Prendre soin des enfants en vacances

Le ministère de l’Éducation nationale a publié le 27 mars 2023 une instruction du 14 mars 2023 afin de confirmer la reconduction, pour les vacances scolaires 2023, du dispositif « Colos apprenantes », créé à l’origine pour compenser la perte de temps scolaire occasionnés par les confinements, et qui permet à certains jeunes de bénéficier d’une aide pour partir en vacances., La NUPES quant à elle proposé en juin 2022 un projet de loi sur un droit universel aux vacances qui comprendrait un « Pass Colo » pour des colonie de vacances à la campagne, une sorte de colo apprenante mais uniquement avec des objectifs d’éducation à l’environnement.

Dans le cadre de cette proposition de loi sur le droit aux vacances, la NUPES (spécifiquement le député B. Lucas) a ressorti de l’histoire l’existence autrefois d’un ministère du temps libre. Le combat contre la réforme des retraites est en effet venu rappeler à la gauche que le temps libre – libérer du temps de toute activité contrainte – était un enjeu fort pour toute politique de gauche.

Pourtant, tout comme en 1981, la gauche reste particulièrement ambivalente quant au temps libre. D’un coté, elle défend l’idée que les vacances sont un temps dont les gens devraient pouvoir disposer librement. De l’autre, elle soutient que les vacances sont aussi un temps d’apprentissage dont les politiques devraient fixer les objectifs. Lorsqu’on est ouvrier ou enfant d’ouvrier, on devrait partir en vacances uniquement pour apprendre… Comme le disait une publicité des années 1980 : « Bronzer oui, mais bronzer utile ! ».

Les colos apprenantes sont valorisées par beaucoup de mouvements et fédérations d’éducation pourtant historiquement à gauche. Depuis les années 1950, les finalités des colos sont éducatives et les organisateur·rices défendent l’idée que colos et écoles ont des missions éducatives complémentaires. Pourtant, cela ne relève en rien d’une évidence, ni historiquement, ni pédagogiquement, ni politiquement.

Dans un article publié en 2021, j’avais expliqué que ces colos apprenantes étaient la déclinaison moderne d’une vieille idée enterrée dès le début du XXe siècle : la colonie scolaire. Est-il possible d’imaginer que la réinvention des colonies scolaires puisse fonctionner au XXIe siècle ? Après un rappel historique, je pointerai les principales failles du dispositif tel qu’il est détaillé dans l’instruction du 14 mars 2023, pour finir en suggérant ce que pourrait être une politique publique des colos et des vacances permettant à chacun·e d’être en vacances, c’est-à-dire libéré·e de toute activité contrainte.

Les colos apprenantes : d’abord une politique d’aide aux organisateur·rices

Le dispositif des colos apprenantes a été mis sur pied en 2020 en plein confinement lié au COVID : l’école était fermée, les colos aussi, l’été arrivait et le ministre Blanquer a imaginé faire d’une pierre deux coups. Il va permettre aux organisateur·rices de colos de reprendre leurs activités dans un cadre contraint par des protocoles sanitaires stricts en organisant des colos faisant de la remédiation scolaire en vue de la rentrée de septembre. Il reprend là, et sans doute sans le savoir (tant l’histoire des colos est inconnue par les services de l’État et par les acteurs eux-mêmes), une vieille idée d’Edmond Cottinet : la colonie scolaire. Cette forme de colo née dès la fin du XIXe siècle s’appuie sur l’idée d’emmener les enfants citadins « les plus pauvres entre les plus débiles, les plus méritants entre les pauvres » vers les écoles des campagne libérées pendant les grandes vacances en étant encadrés par des instituteurs eux-mêmes en vacances. Ce modèle de colo est une spécificité française et sera assez vite abandonnée tant les résultats sont déplorables. Le pasteur Bion (inventeur des colos en Suisse) écrit dès 1903 : « Dans les colonies municipales de Paris, la préoccupation d’enseignement conduit à des puérilités niaises et encombrantes : herbiers, collections d’insectes, de papillons, de minéraux, c’est le triomphe de l’enseignement intuitif ».

