La Conférence sur la biodiversité de Nagoya a débouché sur protocole contraignant autour de “l’accès et le partage des avantages”. Ce texte est un accord commercial et industriel sans lien évident avec la conservation et la préservation de la biodiversité, dont l’élaboration a permis aux pays du Sud de faire entendre leur opposition à la marchandisation du vivant et leur attachement aux droits des populations autochtones.

La convention sur la diversité biologique (CDB) a été signée à Rio au Sommet de la terre organisé par le Programme des Nations unies pour l’environnement en 1992. La biodiversité est déclarée « préoccupation commune de l’humanité » et l’article 1er comporte trois objectifs : sa conservation, son usage durable et le partage juste et équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressource génétiques. Le troisième objectif concerne les ressources génétiques seulement, alors considérées comme indispensables au développement des biotechnologies, et non le partage des avantages de la biodiversité sous toutes ses formes (forêts, plantes alimentaires, semences, services des écosystèmes, etc.). Malgré 18 années de négociations, l’érosion de la biodiversité se poursuit. Pourtant, malgré l’adoption d’un Plan stratégique jugé ambitieux, c’est sur l’élaboration d’un Protocole contraignant sur l’accès et le partage des avantages (APA), sans relation directe avec la conservation, destiné à répondre au troisième objectif qu’ont été jugés les résultats de la Conférence de Nagoya. Un accord commercial et industriel, dont on se demande par ailleurs s’il porte vraiment sur des enjeux économiques d’importance, a été célébré comme une victoire pour la biodiversité. Pourquoi et comment s’est effectué ce glissement ?

Après avoir rappelé le contexte politique et environnemental dans lequel s’ouvre la négociation, nous retracerons l’émergence controversée du Protocole dont les discussions ont permis aux « pays du Sud » de faire entendre leurs oppositions au modèle de développement fondé sur les droits de propriété intellectuelle, au contrôle et à la marchandisation du vivant, et surtout de revendiquer des droits pour les populations autochtones. Le Protocole rend compte en effet des nombreux problèmes théoriques et pratiques de l’APA et chacun voulait imposer ses solutions. Ces oppositions idéologiques se sont traduites par des négociations difficiles et des textes complexes qu’il faut déchiffrer. Dans une seconde partie, nous mettrons en évidence les diverses dynamiques qui ont conduit à un accord et étudierons dans les détails le texte du Protocole afin de montrer comment ces conflits ont été désamorcés à la faveur d’habiles rédactions. En conclusion, reste la question cruciale : comment une convention internationale peut-elle enrayer la perte de biodiversité ?

La dixième conférence des Parties (COP 10) à la convention sur la diversité biologique (CDB) s’est tenue du 18 octobre jusqu’au petit matin du 30 octobre 2010 à Nagoya au Japon. Elle a réuni 173 pays participants. Ses résultats étaient très attendus.

Après la conférence des Parties à la convention Climat de Copenhague, beaucoup d’observateurs pensaient que le temps des grandes conférences internationales des Nations unies, au fonctionnement basé sur le principe « un pays, une voix », était révolu. Avec la crise financière et la persistance du refus des Etats-Unis de s’engager, les solutions aux problèmes d’environnement global semblaient devoir être trouvées d’abord dans des accords entre pays ou entre régions. L’initiative France-Norvège, partenariat intérimaire pour le REDD |1|, fonctionnant en marge des sessions de négociation de la convention, en fournissait l’exemple.

La COP 10 s’est également ouverte sur une inquiétude grandissante quant à la poursuite de l’érosion de la biodiversité. Les dernières Perspectives mondiales de la biodiversité (GBO3) publiées par le PNUE en 2010 sonnent l’alerte pour l’humanité : « La perte massive de biodiversité est de plus en plus probable, et entraînerait avec elle une forte réduction du nombre de services essentiels fournis aux sociétés humaines puisque plusieurs ‘points de basculements’ sont près d’être franchis conduisant les écosystèmes vers des états moins productifs desquels il pourrait être difficile ou impossible de revenir ». Aucun gouvernement n’affirme avoir complètement atteint l’objectif fixé lors du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg de 2002, de réduire de manière importante le rythme actuel d’appauvrissement de la diversité biologique comme contribution à l’atténuation de la pauvreté. Un cinquième d’entre eux mentionnent explicitement qu’il n’a pas été atteint. La communauté internationale est convaincue qu’il faut trouver un accord pour sauver ce qui peut l’être encore. La responsabilité d’un échec des négociations serait difficile à assumer.

