Forêts : questions brûlantes pour des futurs au-delà de la surexploitation et de la conservation

 

Fin 2022, alors que la fumée et les cendres des incendies dévastateurs de l’été sont toujours perceptibles et que le lignite continue de brûler en profondeur (et continuait de le faire au moment où nous écrivions ces lignes), Emmanuel Macron promet de (re)planter un milliard d’arbres en dix ans. Comme c’est d’usage dans la France du néolibéralisme bureaucratique, cette annonce spectaculaire débouche d’abord et avant tout sur la mise en place d’un comité spécialisé « gestion durable » au sein du Conseil supérieur de la forêt et du bois. Ce comité, qui s’est réuni plusieurs fois entre février et mai 2023, a pour vocation de réfléchir à une « planification écologique France Nation Verte » placée sous le signe de la « résilience » et capable de renouveler « au moins 10 % de la forêt française »[1]

Il est facile de partager son constat d’une intensification et d’une diversification des attaques subies par les forêts : depuis la tempête de 1999 jusqu’aux incendies de 2022, en passant par la sécheresse de 2019 et l’installation durable et massive des scolytes, on voit bien que les forêts françaises sont mises à rudes épreuves. Cela a notamment pour conséquence une croissance ralentie des arbres et une hausse de l’échec des plantations. De ce point de vue, le Comité pointe dans son rapport l’augmentation des incertitudes et le risque de dégradation « des fonctionnalités écologiques et socio-économiques des forêts »[2] pour les prochaines décennies.

« Au-delà des fluctuations, le présent document vise à sécuriser le puits de carbone sur le long terme, en permettant à la forêt de s’adapter, en ciblant en priorité les peuplements les plus vulnérables. Par son ambition, il va également orienter les récoltes futures de bois en quantité et en qualité. À cet égard, il est important non seulement de s’assurer de la compatibilité climatique des essences, mais aussi d’anticiper, avec les incertitudes inhérentes aux projections de long terme, les usages et donc les besoins futurs en bois d’œuvre[3] »

De cette façon, le Comité engage ses travaux sur le sentier bien balisé de la « forêt outil », tracé de longue date au niveau international, comme l’entretien avec l’activiste Hannah Mowat le décrit très bien pour le cas de l’Union européenne. Réservoir de biodiversité, fournisseuse de bois aux usages multiples, lieu de pratiques sociales variées, la forêt se voit dorénavant chargée de fonctions écologiques essentielles dont la plus importante est celle de puits de carbone pour lutter contre les résultats accumulés de la consommation des énergies fossiles au cours des deux siècles de domination du capitalisme industriel[4]. Derrière l’apparente unanimité concernant les bienfaits des « services écosystémiques forestiers », miroir tout autant que remède aux « externalités négatives » des économistes, sourdent pourtant de féroces luttes politiques sur l’avenir des forêts, des Nords comme des Suds.

l’autre bout du spectre des représentations de la forêt, il y a la nature, lieu plus ou moins sauvage où la dimension complexe des systèmes vivants s’exprime avec force, où chercheur·ses et amateur·rices explorent les relations étonnantes entre les organismes qui en composent les mondes, où les citadin·es fatigué·es d’artificiel viennent se ressourcer, où peuvent aussi se trouver la base d’expériences plus radicales de rupture avec le régime dominant de production et de consommation. Le champ symbolique incarné par l’imaginaire de la forêt dans nos sociétés occidentales en est la démonstration criante : certains courants de la psychologie la définissent comme un symbole de l’inconscient ; d’autres, en anthropologie culturelle, comme un sanctuaire naturel, premier lieu de culte et préfiguration des temples ; la mythologie, enfin, le perçoit comme lieu de l’initiation par excellence.

La dualité entre « forêt outil », d’un côté, et « forêt nature », de l’autre côté, est aujourd’hui largement utilisée par le courant libéral anglo-saxon pour établir une distinction binaire entre une approche territoriale, avec des forêts dédiées à l’exploitation intensive, opposée à une approche de conservation intégrale, promouvant des territoires dédiés à la protection de la vie sauvage et dont sont par principe exclus – sauf très temporairement – les humain·es. Mais les deux faces du Janus forêts n’ont pas été inventées par le néolibéralisme ; elles sont presque aussi anciennes que l’Anthropocène et, comme nous le rappelle dans ce numéro Guillaume Blanc, leur hégémonie doit beaucoup à l’histoire coloniale et à la juxtaposition, dans les zones d’empire, du double modèle d’exploitation de longue durée qu’est la plantation industrielle et de son pendant parc naturel, avec ses zones réservées aux safaris.

