Beaucoup a déjà été dit et écrit sur la dernière conférence internationale sur le climat qui s’est tenue à Durban (Afrique du Sud – COP17) en décembre dernier. Principalement, voire quasi-exclusivement à partir des négociations entre les pays. Dans les commentateurs pris globalement, il y a ceux qui, dans la continuité de la position officielle de l’Union Européenne et de la France, se satisfont une nouvelle fois du compromis final, « le maximum de ce que l’on pouvait obtenir », et ceux qui dénoncent des négociations incapables d’infléchir le cours des choses en prenant des décisions, notamment de réductions d’émissions, qui soient à la hauteur des défis climatiques auxquels nous sommes confrontés (1). Dans les deux cas, et bien qu’étant partie prenante de cette seconde catégorie, de telles analyses font la part belle à l’arène officielle, délaissant les dynamiques à l’oeuvre dans la société civile et, qui plus est, dans les sociétés. Si ce texte n’a pas la prétention d’éclairer l’ensemble de ces dynamiques, il a pour objectif de relater quelques-uns des éléments saillants des initiatives de la société civile qui se sont déroulés à l’extérieur des négociations officielles, à Durban et ailleurs, afin de discuter quelques hypothèses de compréhension et quelques propositions déjà sur la table. Ce texte ne prétend pas épuiser ce travail d’analyse et de réflexion. Il est absolument nécessaire de l’approfondir. Ce d’autant plus qu’année après année, les critiques sur l’intérêt de participer à de telles conférences de l’ONU, souvent légitimes et parfois justifiées, se font plus fortes.
Au-delà de la manifestation traditionnelle !
A chaque COP sa manif, voire ses manifs. Partie immergée des initiatives de la société civile, la manifestation est généralement traitée par la presse, souvent de manière routinière. Près de 100 000 personnes à Copenhague (2). Deux manifs quasi simultanées de 3 à 4 000 personnes à Cancun (3). Environ 10 000 personnes à Durban (4). Et sans doute très peu l’année prochaine à Doha (Qatar). Pourtant, l’exemple de Durban montre qu’énumérer le nombre de manifestants est largement insuffisant pour caractériser ce qu’exprime une manifestation. Si la manifestation lors du sommet de Copenhague, présenté en son temps comme « celui de la dernière chance », fut sans nul doute la plus massive, c’est bien la manifestation de Durban qui fut la plus populaire et la moins éloignée de notre quotidien. Bien-entendu, les slogans pour la justice climatique, des financements climat et des véritables réductions d’émissions de gaz à effets de serre, ou contre les marchés carbone et les dispositifs REDD n’avaient pas disparu. Ce sont pourtant ceux réclamant des « climate jobs », l’accès à l’énergie pour le plus grand nombre et la dénonciation des coupures de courant qui compliquent la vie de millions de sud-africains, la défense des paysans ou des « waste pickers », contre les pollutions vécues au quotidien par les populations les plus exposées, etc. qui ont impulsé le rythme de la manifestation. Les politiques énergétiques étaient au cœur des cortèges : rejet du nucléaire, slogans contre les « énergies sales » ou « pour les énergies renouvelables », revendications pour laisser le pétrole le charbon et le gas dans le sol, etc… Par leurs chants, leurs danses et leurs slogans – notamment Amandla le cri de ralliement des opposants à l’apartheid – paysans, travailleurs des déchets, syndicalistes, femmes, jeunes, ont fait de cette manifestation une manifestation populaire, déterminées et dynamique. Contrastant avec l’atonie, l’inertie et l’entre-soi des négociations officielles.
Dès avant la COP, des initiatives qui changent la donne
Plusieurs initiatives en amont et pendant la COP ont permis d’articuler des réalités et préoccupations locales ou régionales aux enjeux internationaux et faciliter une mobilisation populaire. Par exemple, la Via Campesina avait décidé d’organiser des caravanes depuis le Mozambique pour assurer une importante et visible présence de petits paysans. Pari gagné si l’on en croit la mobilisation réussie pour la souveraineté alimentaire organisée dans les rues de Durban le 5 décembre (5). Par ailleurs, une nouvelle alliance africaine pour la souveraineté alimentaire a été lancée (6) à Durban. Sûr que le mouvement international pour la souveraineté alimentaire en sort renforcé pour s’opposer aux propositions inacceptables visant à intégrer l’agriculture dans les dispositifs de marché carbone et le projet de « climate smart agriculture » de la Banque Mondiale (7).
