Comment faire pour réduire notre empreinte carbone et limiter au maximum le changement climatique ? La question nous oblige à questionner et à transformer nos modes de vie, de production et de consommation. La transformation écologique de l’industrie est évidemment un enjeu majeur. Dans cet entretien, Michel Philippo, formateur en maçonnerie de terre crue, contributeur important au programme de La France Insoumise sur le thème de la construction dans le livret « planification écologique », décrypte les enjeux du secteur du bâtiment, qui représente plus de 30 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Il propose des pistes et un projet concret articulant les questions économiques, sociales et environnementales1.

Michel Philippo (M.P.) : Je co-coordonne le groupe thématique de la planification écologique de la France Insoumise. Pour réaliser la partie sur la construction, avec d’autres, on a commencé par se mettre dans une posture d’écoute. C’est un important travail collectif, puisqu’on a réalisé une centaine d’auditions et 700 contributions. Nous avons reçu les associations environnementales comme France nature environnement, de logement comme la Fondation Abbé Pierre, mais aussi les syndicats de cimentiers, des chefs d’entreprises, etc. On est allé voir tout le monde sauf les lobbyistes, ceux dont le seul but est de faire des bénéfices.

On les a écoutés pour savoir comment ils vivent les choses, quelles sont leurs problématiques et les solutions qu’ils proposent. Certains étaient pour la sobriété et ne voulaient plus construire de logement pour limiter l’impact climatique. En même temps, d’autres rappelaient qu’il y a en France des millions de personnes mal logées ou pas logées du tout, et qu’il faut construire des logements. On avait des entrepreneurs, loin d’être de gauche, qui sont mis en concurrence avec des boites qui font appel à des travailleurs détachés qui travaillent 70 heures par semaine en étant payés une misère. On a organisé des débats contradictoires. L’idée était de trouver des solutions, qui ne soient pas des consensus mous, avec l’ensemble de ces acteurs que l’on avait autour de la table. De faire ce que j’appelle le Rubik’s Cube des luttes, où on essaye d’avoir toutes les faces gagnantes : l’écologie, l’emploi, l’économie.

Mouvements (M.) : Quelles sont les principales conclusions que vous avez tirées de ce travail ?

M.P. : Tout d’abord, dans le secteur du BTP (Bâtiments Travaux Publics) il faut distinguer deux choses : la construction et la consommation induite. Au total, selon l’ADEME, en 2016 elles représentaient 33% des émissions de gaz à effet de serre (GES) et presque 40 % des émissions de CO₂ françaises. Et la tendance est mauvaise, puisque le secteur du BTP ne cesse de voir ses émissions augmenter en France mais aussi dans le monde. C’est un secteur qu’il est impératif de révolutionner. C’est un levier important et il faut l’actionner pour tenir les objectifs fixés par les Accords de Paris.

Côté « construction », notre principale conclusion c’est qu’il faut repenser le système constructif, tendre vers l’abandon des ressources non-renouvelables comme le pétrole, (combustion, transport, fabrication d’isolants, etc.) et le sable (un des constituants du béton). Ces ressources sont surexploitées, massivement transportées à l’échelle mondiale, ce qui rend à terme impossible leur maîtrise sur les plans économique et politique, en plus de constituer de véritables catastrophes d’un point de vue écologique (combustion du pétrole, extraction du sable marin, etc.). La solution est du côté des matériaux crus comme le bois, la paille ou encore la terre crue. Des matériaux qui ne sont pas cuits, comme le sont les matières premières utilisées pour produire du ciment, et qui ont un coût environnemental important. Cela permettrait de faire baisser drastiquement les 10 % de GES au moment de la construction.

Utiliser les matériaux crus a un autre avantage, mais cette fois pendant la vie du bâtiment. Le chauffage et la climatisation, c’est souvent un coût économique et climatique important. Ça représente 18 % des GES totaux de la France. Or, on peut agir dessus grâce à la construction.

Par exemple, dans les Vosges, à Saint-Dié-des-Vosges, un immeuble de huit étages et de 20 logements a été construit avec des matériaux crus, en l’occurrence du bois, de la paille et de la terre. Les habitants ne consacrent que 11 euros par mois de chauffage et eau chaude, dans un lieu de France qui n’est pas le plus chaud. Ce que montre cet exemple, c’est que l’on peut agir sur les émissions de gaz à effet de serre à partir de la construction en utilisant ces matériaux ancestraux, qui ont d’importantes qualités thermiques et ont l’avantage d’être présents sur place.

L’autre avantage en utilisant des matériaux crus, c’est que l’on capte le CO₂. En temps normal, un arbre qui tombe se décompose, entre en putréfaction et relâche son CO₂. Quand on le brûle, ça repart encore plus vite en dans l’atmosphère et c’est catastrophique. Si le bois est utilisé dans la structure de l’habitation, c’est du CO₂ stocké dans la maison pendant 80 ans. Ce qui est vrai pour le bois l’est aussi pour les végétaux que l’on utilise, notamment pour l’isolation, comme la paille. Résultat, construire une maison c’est stocker jusqu’à 10 tonnes de CO₂. Vu la crise climatique que l’on affronte, on ne peut pas se contenter de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il faut aussi en capter. De ce point de vue, la construction avec des matériaux crus est une véritable aubaine.

L’autre avantage, c’est que la terre, la paille, le bois, il y en a partout. Chaque maçon peut utiliser la terre du site et comme ça plus besoin de sortir le sable de la mer ou de la carrière.

M. : Quels sont les obstacles, pourquoi n’utilise-t-on pas les matériaux crus ?

M.P. : Jusque dans les années 1930, on utilisait beaucoup ces matériaux : la France comptait 2 millions de constructions réalisées à partir de ces procédés. Le quartier de la Croix Rousse à Lyon, c’est en terre crue par exemple. Mais ce procédé s’est arrêté, pas seulement à cause de l’histoire des trois petits cochons.

Chaque terre a des compositions d’argile différentes. Une recette n’est pas forcément applicable 3 kilomètres plus loin. Avec la mondialisation, la standardisation et le marketing, le béton a supplanté les techniques ancestrales. Car évidemment le béton a des qualités : c’est du « près à poser ». Il n’y a pas besoin de maîtriser des recettes locales pour poser du béton, alors que le maçon qui utilise la terre crue doit savoir l’analyser, faire la recette, ça demande une étape supplémentaire qui a évidemment un surcoût.

Pour faire baisser ces coûts, il est possible d’industrialiser ces choses-là, mais cela n’a pas encore été fait. Il y a encore un effort de recherche scientifique à réaliser, car si on connaît bien la composition de l’argile sur toutes la France, il manque encore une méthode générale avec toutes les recettes.

Malgré ça, la France connaît un développement des constructions en terres crues depuis 3 à 5 ans. On espère que c’est exponentiel. Un immeuble de 83 logements, pour un total habitable de 5000m², a été construit à Biganos. Juste à côté de Paris, la ville d’Ivry-sur-Seine construit un véritable quartier de 30 000 m² d’habitations en terre crue. C’est exponentiel, mais on part de très loin.

1Emmanuelle Philippo-Poussol, Micjel Philippo, Un monde à construire ensemble, Éditions 2031, 2021.