Enfin, les pays du Sud dénoncent l’absence de mesures financières et juridiques contraignantes. La COP 10 confirme la montée des grandes puissances émergentes, parmi elles, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Chine (déjà très présents à Copenhague) et leur intransigeance quant à l’engagement réel des pays riches. D’entrée de jeu, le Brésil demande 1 milliard de dollars par an pour protéger faune et flore jusqu’en 2020. Il annonce que si un Protocole international sur l’accès et le partage des avantages tiré de l’exploitation des ressources génétiques (APA) n’est pas signé, il ne peut être question d’approuver le plan stratégique de conservation de la biodiversité, ni les questions financières associées. Le G77 + Chine annonce également que les 3 sujets sont liés : le « paquet » passe ou tout casse.

Les débats sur les financements et sur le Protocole ont alors concentré toutes les attentions, et c’est sur la conflictuelle et très technique question du Protocole d’accès et de partage des avantages qu‘ont été évalués les résultats de Nagoya, occultant en partie les avancées du plan stratégique.

L’émergence controversée du Protocole sur l’accès et le partage des avantages

C’est sur le troisième objectif de la convention – le partage juste et équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques – que porte désormais l’essentiel des négociations (et des moyens de financement) de la CDB. Il n’est guère étonnant que cet objectif, si décalé par rapport aux deux premiers (la conservation et l’utilisation durable), et qui avait permis le ralliement des pays du Sud peu désireux de prendre des engagements sans contrepartie en termes de développement et d’équité, se transforme en tribune d’expression des affrontements Nord-Sud.

Partager les avantages, c’est, pour les pays du Sud, en finir avec la biopiraterie (version moderne du pillage du tiers-monde) et recueillir les bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles et des savoirs locaux associés à ces ressources, jusque-là non rétribués lorsqu’une innovation biotechnologique donne lieu à un droit de propriété intellectuelle et à un produit exploité commercialement par une entreprise du Nord. La définition de la biopiraterie est revisitée. Un groupe est réuni en novembre 2008 pour définir ce qu’est le détournement (misappopriation). Est détournement tout ce qui ne satisfait pas au consentement préalable en connaissance de cause (PIC), ni aux termes du contrat convenu d’un commun accord (MAT) qui inclut la reconnaissance du savoir local associé à la ressource.
Partager les avantages, c’est aussi adhérer à la croyance qu’il existe un marché des ressources génétiques qui alimenterait une nouvelle économie basée sur la connaissance et les biotechnologies, dont les retombées serviraient la conservation de la biodiversité (Aubertin, Pinton, Boisvert, 2007). Cette représentation nourrit de nombreuses spéculations.

Pourquoi un Protocole ?

L’avancée des négociations portant sur l’établissement d’un régime d’accès et de partage des avantages a figé des oppositions caricaturales entre « Nord et Sud ». Les pays du Sud ont demandé un Protocole sur l’APA, dont le principe a été acquis lors de la COP 8 de Curitiba. À quoi servirait ce Protocole ? Il préciserait les droits et obligations des pays fournisseurs et utilisateurs contenus dans l’article 15 de la CDB. Et quelle serait sa valeur : contraignante ou non contraignante ?

Les dernières rencontres du groupe de travail sur l’APA (Paris, avril 2009 ; Montréal, novembre 2009 ; Cali, mars 2010 et jusqu’à la veille de la Conférence) sont exemplaires. Elles portent sur la définition des règles du jeu et des termes employés. Pour les uns, il s’agit d’ouvrir au maximum le champ d’application du Protocole, pour les autres de le restreindre autant que possible.

