L’Europe se réchauffe bien plus vite que le reste du monde. Les États persistent dans l’inaction climatique. Pire, ils déploient un arsenal répressif de plus en plus lourd pour cibler les mouvements écologistes. Comment, dès lors, faire advenir la bifurcation écologique, aussi nécessaire qu’urgente ? Comment accélérer la sortie des énergies fossiles à l’échelle du continent européen ? Pour répondre à ces questions, Mouvements a échangé avec Cyrille Cormier, directeur de campagne adjoint pour la campagne européenne Beyond Fossil Fuels.
Mouvements : Est-ce que vous pouvez expliquer en quoi consiste la campagne Beyond Fossil Fuels ?
Cyrille Cormier : Beyond Fossil Fuels est née de la campagne Europe Beyond Coal, qui existe depuis 2016 et qui vise à sortir de l’utilisation du charbon en Europe d’ici à 2030. Après plusieurs années de campagne, nous avons constaté de grands progrès sur le charbon en Europe, une large majorité des pays s’étant engagés à arrêter l’usage du charbon dans leur système électrique au plus tard en 2030. Il est devenu évident que nous ne pourrions pas obtenir la sortie du charbon dans les autres pays sans étendre le périmètre de nos actions pour aller vers la transformation du secteur électrique dans son ensemble. Pas uniquement pour obtenir le retrait du charbon, mais aussi celui du gaz fossile et garantir le développement massif des renouvelables et des éléments nécessaires à la transition que sont les réseaux électriques, le stockage et les mesures de gestion de la demande en électricité.
Europe Beyond Coal est ainsi devenu Beyond Fossil Fuels, tout en restant un réseau d’associations. En 2016, nous étions une quarantaine d’organisations un peu partout en Europe, dans une vingtaine de pays. Désormais, nous sommes à peu près le double de structures et de pays. Nous intervenons ainsi dans les Etats membres de l’Union européenne, les pays qui sont en dehors de l’UE comme la Norvège, la Suisse, le Royaume-Uni, la Turquie et enfin, les pays des Balkans de l’ouest, l’Ukraine et la Moldavie. Ces pays ne présentent pas tous les mêmes dynamiques de transition des secteurs électriques, mais ils sont tous connectés les uns aux autres. Nous opérons ainsi sur un périmètre géographique beaucoup plus vaste qu’auparavant. Nous traitons aussi des problématiques plus nombreuses : sortie du charbon, du gaz, mais aussi développement des renouvelables, des réseaux électriques, du stockage et enfin maîtrise de la demande. Et bien sûr il y a un lien direct avec la transition énergétique au sens large puisqu’une grande partie des secteurs qui aujourd’hui utilisent directement le gaz fossile, le charbon, ou le pétrole pourront être électrifiés dans les prochaines années, permettant une réduction rapide de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Notre ambition est donc de s’assurer que les Européens construisent un réseau électrique sans énergie fossile en Europe et dont la transformation repose sur les énergies renouvelables et la flexibilité de la demande d’ici 2035. C’est suffisamment long terme pour que cette transformation soit possible et crédible – c’est d’ailleurs un agenda en faveur duquel s’est positionnée l’Agence internationale de l’Energie (AIE). Bien que de nombreux progrès aient été constatés ces dernières années – l’Union européenne produit désormais près de la moitié de son électricité par les renouvelables, cette transformation nécessite l’engagement et des investissements de chacun des acteurs du secteur électrique. Elle ne peut pas être retardée au risque de voir l’Europe échouer à décarboner l’ensemble des secteurs économiques. L’Europe doit être une des premières régions à achever sa transition des systèmes énergétiques, pour s’assurer qu’à l’échelle mondiale les ambitions climatiques décrites dans les Accords de Paris seront atteintes. Ce n’est pas suffisant, mais absolument nécessaire.
Mouvements : Comment se structure le mouvement ?
C.C. : C’est une coalition, dont un secrétariat composé d’une trentaine de personnes, réparties dans plusieurs pays d’Europe, qui coordonnent et amplifient les actions menées au sein du réseau. Au sein de cette coalition, on dénombre différents types de structures : des « think tanks », comme par exemple le réputé Ember qui intervient à l’échelle mondiale ou encore le respecté The Greentank spécialisé sur la Grèce et ses pays voisins. Ces organisations analysent le fonctionnement et l’évolution des systèmes électriques et plus généralement leurs performances technico-économiques. Elles portent une analyse crédible et sérieuse dans les médias ainsi qu’auprès des décideurs publics ou privés.
