Introduction

Le développement durable est devenu aujourd’hui un phénomène de mode. C’est l’aspiration des individus et des nations. Une fois adopté le modèle cartésien du développement, l’humanité se trouve confrontée à une myriade de problèmes sociaux, environnementaux qui menacent la survie sur de l’homme. Les solutions préconisées sont d’ordre techniciste. Les perspectives technicistes engagent les premiers concernés que sont les entreprises qui proposent de trouver des solutions aux limites de la science par la science elle-même : c’est ce que nous appelons la fuite en avant. La nature est complexe, mais la science n’est pas infaillible de son côté car elle est limitée. On peut tenir compte de la sauvegarde de l’environnement dans la mise au point d’un produit, mais cela peut se démentir avec le temps. Le déterminisme scientifique n’est pas absolu. Alors, pourquoi le mesmérisme sous les auspices de la biotechnologie ? Les entreprises seront-elles réellement à la hauteur de leur nouvelle responsabilité postmoderne en optant pour les mesures techniciste ? Nous allons prendre l’exemple de la biotechnologie pour montrer comment le déterminisme scientifique n’est pas absolu et qu’elle ne fait pas exception de la valse des concepts mystificateurs du développement. Comment faire de sorte que la biotechnologie n’entretienne pas le mythe du développement ?

I. Comprendre la nature de la science à partir de l’exemple de la biotechnologie

I.1. La biotechnologie : vers une aliénation et un désenchantement total de l’Afrique

La biotechnologie, conséquence directe de la fuite en avant, se présente aux yeux des scientifiques comme une solution à la crise alimentaire d’une part, et d’autre part à la crise environnementale. La biotechnologie est une sorte de fuite en avant en ce sens que c’est toujours la science qui a la latitude de trouver les solutions aux problèmes environnementaux et sociaux que son évolution a provoqué. Elle est présentée comme un bien pour certains, et pour d’autres un mal non nécessaire. Que faut-il entendre par biotechnologie ? Quelles sont ses acceptions et son système de fonctionnement ?

I.1.1. La biotechnologie, une notion absconse dans ses acceptions

Le mot biotechnologie est un terme ambigu. Cette ambigüité acceptionnelle justifie en partie les multiples pièges qu’elle tend aux « dépourvus » de la technologie biotechnologique.

Une première définition dit que la biotechnologie est l’application intégrée de la biochimie, de la microbiologie et des technologies de transformation, en vue d’utiliser à des finalités techniques le potentiel des micro-organismes et des cultures de cellules ou de tissus, ou encore de leurs composantes. Une telle définition nous enjoint de dire que la biotechnologie met l’accent sur l’intégration de processus biologiques à des opérations techniques et surtout à la production d’ordre industrielle. En tant que outil en soi, la biotechnologie génétique est un moyen qui permet de modifier les traits caractéristiques des micro-organismes de sorte que l’impact désiré s’obtienne aux moyens de processus logiques.

Nous tirons notre deuxième définition de la loi canadienne sur la protection de l’environnement. Cette définition dit que la biotechnologie est l’application de la science et du génie à l’utilisation directe ou indirecte d’organismes vivants, de leurs parties ou de leurs produits, dans leur forme naturelle ou modifiée. Le Ministère de l’Agriculture et de l’Agro-alimentaire du Canada définit que la biotechnologie est l’utilisation d’organismes vivants, en entier ou en partie, en vue de produire de nouveaux produits. Une telle définition nous laisse emportés par la vision humanitaire de l’industrie biotechnologique.

La troisième définition est tirée de la loi N°005-2006/AN portant régime de sécurité en matière de biotechnologie au Burkina Faso. La loi dit ceci : « biotechnologie moderne : application de techniques de recombinaison de l’acide nucléique et de fusion cellulaire in vitro, qui franchissent les barrières physiologiques naturelles de la reproduction ou de la recombinaison, autrement que par la reproduction et la sélection naturelle ».

Le document de propagande « Let the Harvest Begin » de Monsanto publié en 1998 donne une quatrième définition qui dit que la biotechnologie est la science qui permet de modifier le contenu génétique des semences des végétaux qui nous alimentent afin d’en tirer un meilleur parti. C’est une définition confuse car elle semble exclure la modification génétique animale. Une cinquième définition stipule que la biotechnologie ou génie génétique est la manipulation de l’organisation des protéines dans un organisme par la modification de son contenu génétique, soit par l’ajout de nouveaux gènes, soit par la manipulation de gènes existants de sorte que les protéines soient produites à une autre période ou en quantité différente.

Une synthèse de ces définitions nous amène à dire que la biotechnologie est l’art d’artificialiser par les organismes vivants modifiés. (OVM), c’est-à-dire, animal, plante, microbe dont on a modifié le matériel génétique en vue d’accroître l’utilité pour les êtres humains. C’est ce qui fonde la moralité et la solidarité pervertie au nom du principe de la bienfaisance. La biotechnologie est donc un ensemble de technique in vitro faisant intervenir l’acide nucléique permettant de dépasser les frontières physiologiques naturelles de la reproduction et de la recombinaison, autres que les modes traditionnels de reproduction et de sélection. C’est un système d’exploitation du potentiel métabolique des systèmes des vivants.

De façon patente, la définition de la biotechnologie varie selon la personne ou l’entreprise qui la propose et selon les fins et les intérêts recherchés. En d’autres termes, la définition de la biotechnologie dépend du contexte et du point de vue que l’on adopte. Elle change de visage et de stratégie selon les profits. La myriade de définition ne surprend donc pas, ainsi que la prolifération des entreprises de biotechnologie et la structuration des dominations sociales. Un autre fait majeur constaté dans les définitions de la biotechnologie, est qu’aucune des définitions ne fait allusion aux méthodes traditionnelles de sélection et de reproduction animales et végétales. Cependant, des questions méritent d’être posées à ce titre. La biotechnologie est-elle une évolution inoffensive des techniques traditionnelles telles que le brassage de la bière et la fabrication du fromage ? Retrouve-t-on plutôt au contraire une rupture radicale entre les méthodes traditionnelles et la biotechnologie moderne ?

