Ce compte-rendu du livre écrit par l’animatrice de « la réflexion économique et sociale » des Verts [1] est bien tardif, il est le fruit de nombreuses hésitations et l’on va rapidement comprendre pourquoi. Le titre, pourtant, est extrêmement prometteur : voici donc (enfin, pourrait-on dire) « la » philosophie de « l’ » écologie politique. Mais avec un titre aussi ambitieux, le risque est grand de décevoir le lecteur. La Préface d’Alain Lipietz refroidit déjà quelque peu. De philosophie, en réalité, il ne sera pas complètement question, seulement d’éthique, à l’exclusion de problèmes d’ontologie ou d’esthétique, que Lipietz décrit comme étant les deux autres branches de la philosophie. Admettons. Le livre est construit en trois parties, qui sont autant de composantes de l’écologie politique : Mai 68 ou la quête de sens), Jonas (le principe responsabilité) et Habermas (la démocratie participative) ou le sens en partie retrouvé, et l’écologie politique, un nouveau paradigme en voie de constitution.

Mai 68 a en effet représenté un tournant, pour diverses raisons sur lesquelles il serait long de revenir. Pour Eva Sas, ce qui ressort c’est la révolte des différences contre la pensée unique, laquelle est constituée d’un côté par le marxisme mécaniste (qu’elle ne cite qu’à demi-mot) et de l’autre par le libéralisme et le consumérisme (que Sas vise plus explicitement). Foucault est mobilisé à l’appui de cette thèse, ainsi que, de manière plus secondaire, Deleuze & Guattari, mais aussi Mounier. Le choix est assez judicieux car Mounier, personnaliste, renvoie à Ellul et Charbonneau, mais aussi Denis de Rougemont (L’avenir est notre affaire, Stock, 1977), qui joua un rôle important dans la fondation et l’animation d’Ecoropa.

Comment retrouver du sens, à partir d’individualités ? C’est l’enjeu de la seconde partie. Pour l’auteure, il faut revenir un peu en arrière pour comprendre les enjeux d’une refondation. C’est Auchwitz et Hiroshima, et de manière plus secondaire le stalinisme, qui sont les événements qui lui semblent avoir mis fin à la croyance dans un progrès linéaire et automatique. La démocratie se révèle ainsi faible et fragile, tout comme la nature. Une éthique doit chercher à les défendre, avoir conscience de leur valeur respective. Le sens, c’est donc l’éthique, et pour Sas ce sont Jonas et Habermas qui sont les plus convaincants dans leur entreprise de refondation de l’éthique. De Jonas, elle retient l’heuristique de la peur, une éthique de l’incertitude : la précaution. Dommage de ne pas avoir vu que Jonas est aussi celui qui confère leur dignité philosophique aux scénarios, à l’exploration hypothétique de l’avenir, là où libéralisme et marxisme se contentent largement de tirer leurs prévisions du passé ; gageons toutefois que ce souci est bien là, sous-jacent. D’Habermas elle retient une raison pluralisée, fractionnée, mais dont la réunification reste possible grâce à l’éthique de la discussion. On se souvient qu’en effet Habermas a répondu de manière acerbe à Foucault, estimant que son analyse ne permettait aucun dépassement du pouvoir [2]. L’auteure rejoint ici une constante de la littérature écologiste : la méfiance envers l’État, qui place l’écologie politique sur un axe libertaro-libéral.

La troisième partie entreprend de tracer les contours de ce qui est présenté comme un nouveau paradigme : l’écologie politique. Sas pointe les risques autoritaires, notamment chez Jonas. Ce point a en effet été souvent souligné [3]. Illich est critiqué pour n’avoir pas proposé d’utopie mobilisatrice, d’axe d’action. Au contraire pour Sas l’écologie politique propose un horizon positif : la responsabilité, qui confère un appui émotionnel à la nécessité rationnelle de changement social. Le nouveau paradigme repose sur « l’interaction des singularités » [4]. La responsabilité ne détermine pas la nature humaine, et préserve bien cette indétermination constitutive de la démocratie, mais dévoile une destinée commune. L’écologie politique est décrite comme reposant sur trois valeurs (responsabilité, autonomie et solidarité) et un mode d’action : la démocratie participative. La responsabilité, face aux problèmes du monde, se remonte les manches et se refuse à ne chercher qu’un bouc-émissaire. L’autonomie est acceptation de l’interdépendance, mise en évidence des déterminismes sociaux afin de les transformer, suivant les recommandations de Pierre Bourdieu. La solidarité découle de ce que nous n’avons qu’une seule Terre. Sas n’oublie pas de payer son tribut envers Lipietz, qui avait déjà mis en avant ces trois valeurs, comme étant vouées à remplacer « liberté, égalité, fraternité » [5].