Il y aussi des organisations de campagne pan-européennes, qui sont structurées dans plusieurs régions d’Europe et qui interviennent dans des campagnes d’alerte et de plaidoyer sur les enjeux environnementaux liés à la transition énergétique et bien souvent au-delà de ce sujet. On connaît tous Greenpeace et le WWF, il y a aussi le réseau très actif en Europe de l’Est qui s’appelle CEE Bankwatch, ainsi que les réseaux European Environmental Bureau (EEB) et Climate Action Network Europe (CAN Europe) qui sont actifs auprès des décideurs politiques ou institutions européennes. Certaines structures présentent une spécialisation importante pour notre action commune. C’est le cas de Client Earth, dont l’action s’oriente vers les aspects juridiques et qui régulièrement engage des procédures devant différentes Cours d’Europe. C’est aussi le cas de Reclaim Finance, une ONG basée en France qui analyse les engagements des acteurs financiers privés dans les entreprises ou dans les projets liés aux énergies fossiles. D’autres organisations ont une dimension plus nationale et sont moins connues en France mais tout aussi réputées dans leurs propres pays. Elles vont s’attaquer à ces mêmes enjeux de transition énergétique, au travers de campagnes visant des acteurs nationaux : gouvernements, entreprises propriétaires des centrales à gaz et charbon, acteurs des énergies renouvelables ou encore gestionnaires des réseaux électriques.
Enfin, il y a encore un autre niveau : des structures qui vont avoir une action plus locale ou régionale et qui vont vraiment se concentrer par exemple sur l’opposition à une centrale à charbon ou une mine de charbon – par exemple celle de Turów en Pologne, tout en s’engageant aux côtés des citoyens et élus locaux en faveur de processus de transition. Ce sont des associations très efficaces à cette échelle et utiles dans le débat national pour relayer la parole des citoyens engagés localement.
C’est très intéressant de travailler dans une coalition où il y a tous ces différents niveaux car cela permet, en se coordonnant, d’avoir des points d’accès aux décideurs à tous les niveaux géographiques et aussi parmi tous les acteurs privés ou publics de la transition. Par une présence large nous parvenons à contribuer utilement dans le débat public et à accroître notre influence auprès des acteurs impliqués dans la transition du secteur électrique. Cette approche multiple est une caractéristique importante de notre réseau Beyond Fossil Fuel.
M. : Quels sont les différents modes d’action qui sont utilisés pour influencer les décideurs ?
C.C. : Il est important de mettre la transition électrique à l’agenda de l’action publique autant que privée : pour l’Europe, une sortie des énergies fossiles et une transition par les énergies renouvelables est nécessaire d’ici 2035. Cela veut dire que tous les décideurs (gouvernements, gestionnaires de réseaux électriques, investisseurs privés, propriétaires de centrales à gaz, à charbon, ou ceux qui vont porter les projets de renouvelables) doivent pouvoir identifier que la science climatique autant que les logiques de rentabilité, de sécurité d’approvisionnement en énergie ou la fourniture d’une électricité abordable à tous, leur impose d’adopter cette ambition. Et pour ce faire, il est nécessaire que les lois nationales et réglementations européennes, les plans multi-annuels d’investissement, ou de déploiement de centrales éoliennes et solaires, de lignes électriques, ou de moyens de stockage, s’alignent sur cette vision plutôt que de la repousser à plus tard, comme c’est le cas encore aujourd’hui dans beaucoup de pays qui ne planifient pas ou trop peu la transition électrique.
La mise à l’agenda de cette ambition s’accompagne de notre part d’une démarche de documentation et de diffusion quant à la faisabilité technique comme économique de cette transition. Nous nous appuyons notamment sur les scénarios de transition énergétique d’Ember, de CAN Europe, mais aussi d’organisations telles que NégaWatt en France et Agora-Energiewende en Allemagne. Notre coalition a aussi mis en place une base de données exhaustive qui référence les caractéristiques et l’évolution des milliers de centrales à charbon et à gaz en Europe. Dans les médias, où a lieu une large partie du débat public, il est parfois nécessaire d’accompagner les journalistes et rédactions vers une compréhension fine et experte des enjeux.