Les biotechnologues nous font un chantage moral en soutenant que la biotechnologie moderne est une continuité des méthodes traditionnelles de sélection, de brassage et de reproduction naturels des animaux et des végétaux. C’est ainsi que selon l’entreprise Monsanto, la biotechnologie végétale se veut un prolongement des techniques de reproduction végétale traditionnelles. Dans la même mouvance d’argument, Klaus M. Leisinger de la fondation Ciba-Geigy, soutient que la biotechnologie a connu une évolution en trois phases ou générations. Dans la première génération de la biotechnologie ce sont des bactéries de la levure qu’on utilisait, afin d’obtenir par exemple de la bière ou du fromage. Ensuite, la biotechnologie va évoluer en utilisant des micro-organismes. Dans la deuxième génération donc, la biotechnologie va se servir de micro-organismes pour la production des antibiotiques poussant en même temps plus loin l’exploration de la biologie moléculaire. Enfin, avec la troisième génération, la biotechnologie va rendre possible la modification directe du matériel génétique d’une cellule individuelle. Mais cette évolution en trois générations correspond-t- elle à une évolution anodine des techniques traditionnelles ? Il ya de quoi prendre un recul par rapport à ce discours lié à un contexte particulier d’un scientifique ayant sa conception de la science. En effet, la biotechnologie telle que nous la connaissons aujourd’hui est loin d’être une continuité logique des méthodes traditionnelles. Pour comprendre cette rupture radicale, il nous faut comprendre avant tout ce qu’il faut entendre par méthodes traditionnelles de sélections naturelles.

I.1.2. Ce qu’il faut entendre par sélection naturelle

Avant la biotechnologie moderne, des pratiques traditionnelles de reproduction des plantes, des semences et des animaux existaient et c’est pourquoi «  l’industrie de la biotechnologie se plaît à affirmer qu’elle ne fait que moderniser d’anciennes pratiques traditionnelles comme la sélection et la reproduction des semences, des plantes et des animaux »1. Mais une relecture de l’évolution naturelle des pratiques traditionnelles agricoles met en lumière la rupture totale avec la biotechnologie moderne.

L’ordre naturel dans l’univers est caractérisé par une diversité fluide et un équilibre dynamique. En effet, les organismes ne sont pas précis car loin d’être immuables, éternels et immobiles. Par conséquent, il est difficile de les définir à l’aide d’une liste arrêtée de leurs composantes. Il ressort que l’on peut se rendre compte que même si un élément se retrouve dans des organismes différents, il peut avoir dans chacun de ces organismes une fonction différente selon l’organisme et également son environnement de vie qui évolue. Ainsi, il y a des échanges génétiques naturels, des flux de gènes de même que des transformations provoquées par des facteurs exogènes ou endogènes se produisent continuellement. De ce point de vue, les organismes évoluent et se transforment perpétuellement de sorte à ce qu’ils s’adaptent aux exigences de leur environnement changeant. Le biologiste Mae-Wan Ho, pour sa part, estime que la stabilité des organismes et des espèces est tributaire de toute une gamme d’interrelation et d’interaction à partir du milieu socio-écologique jusqu’au matériel génétique. C’est à ce titre qu’il affirme que « les gènes et les génomes doivent eux aussi réagir et s’adapter, ou même se transformer, de façon à préserver la stabilité de l’ensemble »2. C’est au regard de ce contexte qu’on peut parler d’un processus naturel de sélection parce que les organismes tentent de s’adapter de plusieurs façons plus ou moins efficaces.

Pour une bonne adaptation, les organismes doivent avoir la capacité de croisement ou de fécondation entre eux. C’est ainsi que la pollinisation libre existe dans le monde végétal par l’action des abeilles, des oiseaux, des insectes qui fertilisent les plantes ainsi que par l’action du vent également qui transporte les pollens.

Efficace ou pas, voire même imprécis qu’incertain, ce processus se présente comme une stratégie naturelle de survie à faible risque. L’importance de la diversité est qu’un croisement peut réussir facilement à une période et difficilement à une autre période selon que la période est humide ou sèche. Dans la sélection naturelle traditionnelle, il y a celle qu’on peut appeler « sélection humaine ». Dans l’histoire de l’humanité vint la période où les humains commencèrent à donner la primauté à certaines espèces végétales et animales. Les humains se mirent, après sédentarisation, à faire naturellement des choix. Dans les sociétés traditionnelles, on apprit à distinguer les espèces nuisibles ou mortelles. Ainsi, elles privilégièrent certaines variétés en fonction de leurs goûts et leurs propriétés de conservation. En d’autres termes, elles apprirent à assurer leur subsistance dans des situations climatiques changeantes. Les peuples des sociétés traditionnelles évitaient le risque de cultiver typiquement des espèces adaptées à une seule condition climatique. La préservation de la diversité des espèces était donc nécessaire, mais tout en laissant place à l’adaptation et à l’évolution naturelle. Ils savaient sélection les bonnes graines pour la prochaine saison.

La multiplication végétative est une forme de sélection naturelle. Par exemple les modes de reproduction des plantes à stolons, à bulbes et surtout à tubercules ont intéressé les hommes qui connaissaient la reproduction par pollinisation ainsi que l’autofécondation de certaines fleurs, alors que d’autres fécondations font intervenir les oiseaux, les abeilles et les insectes. C’est l’un des points qui justifie l’interdépendance entre les espèces. Donc, la conscience de l’interdépendance existait dans les sociétés dites traditionnelles. Les hommes avant l’avènement de l’industrie s’aperçurent qu’on pouvait séparer par exemple les bulbes de certaines espèces, l’ail par exemple, ou encore qu’on pouvait diviser le fruit déjà mûr et en replanter les morceaux pour obtenir un nouveau plant sans fécondation : c’est le cas par exemple de la pomme de terre. Ces différentes formes de reproduction sont appelées la multiplication végétative. Ce sont des formes de reproduction qui produisent évidemment des clones qui diffèrent cependant des clones de la biotechnologie.

