contexte déjà tendu que la publication du rapport Syrota début octobre a fait l’effet d’une petite bombe : rédigé pour la commission énergie du Centre d’analyse stratégique (l’ancien Commissariat au Plan), il « ne considère pas qu’il soit plausible » de réduire les émissions de plus de 2,1 à 2,4 fois, et absout la France de l’objectif dit de « facteur 4 » compte tenu de la plus faible teneur en carbone de son secteur énergétique (grâce au nucléaire notamment). Constat qui a fait bondir l’association NegaWatt -invitée à participer aux travaux, elle a refusé de s’associer aux conclusions-dénonçant « une certaine forme de cynisme : plutôt que de chercher des réponses à la hauteur des enjeux qui permettraient à la France de tenir sa parole, on préfère esquiver les problèmes en reportant l’effort supplémentaire sur nos voisins européens en conclusion d’un raisonnement alambiqué où l’équité est appelée à la rescousse du conservatisme des scénarios ».
Bois illégal
En mai 2003, la Commission européenne adopte un Plan d’action contre le commerce de bois illégal, le Flegt (Forest law enforcement, governance and trade), dans le but de : conduire les pays producteurs vers une meilleure gouvernance, mettre en oeuvre avec eux, sur la base du volontariat, des accords de partenariat afin d’empêcher l’entrée de bois illégal en Union européenne, et encourager à la réduction de consommation de bois illégal par les Européens. Une circulaire définissant les critères environnementaux et sociaux dans les achats publics de bois est bien parue en avril 2005 mais sans moyen de mise en oeuvre et de suivi. Si la France a bien engagé un dialogue avec le Gabon et le Congo-Brazzaville, trop peu de financements ont été accordés à la lutte contre les coupes illicites dans les pays producteurs, estime l’ONG WWF, pour qui les critères de légalité et de gestion durable des forêts ne sont pas assez pris en compte dans les achats publics, qui représentent pourtant un quart de la consommation hexagonale.
La grande distribution est également en cause : selon une étude que WWF-France vient de publier sur les produits bois issus d’Afrique centrale vendus sur le marché français, 39% des importations françaises de bois tropical sont d’origine illégale. La France est le premier importateur européen de bois en provenance du bassin du Congo. D’après l’enquête conduite sur les parquets, portes, fenêtres, escaliers, ébénisterie…des enseignes Casa, Castorama, Ikea, Leroy Merlin, Bricorama, Bricomarché, Habitat et Point P : plus de 70% des produits ne présentent pas d’indication de leur origine, plus de 90% n’affichent pas d’indication sur le nom scientifique de l’essence et seuls 13% possèdent le label FSC (Forest stewardship council) délivré par le Conseil international de gestion forestière sur critères écologiques et sociaux. Pour Philippe Delétain, chargé du programme Forêts tropicales au WWF-France, « ces résultats sont particulièrement décevants ».
Diversité culturelle
La France a défendu en 2001 le droit des peuples autochtones devant le Conseil des droits de l’homme et a soutenu l’adoption par l’Unesco de la Convention sur la protection de la diversité culturelle, qu’elle a signée en décembre 2006. En revanche, au nom du principe d’indivisibilité du peuple français, Paris n’a pas adhéré à la convention 169 de l’Organisation international du travail (OIT) relative aux peuples « indigènes et tribaux », invitant les Etats à respecter les droits collectifs des indiens sur leurs territoires d’établissement, y compris les ressources naturelles s’y trouvant. « Le problème c’est que c’est la seule convention juridiquement contraignante à propos des peuples autochtones, explique Sylvain Angerand des Amis de la terre. Si bien, que la convention sur la diversité culturelle n’est qu’une coquille vide, une simple déclaration de principe ». Laissant sans recours légaux les Indiens de Guyane, face aux empoisonnements de leur terre au mercure et à l’orpaillage. Dans la partie amazonienne de ce département français vivent aujourd’hui environ 10 000 Amérindiens.
Natura 2000
Pour préserver la diversité biologique et valoriser le patrimoine naturel de ses membres, l’Europe a constitué le réseau Natura 2000, regroupant des sites écologiques, sur la base de deux textes fondateurs : les directives « Oiseaux » (1979), qui propose la conservation à long terme des espèces d’oiseaux sauvages en ciblant 181 espèces et sous-espèces menacées, et « Habitats faune flore » (1992), qui répertorie plus de 200 types d’habitats naturels, 200 espèces animales et 500 espèces végétales nécessitant une protection. Or, selon l’association France Nature Environnement (FNE), la France ne respecte pas toujours les critères scientifiques présidant à la désignation des sites et à leur tracé. Ainsi, selon une note de l’avocat Benoist Busson et de Sophie Bringuy du réseau juridique de FNE rédigée début octobre : « En France, seulement 8,39% du territoire terrestre est désigné au titre de la directive « Habitats » et 7,72% au titre de la directive « Oiseaux ». Alors que, d’une part, les moyennes européennes sont, d’après NaturaBaromètre de Juin 2007, pour la directive « Habitats » de 12,8% et pour la directive « Oiseaux », de 10,01%, et que d’autre part, 80% des espèces d’oiseaux de l’annexe I de la directive « Oiseaux »et environ 70% des habitats naturels de la directive « Habitats » y sont présents. En outre, il existe de fortes disparités de transmission de sites en termes de surfaces au sein du territoire ».