Sur la base de ces analyses et en monitorant les décisions des Etats, des entreprises et de l’ensemble des acteurs, on peut exposer les progrès, les incohérences et les défaillances des différents acteurs face à leurs responsabilités. Cette transparence apportée dans le débat permet de faire évoluer les engagements et les actions. Quand le Royaume-Uni annonce par exemple fin 2024 qu’il parviendra à une quasi-totale décarbonation de son système électrique d’ici 2030, mais qu’il ne revient pas pour autant sur les plans des industriels qui prévoient de quasiment doubler leurs capacités de centrales à gaz fossile, c’est incohérent et il faut le faire savoir. Mais malgré tout cette ambition fortement incarnée politiquement outre-Manche est à faire connaître dans les autres pays d’Europe. « Ne nous dites pas que ce n’est pas possible alors qu’une économie majeur comme le Royaume-Uni est en train de le faire. »
Ce travail de mise à l’agenda va autant être réalisé par les think tanks dont le travail d’analyse est central, que par les ONG nationales qui vont porter cet agenda de transition du secteur électrique auprès des décideurs. De telles démarches viennent à la fois appuyer mais aussi se nourrir d’analyses provenant d’autres sources crédibles – et parfois mieux identifiées par les décideurs – telles que les publications récentes de l’Agence internationale de l’énergie appelant à une transition électrique d’ici 2035 en Europe.
Il est parfois nécessaire de porter ces exigences de manière plus vive et insistante quand la science climatique ou les objectifs de transition énergétique, peinent à s’imposer à l’agenda des décideurs. Par exemple, au travers de recours en justice à l’échelle nationale ou au niveau des juridictions européennes, comme ce fut le cas ces dernières années en France (à l’initiative de la coalition « Notre affaires à tous »), aux Pays Bas (Urgenda), en Allemagne (DUH et BUND), où les exécutifs ont été condamnés pour l’insuffisance de leurs actions climatiques respectives. C’est aussi le cas en Pologne où l’avenir de la mine de Turów fait l’objet de recours en justice, ou encore en Italie où des militants des associations Greenpeace Italia et Recommon ont assigné l’entreprise des fossiles ENI ainsi que le ministère italien de l’Economie et des finances pour leur contribution à la crise climatique.
La contestation des projets fossiles à l’échelle locale ou le soutien au déploiement des solutions, au travers de manifestations publiques, par exemple, est un autre moyen important d’accroître la visibilité de l’exigence de transition. Un activisme de terrain qui s’organise organiquement et qui, autour d’une lutte locale, va venir se cristalliser pour donner plus de voix, plus de visibilité, mais aussi pour emmener localement beaucoup plus de gens, et donc créer une forme de dilemme pour les décideurs locaux et nationaux. « Si vous continuez à agir de manière complètement aveugle vis-à-vis des enjeux climatiques ou environnementaux, ou avec des solutions injustes vis-à-vis des collectivités et des citoyens, vous aurez localement des oppositions grandissantes ».
Enfin un autre moyen d’action concerne spécifiquement les acteurs économiques. Alors que les énergies fossiles deviennent de moins en moins rentables face aux énergies renouvelables et aux mesures d’efficacité et de sobriété énergétique, il reste à traduire cela à l’échelle des investisseurs. Les associations actives sur ce sujet en Europe, telles que WWF, Reclaim Finance, Recommon ou encore Friends of the Earth sont parvenues à créer des précédents. Reclaim Finance suit et évalue les investissements dans les réseaux électriques d’une vingtaine de banques européennes. Si aucune n’a à ce stade mis en place de mesures satisfaisantes sur l’ensemble de leurs politiques d’investissement, certaines se démarquent en créant un précédent utile : par exemple la Banque Postale avec un engagement à investir de manière significative dans les énergies renouvelables et à restreindre fortement les conditions d’investissements dans les projets électriques fossiles.
M. : Quel est votre rôle au sein de Beyond Fossil Fuels ?
C.C. : Le pôle campagne auquel j’appartiens au sein de notre secrétariat, et dont je suis le directeur adjoint, rassemble les chargés de campagne qui définissent et mettent en œuvre nos stratégies -en collaboration avec les organisations membres- ainsi que les analystes qui ont la charge de maintenir nos bases de données.
Une partie de notre travail consiste à donner de la visibilité et amplifier les actions de nos membres. Des décisions prises dans certains pays peuvent être très utiles dans d’autres pays ou vis-à-vis d’acteurs privés pour accélérer leur prise de décision. J’ai mentionné plus tôt le récent engagement du Royaume-Uni, Il est important de le faire connaître dans les autres pays – notamment ceux de l’Union européenne, pour qui le Royaume-Uni reste une référence politique et économique.
