La loi dite LRU vise une mise en concurrence des universités qui relève du darwinisme social et pourrait se résumer ainsi : “que la plus riche gagne !”. Deuxième volet de l’analyse entamée dans un article précédent.

|*2ème partie : Le darwinisme social appliqué à l’enseignement supérieur ou les effets de la mise en concurrence des universités…*|

La loi LRU, en donnant l’autonomie de gestion aux universités, vient parachever un mouvement amorcé en réalité à la fin des années quatre-vingt. La première étape, en France, dans la mise en concurrence des universités est la politique de contractualisation des relations entre l’État et les établissements, engagée à partir de 1989. Parallèlement à la dotation affectée aux universités en fonction de normes (effectifs, surfaces, coût « moyen » d’un étudiant…) , une part des ressources octroyées par le ministère va l’être dans le cadre d’un contrat quadriennal, en fonction d’objectifs et de résultats. Si la contractualisation a renforcé le pouvoir du président en interne , |1|| elle a aussi permis au Ministère, sous couvert d’ « autonomie » (le projet que l’établissement définirait) d’orienter davantage les politiques des universités et d’instiller l’idée de concurrence nécessaire entre elles.

Mais cette mise en concurrence généralisée des universités a été vraiment formalisée dans le rapport de la commission Attali. De la « première » commission Attali, celle consacrée à l’enseignement supérieur en Europe |2| ; puisque désormais Attali, pour le compte de Nicolas Sarkozy, œuvre à « la libération de la croissance ». Il y a de la constance d’ailleurs chez l’homme, même si le sherpa semble s’être trouvé un nouveau « Dieu » . Quel que soit le sujet, il en appelle à accroître la concurrence ! Déréglementer pour que les hypermarchés, en position déjà dominante, puissent se développer encore |3||. Voilà l’une des recettes aujourd’hui proposées pour baisser les prix, augmenter le pouvoir d’achat et relancer la croissance ! Déréglementer pour que les établissements les plus puissants se constituent en « pôles d’excellence » et que « l’enseignement supérieur français conserve ainsi une place de premier plan dans la compétition mondiale » |4| ou, évocation du pire, dans une dramatisation conclusive, éviter que le pays ne s’engage « peu à peu sur la pente d’un irréversible déclin » |5|. Telle est la prescription, dès 1998, du conseiller, « en affaires » désormais , Attali. Qui s’appuie sur une argumentation rebattue dans le milieu des administrateurs et des experts de l’université : l’enseignement supérieur est déjà un marché mondialisé sur lequel les établissements sont inégaux ; face à ces inégalités, une seule solution s’imposerait : « une compétition maîtrisée, une émulation scientifique et pédagogique entre établissements d’enseignement » . Comme en témoigne le discours Didier Lapeyronnie sur le projet de loi d’autonomie, rebaptisé par la suite LRU : « C’est la grande hypocrisie, balaie ce dernier, enseignant chercheur en sociologie. Les établissements sont, de fait, déjà en concurrence. C’est le bon sens de donner des capacités de gestion et d’innovation sans tout le temps passer par le contrôle étatique, extrêmement lourd. (…) L’université croule sous la paperasse. J’espère qu’un système libéral pourra la dégager… » (Libération du 2 juin 2007).

Compétition maîtrisée, dans la version de « gauche », mais moderne ; concurrence débridée, dans la déclinaison droitière. Dans les deux cas, c’est la même mauvaise dialectique, qui suinte, au vrai, le darwinisme social |6||. Comme si, confrontés à cette concurrence redoublée, que les modernisateurs appellent de leurs vœux, les universités les plus fragiles (« petites », de « rang moyen », ou plus « grandes » mais « à recrutement populaire ») pouvaient survivre, sans parler de prospérer ! On constatera au passage que ceux qui n’ont de cesse, dans d’autres arènes, de brocarder les « positions acquises » s’accommodent fort bien de mesures qui renforcent les plus forts.