Au regard de ces évaluations assez calamiteuses, le mouvement des colonies de vacances, en France et en Europe, se développera en poursuivant plutôt des objectifs sanitaires et sociaux. L’idée de faire de l’école après l’école avec des personnels de l’école s’arrêtera. Les travaux de l’Éducation nouvelle, qui remet en question les formes pédagogiques traditionnelles de l’école, viendront renforcer l’idée qu’il est possible d’éduquer autrement. Le fait que les apprentissages doivent s’adapter aux enfants, à leurs besoins et intérêts va définitivement stopper le développement des projets de colonies scolaires, mais permettra de construire des colonies de vacances éducatives appuyées sur ces principes pédagogiques. L’idée de la complémentarité entre colos et école nait mais avec les méthodes de l’Éducation Nouvelle.

Au printemps 2020, J.-M. Blanquer réinvente donc les colos scolaires. Si les fédérations d’organisateurs de colos voient d’un très bon œil le fait que l’État débloque une somme importante pour aider les associations organisatrices en grande difficulté en raison de la crise sanitaire et de la fermeture de leur activité, elles précisent tout de suite que les colos sont « des espaces ‘apprenants’ par nature » et que « les ‘ACM1 sont complémentaires de l’Éducation nationale et des familles. Ils ne remplaceront jamais, ni l’un, ni l’autre ». Dans un premier temps, le ministre maintient son idée de faire faire des dictées et des ateliers de calcul aux enfants en colos, avant d’accepter que les colos puissent être qualifiées d’« apprenantes » uniquement sur la bonne foi de leur projet pédagogique et sur le fait d’inscrire ce qu’elles font déjà dans un référentiel de compétences. Dit autrement : rien ne change, sauf l’écriture de quelques objectifs en plus et de faire des liens avec le socle commun de connaissances et de compétences de l’école. Il n’empêche que le pas est franchi, les colos (re)deviennent un prolongement de l’école, elles se définissent par et pour l’école, elles n’ont de sens qu’en utilisant les outils de l’école.

Le dispositif est maintenu pour les vacances scolaires de la Toussaint et de Noël 2020, puis en 2021 et 2022. Mais pour justifier de ce maintien, il convient de faire évoluer quelques peu les objectifs : moins de remédiation scolaire (l’école restera ouverte contre les vents et marées du COVID) et plus d’objectifs. Ils seront au nombre de trois : social, éducatif et culturel. Il s’agit de reprendre les objectifs habituels des colos, social : l’accueil d’enfants confié à l’ASE, éducatif : vivre-ensemble, vie en collectivité, apprentissage par le jeu, etc. et culturel : découverte d’activités nouvelles ou de territoire. S’y ajoute un élément nouveau : la mixité sociale.

Depuis les attentats de 2015, la question de la mixité sociale est au cœur des enjeux de société. Le gouvernement Valls avait tenté de comprendre comment des enfants de la République (et notamment de l’ASE) avaient pu basculer dans le terrorisme islamique. Pour commencer le travail, ce gouvernement avait pointé le problème du manque de mixité sociale, et donc l’idée que la ghettoïsation des populations précaires menait à la violence et à la haine de l’autre. Pour répondre à ce problème, le gouvernement avait organisé le 6 mars 2015 un comité interministériel à l’égalité et la citoyenneté afin de faire des propositions d’action. Les colos avaient été mobilisées pour répondre à cet enjeu de mixité sociale : le dispositif génération camps colos avait ainsi été créé. Ce dispositif reprenait une idée lancée il y a plus d’une décennie et jamais financée depuis: que l’État créée un label permettant de valoriser et donc de mieux vendre les colos de qualité. A l’image des AOC, AOP ou label bio, cela permettrait de flécher le·la consommateur·rice-client·e vers les bonnes colos. Génération Camps Colos va se construire sur un appel à projet à colos innovantes, sur une évaluation confiée à un cabinet extérieur, en vue de construire un cahier des charges permettant de faire ce label avec comme objectif la mixité sociale.