Dans le même contexte de sélection naturelle, l’hybridation est un processus d’évolution fondé sur la sélection et l’adaptation naturelles jointes à la sélection humaine. L’hybridation peut donc se produire spontanément ou peut être provoquée par une intervention anthropique. Il faut entendre par hybridation, le croisement de souches parentales présentant des différences marquées dans l’objectif d’obtenir des descendants dotés d’une vigueur hybride. Le meilleur exemple d’un croisement naturel est la mule qui est issue d’un croisement naturel entre le cheval et l’âne en dépit de la stérilité de la mule. Il faut préciser que tous les hybrides ne sont pas stériles, mais leur vigueur, très souvent, n’apparait qu’à la première génération.

L’intérêt est que ces croisements militent en faveur de la diversité naturellement. On peut dire que les agriculteurs y font recours depuis des années afin de modifier les caractéristiques de leurs cultures et de leurs animaux. On parle justement de domestication dans le cas des animaux pour faire allusion au processus d’adaptation et d’hybridation. Les agriculteurs, les éleveurs, les jardiniers et les fermiers sélectionnaient, adaptaient et modifiaient considérablement leur milieu naturel de vie. Cependant, la diversité qui en résultait n’avait rien à voir avec la modification et l’amélioration au sens de la biotechnologie aujourd’hui. L’idée de reproduction n’était pas motivée par l’idée de la commercialisation des semences sur le marché international. L’objectif recherché était les bonnes semences fiables afin d’assurer la subsistance de la famille ainsi que ceux qui seront dans le besoin autours. Entre agriculteurs, les semences faisaient l’objet d’échanges et d’expériences libres. En plus, comme le précise Brewster Kneen, « toute la communauté avait avantage à profiter des semences les mieux adaptées à son environnement changeant. En fait, ces pratiques perpétuaient la même stratégie à faible risque axée sur l’autosuffisance »3. La reproduction et la sélection naturelle est totalement différente en objectif et en procédure de la biotechnologie moderne essentiellement instrumentaliste et utilitariste. Elle pousse hors des frontières du naturel. Il y a donc une rupture radicale entre sélection naturelle et biotechnologie moderne. La biotechnologie vise la pure artificialisation, la commercialisation et le profit économique. En matière de biotechnologie, les pratiques ne sont pas une nouvelle expression des traditions séculaires. Il y a une rupture fondamentale entre l’application moderne de la biotechnologie et les méthodes traditionnelles. Qu’en est-il exactement ?

I.1.3. Genèse de la biotechnologie et multiplication végétale artificielle à but commercial

Il faut comprendre la genèse de la biotechnologie pour pouvoir appréhender sa démarche et ses ambitions originelles et actuelles.

C’est à partir du XIXème siècle avec l’affluence des puissances occidentales que s’ouvre la voie à un changement radical. L’impérialisme idéologique européen du siècle des lumières va opérer des changements dans les pratiques traditionnelles. Les pratiques ancestrales vont subir de profondes transformations. Les systèmes de pensée, d’éducation et de transformation des puissances occidentales seront reproduits dans les colonies. L’assimilation culturelle des étudiants était facilitée par les études qu’ils faisaient en occident avant de retourner dans leur pays d’origine à titre d’administrateur ou d’enseignants. De nos jours encore les institutions d’enseignement supérieur en agriculture surtout sont le reflet de ce modèle.

L’industrialisation, la modernisation de l’agriculture ainsi que le capitalisme ont fortement touché les plantations et l’agriculture coloniales. Cela contribua au déclenchement du processus historique de reproduction commerciale. A vil prix, les colonies fournissaient aux nations mères les aliments de base et les denrées exotiques. On assistera alors au délaissement délibéré des cultures vivrières locales d’une part, et d’autre part à l’expulsion dans certains pays des agriculteurs des terres fertiles au dépend de la monopolisation des cultures destinées à l’exportation dans les pays industrialisés. Cette restructuration économique profonde va en même temps s’accompagner d’une idéologisation du progrès et de l’amélioration.

C’est une idéologie qui aura des répercussions sur les pratiques agricoles. L’établissement de cette culture et idéologie a caractère individualiste et réductionniste de la vie, fondées sur l’obsession du contrôle et de l’asservissement à l’accumulation égoïste de capital comme mesure du progrès, du succès et de la prospérité contribua à baliser le terrain pour l’émergence de la biotechnique. Le danger est que ce processus se perçoit comme une simple modification du processus naturel.

La biotechnologie a obligé les paysans et agriculteurs à chercher à se procurer de nouvelles semences chaque année. Conséquence, on assiste à l’abandon des pratiques ancestrales de conservation de meilleures semences de culture. Il s’agit là d’une invention délibérée de la dépendance, d’ailleurs caractéristique de la biotechnologie, émanant de la culture basée sur le progrès, l’amélioration et la commercialisation. Cela se perçoit dans le discours du président de Cargill Asie Pacifique Daniel Hubert lors du forum de la banque mondiale sur la Chine qui était sous développée à l’époque. Son propos est le suivant : «  Nous nous considérons partenaires de la Chine et de la Banque Mondiale […] Nous ne devrions pas nous demander s’il est possible de nourrir la population chinoise, mais plutôt comment nous pouvons aider la Chine à répondre à ses besoins alimentaires dans l’avenir […] La Chine devra faire un choix : entretenir ses idées désuètes d’autosuffisance alimentaire, ou accélérer son intégration au système alimentaire mondial. La seconde option suppose une augmentation de ces importations d’aliments de base comme les céréales, les protéines et les huiles comestibles, et un accroissement de ses exportations de produits de haute valeur dont la production demande une main-d’œuvre abondante, tels les protéines animales, les fruits, les légumes et les poissons. […] La Chine ferait un choix judicieux en s’ouvrant résolument au système alimentaire global lié aux marchés mondiaux et fondé sur son propre avantage agricole comparatif  »4.