En prenant pour enjeu la façon dont les catastrophes écologiques, du changement climatique à la réduction drastique de la biodiversité en passant par les multiples pollutions, mettent en danger les forêts et menacent la multiplicité de fonctions (production, agrément, services écosystémiques) qui leur est attribuée, les articles de ce numéro interrogent cette dualité et les liens étroits qu’elle entretient au régime industriel d’extraction des ressources qui sous-tend les marchés mondialisés du bois. Ils tentent de la dépasser en discutant de sujets ou de situations qui explorent la complexité des relations qui font les forêts.

En la matière, les dispositifs disciplinaires et autres techniques de soi déployés dans le cadre néolibéral se trouvent, souvent, contrecarrés grâce à des résistances et à des luttes qui s’ancrent, du fait de la puissance symbolique des espaces forestiers, dans un même niveau infrapsychique que les représentations naturalisées du modèle dominant. Les manipulations néolibérales semblent annihilées par la profondeur ou l’épaisseur de pensée que provoque le mot « forêt » auprès d’un large public. Pour le domaine forestier, la résonance interne « traditionnelle » paraît puiser avec plus d’intensité dans le registre de l’imaginaire et des valeurs que ne le font les stratégies extractivistes et de marchandisation de ces espaces. De là naît une différence notoire, voire une véritable opposition entre le caractère très adaptatif des démarches néolibérales, qui proposent un récit binaire et « prêt-à-penser », et les constructions fondées sur un mouvement ouvert à la réflexion et à la complexité de la vie.

Le pari adopté pour la composition du numéro est donc celui de l’utopie réelle, de la restitution d’expériences qui – ici et maintenant – aident à « travailler et conserver » autrement pour prendre en compte à la fois la durabilité des écosystèmes et l’horizon d’une vie plus sereine et plus juste pour les populations qui ont à faire avec les forêts – qu’elles soient locales ou mondiales. Les trois écologies avancées par Félix Guattari (sociale, environnementale et subjective) sont repérables dans la plupart des agencements discutés dans ce numéro, soit sous la forme de questionnements, soit sous la forme de pratiques. Ceux-ci renvoient tout particulièrement à deux enjeux décisifs pour toute critique de l’intrication entre propriété et productivisme : celui des communs et celui du travail forestier.

Les forêts occupent en effet une place tout à fait particulière dans l’histoire des communs et de leur remise en cause comme condition de possibilité de la révolution industrielle, de l’accumulation du capital et de la modernité techniciste. Partant de la trajectoire anglaise, Larry Lohmann revient, dans la traduction d’un de ses articles princeps, sur la très grande diversité des usages de la forêt par les classes populaires, sur l’importance des formes de vie et des droits qui ont nourri les résistances séculaires à l’imposition d’une conception absolue de la propriété des sols et des arbres.

En alternative à cette dernière, les expériences de création ou de renouveau de communs forestiers ont gardé toute leur actualité, du fait notamment que la mise en œuvre du modèle élaboré par la théorie des communs n’a rien d’un long fleuve tranquille. Étudiant de nombreux exemples de gestion de ressources communes, Elinor Ostrom a en son temps insisté sur plusieurs conditions nécessaires au bon fonctionnement d’un commun, au premier rang desquelles figuraient des limites clairement définies (pour la population et les ressources considérées), des dispositifs de choix collectifs accessibles aux individus concernés, la surveillance des conditions d’appropriation, des sanctions graduelles, des mécanismes de résolution des conflits et une reconnaissance institutionnelle (par l’État). Autrement dit, à l’origine de la constitution d’une propriété commune dont les usages et la reproduction sont collectivement réglés se trouvent l’existence d’une communauté porteuse de droits, la définition de ses frontières et l’engagement de ses membres.