Cinquante et une colos sont sélectionnées et reçoivent une petite aide financière. Le cabinet est choisi facilement puisqu’un seul cabinet répond à l’appel d’offre. Ayant participé à l’écriture de la proposition, je participe avec un groupe de 10 autres chercheur·euses à l’évaluation. Sans refaire ici toute l’histoire de ce rapport, il est important de préciser que les rapports entre l’administration, les organisateur·rices et les évaluateur·rices sont tendus. La méthodologie que nous utilisons comme évaluateur·rice pose question, notamment par le fait de compter les personnes en fonction de critères de genres, d’âges, d’origines sociales et territoriales. Les travaux que nous remettons à l’administration ne sont pas ce qu’elle attend. Nos conclusions sont doubles : les colos ne font plus vraiment de mixité et la séparation des différents publics accueillis en colos est organisé sciemment par les enjeux commerciaux et le modèle pédagogique. Il conviendrait donc de réinscrire les colos dans des politiques publiques à l’écart des marchés concurrentiels et d’en changer en profondeur le modèle pédagogique, qualifié de colonial et jugé de forme scolaire.

Ces conclusions seront publiées dans un rapport que l’administration refusera de payer et de publier. Il sera rendu public par le cabinet et scellera temporairement l’idée du label. Si Génération Camps Colos est un échec, ce dispositif et les travaux d’évaluation qu’il suscite permettra de mettre la question des mixités au cœur du débat sur les finalités des colos. Il permettra d’ouvrir de espaces de débat et à des organisateurs associatifs de créer des séjours différents : tant sur les pédagogies que sur les manières de faire colo.

Les colos apprenantes reprennent l’une des conclusions du rapport Génération Camps Colos : la nécessité de créer des colos inclusives et universelles. Ainsi, elles annoncent qu’elles accueillent « sans exclusive tous les mineurs » et proposent une quasi gratuité de la colo aux enfants issus des familles les plus en difficulté financière.

Pour autant, est-ce que le dispositif mis en place par l’État pour atteindre cet objectif de mixité utilise les bons outils ? L’analyse de l’instruction du 14 mars 2023 montre que les moyens choisis ne construiront aucune mixité.

Faire de la mixité sans les riches

Pour répondre à l’objectif de mixité, l’état met en place un premier outil : l’aide financière. Elle permet de rendre quasiment gratuite la colonie de vacances à quatre publics ciblés : les enfants en situation de handicap, les enfants de l’ASE et les habitant·es des quartiers prioritaires politique de la ville ou dans une zone de revitalisation rurale. Il s’agit d’atirer en colo les enfants dont les familles n’ont pas les moyens de payer des colonies de vacances.

Évidemment et au regard du nombre d’enfant qui ne partent pas en vacances chaque années (un quart des enfants ne partent pas en vacances), cette aide massive est une bonne chose. Mais pour construire de la mixité, il faut que toutes les catégories sociales soient représentées. Dans l’instruction, il n’apparait rien pour les classes moyennes ou pour les classes supérieures. Hormis une demande sans contrainte de constituer des groupes d’enfants, dans la mesure du possible, avec une parité entre enfants financé·es et les autres, rien n’existe permettant de penser des colos avec riches et moins riches.

Si l’aide financière est un levier puissant permettant la participation des plus pauvres, le label est outil de marché qui ne fait que renforcer les séparations. D’abord, les logiques de marché font que les organisateur·rices segmentent leurs offres de colos : ils créent des colos pour attirer certains types de publics. Il y a donc des colos pour filles, pour garçons, pour geeks, pour intellos, pour sportif·ves et donc aussi pour riches et pour pauvres. Pour cela, il suffit de définir des thèmes et construire son séjour autour d’activités ou de destination. L’instruction parle de dominante et de douze thématiques : il est facile d’imaginer quel public est visé dans une colo dont la thématique est « arts de la scène » et dont l’activité centrale est « danse classique », ou une colo « activités physique et sportives » dont l’activité principale est en fait un stage de foot. Que dire aussi d’une colo « découverte ou l’approfondissement de langues étrangères » avec voyage aux USA, ou d’une autre avec la même thématique mais se déroulant en Essonne.