Autre réussite, l’organisation par la branche sud-africaine des Amis de la Terre d’une semaine des énergies sales juste avant la COP17. Avec la participation d’une quinzaine d’organisations africaines et internationales, cette semaine a suscité « une véritable synergie » entre celles et ceux qui venaient à Durban pour s’opposer avec force à « l’exploitation d’énergies sales et aux fausses solutions telles que les marchés carbone ». Durant cette semaine, il a été souligné que les institutions internationales et les gouvernements devaient être tenus responsables de leurs actes et de l’exploitation des énergies sales, telles que les gaz et pétrole de schiste, les sables bitumineux, le pétrole lourd, les grands barrages, etc. (8). Prolongés par de nombreux autres ateliers et actions de rues pendant les 15 jours de la COP, ces débats ont permis de renforcer les alliances et convergences entre organisations, réseaux, communautés, qui travaillent et se mobilisent pour des alternatives aux grandes orientations énergétiques mondiales actuelles. De nombreuses actions de solidarité et de soutien aux communautés locales victimes des agissements des multinationales pétrolières, gazières ou minières ont été organisées pendant la COP17, démontrant par-là que les logiques sont les mêmes partout sur la planète et que la consommation d’énergies fossiles ou de ressources minières ici a de graves répercussions sur le climat, mais aussi sur des populations locales à différents endroits sur la planète.
Un sommet de la société civile utile et remarquable…
Malgré des désaccords politiques parfois assez profonds au regard de la situation en Afrique du Sud, un comité de la société civile pour la COP17 (C17), très large, comprenant des représentants de 16 organisations sud-africaines (mouvements sociaux, syndicats, organisations pour la justice environnementale, ONG, organisations confessionnelles) a pu organiser et faciliter l’existence d’un seul espace de la société civile, au sein duquel chaque composante était en mesure de mener ses propres activités. Par exemple, une « tente des femmes rurales » a offert un espace ouvert quasi en continu à des organisations et femmes venues de nombreux pays, notamment africains, pour partager leurs luttes, échanger, se former, construire de nouvelles campagnes. Organisé à l’université de Kwazulu-Natal, cet espace ouvert et inclusif proposait de nombreuses activités culturelles. Il a joué un véritable et très intéressant rôle de brassage thématique, géographique et politique qui ne recoupe pas totalement celui réalisé par le processus des Forums sociaux, et renforçant très clairement l’extension géographique du mouvement altermondialiste et pour la justice climatique. Autre manière de percevoir cette articulation : les activités du Forum Social Mondial de Dakar en février 2010 sur la justice climatique ont été très utiles pour préparer Durban à l’échelle africaine et il ne fait guère de doute que la réussite du Forum Social Mondial de Dakar a également été source d’inspiration et de continuité pour organiser cet espace unique et réussi de la société civile à Durban.
Au sein de cet espace, la campagne pour 1 million de « climate jobs » fut sans doute la plus visible. A l’initiative d’une coalition de syndicats britanniques, cette campagne s’exporte désormais en Afrique du Sud par l’intermédiaire notamment de la Cosatu, principale centrale syndicale sud-africaine. Les conférences et ateliers sur ce thème ont été particulièrement suivis, avec une très forte participation locale, démontrant combien l’articulation entre les syndicats et le mouvement pour la justice climatique et environnementale est possible. Et qu’il est souhaitable de le renforcer. Mais pas à n’importe quel prix. Si cette campagne a choisi le terme de « climate jobs » et non de « green jobs », c’est que les dynamiques à l’oeuvre autour de ce qui est appelé « l’économie verte » ne correspondent pas aux exigences portées par cette campagne. Par « climate jobs », il s’agit de promouvoir les emplois qui font partie de la solution pour une réduction drastique des émissions de gaz à effets de serre : énergies renouvelables, transports collectifs, efficacité énergétique, etc. Et pas seulement de repeindre en vert des activités intrinsèquement problématiques du point de vue des exigences climatiques (9), de la préservation des ressources naturelles et de la satisfaction des besoins et exigences sociales.