Quand on identifie des risques de reculs dans un pays ou une entreprise, on va chercher à les éviter. A l’inverse, si une dynamique positive est en train de se créer, comme l’accélération vive du déploiement de l’éolien et du stockage en Pologne, il est important d’en faire part à d’autres pays ou à des acteurs économiques plus sceptiques.
Parfois, il y a des outils qui nécessitent un travail commun à l’ensemble de la coalition. Ce sont souvent des outils de fond, comme les bases de données de centrales à gaz à charbon que j’ai déjà citées et qui nécessitent d’être centralisées. Peu le savent, mais la transition énergétique est un phénomène continu en Europe, en progression permanente. Il est nécessaire de la rendre visible au travers de chiffres, de cartes, de graphiques autant que de témoignages vidéo et photo. Voir les progrès sans être naïf sur les difficultés, c’est une autre caractéristique de notre mouvement.
De mon côté, je le vois : chaque semaine, il y a des choses qui bougent dans le bon sens et qui montrent qu’il y a bien une transition énergétique en cours en Europe. La Hongrie – pourtant rarement érigée en modèle de la transition énergétique – est devenue en quelques années le pays de l’UE qui produit la plus grande part de son électricité par le solaire. Et c’est par un développement rapide de l’éolien et du solaire que la Pologne a réduit de 30% sa production d’électricité au charbon en cinq ans. Non seulement tracer les petites victoires donne de l’espoir et de l’énergie, mais aussi cela permet à tous de les porter aux oreilles des décideurs à l’échelle locale et nationale. On a ce rôle-là aussi : faire circuler les petites et grandes victoires de la transition énergétique. Je ne suis pas naïf : il y a aussi des mauvaises nouvelles et inquiétudes, des choses qui n’avancent pas assez. Mais il est important de donner de la visibilité à ce qui avance pour éviter que les freins ne résultent de l’ignorance et du manque de savoir-faire.
Il faut aussi identifier les choses plus difficiles et les secteurs où ça n’avance vraiment pas assez vite, voire où tout semble bloqué. Dans ces cas-là, notre rôle consiste à réunir nos organisations membres en « clinique », où l’expérience et les connaissances de chaque organisation va permettre d’identifier des moyens pour avancer. Pour prendre un exemple assez connu : à de rares exceptions près, le déploiement de l’éolien en Europe est devenu difficile au point de ne plus être capable de tenir les objectifs fixés dans de nombreux Etats. Une double contrainte s’impose à nous, entre les coûts des équipements qui augmentent, liés une chaîne d’approvisionnement mondiale perturbée depuis les crises du Covid (2020-2022) et de l’énergie en Europe (2022-2023) ; et une montée de l’opposition aux projets éoliens. Dans certains cas ces oppositions sont purement liées à des stratégies électorales. Dans d’autres, elles sont liées à des considérations locales légitimes : les entreprises déployant les projets ne se soucient parfois peu des intérêts individuels et collectifs des habitants et communautés impactés par les projets. Pour réagir à ces contraintes, on explore les principes à respecter afin que tout nouveau projet éolien puisse correspondre aux attentes légitimes locales, dans le respect des écosystèmes, mais aussi de la participation citoyenne et de la juste répartition des bénéfices.
M. : Depuis votre point de vue pan-européen et aussi votre parcours dans les organisations écologistes en France, comment décririez-vous l’état des mouvements écologistes à l’échelle européenne aujourd’hui ?
C.C. : Le premier aspect, c’est qu’on est un mouvement de société civile qui est très dynamique et très foisonnant, ne serait-ce qu’au sein de la coalition BFF. Si on regarde le mouvement climatique et encore plus le mouvement environnemental, ce sont des milliers d’acteurs à travers l’Europe, avec une grande richesse de cultures militantes et d’expertises.
La pluralité au sein du mouvement climatique et environnemental est une force transformative. Toutefois, cet univers est extrêmement fragile par ses financements et aussi parce que nous faisons collectivement face à une réponse plus agressive de la part des entreprises et des Etats.