Le label permet aussi de savoir ce que, comme consommateur, on n’achètera pas, surtout lorsqu’il s’agit dans un label de mettre en évidence une caractéristique du produit que l’on rejette. Ici, le label « colo apprenante » permet aux consommateur·rices ayant de l’argent de ne pas inscrire leurs enfants dans la colo labellisée. Quelques grands organisateurs de séjours à thématiques notamment sportives ou linguistiques sont en mesure d’ouvrir des séjours labellisés, mais d’autres absolument pas. L’instruction précise d’ailleurs que la labellisation se fait uniquement séjour par séjour. Ce qui laisse aux organisateur·rices la possibilité de maintenir une offre de séjour chère ou non-ouverte aux mixités, séjours dans lesquels les organisateur·ices attireront le public souhaité. Comme l’ont montré la Fondation Jean Jaurès et Yves Raibaud, les colos n’assurent plus de brassage social et ce sont les riches qui font secession. Et comme l’expliquait Cédric Javault, alors directeur de Telligo, société rachetée par l’UCPA, pour justifier que sa société ne s’adresse qu’à un public haut de gamme : « la mixité sociale, c’est du pipeau ». Bref, si vous ne voulez pas que vos enfants vivent, même une semaine, avec des enfants en situation particulière (pauvreté, vulnérabilité ou handicap) alors ne les inscrivez pas dans les colos apprenantes.

Penser pour les pauvres

Les questions et difficultés qui freinent au départ en vacances sont, bien évidemment, financières, mais pas seulement. Si on imagine qu’inscrire un enfant en situation de handicap dans une colo est facile, c’est se tromper massivement… Entre les problèmes de tranches d’âge, de répartition de genre, de groupes, l’encadrement qui n’est pas formé, les aides financières ou humaines impossible à avoir, les activités et lieux inaccessibles, l’impossibilité pédagogique de construire des espaces et lieu d’individualisation, alors chaque parent ayant un enfant en situation de handicap sait qu’il est plus facile de l’inscrire en séjour adapté (les colos spéciales pour enfant en situation de handicap) qu’en colo lambda. Il en va de même pour tou·tes les enfants ayant des prises en charge éducatives ou des pathologies chroniques. Dès lors que dans le dossier d’inscription apparait une prise en charge de l’ASE, ou un traitement médical chronique (diabète, hyperactivité, etc.), inscrire son enfant en colo devient un parcours du combattant… surtout sur les colos de juillet ; en août c’est plus simple, les colos reçoivent massivement les enfants placé·es puisqu’en août tout le monde part en famille et que les lieux d’accueil sont fermés pour permettre aux personnels de partir en vacances…

Pour avoir accès à une colo quasi-gratuite, les enfants les plus pauvres devront impérativement partir dans une colo apprenante, c’est-à-dire une colo pensée par l’État avec des objectifs d’apprentissage, de citoyenneté ; iels devront découvrir un « sujet d’exploitation » en fonction de la dominante du séjour. Des exemples sont même proposés dans l’instruction qui montrent bien la forme scolaire souhaitée : « par ex, dans le cadre de la dominante développement durable et transition écologique se déroulant à la montagne, le sujet d’exploration pourrait être une ferme d’alpage, un lac, une vallée ou le métier de berger. En lien avec les arts de la scène, on pourra choisir une pièce de théâtre, un auteur ou encore une compagnie locale Pour les enfants les plus pauvres, les vacances n’existent que si elles sont utiles et éducatives. » Pas de vacances vacançantes, c’est-à-dire pas de période où chacun dispose de son temps sans activité imposée. Pour les enfants en situation de pauvreté, l’État veut bien apporter une aide mais uniquement s’il y a un retour sur investissement. L’une des préconisations du rapport du Conseil d’Orientation des Politiques Jeunesse (organe consultatif regroupant les acteurs du secteur) titré « les colos un enjeu éducatif pour tous » est : « Informer des bienfaits des séjours pour les enfants le corps médical, et notamment les pédiatres, qui sans aller jusqu’à l’idée d’une colonie de vacances sur ordonnance (à l’image des cures thermales), pourrait suggérer une option de la sorte ». Comme pour les colos des années 30, l’autorité médicale est mobilisée pour imposer les colos à ceux qui ne savent pas ou à ceux qui sont fragiles en raison de leur santé mais surtout de leur pauvreté. Cette logique d’obligation pour les plus pauvres est tellement ancrée dans les politiques publiques que dans le « Pacte de solidarité axe 1 : Lutter contre les inégalités à la racine et prévenir la reproduction de la pauvreté » le gouvernement fait des colos apprenantes l’un des outils de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté « en s’attaquant aux causes qui à tous les âges et dans les situations charnières contribuent le plus à la reproduction des inégalités sociales ». Si les vacances des enfants deviennent un outil contre la pauvreté pour toute la famille, ce ne sont plus des vacances.