…servant de base arrière à de nombreux mouvements pour intervenir dans la COP17
Cet espace de la société civile a également servi de base arrière à l’alliance internationale des récupérateurs de déchets, ces travailleur-se-s qui vivent et meurent de nos poubelles (10). Organisés en associations locales et nationales, ces travailleur-se-s se battent contre les projets d’incinérateurs de multinationales financés par la Banque Mondiale ou par l’intermédiaire des mécanismes de développement propre (MDP). Mouvement de base par excellence, ils portent une critique radicale des modèles de développement d’infrastructures inutiles et dangereuses qui vont à l’encontre de leurs intérêts vitaux et des intérêts de la majorité de la population. Prônant le « réduire, réutiliser, recycler », ils portent leurs critiques et alternatives jusqu’au coeur des négociations, avec un certain succès et intérêt médiatique. En décentrant le regard sur les négociations climatiques, ce mouvement ramène l’observateur attentif aux réalités que vivent les populations.
L’arène officielle peut également parfois faire résonner plus fort des réalités vécues par les populations locales et relatées lors d’ateliers ou conférences qui se tiennent dans l’espace de la société civile. Prenons un exemple. Comme déjà énoncé plus haut, les énergies sales et les immenses installations industrielles qu’elles nécessitent pour être extraites, traitées, acheminées et utilisées ont largement été dénoncées à Durban par les populations qui en vivent les conséquences. Ce 30 novembre 2011, ces réalités ont été l’objet d’un écho important à l’intérieur même des négociations, en raison de la présentation d’un rapport (11) des organisations Urgewald (Allemagne), GroundWork et Earthlife Africa Johannesburg (Afrique du Sud), et du réseau international Banktrack. Sans doute en mal d’informations nouvelles, les médias présents ont fortement relayé les conclusions de ce rapport portant sur les portefeuilles des plus grandes banques mondiales et les classant sur la base de leurs financements dans l’industrie du charbon. Source très importante d’émissions de gaz à effets de serre, les centrales à charbon, dont les projets Medupi et Kusile (12) fortement décriés en Afrique du Sud, se sont donc retrouvées sous le feu des projecteurs. Tout comme certains acteurs majeurs des crises financières et économiques actuelles, les banques JP Morgan Chase, Citi, Bank of America, mais aussi BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale, côté français, dont les investissements « climaticides » ont été livrés à la vindicte publique !
Les liens internes-externes se délitent !
Ces réussites sont indéniables. On pourrait y ajouter également le lancement d’une nouvelle campagne pour un moratoire sur le dispositif REDD+ qui doit beaucoup à cette articulation entre les initiatives et mobilisations extérieures à la COP et à la présence à l’intérieur des organisations indigènes (13). Néanmoins, les liens internes-externes, au fondement même du mouvement pour la justice climatique, perdent de leur force et de leur sens, obligeant à s’interroger sur la stratégie à suivre.
C’est à Bali en 2007 que la coalition Climate Justice Now ! est née. Alliance mondiale de plus de 200 organisations – dont Friends of the Earth, Via Campesina, Focus on Global South, Jubilee South, Attac – Climate Justice Now ! (CJN !) a toujours cherché à articuler sa présence à l’intérieur des négociations avec des activités autonomes à l’extérieur, considérant que les deux approches se renforçaient mutuellement pour construire un mouvement pour la justice climatique et sociale. Allier l’expertise issue de l’analyse des négociations internes à la radicalité des positionnements des mouvements pour peser sur le cours des choses et l’agenda global, sans se limiter à du lobbying inefficace à la table des puissant, est le logiciel de cette alliance. Les organisations partie prenantes de Climate Justice Now ! cherchaient à ce que leurs actions à l’extérieur aient des répercussions à l’intérieur et à ce que leur compréhension des négociations soient diffusée largement et utilisée à l’extérieur. Le tout servant à construire et délimiter un positionnement politique international mêlant justice climatique, justice sociale, droits des peuples et rejet des fausses solutions de marché et technoscientifiques.
Ce souci du va-et-vient interne-externe a plutôt bien fonctionné et a atteint son apogée à Copenhague où des réunions efficaces et dynamiques avaient lieu le matin à l’intérieur et le soir à l’extérieur, avec des compte-rendus croisés, permettant à tout le monde de se sentir partie prenante d’une même dynamique, écrivant une même histoire, celle du mouvement pour la justice climatique. Cette logique a pu persister jusqu’à Cancun en 2010. Porteurs du mandat de Cochabamba, la Bolivie et son ambassadeur à l’ONU Pablo Solon ont bataillé jusqu’à l’ultime seconde pour que les préconisations établies dans cet accord des peuples ne soient pas balayées d’un revers de la main. De fait, la coalition Climate Justice Now ! appuyait les exigences de la Bolivie qui s’appuyait en retour sur les organisations de CJN ! pour légitimer et justifier ses positions. L’accord de Cochabamba fonctionnait comme un outil reliant l’extérieur à l’intérieur des négociations.