Ce discours sur la Chine, pays sous développé à l’époque, montre la nature commerciale de la biotechnologie ainsi que la nature des politiques de partenariat Nord-Sud. On peut dire bravo à la Chine car elle a déjoué les plans de l’occident et se développer à partir de sa culture et politique endogènes. C’est ainsi qu’aujourd’hui la Chine n’est plus à l’école de l’occident. L’Afrique Sub-saharienne doit prendre l’exemple sur la Chine en prenant la responsabilité des initiatives du développement à partir des stratégies endogènes.

C’est avec la biotechnologie que l’on commença à s’intéresser aux techniques de multiplication végétative artificielle. La biotechnologie est une intervention forcée qui vise la quantité dont la qualité reste douteuse et incertaine. Elle est une culture de méristèmes qui ouvre la voie d’une part à la monoculture, et d’autre part et surtout, à l’expansion de la biotechnologie elle-même. La production de clones à partir de partielles de tissus est ce qui rend possible la manipulation et l’expérimentation génétique. La manipulation et l’expérimentation sont le fondement ou encore l’essence de la biotechnologie. Ces deux pratiques entrainent une uniformité des animaux et des plantes dérivant d’une uniformité inexistante dans la nature. Or, l’expérience nous montre que la nature a horreur de l’uniformité puisqu’elle est par essence diversité. Cela est évidemment matière à réflexion car nous avons affaire à un faux progrès en réalité. Nous sommes de ce fait plongés au cœur d’une vulnérabilité généralisée à haut risque car, les plants génétiquement uniformes arrivent à maturité au même moment. Cela expose au danger des invasions acridiennes et des organismes pathogènes. C’est donc une forme de germe de catastrophes latentes ou en perspective pour l’agriculteur actuel mais surtout pour le paysan des générations futures. C’est logiquement que les biotechnologues composent avec les fabricants d’agrotoxines afin d’offrir des produits indissociables destinés à permettre aux plants de s’autodéfendre. Les plants sont donc aussi vulnérables que l’agriculteur. Les détenteurs de la technologie d’agrotoxines imposent aussi leur prix.

Le caractère purement commercial de la biotechnologie se perçoit au niveau de la question de propriété intellectuelle. Autrement dit, les droits de propriété intellectuelle qui couvent les brevets, la protection des obtentions végétales, les droits des sélectionneurs et les secrets commerciaux sont hautement surveillés. Ce sont des droits fondés sur l’uniformité des semences utilisées pour la reproduction à des fins commerciaux. Les brevets ne sont pas à la portée de n’importe quel pays, et en plus, on garde secret les nouveaux procédés. Les droits de propriété intellectuelle des phytogénéticiens (sélectionneurs) sont protégés comme ceux des droits d’auteur car cela permet de garantir les profits aux actionnaires, d’où la nécessité de faire breveter la technologie. On ferme ainsi la porte à la domestication de la technologie en Afrique. Cela va consolider vers la fin du XXème siècle au brevetage de nouvelles formes de vie qui constitue l’expression d’une culture basée sur la domination et l’aliénation des pauvres, sur le contrôle de la nature aussi bien que sur l’idéologie de la génétique et du déterminisme technoscientifique. Dès lors, l’aliénation des pays Africains est un choix technologique sur fond de brevetage. Les semences proposées aux pays en voie de développement sont contrôlées. Par conséquent, le système alimentaire mondial est contrôlé et se retrouve dans les mains des multinationales desquelles dépendront les populations à venir si rien n’est fait pour contrecarrer ce système. Le brevetage retourne la technologie contre son objectif originel qui est l’autosuffisance alimentaire. Il est patent que la biotechnologie est le développement d’un mythe de l’autosuffisance alimentaire. Gare à l’Afrique si elle perd le contrôle des pratiques traditionnelles de sélection naturelle ainsi que les semences. Ce serait là une véritable catastrophe humanitaire et une violation des droits de l’Homme.

Peut-on de ce fait parler de progrès ? En vérité, il s’agit plutôt d’une régression moralement et humainement. Il y a de quoi remettre en cause l’idée que l’homme est un être doué de conscience morale si les choses ne changent pas, si la perversité de la morale et de la politique se perpétue comme logique de l’histoire de l’humanité.

I.2. La biotechnologie comme consolidation de la morale, de la solidarités pervertie et de l’aliénation de l’Afrique

Les partisans de la biotechnologie font un chantage moral sur la solidarité. La biotechnologie est supposée résoudre les problèmes de la misère, de la pauvreté et de l’environnement. En 1997, le sous-secrétaire au Département Américain de l’Agriculture Richard Rominger affirmait que :  «  la biotechnologie est notre plus grand espoir Elle augmente les récoltes de façon spectaculaire, réduit les besoins en eau et en pesticides, donne des aliments plus nutritifs. La pression exercée sur les sols et les forêts vulnérables s’en trouve ainsi diminuée […] La biotechnologie alimentaire fait déjà sentir sa présence. Elle répond à la demande du consommateur qui veut des aliments de qualité et savoureux, produits de façon écologique »5.

La biotechnologie est présentée comme ayant une responsabilité sociale, et donc « toujours comme un destin »6. En vérité, la biotechnologie est attentatoire à la vie. Loin d’être une responsabilité sociale inspirée par l’altruisme, la biotechnologie est une entreprise motivée par la volonté personnelle de contrôler. C’est plutôt une responsabilité personnelle et non sociale. Elle découle de l’attitude d’aliénation et de possession qui laisse croire qu’il est possible raisonnablement, et moralement acceptable, de revendiquer la propriété du vivant. C’est là où se situe le mérite de notre réflexion sur la perversité de la biotechnologie, ce comportement monstrueux socialement et moralement. La vie est réifiée, devenant ainsi brevetable, définissable et bonifiable. C’est ce que Ivan Illich appelle « la tendance à fétichiser la vie »7. C’est une conception de la vie qui est loin d’être universelle et historique. Elle est propre à la culture consumériste de l’occident. Le pouvoir impressionnant et inquiétant des institutions modernes de l’occident réside dans leur capacité de création et de nomination des réalités sociales dont ont besoin les experts de ces mêmes institutions comme matière à gérer et à monopoliser. C’est ainsi que Monsanto s’arroge le droit de s’occuper de la bonne santé et de la bonne alimentation d’un monde en pleine expansion. Ce droit dont s’arroge la multinationale Monsanto illustre le pouvoir inquiétant des institutions modernes et le besoin qu’épreuvent ces institutions de nommer la réalité sociale. La perversité de la morale et de la solidarité est que ce sont les institutions biotechnologiques modernes qui inventent les besoins et imposent aux autres afin d’ériger leurs empires. Essentiellement, la construction sociale de la biotechnologie est idéologique : donner des espoirs de salut et de prospérité que le génie social et la politique ont abandonnés.