Eva Sas conclut sur la cohérence du paradigme, bien qu’il soit encore inachevé. Elle consacre un épilogue à s’interroger sur les relations entre écologie politique et social-démocratie, concluant que l’un va avec l’autre pour deux raisons aux moins : l’écologie politique met l’accent sur la répartition des richesses, et pas seulement la répartition des richesses supplémentaires (typiquement, le partage de la valeur ajoutée), et la critique des insuffisances du marché, qui interdit à l’écologie politique de s’en remettre à ses mécanismes impersonnels.

En philosophie, l’enjeu éthique de l’écologie a été classiquement appréhendé par les philosophies et éthique dites « de l’environnement » Citons [6], ainsi que par la réflexion sur les risques. Par rapport à ce traitement habituel, ce livre a une grande vertu, outre le fait d’offrir au lecteur néophyte un aperçu de ce qu’est l’écologie politique : mettre l’accent sur des éléments qui apparaissent peu chez Lipietz, en particulier la critique de la consommation (Baudrillard et Illich). Cette critique est une constante, chez les écologistes, et cela depuis le départ [7]. C’est même surtout de ce côté-là que se manifeste le militantisme se manifeste avant tout de ce côté-là, ce sont des « aménageurs », comme l’ont noté Giddens [8] ou James O’Connor [9]. Le terrain de lutte est la critique de la valeur d’usage, comme l’avait théorisé Baudrillard [10]. Pourtant le Green Deal (Lipietz, 2012) fait presqu’entièrement l’impasse sur la question, préférant se situer du côté de la production – comme l’analyse marxiste classique. Sas a donc raison contre Lipietz sur ce point. On ne peut pas comprendre l’engagement écologiste dans le « monde vécu » ou le quotidien sans cela, on ne peut pas non plus comprendre les résistances au changement si l’on fait l’impasse sur ce sujet, si l’on ne se rend pas compte de la lutte qui est à construire pour construire cette « seconde contradiction » du capitalisme qui est mentionnée plus qu’analysée par James O’Connor [11]. Cet enjeu est tout aussi absent du travail de J.B. Foster [12] ou de Michael Löwy [13], aussi n’est-il pas exagéré de soutenir que Sas contribue une nouvelle fois à démontrer que le marxisme est encore loin d’avoir saisi l’écologisme.

Sas montre donc de l’intérieur du mouvement écologiste que la philosophie de profession n’a pas entièrement fait son travail, et est même assez loin de l’avoir fait, à ce jour. Habermas n’est jamais cité comme étant un auteur déterminant pour l’écologisme, au contraire a-t-on glosé sans fin sur les risques qu’il y avait à importer « directement » une théorie de la nature (l’écologie) en politique [14], comme si l’on s’était contenté de commenter l’expression « écologie politique », sans se soucier des pratiques qu’il désigne. On s’est aussi doctement demandé qui pourrait bien porter l’enjeu écologique [15], bien que les écologistes soient là, disponibles sous les yeux de l’analyste. Si l’on avait fait de même avec « économie », on aurait pu être fort surpris du décalage possible et des faux problèmes qui auraient été soulevés. Le projet écologiste n’a jamais consisté en une application de la science aux relations humaines, aussi ces discussions et ces mises en gardes sont-elles en grande partie inutiles, à moins qu’elles n’aient eu pour objet que d’affaiblir le mouvement, ou d’occulter ce qu’il pointait du doigt : l’accord commun du marxisme et du libéralisme sur « le progrès », à tel point que Jacques Bidet, éminent interprète du Capital, ne revendique que l’écart du discours libéral avec la réalité de sa pratique [16], il ne conteste pas cet idéal. Pourtant le Bien despotique du libéralisme, ce n’est pas le travail mais un certain type de travail, identifié notamment par Moishe Postone : le gain de temps, en tant que générateur de valeur ajoutée. Un idéal qui a envoûté la Terre entière, d’innombrables sociologues ont mis en évidence les traits communs d’un tel « développement », par-delà leur diversité et leur variété [17].