On en déduit souvent que les communs ne peuvent fonctionner qu’à une échelle réduite et pour des ressources naturelles. Les expériences de création de services publics s’appuyant sur cette approche suffisent à invalider la seconde restriction. L’enjeu de la première est moins la taille proprement dite que la possibilité d’une communauté pertinente, d’où les apories caractéristiques de la création de communs mondiaux comme le rappelle Frédéric Amiel dans son analyse des modes actuels de régulation des grands bassins forestiers terrestres. En contrepoint de ces échecs, les politiques de création de forêts communautaires, officiellement à l’agenda de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, peuvent donner des résultats, mais ne réussissent, nous dit Étienne Bourel à partir de l’exemple du Gabon, que là où les interventions des experts ne se font pas à la va-vite et misent sur l’acquisition de compétences ; là où le soutien de l’État ou des élu·es ne relève pas que de la politique de rente et du clientélisme ; là où les villageois·es – ou au moins une partie – ont déjà des expériences de gestion environnementale ; là où les inégalités internes aux communautés ne sont pas trop fortes. Bref, il s’agit de configurations rares et difficilement reproductibles, car susceptibles de transformer des « espaces de bifurcation » en trajectoires d’usage alternatives.

La question n’est pas propre aux forêts des Suds et à la lutte contre la destruction des grandes forêts tropicales considérées comme primaires. Après les incendies de l’été 2022 dans le bassin d’Arcachon, Emmanuel Macron, en un remake hautement symbolique des dénonciations néolibérales de la tragédie des communs, s’en était pris à la gestion selon lui archaïque, inefficace et à haut risque de la forêt de La Teste-de-Buch, en usage commun depuis cinq siècles. À la place, il prônait le passage en pleine propriété et une industrialisation de l’exploitation. Enquêtant sur les raisons du refus des propriétaires comme des usager·ères statutaires d’adopter le contrat proposé par l’État en échange de son soutien à la replantation, Arthur Guérin-Turcq met au jour dans son article les tensions entre registres d’usage qui, au-delà de cet accord pour la défense du statut historique, ont fragilisé l’entretien des parcelles et font craindre qu’une vague de spéculation foncière mobilisant les outils de la finance carbone finisse par avoir raison du commun.

Le grand paradoxe de l’irruption de l’Anthropocène dans le futur des forêts est que la reconnaissance des menaces sur leur existence qui résultent du changement climatique ont eu pour conséquence non seulement la quête d’adaptations et de nouvelles pratiques, mais ont aussi légitimé un nouveau discours sur l’intensification de la production de bois, l’industrialisation renforcée des coupes et l’augmentation de la productivité du travail forestier. Au nom de la décarbonation et de la lutte contre le changement climatique, les forêts doivent aujourd’hui produire de la biomasse selon un modèle qui reste majoritairement celui de la plantation intensive : sélection des essences à croissance rapide, monoculture, utilisation des sols aux limites de l’épuisement. En effet, les impacts extrêmement négatifs du Capitalocène sur les forêts trouvent leur origine dans un régime d’exploitation tous azimuts dans lequel travail humain et écosystèmes ont été mis à contribution de manière intense dans le cadre d’une foresterie industrielle extractiviste, tout particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Comment repenser et réinventer le travail forestier pour sortir de cette surexploitation ? Dans le débat scientifique et expert, les controverses sur les réponses portent sur la nature des catégories pertinentes (est-il vraiment judicieux de parler de « résilience »[5]  dans une configuration où la biosphère est en plein bouleversement, comme les articles d’Hendrik Davi et d’Hervé Le Bouler le discutent à propos des forêts françaises ?), mais également sur les modèles mobilisés pour mesurer et évaluer les dégradations en cours et à venir. Si tout le monde a en tête les débats houleux concernant les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la pertinence de leurs différents scénarios climatiques (dont l’usage a d’ailleurs des impacts directs sur les évaluations des transformations forestières), les controverses autour de la compensation carbone sont particulièrement éclairantes car révélatrices des pièges du modèle de la plantation qui domine l’exploitation industrielle.