Les beaux atours du LMD…

Attali craignait, pour l’avenir du pays tout bonnement, que son rapport ne soit « relégué sur quelque étagère » . Il n’en a rien été, même si la reprise de ses propositions fut progressive. Dans un premier temps, dès mai 1998, reprenant l’idée de l’harmonisation européenne des niveaux de diplôme autour du tempo 3, 5, 8, Claude Allègre, alors ministre de l’éducation, va lancer, avec d’autres collègues européens, et sur le mode d’une déclaration « en Sorbonne », la réforme du « LMD ». Il ne s’agit alors que de « surligner » les diplômes existants, afin de faciliter la pérégrination des étudiants dans toute l’Europe. Le LMD est joyeux, vecteur d’échanges et de rencontres. Le film de Cédric Klapisch, L’auberge espagnole, n’a pas peu joué dans la diffusion de cette vision enchanteresse du LMD. Malgré le LMD, la mobilité estudiantine va rester limitée : l’obstacle financier n’a pas été levé . Mais l’on va voir progressivement le registre de justification de la réforme évoluer |7| . Dans une perspective « attalienne », c’est la place de la France sur le marché mondial de l’enseignement supérieur qui rapidement devient l’enjeu central.

On invoque le « classement infamant des universités françaises » |8| , sans jamais discuter des critères pourtant bien contestables de l’ Academic Ranking of World Universities (Shangaï) . Mais il s’agit surtout d’en appeler « les institutions d’enseignement supérieur à accepter les défis de l’environnement concurrentiel dans lequel elles opèrent au niveau national, européen et mondial », comme le fait inlassablement ce lobby des présidents d’universités à l’échelle européenne qu’est l’EUA (European Universities Association). Le programme attalien est bien en cours d’application. Au nom de l’autonomie des établissements (mais surtout, on l’a vu, de leurs équipes de direction), levier de cette mise en concurrence, c’est l’autonomie intellectuelle qu’on sacrifie. Une « liberté académique » (indépendance à l’égard de tous les pouvoirs, liberté de recherche, d’enseignement et de formation) , pourtant affirmée solennellement, à Bologne, en 1988, dans la Magna charta universitatum, signée par les recteurs (i.e. les présidents) des universités européennes. Mais c’était il y a vingt ans !

La nouvelle carte universitaire : pôles d’excellence versus collèges (universitaires)

Progressivement, les propositions de la commission Attali sont donc reprises. Ainsi, en va-t-il des « pôles d’excellence ». Délibérément « oubliés » lors du lancement du LMD – il s’agissait alors de faire accepter la réforme et de désamorcer les critiques de ceux qui avaient lu le rapport précité -, ils sont réapparus dès 2004, dès lors que toutes les universités étaient entrées dans la nouvelle architecture, sous les traits des PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), et des « campus d’enseignement supérieur » derrière les CRES (Campus de recherche et d’enseignement supérieur). Certes, tous les établissements peuvent faire le choix de se regrouper dans de telles structures. Ils y sont d’ailleurs plus qu’encouragés par le Ministère : une part de la dotation contractuelle, et l’on peut l’imaginer une part croissante, sera accordée par l’État aux PRES. Pas à tous les PRES, et à leurs universités constitutives. Seulement à ceux dont le Ministère reconnaîtra les « qualités » .

Les choix ne sont pas encore totalement arrêtés, ou plutôt ne sont pas explicitement affichés, mais l’on peut penser que l’excellence « concurrentielle » sera l’un des critères. Dans un rapport récent, d’évaluation des PRES en gestation, remis à Valérie Pécresse |9||, l’inspecteur général de l’éducation nationale Jean-Richard Cytermann |10|évoque en conclusion cette reconfiguration en cours de la géographie universitaire. Et l’on sent bien que ce modèle allemand des « universités d’excellence » séduit : « La politique des PRES semble bien être, avec les RTRA |11| , de nature à participer à une politique de redéfinition et de régulation de la carte universitaire et de recherche, accompagnée de modes d’organisation et de structuration différents suivant la nature des territoires. Le modèle coopératif, qui semble prévaloir dans certaines régions est à opposer à une différenciation plus brutale comme celle qui s’esquisse en Allemagne à travers l’initiative des universités d’excellence ».