Cela signifie-t-il que les vacances sont inutiles et que l’État ne peut rien faire ? Pas du tout, il s’agit surtout d’être en capacité d’analyser les éléments multiples qui freinent au départ et de mettre en place des politiques publiques qui construiraient des colos mixtes socialement et qui prennent soin des plus fragiles, des plus vulnérables.

Il s’agit de regarder ce que sont les vacances pour chacun·e. Partir en vacances, c’est prendre un temps loin des contraintes du quotidien, qui permet de vivre un temps de renforcement des liens avec ses proches et de rencontres. Les personnes en situation particulière (vulnérabilité, pauvreté) doivent avoir accès, elle-aussi, a ces temps de vacances, c’est d’ailleurs un droit fondamental depuis 1998 et la loi de lutte contre les exclusions. Pour autant il n’existe aucune politique publique garantissant le fait que les vacances soient possibles pour tous. Le secteur du loisir et du tourisme, malgré le fait qu’il soit fortement soutenu par les pouvoirs publics, ne permet pas l’accueil de chacun·e et notamment des précaires. Partir en vacances sans voiture reste particulièrement complexe et très cher. Être accueilli·e comme tout autre touriste est loin d’être une évidence, les destinations proposées restent celles dont les autres ne veulent pas : les dispositifs de revente de places permettent de proposer des séjours à la montagne ou à la campagne quand les personnes souhaiteraient aller à la mer l’été… et inversement l’hiver ! Les personnes pauvres passent en second et après celles qui peuvent accéder aux offres « normales ». Pour rester sur le sujet des colos, leur forme pédagogique groupale correspond mal aux enfants qui ont des besoins ou envies spécifiques. Il reste très difficile pour un·e enfant de pouvoir lire au calme, de rester seul·e dans sa chambre, de pouvoir changer de groupe ou de chambre en fonction de son envie, de faire dormir des frères et sœurs ensemble, d’autoriser les visites des parents ou les appels téléphoniques, etc.

Le lien avec les parents, voilà bien l’un des points les plus aveugles des colos. Pour les enfants, partir en vacances, c’est d’abord et avant tout pouvoir partir en famille. La définition même de la colo est d’emmener un groupe d’enfant sans adultes dans un endroit où ils vont vivre quelques choses sans leurs parents. Privilégier les colonies de vacances pour les enfants les plus vulnérables ou pauvres, c’est renforcer l’idée que les parents de ces enfants ne sont pas capables, au moins financièrement. C’est aussi renforcer l’idée chez les parents qu’ils n’ont pas le droit de partir en vacances. Ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas que l’on n’a pas un quotidien pesant qui mériterait qu’on puisse couper avec quelques jours. Le choix qui est fait de privilégier le départ en colo apprenantes sur un départ en famille indique, en creux, que les décideurs pensent que les parents ne peuvent pas apprendre aux enfants et que les équipes de colos (souvent de simple BAFA) feront mieux que les parents. Là où la politique publique devrait s’appuyer sur les capacités des personnes, les aider à développer leurs savoirs, elles viennent appuyer sur les manques et les carences.

Les colos apprenantes apprendront peut-être quelques vagues compétences aux enfants, mais elles apprendront surtout à leurs parents qu’ils sont incapables et qu’ils n’ont pas le droit aux vacances. À ce titre, ces colos apprenantes reviennent bien à l’origine des colos scolaires de Cousinet : se substituer aux parents et à l’école pour réparer ce qu’elles et ils font mal.

Est-il possible de faire autrement ?

Les politiques publiques permettraient de faire autrement si elle s’appuyait sur d’autres manières d’entrevoir le rapport aux populations fragilisées. Joan Tronto suggère ainsi de travailler à partir de la notion de care et d’en utiliser les outils, plutôt que de viser à réduire les risques sociaux. Joan Tronto rappelle que « le care a toujours été et sera toujours une partie de la vie humaine », que « ce travail de soin a été laissé aux femmes et autres populations marginalisées ». La où la société du risque calcule, gère, manage, vend et tente de limiter des risques devenus incontrôlables, J. Tronto nous suggère de regarder la société avec un regard plus large et de l’envisager du point de vue du care, c’est-à-dire d’accepter le risque du temps et de la rencontre, de s’appuyer sur les ressources des personnes elles-mêmes.