En mobilisant la question du progrès, de la raison, Eva Sas montre que l’écologisme n’est pas réductible ni aux « éthiques de l’environnement », qui semblent parfois excessivement coupées des problèmes concrets, ni aux questions de risque technologique. L’écologisme touche à la ratio moderne en tant que telle, dans les caractères que lui attribuent des auteurs tels que Bidet ou Aron [18]. Comprendre l’écologie politique implique de la situer à l’intérieur de la philosophie moderne dans son ensemble, et sa crise, dite « post-moderne ». A n’en faire qu’une « éthique appliquée », comme l’indique le Dictionnaire d’Ethique et de Philosophie Morale [19], on ne peut guère comprendre ce qui se joue [20]. Eva Sas contribue donc à sortir l’écologie politique de ce ghetto des « écosophies » et autres « éthiques environnementales », confinement dont l’une des conséquences néfastes est de conforter les autres domaines dans leur conviction qu’ils ne sont pas concernés par la question écologique.

Mais le problème principal de ce livre, c’est le genre : à qui s’adresse-t-il ? A la lecture du contenu, le titre paraît doublement prétentieux : « philosophie de », et non pas « introduction à » ou « éléments de », qui aurait été plus modeste, « de l’écologie politique », qui désigne l’écologie politique dans sa totalité. Or il est bien évident qu’on ne fait pas le tour de la question, loin de là, et cela quel que soit le public visé. D’où une somme de critiques qui pourraient être faites, nous nous limitons ici à en indiquer quelques-unes.

Admettons d’abord qu’on réagisse en philosophe de profession. Si l’on connaît le sujet, alors le traitement de la question de la valeur intrinsèque de la nature paraîtra bien léger. Eva Sas renvoie en effet dos-à-dos biocentrisme et anthropocentrisme [21], tout en reconnaissant la valeur intrinsèque de la nature [22], ce qui revient à adopter la première des deux positions, qui ne se valent donc pas. Par ailleurs, découvrant que l’écologie politique implique de mettre Habermas sur le même rang que Jonas, et même de mettre en cause la raison et la modernité, le philosophe professionnel va se demander pourquoi l’auteure n’a aucunement tenu compte des travaux existants sur cette question, auteurs que nous avons commencé à introduire plus haut. L’auteure ne tient pas non plus compte des travaux sociologiques réalisés sur le mouvement écologiste, qui mettent en cause cette thèse d’un écologisme ouvert et progressiste, « participatif » [23] , des travaux qui expliquent pourquoi Bruno Latour et ses objections à l’égard de « l’écologie » en « politique » [24] ont eu un tel écho. L’auteure pense-t-elle pouvoir se passer de ce genre de réflexivité ? Mais alors de quelle « philosophie » est-il question ? Et si ce n’est pas pour discuter avec les sociologues et les philosophes, alors à quoi bon mobiliser Habermas ? Pour épater le militant ? Le livre reste au milieu du gué, et finit par sembler vouloir dire de manière un peu pédante, à coups de citations signées de noms réputés, ce qui aurait aussi bien pu être dit beaucoup plus simplement. Les auteurs semblent mobilisés selon le principe de l’affinité, plus que par une véritable réflexion philosophique sur l’écologie politique. Autrement dit, c’est en affirmant que l’écologie politique soutient la démocratie participative et en constatant qu’Habermas a bien théorisé cela qu’Eva Sas propulse cet auteur père de l’écologie politique.

Mais à ce petit jeu les risques sont grands de se tromper. Mounier n’a jamais été écologiste, c’est même l’un des points sur lesquels il se séparait de Charbonneau et Ellul, comme l’explicite l’opuscule La petite peur du 20ème siècle (1948). Foucault n’a rien dit sur le sujet, on ne voit pas bien pourquoi il est autant mentionné. Deleuze & Guattari sont productivistes en diable, dans leurs deux célèbres ouvrages qui portent sur les liens entre capitalisme et schizophrénie : endossant implicitement la thèse de la « durabilité faible », ils ne voient en effet aucune fin à la reproduction élargie du capitalisme, dont la limite n’est qu’interne, fondée sur le manque de capital [25]. Cette limite est toujours déplacée, jamais abolie ; la crise des ressources n’en est pas une, puisque le nucléaire déplace les limites toujours plus loin [26]. Se retirer du marché mondial ? Au contraire, aller plus loin, « « accélérer le procès », car comme disait Nietzsche : « en vérité, dans cette matière, nous n’avons encore rien vu » » [27]. On dira que ce sont des écrits de jeunesse. Mais la suite n’a pas totalement démenti ce positionnement. Dans Les trois écologies [28], Guattari explique que l’écologie mentale et sociale sont aussi importantes que l’écologie « environnementale », au point de passer entièrement à la trappe les questions que pose cette dernière. Bref, à ne mobiliser qu’approximativement, on s’expose à quelques erreurs de filiation. Le philosophe professionnel, enfin, sera inévitablement déçu par ce « nouveau paradigme » dont l’auteure ne nous dit finalement pas grand-chose.