En d’autres termes, le fondement idéologique de la biotechnologie est que le génie génétique prend la responsabilité sociale du salut que le génie social et politique n’ont pas pu ou ne pourront pas réaliser. Sous le couvert du principe de la bienfaisance et de la solidarité, Monsanto par exemple a pour slogan « Nutrition-santé-Avenir ». Slogan qui allèche lorsqu’on le considère sans mûrement. La vie est présentée comme une chose déficiente qu’il faut soumettre et exploiter afin d’en disposer par l’intervention de l’homme. C’est une intervention qui permet de réorganiser la vie en donnant une valeur ajoutée. Du point de vue des biotechnologues, ces interventions ne sont pas violentes puisque les objets en cause sont réifiables, c’est-à-dire considéré comme sans vie. Ces objets ne sont pas perçus comme vivants. Le rôle que s’est donné la biotechnologie est de produire des produits miracles qui bonifieront la qualité de la vie, qui contrôleront, voire même, qui élimineront les obstacles majeurs à la santé, à la nutrition qualitative et à la félicité. Dans un contexte de désenchantement généralisé du monde, les biotechnologues se donnent pour mission bienveillante de nourrir les affamés, de soigner les malades et d’apporter l’espoir et la joie de vivre aux malheureux. L’humanité n’a pas confié ce rôle aux multinationales. C’est au contraire les multinationales de la biotechnologie qui se sont elles-mêmes donné ce rôle afin de s’enrichir. Ainsi, au lieu de lutter contre le désenchantement, les biotechnologues ne font que le maintenir.

Pour convaincre plus, les biotechnologues misent sur la publicité pour vilipender les discours de leurs détracteurs, qui sont cyniques selon eux. Alors que ce sont plutôt les biotechnologues sont cyniques, ces derniers usent de la publicité pour que le public considère ceux qui les dénoncent de cyniques. Les oppositions qui poussent le public à placer la biotechnologie dans une catégorie tragédique et à haut risque sont les conséquences d’une désinformation sur la moralité et les bienfaits de la biotechnologie selon les biotechnologues. L’approche des biotechnologues face aux critiques consiste à informer le public davantage en engageant un dialogue constructif permanent. L’objectif de l’approche publicitaire des biotechnologues ne consiste plus typiquement à riposter aux critiques obscurantistes des anti-biotechnologies, mais d’offrir au public cible ou aux consommateurs les informations factuelles et détaillées sur les questions qui les préoccupent, et ainsi affûter leur goût pour ce qu’offre la biotechnologie. La publicité participe donc implicitement au projet de domination des biotechnologues. C’est par ces publicités que nous constatons que l’éthique du bien et la conscience morale ne font pas partie des comportements du biotechnologue. La force de la publicité a poussé certains pays africains à mordre à l’hameçon des multinationales biotechnologiques. Non seulement la biotechnologie tue la culture, mais surtout supprime le savoir endogène et l’autosuffisance alimentaire et technoscientifique. L’esclavage physique étant aboli, les biotechnologues créent la une des nouvelles formes de dépendance des africains en monopolisant les semences soit disant améliorées. La biotechnologie est une méthode insidieuse d’asservissement par le brevetage des inventions et l’ingénierie génétique que les multinationales érigent leurs empires en exerçant leur contrôle. Le pire réside dans le silence de l’opinion publique face à l’immoralité de la biotechnologie.

I.2.1. Le crime consentant de l’opinion publique

Le pire n’est pas seulement dans l’immoralité de la biotechnologie, mais plus dans le silence consentant de l’opinion publique. La biotechnologie fait des dégâts, et l’opinion publique regarde. La communauté internationale dénoncent et condamne certains actes humains de crime de guerre, d’attentatoire à la dignité humaine, de crime contre l’humanité. Mais jamais la communauté internationale ne dénonce et condamne les dérives de la biotechnologie qui sont pourtant une forme de crime contre l’humanité. Sous le regard, certainement adhérant, de la communauté internationale, les biotechnologues travaillent avec intensité à nous faire la morale : seule la biotechnologie nous permettra de remplir le devoir de préservation de l’environnement d’une manière écologiquement acceptable. L’obligation de nourrir le monde tout en préservant l’environnement est général certes, mais il faut dire que l’appel lancé est individuel et propre à la culture occidentale essentiellement individualiste. On ne fait aucune mention de l’immoralité de l’impératif moral de nourrir le monde.

Pour comprendre la perversité de l’impératif moral de la biotechnologie en rapport avec le crime consentant de l’opinion publique, il faut se poser les questions suivantes : Les populations de la terre ne pouvaient-t-elles pas se nourrir par eux-mêmes ? Et s’il n’y avait pas de productions de denrées de luxe d’origine biotechnologique pour les habitants de la terre ? Justement, l’impératif moral ne fait aucune mention du fait que tous les peuples de la terre pourraient se nourrir eux-mêmes tout en préservant l’environnement. Ainsi dit, les populations de la terre peuvent se nourrir de façon écologiquement acceptable sans la production de denrées de luxe d’origine biotechnologique pour elles. A l’époque actuelle, on a l’impression que la plupart des pays du Sud se croient incapables de s’autonourrir. Frappés par le syndrome hollandais, les pays africains cèdent au chantage moral des biotechnologues.