Un Protocole, contrairement à la convention cadre qui n’a de caractère contraignant que si le pays transpose ses recommandations dans la législation nationale, implique un engagement des États. De la part des pays du Nord, il y a d’abord refus de préjuger du format définitif d’un Protocole d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages. Il suffirait de reprendre en partie des instruments internationaux et les divers accords existants, contraignants ou non, comme les lignes directrices de Bonn et les multiples initiatives proposant des procédures d’accès standard (jardins botaniques, société internationale d’ethnobiologie, lignes directrices de l’International Federation of Pharmaceutical Manufacturers and Associations (IFPMA), etc.). Avant même de penser à un Protocole, les pays du Nord mettent l’accent sur le fait que chaque pays doit se doter d’une législation claire, simple, offrant une sécurité juridique. Ils préfèrent que la question de l’APA soit réglée au niveau national, ce qui permet à chaque Etat d’élaborer un cadre qui corresponde bien à ses caractéristiques et besoins, plutôt que dans le cadre d’un dispositif international unique. Pour eux, les obligations déjà présentes dans la CDB suffisent : les pays doivent, avant tout nouveau texte juridique, se mettre en conformité avec le premier paragraphe de l’article 15 de la CDB (un accès aux ressources génétiques régi par la législation nationale). Les pays du Nord rappellent également avec force que, par la signature de la CDB, les Parties se sont engagées à simplifier l’accès aux ressources génétiques (15.2) sans discrimination entre demandeurs étrangers et nationaux. La question du partage équitable ne pouvant être dissociée de l’accès, il convient de régler d’abord les modalités de l’accès. Les Parties peuvent même choisir de mettre leurs ressources en accès libre, ce qu’ont déjà fait l’Autriche, le Danemark et la Suède.

Les pays du Sud estiment que la mise en place d’un cadre juridique ne doit pas se penser uniquement au moment de l’accès, ni faire reposer tout le contrôle sur les pays fournisseurs de ressources génétiques. Selon eux, les pays utilisateurs doivent aussi prendre leurs responsabilités, et se doter d’une législation assurant le contrôle et la traçabilité de la ressource jusqu’au dépôt de brevet et à la commercialisation du produit. Un Protocole semble dans cette logique être la solution pour contraindre les pays du Nord à prendre en compte cette question de l’APA.

Quel champ d’application ?

Le Protocole est une occasion de débattre des compétences des diverses institutions internationales. Le champ d’application du Protocole est d’emblée restreint par les nombreuses initiatives multilatérales qui traitent des ressources génétiques. Citons le Traité international de la FAO (TIRPGAA) qui traite des ressources phytogénétiques utiles à l’alimentation et à l’agriculture et qui a déjà sous sa juridiction une soixantaine de plantes et pourrait en accueillir d’autres ; la Commission de la FAO sur les ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture (CGRFA) qui couvre les ressources d’origine végétales et animales ; la Convention internationale de la FAO pour la protection des plantes (IPPC) ; l’UPOV qui offre une protection juridique aux obtenteurs de cultivars, mais vise à couvrir d’autres végétaux supérieurs ; l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui a lancé un travail de réflexion avec la création du comité intergouvernemental sur la propriété intellectuelle et les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et le folklore (IGC). Les imbrications sont multiples. Si l’on aborde le domaine des pathogènes, au moins trois institutions internationales sont directement concernées : pour la santé humaine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; pour la santé animale, l’Organisation mondiale de la santé animale, ex-Office international des épizooties (OIE) ; pour la santé des plantes, l’IPPC. Un traitement particulier est réservé aux ressources génétiques marines trouvées dans des lieux situés au-delà des juridictions nationales. Une exception est faite également pour les ressources génétiques appartenant à la zone du Traité antarctique (1959).

