On trouvera dans cet imposant ouvrage (près de 1100 pages) deux types de textes : ceux qui ont paru aux auteurs caractériser la saga de la prise de conscience progressive et évolutive des problèmes d’environnement, et ceux qui leur ont paru les plus significatifs de la construction de la pensée écologique au regard des enjeux majeurs de notre temps. D’où deux parties, consacrées à une « chronologie » et aux « enjeux ».

La première partie se divise en trois grandes sections. La première, très courte, rappelle que la dégradation de la nature est un problème aussi vieux que l’humanité, Platon et Pline à l’appui. La seconde cherche à établir que la situation actuelle et ses problématiques (précaution, enjeux globaux etc.) avait été largement anticipée, par de nombreux auteurs, au cours des 18ème et 19ème siècles, qui n’ont pas manqué de critiquer la conception de la nature qui se mettait en place sous leurs yeux, et dont ils percevaient la portée. On trouvera ici des extraits d’Emerson, Catlin, Huzar, Marsh, Jevons, Reclus, Vernadsky et bien d’autres. La dernière partie regroupe des textes traitant des enjeux majeurs de notre temps, dont les particularités sont au nombre de cinq (p. 165) : l’imprévisibilité à moyen ou long terme des effets de certains de nos artefacts ; l’inertie et l’irréversibilité de certaines perturbations ; le fait que nous n’ayons plus affaire à des problèmes de pollution mais aussi à des questions de flux ; l’invisibilité et la globalisation des enjeux. Dans cette dernière partie on trouve des extraits d’Osborn, Vogt, Suess, De Jouvenel, Carson bien sûr, Bookchin, Rostand, Commoner, Hardin, Ehrlich, Meadows, Dumont, Moscovici, McNeill, Diamond ou encore Crutzen.

La seconde partie comporte neuf sections, relatives à neuf grands enjeux :
- économiques, autour de la croissance, avec Goldsmith, Georgescu-Roegen, Illich, Daly, Gorz, Jackson
- économiques encore mais cette fois sous l’angle de la durabilité forte et faible, avec Daly encore, Solow et Norton
- techniques, avec Geddes, sur les villes, Ellul, de Jouvenel, Illich sur l’énergie et l’équité, Jonas, Crutzen encore, Cameron et Abouchar sur le principe de précaution, et Jean-Pierre Dupuy sur le catastrophisme éclairé.
- religieux, principalement autour du christianisme, avec Passmore, Callicott, Descola, Hélène et Jean Bastaire, et bien sûr l’article de Lynn White
- éthiques, autour de la valeur intrinsèque dans sa différence d’avec la valeur instrumentale, avec Leopold, Naess, Taylor, Norton, Albert Schweitzer et Routley
- juridiques, autour des droits de la nature, avec Marie-Angèle Hermitte, François Ost, la Charte de l’Environnement et le célèbre article de C.D. Stone.
- politiques, autour de la préservation et de la conservation (Pinchot, Muir et Cronon)
- politiques encore, autour des négociations internationales et tout spécialement le climat, avec le célèbre article d’Agarwal et Narain sur le « colonialisme environnemental », Henry Shue sur les émissions de luxe et les émissions de subsistance, Peter Singer, Caney et Chakravarty sur le problèmes des allocations des droits sur les gaz à effet de serre
- politiques enfin, autour des institutions démocratiques, avec Lynn White à nouveau, Terence Ball, Rosanvallon, Bourg & Whiteside, Ophuls, Jonas et Robyn Eckersley

On trouve des traductions inédites, comme Solow, Abouchar & Cameron, George Catlin et quelques autres.

Au-delà d’une description factuelle du contenu, parler de cet ouvrage exige d’en identifier l’objet, or c’est là une première difficulté. L’introduction générale est extrêmement courte. C’est la quatrième de couverture qui est la plus bavarde à ce sujet, expliquant que ce qui est ici nommé la « pensée écologique » doit soigneusement être distinguée de l’écologie scientifique, comme du mouvement social qui se réclame de l’écologie. Alors de quoi parle-t-on exactement ? De la pensée écologique telle qu’elle se présente dans l’académie ? Mais alors pourquoi inclure Illich ou Bookchin, qui n’en ont jamais fait partie ? Les introductions partielles nous en disent guère plus. L’introduction générale a beau essayer de se dédouaner en arguant qu’une anthologie est toujours un peu arbitraire, l’effort proprement scientifique d’une sélection de texte qui ne soit pas trop personnelle semble très largement absent. L’ensemble est à forte composante naturaliste, environnementaliste, elle évite une grande partie des enjeux politiques, contrairement à ce qui est affirmé. Quelques textes font exception ainsi Gorz ou Dumont, mais ils pèsent peu dans l’ensemble. Pas de texte de Charbonneau, Bookchin et Ellul réduits au minimum, pas de référence à Marx, si ce n’est en passant, dans les textes introductifs (p. 354 notamment) etc. L’accusé, en général, c’est « l’homme », « l’humanité », sans plus de précision.

Le manque de précision et de cohérence est d’ailleurs ce qui caractérise plus généralement cette anthologie, dont les critères de choix, étant trop nombreux, ou pas assez, aboutissent à ce qui ressemble à une liste à la Prévert, ou à la Borges, y compris dans la structuration des grandes catégories, en particulier dans la seconde grande partie. La discussion autour de la préservation et la conservation, par exemple, se trouve mise au même niveau que la démocratie ou la négociation sur le climat, sans d’ailleurs la moindre référence à l’autre grande négociation qui porte sur la diversité biologique. Bien sûr les auteurs se défendront sans doute en disant que toute anthologie est arbitraire, à nouveau. L’intérêt de cet ouvrage réside donc surtout dans l’accès qu’il donne à des textes qui sont parfois difficiles à trouver, notamment en français, ainsi l’article de Garett Hardin. Mais là encore une mise en garde s’impose : certains textes peuvent donner une idée assez limitée voire fausse de l’auteur, ainsi Paul Ehrlich, dont on pourrait se dire qu’il est conforme à l’idée malthusienne qu’on se fait couramment de lui, en ne se basant que sur le titre de son ouvrage (La bombe « P » comme « population ») etc. La lecture du livre de Ehrlich montererait que cette idée est fausse. Les notices introductives aux auteurs corrigent toutefois en partie cet effet. Un lecteur de cette anthologie devra cependant éviter d’essayer de trop situer les auteurs cités.