DOSSIER GRENELLE “OGM”. Prometteur, mais réalisé dans la précipitation, le Grenelle laisse en suspens la question des inégalités écologiques et celle des moyens pour mettre en oeuvre un développement durable. 8 novembre 2007

Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a été très mal noté par l’Alliance pour la Planète. Fort de son 8/20, il était bien difficile de l’imaginer à l’initiative d’un événement susceptible de donner de l’importance aux enjeux écologiques. Et pourtant. Le nouveau président fait des promesses, crée le super-ministère voulu par les écologistes, est à l’initiative d’un événement sans précédent sur l’écologie en France. Son discours final est salué par la plupart des observateurs, français et étrangers, associatifs, patronaux et syndicaux. A-t-il trouvé la recette miracle du « développement durable », conciliant les trois piliers, économie, social et écologie ? N’était-ce pas plutôt une opération de communication ? Ou quelque chose d’autre encore ?

Difficile de le dire aujourd’hui. Les engagements, indéniablement ambitieux sur le plan écologique, sont suspendus à la « compatibilité avec Bruxelles » et avec Bercy. D’ici là, les lobbies d’opposants ont tout le temps de trouver des prétextes pour vider les déclarations de leur substance… Il est difficile de tirer des conclusions définitives quant à cette ouverture écologique. Commission Attali ou Grenelle, quelle sera la véritable orientation du gouvernement ? Nous le saurons en décembre prochain. Toutefois, l’exercice apporte déjà quelques précieux enseignements.

La précipitation de la « négociation » a créé l’événement et contribué à crédibiliser l’urgence, réelle, de la situation. La question écologique a rarement été aussi présente dans les médias. Le Grenelle a surtout permis de continuer l’effort de politisation de l’écologie.

Revers de la médaille : les mobilisés étaient celles et ceux capables d’être d’argumenter sans délai sur la question. Les autres sont restés sur le bas-côté. Quel est le bilan de ce court-circuit des canaux traditionnels de construction de l’intérêt général ? Marque-t-il l’échec des Verts et de la voie « politique » traditionnelle ? Est-ce la promesse de nouvelles procédures démocratiques ? Le processus a certainement donné la parole à des acteurs faibles. L’expertise des ONG a été reconnue. Mais quelle est leur représentativité réelle et leur périmètre de compétence ? Ces points seront cruciaux pour la suite, car les partisans de la Commission Attali et du rapport Syrota vont continuer leur travail.

Le Grenelle a sans cesse hésité entre environnement et développement durable, démontrant par là à celles et ceux qui ne s’en souciaient guère que l’écologie entrerait tôt ou tard dans leur quotidien. Parmi les absents, on compte des acteurs du social (DAL, Emmaüs, en particulier), des acteurs dont on savait dès le départ qu’il n’y avait rien à gagner sur leur thématique (le Réseau Sortir du Nucléaire), des acteurs qui n’ont pas été invités (les Décroissants, les Casseurs de pub), ne faisant pas partie des « 9 » introduits dans la précipitation par Nicolas Hulot auprès de Nicolas Sarkozy, celui-ci ayant par la suite entériné cette liste sans qu’elle soit de nouveau discutée. On trouve aussi les associations de consommateurs et celles de l’économie sociale et solidaire. La précipitation n’a pas permis la participation et le vaste débat nécessaire pour mettre la société en mouvement.

Or, ce mouvement est nécessaire. Car, comme l’a dit un participant du MEDEF, au-delà des objectifs consensuels, les manières d’y parvenir divergent. Le Grenelle a rendu plus précises les parti-pris en matière d’écologie politique. Le Contre-Grenelle a pu donner l’impression d’une ligne de partage claire : les syndicats et ONG d’un côté, les entreprises et l’Etat, de l’autre. Mais on peut douter de cette division, pour plusieurs raisons. Tout d’abord le positionnement des ONG reste ambigu sur le social et l’égalité. Les ONG ont soutenu une position commune avec les syndicats contre le destin que la direction de la SNCF assignait au fret ferroviaire, mais seuls les Amis de la Terre se sont impliqués dans l’action syndicale de terrain, FNE s’étant tenu à une ligne légaliste (en évitant de traverser les voies ferrées lors des grèves, par exemple), comme à son habitude. Cette convergence constitue un précédent intéressant car elle a réellement mis en difficulté la direction. Des désaccords entre syndicats et ONG sont apparus dès que les choix écologiques ou sociaux devenaient ambitieux, car les premiers sont des lanceurs d’alerte qui ont un rôle de consultation et non pas de négociation.