Par ailleurs, le champ d’application matériel de l’APA a fait l’objet de nombreuses approximations et ajustements. Un groupe de travail s’est penché sur les différentes manières de comprendre ressources biologiques, ressources génétiques, dérivés et produits. L’article 15 ne concerne que les ressources génétiques, non l’accès aux ressources biologiques, mais la frontière entre les deux catégories est floue. La recherche non-commerciale est concernée par la CDB seulement si le but est de rechercher et d’utiliser du matériel génétique. Pour cela, il convient d’identifier les différentes formes d’utilisation des ressources génétiques, de distinguer le but de l’utilisation, commercial ou non de ces techniques, et non les techniques elles-mêmes.

C’est sur la question des « produits et dérivés » que se cristallisent les conflits. Le troisième objectif de la CDB traite de l’exploitation des ressources génétiques. Pour les pays du Nord, les dérivés et produits entrent directement dans le champ de l’OMC. Or, la création de richesse (et donc d’avantages susceptibles d’être partagés) ne se fait pas à partir de l’utilisation de l’ADN, des gènes proprement dits, mais se fait, à 89 % selon le groupe des Mégadivers, pays les plus riches en biodiversité menés par le Brésil, avec la recherche et le développement de ses composants biochimiques (molécules naturelles, mais aussi produits de synthèse copiant une molécule naturelle, médicaments…). Un Protocole qui ne concernerait que l’utilisation des ressources génétiques au sens strict et qui n’inclurait pas les dérivés, n’aurait donc pas de sens. La question de l’accès aux ressources génétiques s’est étendue à celle portant sur la propriété des produits et dérivés (molécules, extraits bruts d’organismes, tout élément provenant du métabolisme des êtres vivants…), des produits synthétisés copiant une molécule naturelle (biomimétique), ou des produits commerciaux comme les médicaments. Dans cette logique, des demandes de compensation pourraient ainsi être faites sur des médicaments dont on pourrait montrer qu’ils sont issus de molécules extraites de plantes non déclarées lors du dépôt de brevet… Les pays du Sud demandent également q
ue l’accès à un herbier ou à une collection constituée avant la mise en oeuvre de la CDB soit soumis au Protocole. En effet, l’accès est toujours nouveau du fait des nouveaux moyens de recherche et des nouvelles utilisations explorées. Les revues scientifiques elles-mêmes seraient tenues de vérifier les conditions dans lesquelles des auteurs des articles ont obtenu les substances naturelles sur lesquelles ils publient leurs recherches.

Quel usage politique du Protocole ?

Pour les pays du Sud et les ONG, le Protocole est aussi une occasion de contribuer à la réforme du droit de la propriété intellectuelle, d’affiner le champ d’application et de consolider les droits des populations autochtones. La CDB offre une magnifique tribune pour mettre en scène les oppositions de visons du monde. A défaut d’être intégrée dans la CDB, texte international, l’instrumentalisation du thème de la biodiversité a permis de notables avancées dans des législations nationales.

Un outil juridique a ainsi fait l’objet de nombreux débats. Il s’agit du certificat d’origine géographique et/ou légale qui prouverait que la substance végétale a bien été acquise en conformité avec la CDB et dans les règles de la législation nationale du pays fournisseur (consentement des populations et des États, contrat de partage des avantages), que les demandes de brevet devraient inclure. Certains Etats ont déjà mis en place leur propre système. Par exemple, début 2010, ce certificat d’origine a été rendu opérationnel dans le droit brésilien des brevets. La reconnaissance internationale du certificat d’origine conduirait à reconsidérer tout le droit de la propriété intellectuelle et les accords sur les droits de propriété liés au commerce (ADPIC) de l’OMC. Surtout, ces revendications introduisent la notion de rétroactivité par rapport à l’entrée en vigueur de la CDB, le 29 décembre 1993 (cas des banques des Centres internationaux de recherche agronomique – CIRA), ou avant sa transcription dans la législation du pays.