Le modèle allemand. Ou plutôt, le nouveau modèle allemand, puisque déjà au XIXe la référence allemande avait été mobilisée par les réformateurs, avant la « découverte de l’Amérique universitaire » |12| . Le modèle allemand, car si l’on en croit les confidences d’un ancien premier vice-président de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), devenu depuis conseiller de Sarkozy pour l’enseignement supérieur, la référence américaine semble politiquement plus délicate à manier. Mais nos modernisateurs se gardent désormais, au vu du développement du mouvement contre la LRU, d’aller plus avant dans la description de ce modèle qui les inspire. Car il leur serait difficile ensuite de railler « les étudiants qui se battent contre des moulins à vent », parce que contre la hausse prévisible des droits d’inscription, la sélection des étudiants, les facs à plusieurs vitesses… Le modèle allemand, avec ses « universités d’élite », est un bien un modèle darwiniste, même lorsqu’il est décrit dans la langue diplomatique, comme ici sur le site de l’ambassade d’Allemagne en France : « Cette réforme est d’autant plus profonde qu’elle va de pair avec la mise en avant de l’émulation entre les établissements. L’heure n’est plus à l’égalité, mais à la différenciation, à la “spécification des profils”. L’idée s’impose que toutes les universités n’ont pas besoin de proposer tous les cursus, ni toutes les disciplines. À chacune de définir son identité, sa spécificité, et d’y viser l’excellence » .

Bons PRES et mauvaise presse…

La politique des PRES, conjuguée à l’ « autonomie de la LRU », est le levier d’une évolution similaire en France. Il y aura donc les bons PRES, que dès à présent on encourage, et dont les « autorités » semblent seulement regretter que leurs membres n’aillent pas assez vite vers la fusion. Ce sont ceux qui réunissent les établissements déjà les plus prestigieux, à l’image de « Alliance Paris Universitas » regroupant l’ENS (École normale supérieure), l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), Paris III « Sorbonne nouvelle » Paris VI « Pierre et Marie Curie » et Paris IX « Dauphine ». La présentation de ce projet est significative : « Forte d’un potentiel de recherche de 300 unités, couvrant l’ensemble du champ disciplinaire, rassemblant près de 65 000 étudiants, Paris Universitas se positionnera à terme, selon les critères d’évaluation du classement de Shanghai, au 2e rang européen, figurant ainsi dans le top ten mondial pour rivaliser avec les meilleurs établissements internationaux. » Et à l’inverse, certains regroupements d’universités, de province, de « rang moyen » ont déjà mauvaise presse et ne recevront pas l’aumône ministérielle ; l’inspecteur et Professeur Cytermann conseille ainsi au président de Tours, membre influent de la CPU (il en est le 3ème vice-président) de sortir du PRES du Centre-Ouest .

À côté des universités encouragées à rejoindre les quelques pôles d’excellence (réunissant universités et grandes écoles) en voie de constitution à Paris et en Province, les autres établissements seront appelés à user de leur « autonomie » nouvelle pour se muer en collèges universitaires. Car il n’y a pas de voie intermédiaire dans un espace universitaire déréglementé : pôle d’excellence ou « collège ». Certes, pour ménager les susceptibilités locales, et notamment celles des collectivités locales qui participent déjà fortement à leur financement et vont y être invitées plus encore demain, elles resteront, sur le papier, « universités » de plein exercice, les termes de « collège » ou « d’antenne » étant trop lourds de connotations dépréciatives. Mais que seront-elles d’autre alors qu’elles se verront cantonnées, dans la plupart des disciplines, au niveau du « L » ? Alors qu’elles auront perdu leurs écoles doctorales ? Car ce sont là les effets, recherchés par le Ministère, de la conjugaison du LMD (dans sa deuxième phase) et de la LRU.

La professionnalisation du « L » du LMD

Derrière le LMD, il s’agit, clairement, de dissocier le niveau du « L » d’un côté, de celui du « M » et du « D » de l’autre. La « licence », à laquelle les « universités Potemkine », pour reprendre l’heureuse formule d’Erik Neveu |13| , prépareront presque exclusivement, sera bien « une nouvelle licence ». Nouvelle, dans sa finalité : elle sera diplôme terminal pour la plupart des étudiants de ces établissements-là, invités à aller ensuite directement sur le marché du travail. C’est vrai pour les licences professionnelles – dont l’ajustement aux « exigences » du marché du travail tant vanté est pourtant loin d’être vérifié. Mais cela va devenir aussi de plus en plus souvent le cas pour les licences « générales ».