Plus rien de tel à Durban. Entre temps, Cancun avait entériné le pseudo-accord de Copenhague (14). Et il était prévisible que Durban enterre Kyoto (15). Bref, même le plus optimiste activiste de Climate Justice Now ! savait qu’il n’y avait rien à attendre de positif de l’intérieur des négociations et qu’il serait même difficile d’obtenir des clivages politiques clairs entre les pays. En effet, Pablo Solon ayant quitté ses fonctions et la Bolivie ayant arrêté de porter l’accord des peuples de Cochabamba (16) comme l’étendard de son positionnement dans l’arène des Nations-Unies, celui-ci ne jouait plus son rôle d’élément fédérateur intérieur/extérieur. L’articulation intérieur-extérieur qui avait fait la force de la coalition Climate Justice Now ! s’est donc réduite à portion congrue. La technicité des négociations s’est encore accrue et de fait, l’analyse et la compréhension techniques des négociations sont de moins en moins utiles à l’extérieur. Les positions des pays sont si éloignées des exigences que portent les mouvements pour la justice climatique qu’elles deviennent insignifiantes. Deux exemples. A quoi bon s’évertuer à exiger une deuxième période d’engagements sous le protocole de Kyoto quand on sait que le caractère contraignant va disparaître et que les engagements de réduction d’émissions sont loin d’être à la hauteur ? A quoi bon dépenser de l’énergie à suivre à la virgule les discussions sur le Fonds Vert pour le Climat alors que ce fonds est vide, que la Banque Mondiale en est de fait la gestionnaire et que le peu de financements existants risquent de finir dans la main du secteur privé ?
Des COPs en perte de légitimité face à une nouvelle donne géopolitique
La stratégie de Climate Justice Now ! s’en trouve donc ébranlée. Preuves en sont les bilans de Durban établis par CJN ! et ses membres : un « apartheid climatique » pour CJN !, « du racisme climatique, un écocide et un génocide » pour l’Indigenous Environmental Network, « un résultat désastreux du à l’effort combiné des gouvernements des pays riches » pour les Amis de la Terre International. D’une manière générale, il est dit qu’attendre 2015 pour un hypothétique nouveau dispositif est criminel. Pas étonnant que la COP soit renommée « conférence des pollueurs » (17). Pas étonnant non plus que de plus en plus de monde se demande s’il ne faudrait finalement pas bloquer les conférences sur le climat, comme cela a été le cas pour l’Organisation Mondiale du Commerce. Ne prennent aucune décision permettant de résoudre le réchauffement global et utilisées en revanche pour faire avancer l’agenda néolibéral de prédation à travers l’extension des mécanismes de marché et de la compensation carbone, les COPs sont-elles encore légitimes ? Pas étonnant enfin que des appels Occupy-COP17 (18), sur le modèle d’Occupy Wall Street, aient vu le jour.