Un autre point d’achoppement concerne le statut des savoirs locaux qui renvoie bien sûr aux droits des populations. Les réclamations sur les « composants intangibles » (savoirs traditionnels associés) sont devenues une entrée privilégiée pour que les « populations autochtones et locales » fassent entendre leurs voix, défendent leur identité et leurs droits, dénoncent la brevetabilité du vivant. Si depuis une dizaine d’années, la CDB se confond avec une tribune de revendications des droits des communautés, elle ne comporte qu’une évocation dans l’article 8j des « connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique » et une autre dans l’article 17.2. des « connaissances autochtones et traditionnelles ». L’article 10c évoque également « l’usage coutumier des ressources biologiques conformément aux pratiques culturelles traditionnelles ». Même si la valeur juridique de ces dispositions n’est pas très importante, elles ont quelquefois été interprétées, dans les législations nationales, dans un sens favorable aux communautés. Par exemple, au Brésil, un double accord préalable en connaissance de cause (PIC) est nécessaire : celui de l’Etat pour avoir accès à la ressource génétique, et celui de la communauté autochtone ou locale concernée pour avoir accès au savoir traditionnel. Alors que l’article 15 ne concerne que les Parties, on tend à reconnaître les communautés comme des interlocuteurs à part entière, pouvant être associées au partage des avantages.

Les résultats : d’habiles compromis ou « rien de nouveau sous le soleil » ?

On comprend, sur la base de ces oppositions, qu’un accord était loin d’être acquis. Pourtant cet accord a eu lieu et, malgré la déception de nombreux pays du Sud, il a été salué positivement.

Divers facteurs ont pu contribuer à cette issue. Il y a eu l’habileté du maître de cérémonie japonais qui a, selon un scénario rodé à Copenhague, réussi à constituer un petit groupe de pays influents (UE, Brésil, Norvège, Groupe africain) susceptible de proposer un texte consensuel à une majorité qui n’arrivait pas à s’entendre. Il y a eu la volonté de tous de ne pas repartir sur un échec et de porter la responsabilité d’accepter la poursuite de l’érosion de la biodiversité. Il y a eu, surtout, le double jeu de ces pays à la fois utilisateurs et fournisseurs de matières biologiques, à la fois membre du G20 et du G77. Ils ont par ailleurs de forts intérêts dans d’autres négociations internationales en cours, comme à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et ne souhaitent pas que le champ d’application de la CDB interfère avec ces autres dynamiques. Il y a eu, enfin, le fait que les délégations comportaient un nombre important de juristes responsables des accords internationaux sur l’environnement et formés à éviter l’affrontement en permettant un maximum d’interprétations des textes.

Le principal succès est l’existence même de ce Protocole dont l’Union européenne a mis en doute l’intérêt pendant un temps. Il s’agit du deuxième Protocole de la CDB (après le Protocole de Carthagène sur la biosécurité). Y a-t-il des gagnants et des perdants ? Et les activités d’APA disposent-elles maintenant d’un cadre plus clair ?

Les dérivés : une notion affadie

Le champ d’application de la CDB est explicitement élargi. Les ressources génétiques ne sont plus vues uniquement comme de l’information génétique ou de la matière contenant les unités fonctionnelles de l’hérédité. Ainsi, l’utilisation des ressources génétiques est définie comme « les activités de recherche et de développement sur la composition génétique et/ou biochimique du matériel génétique, notamment par l’application de la biotechnologie, conformément à la définition fournie à l’article 2 de la Convention » (art. 2 c). Cet élargissement du génétique stricto sensu au biochimique s’aligne sur les réalités industrielles et commerciales, les pratiques des chercheurs, les revendications des pays du Sud. Par exemple, les huiles essentielles, qui sont exclues de la législation brésilienne, semblent être concernées.

Dans le même temps, et l‘issue des négociations a porté sur cela, l’épineuse question des dérivés a été éludée. On trouve bien une définition du dérivé dans l’article 2 e : « Tout composé biochimique qui existe à l’état naturel résultant de l’expression génétique ou du métabolisme de ressources biologiques ou génétiques, même s’il ne contient pas d’unités fonctionnelles d’hérédité » mais, par la suite, il n’en est pas fait mention, sauf à considérer les renvois d’une définition à l’autre. Cette définition a probablement été gardée pour des raisons politiques, mais on peut penser qu’elle n’aura que peu d’incidence, la notion de dérivés ayant été vidée de sens et le Protocole ne contenant aucune obligation liée aux dérivés.