Suite à l’échec du Mécanisme de développement propre (MDP) – visant à baisser les coûts de réduction des émissions de CO2 – en matière de projets forestiers, une proposition alternative, dont l’objectif était de diminuer les émissions consécutives à la déforestation, a émergé en 2005. Baptisée REDD+ (acronyme anglais pour « Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement »), elle cherchait à atteindre deux objectifs : « rémunérer la conservation des forêts et inciter à l’adoption de politiques publiques favorables aux forêts »[6] au niveau national. Pour bénéficier de telles aides, les pays bâtissent des scénarios de référence pour les émissions consécutives à la déforestation et à la dégradation dans le but de déterminer quelles auraient été les émissions sans les politiques et mesures REDD+ qui doivent faire l’objet d’un soutien matériel et/ou financier[7]. Autrement dit, il s’agit d’un chiffrage indispensable à une double incitation : éviter la déforestation et planter plus pour augmenter la capacité de fixation du carbone. Or,

« aucun modèle n’est capable de prédire l’évolution des principales variables économiques et climatiques qui contrôlent les taux de déforestation – prix des produits agricoles, sécheresses et précipitations, feux, etc. –, ce qui laisse la porte ouverte à la construction de scénarios “optimisés”, avec des variables choisies en fonction des intérêts stratégiques des États – ou des acteurs privés dans le cas de projets – qui les proposent »[8]

Les résultats de ces limites méthodologiques ne sont pas qu’abstraits. L’(in)efficacité pratique des mécanismes de crédit carbone est en jeu, comme une vaste analyse l’a récemment pointé : West et ses collègues estiment en effet que seuls 6,1 % des compensations d’émission de carbone revendiquées via ces projets le seraient réellement[9]. Ces résultats sont d’autant plus importants que ces mécanismes sont très souvent perçus comme mettant en cause ce qui serait le droit à l’industrialisation et au développement des pays aux revenus les plus bas. Par ailleurs, le choix des données de référence peut profiter à des gouvernements ouvertement hostiles à la protection des forêts[10]

« Le Brésil a été le premier pays à bénéficier, en 2019, sous la présidence de Jair Bolsonaro, de “paiements aux résultats” pour la diminution de la déforestation observée en 2014 et 2015 par rapport à un niveau de référence dérivé de la déforestation pour la période 1996-2015 – niveau de référence de la forêt. Le Brésil utilise une référence historique et “bénéficie” donc des niveaux très élevés de la déforestation passée, avant les mesures politiques mises en œuvre par le premier gouvernement Lula. […] Avec l’élection de J. Bolsonaro, la politique environnementale brésilienne avait radicalement changé. Ironiquement, c’est son gouvernement antiécologie qui bénéficiera des “paiements pour résultats” du Fonds vert pour le climat. De plus, le Brésil a reçu des paiements alors que la déforestation en Amazonie reprenait fortement, avec une augmentation de 43 % entre 2017-2018 et 2018-2019[11]. »

Au-delà des cercles experts et des débats sur les mécanismes de compensation et la finance verte, on assiste, depuis les années 2010, à l’apparition de formes originales et intéressantes de convergence éco-sociale favorables à l’expérimentation de pratiques forestières alternatives. Dans le contexte français, celles-ci font intervenir les syndicats de forestier·ères, les associations environnementales, les coopératives et entreprises de l’économie sociale actives dans le secteur. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Charlotte Glinel montre ainsi comment la création de l’association SOS forêts par des syndicalistes de l’Office national des forêts (ONF) et des ONG écologistes a été une réponse à la réorganisation managériale de l’ONF et la commercialisation accrue de ses activités suite à la tempête de 1999. L’association participe aujourd’hui de la quête d’autres manières de travailler pour réduire la pression sur les travailleur·ses et les écosystèmes : arrêt des coupes franches au profit de peuplements mêlant jeune et vieux arbres, fin de la monoculture et diversification des espèces, transfert d’espèces méridionales mieux adaptées à l’aridité… Les pistes sont nombreuses. Défendre une foresterie écologique et productive contre l’industrialisation accrue souhaitée par les promoteurs de la décarbonation par la production croissante de biomasse est un enjeu majeur de débats au sein des associations. Les positions du Réseau pour les alternatives forestières sur la fin de la monoculture et la réduction de la pression sur les sols que discute Gaëtan Du Bus dans son entretien sont, par exemple, non seulement peu compatibles, ce qui est bon signe, avec la place donnée à la consommation de bois dans la stratégie nationale bas carbone, mais aussi, point plus problématique, avec les scénarios de transition énergétique élaborés par l’association Négawatt.