Par ailleurs, la séquence Copenhague-Durban rend compte d’une nouvelle donne géopolitique. Jusqu’à Durban, les négociations climatiques étaient marquées et structurées par les principes fondateurs du protocole de Kyoto. Le premier de ces principes retenait l’idée d’engagements légalement contraignants. Le second, le principe de « responsabilités communes mais différenciées », structurait les négociations. Sont ainsi séparés, parmi les signataires du protocole de Kyoto (19), d’un côté les pays industrialisés, dits de l’Annexe 1, et de l’autre les pays en développement dits « non-Annexe 1 ». Aux premiers, responsables de la crise climatique actuelle, échoient les engagements contraignants de réduction de leurs émissions et l’obligation d’aider financièrement les seconds à supporter la crise climatique. Que l’on partage ou pas cette séparation et les termes employés (industrialisés, développés, en développement), ce principe a mis au cœur des négociations un principe de justice et une certaines réalité géopolitique, séparant grosso-modo le Nord du Sud. Plus important, ce principe a de fait servi de soubassement légitime au concept de dette climatique, et plus largement à celui de dette environnementale. Ces deux concepts n’ont cessé de se populariser et de se diffuser depuis 1992 et la conférence de Rio, pour aujourd’hui devenir un fondement politique et théorique des revendications pour la justice climatique, et un outil de déconstruction de la prééminence de la dette financière. La nouvelle feuille de route issue de Durban fait voler en éclat ces deux principes issus du protocole de Kyoto. Aucun engagement n’est plus contraignant. Et le nouveau processus de négociations, incluant l’ensemble des pays, ne se réfère plus à aucun principe de justice. Les Etats-Unis, l’Europe et leurs alliés du Nord ont refusé de prolonger ce principe de « responsabilités communes mais différenciées », toujours juste sur le fond, pour des raisons qui ont trait à la nouvelle réalité géopolitique. Trop inquiets de l’émergence économique et financière de la Chine, de l’Inde et du Brésil, les pays du Nord ont mis trois ans pour obtenir l’abandon de ce principe et pour introduire un nouveau cadre de négociations qui place l’ensemble des pays sur un même pieds, à des années-lumière de la réalité climatique. Bien-entendu, cette nouvelle donne géopolitique va forcément redéfinir les négociations. Certaines alliances existantes, comme le G77 + Chine qui regroupait tous les pays du Sud, risquent d’être mises à rudes épreuves. Plus généralement, la géopolitique prenant le pas sur le fond, on peut clairement s’interroger sur la possibilité à court et moyen termes d’obtenir de réelles avancées dans ces arènes de négociations.
En quête d’une nouvelle stratégie
Climate Justice Now ! et ses organisations membres sont donc en quête d’une nouvelle stratégie. Et ce n’est pas simple. S’emparer de l’échelon régional, national ou local est absolument essentiel (20). Cela n’a d’ailleurs jamais été contradictoire avec les mobilisations internationales qui ont servi à ce que des espaces politiques nationaux ou régionaux de type CJN ! soient ouverts, imposant dans l’espace de discussion sur les enjeux climatiques, la prise en compte de la justice sociale et la nécessité de transformer profondément le modèle économique. Avant Copenhague, l’image qui colle au réchauffement climatique est celle de l’ours blanc dérivant sur son bout de banquise. Depuis, il s’agit plutôt de la femme paysanne africaine victime d’une catastrophe climatique (inondations, sécheresse, etc.) n’ayant pas de ressources pour survivre. Il est clair que les mobilisations contre les agissements des multinationales pétrolières et gazières (sables bitumineux, gaz et huiles de schiste, offshore profond, Arctique) vont s’accroître tant ces dernières s’emploient à aller chercher les énergies fossiles toujours plus loin, plus profond et avec toujours plus de dommages environnementaux. La multiplication d’espaces de confrontation à la source des pollutions et des émissions de gaz à effets de serre s’observe partout sur la planète. La préservation de l’eau comme bien commun y est extrêmement présente et le slogan « notre eau vaut plus que votre or / pétrole / gas etc. » a fait le tour de la planète.
Encore plus qu’aujourd’hui, les politiques nationales, régionales ou locales doivent donc être des cibles privilégiées. Il ne fait aucun doute que le développement des alternatives locales (agroécologie et souveraineté alimentaire, relocalisations, circuits courts, transitions citoyennes, etc.) permettant de frayer la voie de la transition énergétique doit être promu. Mais est-ce suffisant ? La crise climatique sera résolue pour toute l’humanité, ou pour personne. Elle ne pourra en tout cas pas l’être pour quelques vertueux seulement, qu’ils soient pays, populations ou personnes. Jusqu’à aujourd’hui, ces grandes messes internationales permettent de maintenir, même sous forme affaiblie et pervertie, les exigences climatiques à l’agenda politique international. Ne plus s’y rendre reviendrait à laisser les Etats et les ONG classiques utiliser seuls ce qui reste encore une caisse de résonance médiatique internationale. Quelle alternative pour le réseau Climate Justice Now ! et ses organisations membres ? Un processus de type Cochabamba piloté par les mouvements et organisations pour la justice climatique ? Pas simple. Certains préconisent de mettre toutes nos forces dans l’élaboration d’une déclaration des droits de la Nature, ou de la Terre-Mère, qui pourrait être adoptée à l’ONU, l’air de rien. Pas toujours convaincant. D’autres préconisent d’élaborer une stratégie pour que soit reconnu « l’écocide » comme l’est le génocide afin de pouvoir par la suite amener devant les tribunaux quelques cas emblématiques. Pourquoi pas mais que faire en attendant ? L’idée d’exiger un Tribunal International des crimes climatiques ou environnementaux est toujours présente mais personnes ne sait comment la prendre. D’autres encore voudraient que l’on s’imprègne du mouvement Occupy Wall Street et de celui des indignés pour que l’on transforme tout ce qu’on fait en « Occupy XXX », jusqu’à « Occupy Earth » sans qu’on ne voit plus très bien ce que cela signifie.