En effet, en présentant le dérivé comme un simple composé biochimique d’un organisme vivant, les revendications sur les molécules synthétiques ayant une structure proche d’une substance naturelle échappent au Protocole. Une molécule naturelle synthétisée et modifiée ne devrait pas entrer dans le champ du Protocole, même si elle est « inspirée » de la nature.

Abandon de l’idée de rétroactivité

La question de la rétroactivité ne se pose plus. Toutes les discussions autour de la rétroactivité (mot soigneusement exclu du Protocole), fortement alimentées par le groupe africain, qui demandait des indemnisations pour l’exploitation de leurs ressources lors de la colonisation, ne trouvent pas un écho direct. Il est certes toujours possible d’affirmer que l’accès aux herbiers et collections constitués avant 1993 est toujours nouveau du fait des progrès scientifique et de nouvelles utilisations, mais dans ce cas, il est prévu des compensations via un mécanisme multilatéral de partage des avantages dont le financement devrait reposer sur les entreprises.

Clarification des compétences

Les pays du Nord demandaient que les choses soient réglées au niveau de l’accès, faisant reporter sur le pays fournisseurs la responsabilité de l’application de contrôle dont les règles devaient être définies localement. Les pays du Sud demandaient que le contrôle soit aussi effectué en bout de chaîne, auprès des offices des brevets, des douanes, etc… Les instituts de recherche devaient vérifier auprès de leurs chercheurs qu’ils avaient bien acquis les échantillons en conformité, etc.

Avec le Protocole, tous les Etats doivent faire des efforts pour contrôler l’accès, mais également pour assurer la traçabilité du produit. Le Nord contribuera financièrement afin de rendre le Sud capable de remplir ces fonctions. Les pays du Sud renoncent, dans le cadre du Protocole, à exiger un contrôle de la part des offices des brevets, et acceptent de prendre leurs responsabilités dans l’application de la réglementation (si le Brésil et les pays andins ont bien introduit dans leur législation l’article 15, beaucoup de pays africains ne l’ont toujours pas fait). Ils s’engagent à plus de transparence dans la désignation de l’autorité compétente et dans la procédure de traitements des dossiers.

Parallèlement, la question de la réforme du droit des brevets, avec la création d’un certificat qui attesterait que la substance biologique à l’origine de l’innovation biotechnologique a bien été acquise en conformité avec le Protocole, n’est pas traitée. Cette question ne pourra sans doute trouver une issue que dans le cadre de la négociation du Traité sur les aspects substantiels du droit des brevets, négocié à l’OMPI. Actuellement, seuls les aspects procéduraux sont harmonisés au niveau international par l’OMPI. Depuis plusieurs années, celle-ci vise à harmoniser les aspects matériels, et notamment les critères de brevetabilité, avec probablement l’arrière-pensée de concurrencer l’OMC. Le certificat dont il est fait mention dans le Protocole (art. 5.2d et 13.3), n’est qu’une autorisation, une sorte de carte d’identité d’une ressource, ni plus ni moins, et à la seule destination, pour usage informatif, du Centre d’échange sur l’accès et le partage des avantages institué par la CDB.

Enfin, la question des pathogènes, sous responsabilité de l’OMS, a suscité d’importants débats. Lors de l’épidémie de grippe aviaire, l’Indonésie avait fourni aux laboratoires étrangers des souches à partir desquelles des vaccins avaient été fabriqués. Aucune participation aux bénéfices, ni même un accès préférentiel aux vaccins, n’avaient été constatés. Le Protocole prévoit désormais l’accès aux pathogènes en cas d’urgence médicale et des compensations sont prévues.