Sur ce dernier sujet, il est vrai que la littérature savante n’en dit pas plus non plus. Le livre de Catherine et Raphaël Larrère, qui fait référence dans le domaine, exhibe d’ailleurs une curieuse aporie à cet endroit. La première partie de l’ouvrage passe en revue les différentes conceptions de la nature dans l’histoire, qui seraient au nombre de trois : prémoderne, moderne et « écologique » [29]. A l’observation chez les Grecs aurait succédé l’expérimentation chez les Modernes, et le respect serait à venir [30]. Or le statut de la troisième période fait problème, dans la série. La philosophie politique tient en effet pour acquis que le passage du prémoderne (ou « antique ») au moderne implique des changements massifs : émergence de l’Etat, de l’économie de marché, du développement technologique, passage de la « liberté des Anciens » à la « liberté des Modernes », d’Aristote au constructivisme etc. Entre le prémoderne et le moderne, l’écart est souvent considéré comme étant celui de l’émergence de la philosophie elle-même. Le lecteur a donc toute raison de penser que l’écart entre la seconde et la troisième époque devrait être de la même magnitude. Ce qui corrobore cela est l’objection fréquente que rencontrent les écologistes, de vouloir « revenir à l’âge de pierre » (ou de la lampe à pétrole [31]). Au contraire les auteurs soutiennent que la protection de la nature est « un souci moderne », au motif que la nature n’est à protéger que lorsque l’agir humain atteint une certaine amplitude. Mais si « le respect » est moderne, finalement, alors qu’est-ce qui le distingue encore de l’âge moderne ? Que l’agir humain soit de grande ampleur est un constat que chacun peut faire sans que cela ne nous apprenne rien des institutions qui seraient compatibles avec une « protection de la nature », ni si elles sont modernes ou prémodernes. Or c’est là que réside la majeure partie de la discussion en matière d’écologie politique. La seconde partie du livre des Larrère, qui expose ce que serait un « bon usage » de la nature, éclipse complètement cette discussion, et s’en tient à des questions éthiques très localisées, « appliquées », à l’exclusion de la discussion de la forme sociale qui irait avec. Le peu qui est évoqué n’est pas réellement thématisé, et pose question. Récusant ainsi la référence à la communauté [32], les auteurs renvoient à l’éthique conséquentialiste de Dieter Birnbacher [33] avant de conclure à l’opposé en faveur d’une éthique déontologique, « écocentrée », empruntée à Leopold, qui élargit « la communauté » politique aux « non-humains ». Une communauté non-communautaire, un conséquentialisme déontologique : le propos reste pour le moins vague et évasif. Catherine Larrère, qui est aussi une spécialiste de Montesquieu et auteure d’un ouvrage sur l’invention de l’économie au 18ème siècle [34], n’a semble-t-il pas réussi à élaborer le lien qui semble devoir exister entre les deux parties de son œuvre. Bref, si de ce point de vue Eva Sas rétablit un peu la balance, et montre que la forme de société fait bien souci aux écologistes, il reste qu’elle ne mène pas la discussion, et ne situe pas les enjeux philosophiques.