Il y a trois grands types de financement. Par les acteurs publics, nationaux, régionaux, ou encore l’Union européenne. Par les fondations, qui sont elles-mêmes abondées par des fonds privés d’entreprises ou d’individus. Dans ces deux premiers cas, les financements sont soumis à des exigences quant à l’utilisation des fonds et -parfois- aussi sur la définition du plaidoyer. Il y a un troisième moyen de financement : les dons des individus ou de petites entreprises, qui dans certains pays comme en France peuvent être défiscalisés. L’avantage, quand on est en grande partie financés par ces dons-là, c’est qu’on est moins contraints par ceux qui financent, puisqu’il y a un foisonnement de financeurs. Mais si dans ce cas, on est plus libres sur le fond, c’est aussi plus difficile de collecter ces dons auprès des adhérents et donateurs. Donc, des structures qui sont uniquement financées par des dons d’individus, il y en a très peu. En France, à ma connaissance, parmi les grandes ONG, il y a Greenpeace, ou sur un autre domaine Médecins Sans Frontières, mais je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup d’autres. De nombreuses structures présentent des financements hybrides reposant à la fois sur des donations publiques, des dons individuels et des soutiens de fondations. Le financement, c’est à la fois ce qui permet aux mouvements d’agir et un élément de fragilité. Certaines organisations ajoutent parfois une quatrième source de financement au travers de services facturés aux entreprises ou collectivités, par exemple des formations.
Une autre fragilité, c’est la réaction et l’agressivité de ceux qui s’opposent à l’agenda climatique et environnemental. Plus souvent désormais, les États criminalisent l’action des protecteurs de l’environnement et des promoteurs de l’action climatique, des mouvements qui s’opposent à des projets climaticides ou s’opposent aux entreprises qui les portent. La stratégie des entreprises peut parfois consister à porter plainte contre ces mouvements en essayant de les étrangler financièrement ou d’imposer des peines lourdes à leurs membres. Ces procédures baillons sont très dangereuses parce qu’il suffit d’un précédent pour créer une dynamique délétère. Elles peuvent aussi distiller de la crainte chez les acteurs du mouvement environnemental en décourageant les activistes, donateurs et salariés de ces mouvements. Le cas récent d’emprisonnement de Paul Watson (Sea Shepherd) ou les menaces politiques à l’encontre des Soulèvements de la terre en sont deux illustrations parmi tant d’autres en Europe. La multiplication des recours en justice et la répression extrêmement violente sur le terrain visent à décourager les actions légitimes et la structuration des mouvements militants, mais aussi à envoyer un signal aux autres structures qui les soutiendraient. Déjà certaines structures, actives aux Etats Unis, font état de leur crainte de ne bientôt plus pouvoir agir face à l’attitude rageuse de l’administration Trump.
La responsabilité est collective pour résister à la multiplication de ces assauts contre les militant·es de la cause environnementale et plus généralement les citoyen·nes et structures engagées sur des agendas progressistes. Bien sûr, les structures les plus solides par leurs sources de financement diversifiées, leurs réputations et leurs services juridiques pourront un temps accompagner les mouvements militants dans leur ensemble. Mais il est à craindre que la répétition des attaques ne conduise progressivement à un déclin du mouvement par la perte de capacité d’action. Ce qui est sûr, c’est qu’actuellement, ces signaux-là (la fragilité des sources de financement, les menaces qui pèsent sur les mouvements, qu’elles soient judiciaires ou autoritaires) indiquent qu’il y a une volonté de tendre le rapport de force entre les décideurs et les acteurs du mouvement environnemental – mais aussi désormais on le voit avec le monde scientifique. Et quand il y a une volonté de la part des décideurs de tendre le rapport de force avec les lanceurs d’alerte et les structures militantes, alors il est important que l’ensemble des acteurs de la société civile, soucieux de maintenir la pluralité du débat public, apportent une réponse collective et solidaire.
Ce qui se passe aux États-Unis, de la même manière que dans de très nombreux pays du monde, est très inquiétant : militer pour les droits à un environnement sain et un climat viable, devient synonyme de danger. Mais ces situations extrêmes ne doivent pas nous faire ignorer que cette opposition radicale des puissants n’est pas nouvelle, s’intensifie et s’intensifiera plus encore si les régimes d’extrême droite s’installent dans le paysage politique européen. Pour la France, lors de la COP21 à Paris en 2015, déjà, on assistait à une intensification rare des répressions contre les militants environnementaux. Alors que la dynamique de diplomatie permettait un succès important avec la signature des accords de Paris -duquel le mouvement de la société civile n’est pas étranger, on assistait parallèlement à un tour de vis répressif de l’Etat. Une dynamique qui ne s’est depuis qu’amplifiée.
La responsabilité des Etats comme la France est ici très forte. Car en s’en prenant aussi violemment à ceux qui se mobilisent pour protéger notre destin commun et le droit à vivre dans un environnement sain, l’Etat retarde l’action climatique et environnementale, en augmente douloureusement le coût, et enfin contribue à la confusion au sein du débat public. Et cela, c’est très grave.