Les savoirs traditionnels reconnus en demi-teinte

Le fait que les savoirs traditionnels soient inclus dans le Protocole n’était pas acquis. Certains espéraient d’ailleurs qu’un autre Protocole prenne en charge les droits des populations sur leurs ressources et leurs savoirs. En tout état de cause, la portée des obligations de perpétuation et valorisation de ces savoirs est très faible.

Logiquement, seuls les savoirs traditionnels associés à la biodiv
ersité sont considérés, mais le Protocole évite soigneusement de les définir, ce qui aurait pu mettre en situation délicate certains pays comme la France pour qui, malgré quelques aménagements acrobatiques comme dans le cas des Amérindiens de Guyane, la reconnaissance des droits des communautés autochtones reste théoriquement anticonstitutionnelle. Le Protocole fait la part belle aux savoirs traditionnels dans de nombreux articles, mais son intensité normative est faible. Les savoirs traditionnels faisant partie du domaine public ne sont pas considérés, mais renvoyés à la législation nationale ou à l’OMPI. Dans la plupart des cas, c’est le droit interne qui prime et il n’est pas possible d’opposer le Protocole aux Etats. Celui-ci s’inscrit en effet dans la droite ligne de l’article 8j de la CDB, appliqué « sous réserve de la législation nationale », que certains ont vu comme une aberration juridique en droit international, l’État déclarant que son droit l’emporte sur la convention internationale qu’il ratifie.

Dans la même veine, quatre projets de décision ont été soumis à la COP par le président du Groupe de travail sur l’article 8j. Le plus important concerne la simple prise en considération, en vue d’une adoption encore fort hypothétique, du code de conduite éthique propre à assurer le respect du patrimoine culturel et intellectuel des communautés autochtones et locales. Dans son état actuel, le code de conduite précise bien que ses dispositions sont volontaires. Aucune obligation juridique n’en découle donc, et elles ne peuvent pas être interprétées comme modifiant le droit international et national. Ces dispositions visent à donner des orientations pour l’établissement des cadres régissant les interactions entre communautés, ministères, chercheurs, industriels, etc. Elles énoncent des principes assez généraux comme la transparence, le consentement préalable, la reconnaissance des structures sociales communautaires…

Certains ont pu être déçus que les peuples autochtones ne gagnent pas plus de droits grâce au Protocole. La conservation et l’usage durable de la biodiversité sont également marginalisés. Le Protocole ne fait qu’enregistrer un accord commercial et industriel d’utilisation des ressources génétiques qui permet de répondre aux problèmes de mise en œuvre du troisième objectif de la convention.

Conclusion

Le Protocole entrera en vigueur dès que 50 pays l’auront ratifié d’ici 2012. Ont donc été adoptés à Nagoya : le Protocole (qui offre un cadre juridique à des échanges commerciaux), un plan stratégique d’action avec 20 objectifs pour l’horizon 2020 (qui devrait répondre aux deux premiers objectifs de la CDB : conservation et usage durable) et un mécanisme financier pour la mise en oeuvre de la Convention. Quand on examine la litanie des objectifs |2|, on comprend sans mal pourquoi la signature d’un Protocole avec engagements financiers et juridiques contraignants peut être considérée comme une victoire. Avec le Protocole, un résultat concret a été obtenu et le cadre des négociations a été maintenu. Le plan stratégique, bien que plus ambitieux que l’objectif 2010 et s’attaquant aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, reste non contraignant et vague, très en-deçà de ce que l’on pouvait attendre.

De même, les propositions de financement (2 milliards $ de dons et prêts pour le Japon, mais peu d’autres nouveaux engagements : reconduction de dons de 1 milliard par an de la part de l’Union européenne, pour la France porter à 500 millions annuel les engagements au titre de l’Aide publique au développement à partir de 2013 contre 100 millions actuellement…) restent assez imprécises.

Par ailleurs, la plate-forme IPBES Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, ce panel d’experts devant faire pendant à celui du GIEC pour le climat et négocié dans le cadre de la CDB et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), a été validée par une résolution de l’assemblée des Nations unies le 21 décembre 2010. On peut espérer que cette plate-forme scientifique gagne la légitimité nécessaire pour influer sur les politiques de conservation.