Alors admettons qu’on ouvre le livre en militant. On se dira que de toute évidence « l’écologie politique » dont il est question est assez réductrice, elle correspond au mieux au parti EE-LV, à l’exclusion des Alternatifs, des courants de la décroissance, et de courants écologistes de droite, car contrairement à ce que suggère Eva Sas (l’écologie politique serait « naturellement ancrée à gauche » [35] l’écologie de droite existe bel et bien, ou alors qu’on explique à Corinne Lepage et Nathalie Kosciusko-Morizet qu’elles se sont trompées d’écurie politique. Bref Sas simplifie grandement le problème, mais ce faisant elle passe à la trappe la plus grande partie des problèmes pointés par les sociologues à l’encontre des Verts. Ce sont aussi le plus gros des divergences entre écologistes qui se trouve effacé. Il est vrai qu’elle y répond en partie indirectement, par des références clairement à gauche – mais pas trop. Le militant sera aussi inévitablement déçu de ne pas voir apparaître un certain nombre d’auteurs phares du mouvement (Charbonneau, Moscovici etc.) tandis qu’Illich se voit un peu édulcoré. Il se dira aussi peut-être qu’Eva Sas gagnerait à lire Le nouvel esprit du capitalisme, de Boltanski & Chiapello, une enquête qui montre comment l’aspiration individualiste à la « singularité », que l’on peut comprendre comme une « critique artiste », a été récupérée par le capitalisme et le management [36]. « L’écologie politique » défendue par Eva Sas ne se différencie pas clairement de la version bobo et attrape-tout que l’on connaît, et dont les positions sociales ne sont pas toujours très claires. Bref cette « philosophie » « de » « l’écologie politique » paraîtra un peu grandiloquente et inutilement verbeuse.

Si enfin le lecteur est un citoyen simplement curieux, nullement militant, il se dira que l’écologie politique c’est finalement la social-démocratie bien comprise, qu’il est inutile de se targuer de « philosophie » pour autant, et que le PS au pouvoir fait de l’écologie politique aussi bien que les Verts, puisqu’il se soucie de l’avenir (crise économique), qu’il roule en voiture hybride et qu’il organise pour cela de larges consultations. Du coup on ne voit pas bien où est la rupture, le « changement de paradigme », à nouveau. La protection de la nature, oui, bien sûr, mais tout le monde en fait maintenant, tout le monde est pour ! Alors quelle est encore la spécificité écolo ? De « vraiment » protéger la nature ? Mais alors en quoi ce mouvement est-il porteur d’autre chose que d’une dimension parmi d’autres de l’intérêt public ?

En conclusion, retenons ce que Lipietz dit du livre : qu’il était nécessaire et demandé [37]. Mais par qui ? Vraisemblablement par la galaxie verte elle-même, oublieuse de ses propres racines, de son identité, elle qui était si créatrice dans les années 70. C’est dommage, car ce manque de réflexivité nuit aux écologistes eux-mêmes. Car si aujourd’hui une majorité de personnes s’accordent sur les diagnostics verts, peu comprennent les enjeux de l’alternative qu’ils portent, comme le constate avec raison Corinne Lepage même si l’on ne partage pas forcément ses solutions [38]. Ce livre, s’il ne clarifie pas vraiment ce dernier point, contribue toutefois à mettre en doute le traitement académique de la question écologique. Espérons qu’il soit un petit peu pris au sérieux. Espérons qu’il augure aussi d’un renouveau du travail théorique, du côté des militants et des organisations écologistes, c’est un aspect qui est devenu crucial depuis que tout le monde se dit écolo. Espérons que le prochain livre soit mieux ciblé, qu’il cadre mieux son sujet – voire son parti !

[1] D’après la 4e de couverture

[2] Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, Gallimard, 1985.

[3] Dominique Bourg, Les scénarios de l’écologie, Hachette, 1996.

[4] Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique, Les Petits Matins, p.103

[5] Alain Lipietz, Qu’est-ce que l’écologie politique, La Découverte, 1999, p.40

[6] Hicham-Stéphane Afeissa (dir), Ecosophies, la philosophie à l’épreuve de l’écologie, MF Editions, 2009 ; Hicham-Stéphane Afeissa, Qu’est-ce que l’écologie ?, Vrin, 2009 ; Catherine Larrère & Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, Aubier, 1997.

[7] Citons notamment Dominique Simonnet, L’écologisme, PUF, Que Sais-Je ?, 1979 ; Claude-Marie Vadrot, L’écologie histoire d’une subversion, Syros, 1978, et surtout les journaux écologistes, La Gueule Ouverte etc. Une synthèse approximative avait été proposée par De Roose et Van Parijs, La pensée écologiste, De Boeck, 1992.

[8] Anthony Giddens, Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, 1994, pp. 170-176

[9] James O’Connor, « Capitalism, Nature, Socialism : A Theoretical Introduction », Capitalism, Nature, Socialism, n°1, vol. 1, 1988, pp. 11-38. Reproduit dans Ted Benton (Ed.), The greening of marxism, Guilford Publishers, 1996, pp. 197-222

[10] Jean Baudrillard, Dans le miroir de la production, Galilée, 1985, Ed. Orig. 1973.