Visiblement, et cela jusqu’à preuve du contraire, la gangrène de l’Afrique n’est rien d’autre que ses propres dirigeants. Brewster Kneen nous donne un exemple concret sur la manipulation et la complicité des dirigeants africains. La multinationale Monsanto a demandé à certains dirigeants africains en Mai 1998 de signer une déclaration contre la non vulgarisation de la biotechnologie. C’est une déclaration qui enjoigne les pays européens de cesser d’atermoyer ou de retarder de façon égoïste l’acceptation des cultures génétiquement modifiées. Cette déclaration est en fait une lettre envoyée à certains dirigeants africains par la firme américaine Global Business Access Ltd. La lettre envoyée aux dirigeants triés sur le volet invitait ces derniers en tant que dirigeants de pays en voie de développement à endosser le document de la multinationale Monsanto intitulé « Let the Harvest Begin » que Monsanto devrait diffuser en Europe courant l’été de 1998. La lettre disait ceci : « nous partageons tous la même planète et nous avons tous les mêmes besoins. En agriculture, plusieurs de nos besoins trouvent des alliées dans la biotechnologie et les innovations qu’elle nous promet pour l’avenir. Des aliments plus sains, en plus grande quantité. Des cultures moins dispendieuses. Une moins grande dépendance envers les pesticides et les combustibles fossiles. Un environnement plus sain. Grâce à ces progrès, nous prospérons ; sans eux, nous ne pouvons nous épanouir. A l’approche d’un nouveau millénaire, nous rêvons d’un lendemain où la faim aura disparu.

Pour réaliser ce rêve, nous devons accueillir la science qui nous promet l’espoir. Bien sûr, nous devons mettre les inventions technologiques à l’épreuve et nous assurer de leur sécurité, mais nous ne devons pas les retarder indûment. La biotechnologie est l’un des outils de demain mis à notre disposition dès aujourd’hui. Retarder son acceptation est un luxe que le monde en proie à la faim ne peut pas se permettre »8.

Cet exemple montre que les multinationales passent par la manipulation des opinions, l’achat des consciences. Ce document n’a pu faire l’objet de publication en été 1998 en Europe. Comment peut-on comprendre une telle manipulation de dirigeants africains. La complicité des dirigeants et le silence de la communauté internationale font que l’industrie de la biotechnologie ne se gêne pas pour faire passer des problèmes politiques pour des obligations morales personnelles auxquelles nous ne pouvons satisfaire en tant qu’individus. De ce fait, les grandes firmes se présentent comme des entités probes qui vont s’acquitter pour nous de nos devoirs moraux, à condition que nous leur donnions l’autorisation à le faire. Du point de vu des biotechnologues, il est irresponsable de faire obstacle au progrès et à l’élimination de la faim dans le monde au moyen de la biotechnologie. De la même façon que la science s’est approprié les ressources naturelles, et conduire à la crise environnementale par l’industrialisation massive, on assiste à une appropriation des ressources génétiques ou du patrimoine génétique de la planète par la biotechnologie. Cette appropriation crée de ressources génétiques ou du patrimoine génétique de la planète par la biotechnologie. Cette appropriation crée de nouvelles formes de géopolitique et une nouvelle forme de famine. La nouvelle géopolitique est repliée sur la bio-puissance. Quant à la nouvelle forme de famine, elle réside dans le refus des lobbies de fabriquer des semences, des intrants pour les paysans qui ont déjà abandonné les pratiques traditionnelles. Pour les pays africains, la catastrophe alimentaire reste à venir. Si toute fois les firmes se tournent vers d’autres profits que les modifications génétiques, il n’y aura plus de semence : c’est ce que nous appelons ici la famine sur commande.

Antérieurement, les enjeux de pouvoir étaient liés aux conquêtes de territoires et de leurs richesses, au contrôle des énergies fossiles, des procédés industriels, chimiques et informationnels. Mais aujourd’hui, les enjeux de pouvoir tiennent de plus en plus à la maîtrise des sources de vie et de leurs recombinaisons génético-informatiques instaurant ainsi un nouveau mode de production biologique qui impose son idéologie propre par la faveur du silence de l’opinion publique. Ce sont des questions qui nous concernent tous puisqu’il s’agit de notre environnement, de notre alimentation, de nos relations aux autres, à la pensée, à notre vie comme individus et comme espèce qui en sont les objets désormais. Il n’est pas exagéré de dire que les biotechnologues sont conscients de leurs effets et efforts pervers. L’assimilation de toute technologie à l’inévitable et mythique progrès, l’habile mystification des perspectives de bien-être et de longue vie ont du succès grâce à l’habillage rassurant des instances publiques. Cet habillage rassurant des instances publiques permet aux scientifiques de taire leurs effets et risques pervers, contribuant du même coup à notre enlisement collectif. La techno-économique s’étant au vivant. Karl Marx illustre cela dans son essai de 1847 lorsqu’il dit que « vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d’échange, de trafic et pouvait s’aliéner. C’est le temps où les choses mêmes qui jusqu’alors étaient communiquées mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises mais jamais achetées – vertu, amour, opinion, science, conscience, etc. –, où tout enfin passa dans le commerce  »9. Karl Marx semble avoir eu la prémonition de l’empire de la nouvelle techno-économique sur le vivant puisqu’il avait été très attentif aux évolutions des sociétés occidentales et avait cerné certains problèmes découlant d’une appréhension purement économique de l’homme et de la vie. L’obligation contemporaine de vouloir à tout prix ce que le néolibéralisme érige en paradigme social conduit inéluctablement à une nouvelle forme d’aliénation individuelle et collective, que la biotechnologie est entrain de réussir d’ailleurs. Dans le cas de la monétisation du vivant, la félicité n’arrive jamais. Cette situation donne sens à ce que l’on peut appeler « la démonétisation du progrès »10. Nous ne pouvons pas continuer à modifier et consommer le vivant sans payer le prix un jour ou l’autre de notre existence. La catastrophe en puissance pour les générations futures est inévitable. Les arguments des biotechnologues transforment les spectres d’hier en faits divers, l’essentiel en accessoire et la sidération en banalisation.