Les observateurs ont été moins prolixes qu’après Copenhague. Pourtant, le Brésil, arrivé avec beaucoup de revendications, s’est déclaré très satisfait. Le Protocole a été célébré comme le plus grand succès de l’histoire de la CDB. La secrétaire d’État à l’écologie, Chantal Jouanno, a déclaré que c’était le premier grand accord international sur l’environnement depuis Kyoto. L’Union européenne a affiché une satisfaction curieusement très mesurée. On n’a pas entendu les Etats-Unis, peu d’ONG ont dénoncé l’accord. Les formules retenues ont été celle de « chef-d’oeuvre d’ambiguïtés créatives » (Earth Negociations Bulletin, 2010), ou encore celle insistant sur le fait que le verre est à moitié plein ou à moitié vide, mais que l’important est qu’il n’ait pas été cassé. Il n’en reste pas moins vrai qu’en matière de lutte contre l’érosion de la biodiversité, le Protocole a fait office de diversion en cristallisant les négociations au détriment des engagements contraignants que la communauté internationale aurait dû prendre.

C’est sans doute du côté de l’économie des conventions, de la science politique et de l’étude des dynamiques propres aux négociations qu’il faut comprendre les résultats de Nagoya. L’analyse en termes d’affrontement Nord-Sud se complexifie avec les postures ambivalentes des pays émergents et le fossé se creuse entre les revendications idéologiques et le formalisme juridique qui prime en dernier instance à la table des négociations.

On peut tout de même continuer à s’étonner que cette question de partage des avantages ait soulevé tant de passions, alors qu’il y a si peu d’avantages à partager, les procédés industriels des grandes firmes pharmaceutiques ne concernant plus guère les substances naturelles des forêts tropicales, avec ou sans savoirs traditionnels. Même pour la grande ONG qui a forgé le concept de biopiraterie avec la remise du prix du Capitaine Crochet au plus grand pirate à chaque COP, le groupe ETC, les problèmes semblent ailleurs. Pour défendre la biodiversité, ETC (2010) dénonce aujourd’hui la biologie synthétique, les bionanotechnologies et les méfaits de la géo-ingénierie du climat…


|1| Mécanisme financier destiné à promouvoir la réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts des pays en développement. Le REDD apparaît, après la conférence sur le Climat de Copenhague, comme une solution dont on peut faire avancer la mise en œuvre, sinon en dehors, du moins parallèlement à la convention Climat.

|2| Division par deux ou arrêt de la destruction des habitats naturels ; extension des zones protégées de 13 % à 17 % pour les superficies terrestres et les eaux intérieures, de 1 % à 10 % pour les superficies marines et zones côtières ; restauration de 15 % des écosystèmes dégradés ; suppression des subventions néfastes à l’environnement ; stocks de poisson gérés durablement en 2020, etc.

Références
Aubertin C., Pinton F., Boisvert V. (dir.), 2007. Les marchés de la biodiversité. Éditions de l’IRD, Paris, 269 p.
GBO3 – Secrétariat de la convention sur la diversité biologique, 2010, 3ème édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique. Montréal, 94 p. http://gbo3.cbd.int/
Earth Negociations Bulletin (2010), Summary of the Tenth Conference of the Parties to the Convention on Biological Diversity : 18-29 October 2010, Vol.9 n° 5442, Monday, 1 Novembre 2010/ http://www.iisd.ca/bioidv/cop10/
ETC Group (2010) – The New Biomassters – Synthetic Biology and The Next Assault on Biodiversity and Livelihoods ; Geopiracy : The Case Against Geoengineering, new report. http://www.etcgroup.org/en/node/5229
UNEP/CDB/COP/10 (2010), Nagoya Protocol on Access to Genetic Resources and the Fair and Equitable Sharing of Benefits Arising from their utilization. Decision as adoped (advanced unidited version). November 2010, 25 p. http://www.cbd.int/nagoya/outcomes/