La position des syndicats reste largement ancrée dans la croissance. A contrario plusieurs organisations patronales, notamment la Confédération Paysanne et le CJD, ont fait des propositions ambitieuses. Mais la représentativité des ONG pose le problème du poids politique de leurs propositions, et explique qu’elles se soient en partie autocensurées, par prudence – par exemple en ne demandant que le moratoire sur l’EPR et non la sortie du nucléaire. Gagner sur ce terrain nécessite de mettre la société de leur côté, proposer des alternatives, construire des convergences. Cela suppose, d’une part, de travailler sur les enjeux communs, comme la santé au travail, la production de toxiques (REACH), l’opposition aux OGM, la construction de nouvelles filières économiques etc. et, d’autre part, de préparer des mesures de transition, qui permettent de restructurer l’économie sur la base des besoins des plus pauvres, à l’échelle planétaire comme à l’échelle nationale.

A contrario plusieurs organisations patronales, notamment la Confédération Paysanne et le CJD, ont fait des propositions ambitieuses. Mais la représentativité des ONG pose le problème du poids politique de leurs propositions, et explique qu’elles se soient en partie autocensurées, par prudence – par exemple en ne demandant que le moratoire sur l’EPR et non la sortie du nucléaire. Gagner sur ce terrain nécessite de mettre la société de leur côté, la proposition d’alternatives, la construction de convergences. Cela suppose d’une part travailler sur les enjeux communs, comme la santé au travail, la production de toxiques (REACH), l’opposition aux OGM, la construction de nouvelles filières économiques etc. et d’autre part préparer des mesures de transition, qui permettent de restructurer l’économie sur la base des besoins des plus pauvres, à l’échelle planétaire comme à l’échelle nationale.

La question de la fiscalité, par exemple, a été évoquée à de nombreuses reprises pour servir des buts différents. Elle sera décisive, à double titre. Tout d’abord, de nombreux produits écologiques reviennent plus cher que les produits polluants – tels par exemple les produits biologiques, les matériaux sains etc. Le faible développement de ces filières ne permet pas d’expliquer entièrement le surcoût. Le faible coût de l’énergie et la gratuité des pollutions émises par les autres filières comptent pour beaucoup. « Internaliser les externalités » va menacer le pouvoir d’achat : c’est une question qui n’a pas été abordée de front pendant le Grenelle. Créer une rareté artificielle, instituée, afin de respecter les écosystèmes, fera monter les prix. Orienter la consommation vers ces produits demandera d’augmenter les salaires les plus faibles. Ensuite, Nicolas Sarkozy a repris une proposition pointée à juste titre par les syndicats comme étant dangereuse : l’allégement des taxes sur le travail et leur remplacement par des taxes sur l’énergie, afin d’encourager l’embauche et de décourager la pollution. Cette proposition, qui n’a pas été sérieusement analysée à ce jour, pourrait aussi ouvrir la voie à une réduction de la part des revenus redistribuée. C’est un point qui devra faire l’objet d’une grande attention à l’avenir.

Pour réduire les inégalités, les produits de l’écotaxe devraient plutôt servir
à compenser la perte de revenus pour les salaires les moins élevés.

La construction collective d’alternatives devra, en plus du critère économique, prendre en compte les inégalités écologiques. Il s’agit là de l’inégalité devant les pollutions (toxiques, ondes électro-magnétiques etc.) mais aussi de la fracture existant entre « la classe consumériste mondiale » (qui, selon le World Watch Institute, désigne les personnes avec des revenus annuels de plus de 7 000 dollars par an) et l’ensemble des personnes dont l’impact écologique reste faible parce que leurs revenus sont faibles. Pour assurer son train de vie, cette classe consumériste épuise le substrat duquel elle tire sa force. On pourrait croire retrouver ici la ligne de force marxiste classique. Ce n’est pas le cas, car le minimum vital qu’ils utilisent est déjà très consommateur sur le plan écologique. Cette tension reste à surmonter, tout comme la traduction des « commons » planétaires en nouveaux droits nationaux reste largement à faire. C’est toutefois une étape indispensable vers une modification en profondeur des modes de vie industrialisés, afin de réenchâsser l’économie dans l’écologique.

À ce titre, la critique de la consommation est un enjeu majeur, laissé largement de côté par le Grenelle. L’évolution des marchés est toujours laissée à la persuasion des vendeurs, qui peuvent continuer à ne donner à voir que les avantagent locaux et immédiats des biens et des services qu’ils commercialisent… au détriment des dégâts collectifs qu’ils peuvent provoquer à long terme.

Le dernier point à soulever dans le Grenelle est la question de la gouvernance. La présence des collectivités territoriales n’avait rien de fortuit, tout comme le terme « gouvernance ». Toute politique écologique de grande ampleur s’inscrit dans le long terme et a pour conséquence des choix difficiles d’aménagement au niveau local. Le débat glisse vers des questions territoriales. Ainsi, tout le monde s’accorde à dénoncer les zones pavillonnaires, qui créent une dépendance durable à la voiture. Mais l’État ne peut décider seul leur disparition. Changer l’urbanisme relève pour partie des compétences des collectivités territoriales, pour partie des comportements des investisseurs, collectifs et individuels.