Être en quête c’est mieux qu’être perdu !
Aujourd’hui, il est clair que l’alliance Climate Justice Now ! est en quête de stratégie. Et pas seulement parce que la prochaine COP se déroulera au Qatar. S’il l’on ne peut attendre des COPs autre chose à court terme que l’approfondissement d’un agenda néolibéral et prédateur étendant la marchandisation et la financiarisation des ressources naturelles et de la vie des populations, deux réactions sont possibles et intelligibles : les boycotter ou les bloquer. Aujourd’hui, CJN ! n’est pas totalement sûr du constat et ne sait pas s’il faut choisir. Cela ne signifie pas pour autant que CJN ! et ses organisations membres sont perdues. L’espace politique qu’incarne et délimite la coalition Climate Justice Now ! s’appuie sur de très nombreuses luttes locales ou régionales, sur des analyses claires et percutantes des dynamiques à l’œuvre et sur des alternatives locales et globales dont on sait qu’elles sont partie prenantes des solutions que nous devons imposer. Ne pas se satisfaire des résultats successifs des négociations climat, et le dire clairement, haut et fort en affirmant que c’est « leur échec, pas le nôtre », c’est savoir où l’on est et ce que l’on veut. Même si l’on ne sait pas encore complètement comment on y va. Être en quête d’une stratégie globale, cela ne signifie donc pas être perdu.
A l’inverse, certains négociateurs et ONG semblent être pris d’un étrange syndrome de Stockholm appliqué aux négociations climat : quel que soit le résultat de la négociation, on s’en félicite, sans doute par crainte de ne plus se revoir tout en faisant sien les arguments de résignation officiels. Au point que l’on peut se demander si nous vivons dans le même monde. Se satisfaire de résultats à des années-lumière des recommandations des scientifiques ne revient-il pas à faire comme si la vie réelle des populations et l’intérieur des négociations n’étaient finalement que deux mondes parallèles qui n’ont plus grande chose à voir ensemble ? A l’extérieur (et encore un peu à l’intérieur), qu’on soit scientifique ou activiste pour la justice climatique, on veut résoudre la crise climatique. A l’intérieur, la géopolitique semble définitivement avoir pris le dessus, éloignant les négociations des réalités climatiques et de leurs conséquences. A nous de changer la donne.
2)http://climatjustice.org/2009/12/11…
3) http://alter-echos.org/justice-clim…
4) http://alter-echos.org/justice-clim…
5) Voir la déclaration de la Via Campesina issue de l’Assemblée des opprimés organisée ce jour-là : http://viacampesina.org/fr/index.ph…
6) http://www.africanbiodiversity.org/…
7) Les sols et pratiques agricoles, pour peu qu’elles soient favorables à la capture et au stockage du CO2, deviendraient éligibles aux dispositifs de compensation carbone. Monsanto et d’autres multinationales pourraient ainsi valorisé les brevets déposés sur certaines de ces techniques, semences, etc.
8) Voir ici par exemple : http://www.groundwork.org.za/Press%…
9) Voir par exemple cette interview où Rehana Dada présente cette distinction : http://www.youtube.com/watch?v=_Yzv…
10) Voir cet article : http://alter-echos.org/voir-et-lire…
11) http://www.amisdelaterre.org/Qui-fi…
12) Projets qui ont obtenu des prêts du Crédit Agricole, de BNP Paribas, de Société Générale et du CIC, ainsi que de l’État français au travers d’une garantie de la Coface et d’un prêt de la Banque Mondiale.
13) http://climat.blogs.liberation.fr/d…
14) http://climatjustice.org/2010/12/07…
15) http://alter-echos.org/wp-content/u…
16) http://climatjustice.org/2010/04/22…
17) http://alter-echos.org/justice-clim…
18) http://durbanclimatejustice.wordpre…
19) Parmi les pays les plus émetteurs, seuls les Etats-Unis ne sont pas signataires.
20) http://vimeo.com/19386015