[11] Michelle Dobré, L’Ecologie au quotidien. Eléments pour une théorie sociologique de la résistance ordinaire, L’Harmattan, 2002 ; Michelle Dobré & Salvador Juan (dir.), Consommer autrement. La réforme écologique des modes de vie, L’Harmattan, 2009.

[12] Fabrice Flipo, « L’écologie politique est-elle réactionnaire ? L’enjeu des choix technologiques chez John Bellamy Foster », Sens Public, 16 juin 2010.

[13] Fabrice Flipo, « Qu’est-ce que l’ « écosocialisme » », ContreTemps, 17 janvier 2012.

[14] Outre Dominique Bourg, citons Hans Magnus Enzensberger, « Critique of Political Ecology », New Left Review, n°84, March/April 1974. Réimprimé dans Ted Benton (Ed), The greening of marxism, Guilford Publishers, 1996, pp.17-50 ; Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Grasset, 1993 ; Bruno Latour, Politiques de la nature, La Découverte, 1994 etc.

[15] Jean-Marie Harribey, « Marxisme écologique ou écologie politique marxienne », in Jacques Bidet & Eustache Kouvélakis (dir), Dictionnaire Marx Contemporain, PUF, 2001, p.197

[16] Jacques Bidet, Théorie générale, PUF, 1999.

[17] Bertrand Badie, Le développement politique, Paris, Economica, 1994 ; Yves Berthelot (dir), Unity and Diversity in Development Ideas : Perspectives from the UN Regional Commissions, Indiana University Press, 2004.

[18] Raymond Aron, Les désillusions du progrès – Essai sur la dialectique de la modernité, Calmann-Lévy, 1969.

[19] Ainsi John Baird Callicott, « Environnement », in M. Canto-Sperber (dir), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, 1996, pp. 498-501

[20] Remarque déjà faite ici : F. Flipo, « L’éthique environnementale à la croisée des chemins », Mouvements, 12 février 2010.

[21] Eva Sas, Op. Cit., p. 105

[22] Eva Sas, Op. Cit., p. 73

[23] Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun & Yves Dupont, L’équivoque écologiste, La Découverte, 1991 ; Robert E. Goodin, Green political theory, Polity Press, 1992 ; Marc Abeles, Le défi écologiste, L’Harmattan, 1993 ; Daniel Boy, L’écologie au pouvoir, Presses de Sciences Po, 1995 ; Jean Jacob, Les sources de l’écologisme, Paris, Arléa-Corlet, 1995 ; Guillaume Sainteny, Les Verts, PUF, Que Sais-Je ?, 3e édition, 1997 ; Jean Jacob, Histoire de l’écologie politique, Albin Michel, 1999 ; Andrew Dobson, Green political thought, Routledge, 2002, Ed. Orig. 1995 ; Robyn Eckersley, The green State – Rethinking democracy and sovereignty, MIT Press, 2004 ; Stephens P.H.G., Barry J. & Andrew Dobson (Eds), Contemporary environmental politics – from margins to mainstream, Routledge, 2006 etc.

[24] Bruno Latour, Op. Cit., 1994

[25] Gilles Deleuze & Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Tome 1. L’Anti-Œdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 277.

[26] Gilles Deleuze & Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Tome 2. Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 579.

[27] Gilles Deleuze & Félix Guattari, op. cit., 1972, p. 288.

[28] Félix Guattari, Les trois écologies, Galilée, 1989.

[29] Catherine Larrère & Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, Paris, Aubier, 1997, p.19

[30] Voir aussi Catherine Larrère, « Nature », in M. Canto-Sperber (dir), Op. Cit., pp.1024-1031

[31] Les Verts, Le nucléaire ou la lampe à pétrole, Paris, L’Esprit Frappeur, 1999.

[32] Catherine Larrère & Raphaël Larrère, Op. Cit., p. 261

[33] Dieter Birnbacher, La responsabilité envers les générations futures, PUF, 1994.

[34] Catherine Larrère, L’invention de l’économie, PUF, 1992

[35] Eva Sas, Op. Cit., p.29

[36] Luc Boltanski & Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

[37] Alain Lipietz, in Eva Sas, Op. Cit., p.10

[38] Corinne Lepage, « Les écologistes doivent se remettre en cause », Le Monde, 16 août 2008.