C’était là, par exemple, une des prescriptions du rapport du recteur Hetzel , « Le L ne doit pas être la marche « à vocation » vers le M, mais doit avoir une visibilité forte qui permette naturellement une sortie vers le marché du travail. » Et l’on voit bien poindre cette logique de soi-disant professionnalisation à l’occasion de la nouvelle campagne d’habilitation des diplômes : par exemple, dans cette obligation d’affecter un code « ROME » , celui d’une « profession » particulière, à chaque diplôme, de définir en termes de « compétences » et non plus de savoirs les contenus de la formation, ou d’introduire des modules de « projet personnel et professionnel ». Ou encore, dans cette mesure, annoncée par la ministre de l’enseignement supérieur, parallèlement à la LRU, de généralisation de l’obligation de « stage » à tous les cursus, y compris donc aux cursus non professionnalisés. Une mesure purement idéologique, alors que l’État est déjà incapable de réguler les stages des filières professionnalisées – le Ministère de l’Education nationale ne dispose même pas de statistiques fiables sur le nombre de stagiaires ! Alors qu’il se révèle tout aussi impuissant à faire appliquer le droit du travail en la matière (et éviter par exemple la substitution stages/CDD), se contentant d’en appeler à de meilleures pratiques, par le biais d’une charte, sans effet coercitif en cas de manquements, mais qui dans sa justification même, mise en exergue (« Une charte pour sécuriser les stages des étudiants en entreprise » ) rappelle que la dérive des stages est une évidence.

Mais l’aveuglement idéologique en la matière n’est pas seulement l’apanage du gouvernement. Les responsables d’établissement, alors qu’ils ont conscience de ne pas contrôler l’effectivité pédagogique du stage, vont aussi militer pour sa généralisation : une façon de satisfaire aux pressions du Ministère, d’en obtenir les faveurs dans la négociation contractuelle (voir infra), mais aussi d’afficher que l’on est une université « innovante » dont l’ « ouverture » (et qu’importent ses conditions) sur le monde professionnel sera alors saluée la presse spécialisée (éducative, économique) qui fait ses choux gras, dans une conjoncture morose, de tous les classements des lycées, des hôpitaux, des universités… ; et pourquoi pas demain des commissariats ou des tribunaux ! La généralisation des stages peut enfin séduire certains étudiants à qui on laisse accroire qu’il est un tremplin pour l’emploi et l’insertion professionnelle. Les effets de l’inflation des stages sur l’emploi sont pourtant globalement négatifs : elle dégrade un peu plus le marché du travail.

De l’instrumentalisation de l’échec universitaire…

Voilà donc le projet, faire du « L », un diplôme à la fois très général et « professionnel ». Généraliste, mais pas au sens noble du terme, dans la logique d’une ouverture pluridisciplinaire préalablement construite ; plutôt généraliste sur le mode du programme cafétéria – comme on qualifie les sondages omnibus, où pour abaisser le coût de passation et par là de traitement, on apparie des thématiques et des questions qui n’ont rien à voir les unes avec les autres : le « je-ne-sais-quoi, ou presque-rien », à la façon d’un certain nombre de premiers cycles d’universités américaines, où les étudiants pourront suivre dans leur cursus, quelques cours de management, un peu de « langue », un peu « d’institutions », de la religion, du sport, et de l’engagement associatif lui, non pas dispensé, mais validé… Il s’agit ici pour le Ministère, suivant en cela les économistes, Philippe Aghion et Elie Cohen, nouveaux gourous des modernisateurs, qui proclament, sans ciller, que la « nouvelle licence » est « une façon politiquement viable de prendre acte de la baisse du niveau du Bac, et en quelque sorte de pallier les lacunes du secondaire » |14| , de réduire au maximum le coût de ce cycle de formation, puisqu’il n’est pas « politiquement viable » d’instaurer une sélection générale et immédiate post-bac. Mutualiser l’existant dans le cadre d’une pluridisciplinarité non maîtrisée le permet.