En suivant J. Tronto, regardons ce que pourrait être une politique publique des vacances qui chercherait à prendre soin des personnes vulnérables. Nous repérons trois leviers possibles pour changer les manières de voir et de faire « vacances » :

  • Rejeter le principal outil de gestion utilisé dans la société du risque : la méthodologie de projet, c’est-à-dire faire cette démarche construite sur l’enchaînement définition d’un public ciblé -diagnostic pour définir une problématique – construction d’objectifs – traduction en moyens – évaluation sur critères et indicateurs ;

  • Construire un droit universel à des vacances inclusives.

  • Définir les colos comme un outil du care, avec des finalités spécifiques différentes de celles de l’école et de la famille.

Rejeter la méthodologie projet, c’est d’abord comprendre que cette méthodologie est un outil de gestion et non un outil du travail social. La méthodologie de projet est un outil spéculatif et évolutif développé dans l’industrie permettant de traduire en moyens (donc en argent) la fabrication d’un produit. Il ne s’agit pas de construire des processus d’accompagnement des personnes. Dès lors que la logique projet prend le pas sur l’accompagnement, il n’existe plus aucune singularité dans le processus et si les objectifs ne sont pas atteints, ce n’est pas le projet qui rate mais bien que les personnes concernées par le projet qui n’ont pas compris ou accepté le projet. Cela déresponsabilise le porteur de projet et rend fautif la personne vulnérable.

L’autre travers de cette méthodologie est de réduire les personnes concernées à des problématiques ou problèmes. Le projet cherche à traiter une problématique, il va alors pointer les failles, manques ou carences chez les publics ciblés et renvoyer les ressources ou capacités des publics à de simples moyens qu’il est possible de mobiliser. Ce qui intéresse le porteur de projet c’est la problématique pas les personnes.

Apprenantes ou pas, les colos sont exclusivement construites selon cette méthodologie : une collection de projets (éducatifs, pédagogiques, d’animation, d’activités, d’accueil individualisé, etc.) s’empile avec chacun ses objectifs construits pour et sur les enfants… Enfants que l’organisateur·rice n’a jamais rencontré·es. Le diagnostic permettant de construire le séjour s’appuie sur une théorie (celle des besoins), une pratique empirique (ça fonctionne) et la recherche d’un public cible (l’enfant et le parent consommateur). Les moyens sont connus d’avance (équipe, pédagogie, activité, lieu, etc.) rien ne bouge et ne peut bouger, le catalogue de vente est contractuel. L’organisateur·rice fabrique un produit qui doit satisfaire le·la client·e. Cette logique ultra-adaptée à l’industrie notamment touristique ne fonctionne pas pour accueillir et rencontrer les personnes vulnérables.

Une colonie de vacances ouverte à tou·tes pourrait être construit avec les personnes qui y partent, c’est-à-dire les enfants. La politique publique pourrait renforcer les approches démocratiques de co-construction plutôt que d’encourager un marché concurrentiel qui ne profite qu’aux plus riches. Construire et définir la colo avec les enfants présent·es quels qu’iels soient supposerait obligatoirement de rendre l’espace physique et psychique inclusif. Il s’agirait de renverser la logique de définition des besoins par quelques expert·es pointant manques et carences, par une logique de co-définition des besoins avec une attention particulière sur celles et ceux dont il faut prendre soin. Pour J. Tronto « les personnes perçues comme ayant des ‘’besoins’’ sont celles qui sont les moins bien préparées à défendre leur capacité à affirmer quoi que ce soit quant à la nature de leurs besoins. Dans les débats sur les ‘’besoins’’ des personnes, il arrive souvent que la majorité, les puissants ou les experts substituent leurs propres descriptions des besoins à la voix et aux conceptions de ceux qui sont affectés ». Prendre soin serait alors aider les organisateur·rices à travailler l’accueil et l’inclusion universels pour tous leurs séjours.