Pollution de l’étang de Berre
L’étang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône, est la plus vaste mer intérieure d’Europe. Les eaux douces de la Durance s’y déversent par un canal qui alimente la centrale hydro-électrique de Saint-Chamas, modifiant l’équilibre écologique du milieu. En octobre 2004, la France a été condamnée par la Cour de justice européenne pour avoir enfreint la Convention de Barcelone et le protocole d’Athènes relatifs à la diminution de la pollution en Méditerranée et à la protection du milieu marin. Après une mise en demeure en décembre 2005 et nombreuses réunions de travail, puis un accord sur la limitation des déversements annuels d’eau douce, sur la réduction des rejets et l’augmentation des mesures de salinité, Paris a obtenu de la Commission un report de toute décision contentieuse jusqu’à la fin 2007.
Déchets
La réglementation européenne « décharge » rend obligatoire l’enfouissement de l’amiante liée (c’est-à-dire les déchets d’amiante associés à des matériaux non friables comme l’amiante-ciment, qui représente 95% de l’amiante utilisée en France, selon les chiffres de l’Ademe) dans les décharges de classe II (produits non dangereux). Pourtant, pour FNE, la France stocke le produit dans les décharges de classe III (concernant les déchets inertes). Pour Benoist Busson et Sophie Bringuy : « Nous n’avons pas poursuivi ayant d’autre priorité ailleurs, mais le contournement français existe bien ». Ils notent par ailleurs que le plan d’élimination des PCB (les polychlorobiphrényls, dérivés chimiques chlorés, désormais interdits mais un temps utilisés dans les transformateurs électriques et les appareils hydrauliques), accepté par Bruxelles, n’est pas davantage respecté, et que les moyens humains et financiers nécessaires n’y ont pas été consacrés. Quant à l’incinérateur de Fos-sur-mer, le rapport de la sénatrice Keller indique qu’une demande d’information a été formulée par Bruxelles pour non respect de la directive 96/62/CE concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant, de la 75/442/CEE sur les déchets et 99/31/CE sur la mise en décharge des déchets. Ce dossier pourrait déboucher sur un contentieux.
OGM
la France encourt une sanction de plus de 42 millions d’euros pour n’avoir que partiellement transposé la directive européenne sur la dissémination volontaire d’OGM. La Commission a saisi la Cour de justice du cas français le 15 février 2007. Cette saisine s’accompagne d’une demande d’astreinte journalière de 366 744 euros et d’une somme forfaitaire de 43 660 par jour depuis le premier arrêt en manquement. En mars 2007, le gouvernement a transposé par décret une partie du texte européen : sur les critères de classement des OGM, sur les procédures d’autorisations et les contrôles des disséminations volontaires et de mise sur le marché de produits, sur la collecte d’information concernant la mise en culture de végétaux génétiquement modifiés. Ce cas est emblématique d’une dimension souvent sous-estimée de la question de l’application du droit communautaire : il ne suffit pas de transposer une directive pour qu’elle s’applique. Tout dépend de la manière dont les Etats le font. « Les directives laissent toujours des marges de manœuvre aux Etats membres » explique Arnaud Apotheker de Greenpeace. « La directive sur les OGM peut être transposée soit de manière laxiste, en faveur des OGM, soit dans le respect du principe de précaution ». Ainsi la directive laisse-t-telle une marge d’appréciation quant à l’information du public sur la localisation des OGM. En France, cette information est cantonale, un niveau qui manque de précision selon Anne Furet, d’InfOGM, qui souhaiterait connaître l’emplacement précis des cultures. Autre flou artistique : l’étiquetage. La directive impose une étiquette OGM si le produit contient plus de 0,9% d’OGM, si la présence d’OGM est fortuite ou techniquement inévitable. Mais l’absence de règle de coexistence provoque des contaminations OGM ni fortuites ni techniquement inévitables …et invisibles sur l’étiquette. Le Grenelle de l’environnement des 24 et 25 octobre pourrait débaucher sur un projet de loi en 2008.
Pour compléter cette liste, si l’on en ressent l’envie, il suffit de consulter le rapport Keller, qui identifie dix dossiers à risque susceptibles de valoir à la France de nouvelles poursuites par Bruxelles : transposition insuffisante des directives sur les études d’impact, sur les véhicules hors d’usage, sur les composés organiques volatils, retrait sans justification de certaines eaux de baignade des zones sous surveillance… A la veille de l’ouverture du Grenelle de l’environnement, cet état des lieux des engagements non tenus pose donc d’embarrassantes questions aux autorités françaises : avant d’élaborer de nouvelles mesures ne faudrait-il pas commencer par tout simplement appliquer les lois et réglementations en vigueur ? Surtout, le Grenelle saura-t-il créer les outils de contrôle nécessaires au suivi de ses résultats ? Et avec quels instruments de contrainte ? Car si Paris parvient sans trop de peine à éviter les sanctions financières européennes, à vider de leurs substances certains traités en évitant d’en signer d’autres, et à oublier de financer ce à quoi il s’engage, nul ne peut ignorer les risques de contournement à propos des futurs accords du Grenelle 2007. C’est la crédibilité de la parole de l’Etat qui est en jeu.