Mais il est un autre moyen de l’allégement recherché de la facture de la scolarisation étendue des masses : raccourcir au maximum les parcours. Et c’est la que ce que l’on appelle le « sélectionnisme », cette volonté de restreindre l’accès à un ordre d’enseignement pour en préserver l’homogénéité, plus sociale que scolaire en réalité, peut se draper dans un anti-sélectionnisme de circonstance. L’échec en premier cycle universitaire est instrumentalisé : les modernisateurs en exagèrent l’ampleur – oubliant en particulier que les échecs en première année ne sont pas systématiquement définitifs. Et en surinterprètent scolairement la signification : comme si l’échec en première année ne s’expliquait que (et essentiellement) par les insuffisances de ces « lycéens-qui-n’auraient-jamais-dû-arriver-jusque-là » ou par l’anomie du système universitaire et des ses enseignants, accusés de tous les maux et surtout de façons de faire qui ne les caractérisent pas (ce mythe de l’inaccessibilité de l’enseignant dispensant un savoir, forcément désincarné, depuis sa chaire) et qui « au mieux » (car la généralisation est tout aussi contestable) ne pourraient s’appliquer qu’à un état ancien du système universitaire, avant la première massification des années 1960, que paradoxalement les modernisateurs louent comme une époque bénite.

On oublie dans ce type d’explication toutes les contraintes qui pèsent sur les « nouveaux étudiants », qui n’allaient pas auparavant jusqu’à ce niveau et qui doivent conjuguer depuis qu’ils y accèdent obligations scolaires et contraintes professionnelles, puisque nombreux sont ceux qui travaillent « à côté ». Et l’on occulte aussi le fait que le moment d’entrée à l’université est un moment de turbulences. « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie », rappelait Paul Nizan en incipit de Aden Arabie. S’il n’est pas toujours une étape douloureuse, s’il peut même être pour certains une phase joyeuse, c’est un âge spécifique. Incontestablement, à l’entrée à l’université, les choix ne sont pas définitivement arrêtés : or, choisir exige d’expérimenter au préalable, ce qui sera de moins en moins possible dans les nouveaux schémas universitaires. On dit vouloir réduire l’échec universitaire en affinant l’orientation préalable – active dit-on et bientôt proactive, qualificatif qui a envahi le vocabulaire des technocrates de l’université nouvelle-, on n’interdira bientôt et bien vite les choix, les itinéraires qui ne sont pas parfaitement normés. Il faut réaffirmer le droit à rater sa première année et à continuer par la suite, contre tous ceux qui, prompts nous disent-ils à individualiser les parcours pour tenir compte des rythmes différenciés d’apprentissage, veulent là clore la trajectoire engagée, ou éviter à l’avenir toute entorse à la linéarité d’un parcours.

…au raccourcissement des parcours

Car l’étudiant, à l’avenir, ne devra plus musarder : il choisira dès le lycée un cursus et ne pourra que difficilement en dévier. Son itinéraire sera accéléré car l’on y aura réduit l’échec, mais artificiellement. « La réussite en licence » est un des « cinq chantiers », ouverts par la Ministre, en complément de la LRU. Et aussi désormais, face à la mobilisation étudiante, une monnaie d’échange. La « réussite »…contre le retour en cours. Mieux que de longs discours, cela atteste de la philosophie du ministère en matière de lutte contre l’échec . Loin de mettre en œuvre un certain de nombre de solutions pédagogiques (comme par exemple la suppression du cours magistral en première année), trop coûteuses économiquement, il s’agira de sommer les universités d’augmenter leurs taux de passage ; et la dotation de l’État, qui dépendra, des statistiques en la matière comme de celles portant sur l’insertion des étudiants |15| , pour les universités.