Les expériences du travailler autrement portent aussi sur l’organisation plus coopérative des activités. Stéphane Le Lay et Ramuntcho Tellechea présentent l’exemple d’une unité de l’ONF en charge de forêts de montagne où la résistance au tropisme productiviste a pris la forme d’une alliance entre collectif de travail et direction locale pour « tricher » avec les normes, discuter collectivement les plans d’aménagement (notamment pour favoriser la conservation des vieux arbres), négocier des objectifs de long terme avec les élu·es et les habitant·es, etc. Roméo Bondon revient lui sur le besoin d’alternatives en aval, une fois les arbres coupés, lorsqu’il s’agit d’adapter le bois des grumes aux besoins. Il examine la façon dont des petites scieries tentent de marier alternative sociale et foresterie écologique en associant maintien du statut coopératif, diversification des essences et recréation de filières locales avec l’espoir de mettre un frein aux non-reprises et aux fermetures à répétition des scieries artisanales.

Une autre configuration alternative à la foresterie industrielle revendiquée depuis quelques années au Nord et plus seulement dans les Suds est celle d’une conservation radicale passant par l’arrêt de l’exploitation et une restriction drastique de la présence humaine, voire le réensauvagement. Antoine-Aurèle Cohen-Perrot s’est ainsi intéressé aux conflits avec les locaux suscités par le rachat de parcelles forestières dans la vallée de Montrement, en Savoie, par des militant·es essayant d’utiliser le droit de propriété pour imposer une gestion « en biodiversité » de la forêt et un usage exclusivement local du bois. Il montre dans son texte comment l’initiative de leur association Forêt vivante, louable théoriquement, a été concrètement à l’origine de problèmes insolubles : faute d’intérêt pour la question de l’inclusivité sociale, elle confondait les institutions locales en lien avec la forêt et sa propriété avec la menace productiviste. Le projet de renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest porté par l’association Francis Hallé, sur lequel revient l’article de Daniel Béhar, soulève les mêmes enjeux d’ouverture et de tension entre histoire et possible continuité des usages locaux, d’une part, limitation drastique des activités, voire fermeture complète des accès, d’autre part. Le fait qu’il s’agisse d’un projet transfrontalier, sur 70 000 hectares, nécessitant plusieurs siècles pour aboutir, en fait un enjeu majeur et donc un test grandeur nature de la possibilité même d’une politique publique de mise en réserve échappant au cadre postcolonial.

On le voit, les impératifs de changement, les enjeux et les difficultés sont colossaux, et l’on peut donc légitimement se demander si le président de la République et certain·es de ses ministres en ont bien pris la mesure. Car parallèlement à son annonce de la « planification écologique France Nation Verte », Emmanuel Macron annonçait, contre les intérêts écologiques, sociaux et économiques des communautés locales, le soutien de l’État français à un projet d’exploitation de ressources gazières (neuf nouveaux puits, un gazoduc de 320 kilomètres principalement offshore, quatre trains de liquéfaction) en Papouasie-Nouvelle-Guinée, piloté par TotalEnergies et financé en partie par le Crédit agricole[12] !

 

 

 

[1] Objectif forêt, rapport du comité spécialisé « gestion durable des forêts » en vue de l’élaboration du plan national de renouvellement forestier, 26 juillet 2022, p. 5.

[2] Ibid., p. 7.

[3] Ibid., p. 8.

[4] Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2016.

 

[5] Thierry Ribault, « La résilience. Une technologie du consentement ? », Annales des Mines. Responsabilité et environnement, no 107, 2022, p. 23-28.

[6] Alain Karsenty, « Peut-on en finir avec la déforestation grâce à la compensation carbone ? », Revue internationale et stratégique, no 131, 2023, p. 2.

[7] Ibid.

[8] Ibid., p. 7-8.

[9] Thales A.P. West et al., « Action Needed to Make Carbon Offsets from Forest Conservation Work for Climate Change Mitigation », Science, vol. 381/6660, 2023, p. 873-877.

[10] Karsenty, « Peut-on en finir avec la déforestation grâce à la compensation carbone ? », art. cit., p. 6-7.

[11] Ibid.

[12] Lucie Pinson et Peter Bosip, « En Papouasie-Nouvelle-Guinée, Emmanuel Macron va soutenir une nouvelle bombe climatique », La Croix, 27 juillet 2023, en ligne : https://www.la-croix.com/Debats/En-Papouasie-Nouvelle-Guinee-Em…acron-soutenir-nouvelle-bombe-climatique-2023-07-27-1201276879.