Construire un droit universel aux vacances demande évidemment des moyens financiers, mais ils existent. S’ils ne sont pas suffisants, il est possible de mettre en place une taxe sur le tourisme de luxe, comme l’avait proposé l’ex-député socialiste Michel Ménard en 2013 dans un rapport parlementaire. Pourquoi les personnes qui s’extrait des communs républicains parce qu’ils ont de l’argent ne devrait-elles pas au moins être solidaire par l’impôt ? Cette taxe pourrait être géree par un fond regroupant acteurs des vacances, décideurs politiques et associations travaillant avec (et non pour) les personnes en situation de pauvreté/vulnérabilité. Le fonds pourrait aider et financer des espaces de tourisme réellement inclusif, des politiques associatives ou locales permettant les vacances en famille pour tou·tes (et notamment pour les familles des enfants placé·es à l’ASE), des projets de vacances vacançantes pour tou·tes, seul·e ou en famille, entre ami·es ou pour s’en faire, sportives ou pas mais au choix et à la liberté des personnes.

Enfin, il conviendrait de définir les colos comme un outil de politique publique avec ses finalités propres. Laissons à l’école ses finalités, à la famille ses prérogatives, et construisons des colos qui permettraient de prendre de soin des enfants et qui apprendraient à vivre en démocratie. Notre société et nos enfants souffrent, souffrent d’une démocratie malade et de violences répétitives. L’école sélectionne à coup d’algorithmes et d’examens stressants et constants, l’université évalue en permanence et les étudiant·es n’ont pas les moyens de vivre pour étudier, les familles sont confrontées à des injonctions paradoxales : il faut apprendre aux enfants à s’autonomiser mais les parents sont responsables de tout ce que font leurs enfants. Les demandes de pénalisation des difficultés parentales sont aussi puissantes que l’incapacité de notre société à condamner et à traiter les violences intrafamiliales. Bref, notre société aurait grandement besoin de lieu où les enfants pourraient être en vacances, en vacances de sélection, de stress, d’examen, de violences institutionnelles, de violences sexuelles et sexistes, d’agressions sexuelles, en vacances d’une autorité descendante et contrainte ; notre société aurait besoin de lieu safe, d’espaces où chacun·e puise apprendre la démocratie en la vivant, en l’éprouvant dans ses choix, ses envies, son corps, en comprenant la force du débat et du collectif, la grandeur du consensus qui s’associe parfois à la frustration, en découvrant la joie de coopérer et, bien évidemment, de pouvoir s’essayer à vivre sans adulte. Offrons ces lieux à TOU·TES nos enfants, chacun·e en sortira grandi·e quel que soit son âge, son genre, sa richesse, son territoire de vie, sa couleur, sa nationalité… Offrons cela à nos enfants, notre démocratie en a grandement besoin.

Pour aller plus loin :

Jean-Michel Bocquet, “Qu’apprendre des colos apprenantes“, AOC média, 19 juillet 2021.

Jean-Michel BOCQUET, “Les colonies de vacances, tremplins vers une société durable ?“, TheConversation, 7 juillet 2019.

Collectif, Des séparations aux rencontres en camps et colos, Bagneux, Le Social en Fabrique, 2015.

Edmond COTTINET, Rapport sur les colonies scolaires de vacances du IXe arrondissement, 1884. 

Edmond COTTINET, Colonies scolaires de vacances – premières années, 1883.

Jérôme FOURQUET, 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession, Fondation Jean Jaurès, 20 février 2020.

Laura-Lee DOWNS, Histoire des colonies de vacances de 1880 à nos jours, Paris, Perrin, 2009.

Jean HOUSSAYE, Un avenir pour les colonies de vacances, Paris, Editions ouvrières, 1977.

Jean Houssaye, “Vouloir la coéducation, une fausse bonne idée ?” in P. Maubant & L. Roger (Ed.), De nouvelles configurations éducatives. Entre coéducation et communautés d’apprentissage (p. 13-21), Presses de l’université du Québec, 2010.

Yves RAIBAUD, “Fermeture des colonies de vacances : le risque ou le care?“, HAL, 2017.

Catherine SELLENET, “La complexité du placement familial : un leitmotiv dans le champ de l’enfance“, Dialogue, vol. no 167, no. 1, 2005.

Joan TRONTO, Le Risque ou le care, Paris, PUF, 2012.

Joan TRONTO, “Réparer et maintenir en vie les êtres vivants devraient être notre priorité“, Antidote, 18 février 2021.

Julie White, Joan TRONTO, “Les pratiques politiques du care : les besoins et les droits”, Cahiers philosophiques, 136, 69-99, 2014.

UNAT, Mutualiser et coopérer : expériences etréussites- 5ème édition du colloque vacances enfants – ados, 2016.