Quant à la refonte annoncée du « L », elle vise bien à renforcer la « mutualisation » des enseignements, sous couvert de pluridisciplinarité, ainsi qu’à inculquer, derrière l’ « orientation, l’accompagnement et la professionnalisation », le « savoir-être » de « partenaire loyal », exigé désormais des salariés sur le marché du travail. Car à l’issue de ce cursus très général et ainsi « professionnalisé », les étudiants des universités « Potemkine » n’auront d’autre choix que d’aller chercher du travail. Outre qu’elles ne seront pas encouragées, les poursuites d’études seront rares, parce que moins faciles : le remodelage de la carte universitaire obligera les étudiants des « collèges » à quitter leur région pour poursuivre en Master dans une vraie université. Et leur entrée en Master sera conditionnelle : la sélection à l’entrée en M1 que réclame la CPU , et à laquelle tactiquement la Ministre a provisoirement renoncé, va resurgir bien vite. Les « universités d’élite » et autres « pôles d’excellence » sélectionneront leurs étudiants et précisément « leurs » étudiants, ceux issus de licences préparées en leur sein, auront toutes les chances d’être naturellement plus ajustés aux critères de sélection qu’elles se donnent.

Dit autrement, la différenciation, accrue, et donc extrême, des établissements que produira la LRU, aura des implications directes sur les trajectoires des étudiants. Aux uns, ceux dont les ressources sociales sont les plus faibles, scolarisés dans des simili-universités, en réalité collèges à l’américaine, une réussite garantie au terme d’un « L » sans exigence (auquel ils auront accédé librement, après s’être acquittés cependant de droits d’inscription plus élevés qu’aujourd’hui) mais avec un horizon limité, la poursuite d’études devenant très incertaine. Aux autres, qui auront pu faire le « choix » des vraies universités, devenues pour certains « grands établissements », sélectionnant à l’entrée, notamment par le biais de droits élevés, des licences dont les contenus disciplinaires auront été maintenus, ce qui permettra d’envisager tous les scenarii possibles, celui de l’insertion professionnelle immédiate peut-être, mais plus sûrement, celui de la poursuite d’études en M. La différenciation des cursus, voilà bien l’essence du nouveau sélectionnisme |16| .

|*3ème partie : Les Universités devenues libres et responsables : la hausse des droits d’inscription est inéluctable*|

Tous mes remerciements vont à Sylvie Tissot pour sa relecture attentive du texte.


|1| |->www.amue.fr/presentation/arti…

|2| Pour un modèle européen d’enseignement supérieur, Rapport de la commission présidée par Jacques Attali, diffusé le 5 mai 1998. Lettre de mission du 21/07/1997.

|3| |->www.liberationdelacroissance….

|4| Pour un modèle européen d’enseignement supérieur, p 6.

|5| op. cit. p 44

|6| Nous cédons ici, par facilité de langage car l’expression fait immédiatement sens, à cette erreur fondamentale qui attribue à Darwin, les conceptions sélectionnistes de Herbert Spencer. Voir sur cette question les travaux de Patrick Tort, cf. |->http://www.darwinisme.org/per…

|7| F.Neyrat, « Le « LMD » en France : loin de l’utopie de l’universitas médiévale, les effets d’une réforme économique libérale » dans Christophe Charle et Charles Soulie (dir.), Les ravages de la modernisation universitaire, Syllepse, à paraître janvier 2008.

|8| Titre de l’édito du Monde (15 septembre 2005).

|9| La mise en place des pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Rapport 2007-079, septembre 2007.Cf. |->http://media.education.gouv.f…

|10| Ancien directeur-adjoint du cabinet de Claude Allègre, il cumule les fonctions d’inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de professeur associé de sociologie à l’EHESS. Dans un contexte de pénurie d’emplois, les docteurs, qualifiés et sans poste, apprécieront !

|11| Réseaux thématiques de recherche avancée.

|12| Sur les références aux modèles étrangers dans les débats sur l’Université, voir Christophe Charle, « Les références étrangères des universitaires. Essai de comparaison entre la France et l’Allemagne, 1870-1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, n°148, juin 2003.

|13| Reprise dans ARESER, Quelques diagnostics et remèdes urgents pour une université en péril, Liber Raisons d’agir, 1997, p 85-91.

|14| Philippe Aghion, Elie Cohen, Education et croissance, La Documentation française, CAE, janvier 2004.

|15| Voir l’article 20 de la LRU , sera un puissant rappel au « réalisme »

|16| Cf. Frédéric Neyrat, « Le retour du sélectionnisme », Les Temps modernes, n°637-638-639, mars-juin 2006.