Il ne s’agit pas d’une négation de l’intérêt de la connaissance scientifique et du génie génétique comme outil de recherche, de diagnostic et souvent de soins. Il s’agit pour nous d’admettre que les dispositifs de modification génétique et d’appropriation du vivant ont des risques profonds qu’ils ne le laissent entrevoir. Les conséquences sont aussi redoutables que le silence et la naïveté de l’opinion publique. Les conséquences de l’appropriation du vivant ont des risques pour les écosystèmes, les liens sociaux et les repères identitaires qui nous enracinent dans l’humanité. Les méfaits dépassent largement les bienfaits réels. Le sens, la finalité, et la pertinence de certaines applications diffusées du génie génétique méritent d’être remises en cause par l’opinion publique et la conscience sociale, sinon nous courrons le risque de nous faire dériver à perpétuité par une pensée scientifique pourtant coupée de la morale et de la conscience politique, pourtant incapable de penser sa propre ambivalence et sa propre aventure. Elle commande l’avenir et le devenir des sociétés sans songer à se commander elle-même, condamnant ainsi les peuples à une ignorance croissante des problèmes de leur destin. La persistance de ce phénomène résulte en grande partie du déficit d’une opinion publique résistante à prendre les problèmes très au sérieux. C’est là où se situe le crime de l’opinion publique. Combler l’incroyable déficit de réflexion collective, de débats sociaux sur les modifications du vivant devient donc un impératif. Ces réflexions et débats doivent s’étendre aux rapports technologie-science-économie-vivant afin d’éviter la concentration des outils de vie et de mort aux mains de quelques-uns, et de vivre dans un monde, comme le disait Edgar Morin, « où le développement de la connaissance instaure la résignation à l’ignorance et où le développement de la science est en même temps celui de l’inconscience »11. Le crime de l’opinion publique désigne également la neutralisation des critiques et des oppositions aux projets de remodelage génético-économique de l’alimentation et du monde. Ces projets sont accompagnés d’arguments qui neutralisent les critiques. L’opinion publique doit résister afin d’amorcer la déconstruction idéologique et d’éviter que les puissantes firmes de biotechnologie continuent à jouer aux incubes et aux succubes.

I.2.2. De la résistance à l’instrument du destin

On laisse croire, fuite–en–avantistes surtout, que l’humanité ne peut se passer des projets des sciences et technologies. Par conséquent, toutes les sociétés doivent épouser les modes de production et d’organisation de la technoscience. Les ambitions de modernisations africaines ne peuvent éviter d’être des programmes du modèle occidental. Si l’on considère la modernisation comme un ancrage de la science dans les réalités particulières des sociétés, alors la résistance à un modèle totalitaire est possible. Albert Memmi dans ce sens disait : « c’est qu’il impossible que la situation coloniale perdure, parce qu’il est impossible qu’elle soit aménagée »12. Le caractère nuisible du modèle occidental légitime la résistance. Les résistances africaines pour la libération nationale peuvent servir d’exemple. L’occupation coloniale était militaire. Il faut prendre conscience, que l’occupation totalitaire de la biotechnologie dépasse le contexte militaire.

La biotechnologie déploie des efforts pour imposer une économie dirigée. Si toute fois quelques multinationales arrivent à contrôler toutes les semences de toutes les principales cultures commerciales du monde, si toute fois elles arrivent à contrôler tout le patrimoine génétique des principales lignées d’animaux d’élevage ainsi que le matériel génétique des espèces végétales, on assistera à un véritable totalitarisme scientifique pire que l’occupation coloniale d’un territoire et à la disparition des systèmes locaux de production. Les terres cultivables en Afrique vont se retrouver sous la domination d’une poignée de multinationales agro-alimentaires. De même, les marchés seront saturés de produits alimentaires transgéniques des envahisseurs. Ces contrôles et occupations profitent à qui ? C’est à partir de cette question que la résistance prend tout son sens. C’est aux multinationales que la situation profite c’est pourquoi, par exemple et jusqu’à preuve de contraire, elles refusent toute proposition d’étiquetage. Le non étiquetage des produits alimentaires transgéniques évite que les populations ou consommateurs ne puissent identifier les envahisseurs cyniques que sont les multinationales. Dans ce cas, la population ne peut ni éviter ni rejeter les produits transgéniques. De façon invariable, l’idéologie de la modification génétique sert les intérêts et la soif des biotechnologues de contrôler et d’asservir. Ceux qui, au nom des objectifs de la manipulation génétique, pensent que les partisans de l’éthique de la durabilité sociale perdent leur temps n’ont pas encore cerné ces aspects qu’on vient d’évoquer.

Contre les bornés par les objectifs de la biotechnologie, contre les défenseurs paranoïaques des transformations génétiques, nous n’allons pas nous laisser convaincre que la finalité des modifications génétiques des semences, des animaux, des végétaux et de l’occupation des terres consiste à nourrir l’humanité et à protéger l’environnement. Il est temps de réagir et d’organiser la résistance. La répugnance des biotechnologues à toute résistance, fût-ce dans l’intérêt même de leur statut de scientifiques n’est guère faite pour réaliser un objectif noble. A l’instar de la colonisation militaire, les biotechnologues ont pour manœuvre d’exploiter les ressources des sols africains et des populations au profit des grandes puissances. L’absence de résistance ne fera que les requinquer. La nouveauté de la colonisation est qu’elle n’est plus l’œuvre directe des Etats puissant mais des multinationales. Ceux qui sont pour la biotechnologie ignorent-ils donc cette nouvelle colonisation ? Alors que les Etats colonisateurs nous donnent l’impression de respecter notre souveraineté, les nouvelles puissances industrielles nous colonisent sous leur regard. Au nom de l’altruisme, du progrès, les nouvelles puissances à vocation colonisatrice tentent de nous faire croire que la seule voie possible est le projet de la biotechnologie. De ce point de vue, les nouvelles puissances deviennent les seuls instruments du destin. Les défenseurs africains de la biotechnologie sont pris dans le piège que les biotechnologues déploient des efforts dans l’intérêt des pays pauvres sans que ces derniers ne leur demande. L’industrialisation massive a engendré le déséquilibre climatique dont on a du mal à trouver la solution fiable. La biotechnologie est entrain de récidiver les mêmes erreurs. L’histoire se répètera-t-elle avec les cultures transgéniques, dont les impacts sont peut-être plus subtils et à plus long terme encore ? Que faisons nous de la conscience que la nature est limitée ?

Les nouvelles puissances colonisatrices veulent nous faire croire qu’elles peuvent prolonger et améliorer la vie. Ainsi, elles contrôlent non seulement les territoires mais aussi les frontières de la vie et de la mort. Comment la vie qui a toujours été un mystère pour la science pourrait-elle être contrôlée aujourd’hui ? C’est un chantage car on ne peut pas contrôler la vie elle-même ? « Le génie génétique prône la reconstruction de la vie en vue de « l’améliorer » ; or, on ne peut reconstruire, transformer et livrer que des données qui forment la vie, et non pas la vie elle-même »13. Les puissances productrices d’aliments transgéniques enlèvent la vie, mais ne la donnent pas. Ainsi dit, elles ne protègent pas la vie de façon digne, c’est-à-dire telle qu’elle est. Dans les sociétés traditionnelles par exemple, la complexité et la diversité du vivant étaient reconnues et respectées d’où la préservation de cette complexité. La solidarité et le partage étaient des réalités sociales engendrées par les semences, les terres, les plantes, l’eau, les animaux. Avec l’avènement des multinationales, c’est plutôt le contraire. On assiste à la réduction, voire même à l’éradication de la diversité au profit d’une élite restreinte de gène de semences et même de personnes. Le modèle de protection de la vie des biotechnologues repose sur le monopole et l’exploitation égoïste de la propriété privée. Sacro-sainte aux yeux des biotechnologues, la propriété privée est importante pour la prospérité des sociétés, donc il faut la protéger. Mais la réalité est qu’il s’agit d’une guerre contre la vie en se servant des gènes, des semences, du patrimoine génétique et des embryons brevetés.

L’opposition à la biotechnologie pour nous montre que tous ne sont pas d’accord avec l’idée que la science occidentale en générale, et en particulier la biotechnologie, sont les seules à détenir la vérité, ou encore la manière juste de concevoir et de connaître le monde. La vision, les idées, les convictions et les pratiques du monde occidental ne sont pas des impératifs rationnels ou moraux universels auxquels tous doivent se conformer. Faut-il alors rejeter toute la biotechnologie ? Il existe peut-être des bribes de la biotechnologie que l’on pourrait trouver acceptables du point de vue social et morale, mais ne serait-il pas une erreur de prendre les morceaux qui nous plaisent et laisser les autres ? Pris dans son ensemble, le projet de la biotechnologie moderne est pervers de par ses composantes, ses méthodes et sont obsession pour l’agonie où la mort définit la vie. En clair, « la biotechnologie n’est pas la science de la vie mais une technologie fondée sur l’intervention violente, la domination et la mort. C’est l’expression d’une société plus encline à tenter de conjurer la mort – ou au contraire à la provoque – que fascinée par le miracle de la vie »14.

Au-delà des grosses sommes que les multinationales dépensent pour éliminer toute résistance à leurs projets d’une part, et d’autre part pour éliminer toute réticence de tout horizon à l’égard des nouvelles technologies axées sur l’asservissement et les profits. La responsabilité civile et le courage civique doivent être le moteur de la résistance afin d’espérer l’épanouissement autoréférentiel des populations. Le réflexe universel doit être la recherche d’un terrain d’entente et la volonté d’éviter le pire aux générations futures par un dépassement de la vision manichéenne des enjeux des biotechnologues. La société civile qui cherche encore ses marques de résistance doit éveiller la population face aux effets nuisibles des produits transgéniques, et pourquoi ne pas exiger l’étiquetage. Il faut se rassurer que ces industries ont peur des résistances et des réactions du public, sinon elles n’allaient pas les considérer comme un agent pathogène, un détracteur nuisible à la pratique de la biotechnologie. Les fortes sommes investies dans la publicité sont également les symptômes de cette peur, de ce besoin éprouvé par les multinationales de se protéger contre les résistances de la population. Les intellectuels et chercheurs doivent intégrer la société civile dans la lutte. Les industries biotechnologiques ont une structure centralisée et autoritaire, contrairement à la résistance à la biotechnologie qui s’organise à l’échelle mondial est pitoyablement décentralisée, spontanée et sporadique.

La résistance face a la montée de la technologie n’a pas commencée avec la biotechnologie. On se souvient encore des cultes contre le nucléaire. Bien que considéré comme un moyen de dissuasion, le nucléaire avec la scission de l’atome a été combattu sur le plan de ses dangers. La radio activité nucléaire a l’avantage d’avoir une vie à moitié, en ce sens qu’elle devient de moins en moins dangereux au fur et à mesure que le temps passe. A l’opposé, le génie génétique qui correspond à la scission du gène, possède une vie diversifiée et il ne peut plus être rappelé à l’état naturel une fois modifié. Le gène, une fois modifié est irréversible. Cela est certainement préjudiciable à l’environnement et à la santé humaine. Malheureusement, les appareils politiques de certains pays africains ou sous-développés jouent le jeu des grandes firmes. Au lieu de consolider les politiques consistant à permettre aux agriculteurs d’éviter les semences génétiquement modifiées et tout ce qui y est associé par la sélection et la préservation de leurs propres semences et leurs échanges avec d’autres, ces appareils étatiques imposent plutôt les semences améliorées ou modifiées sous prétexte que les sols sont ingrats sous l’effet de l’épuisement et la croissance démographique. La gent politique des pays africains aspirant à l’émergence se soumet servilement aux exigences du marché contrôlé par les géants de l’industrie. De la même façon que Juda a livré Jésus, on peut dire que les dirigeants des pays sous-développés sont entrain de livrer leurs peuples. Quant aux cobayes de consommateurs pris en otage, ils doivent comprendre que le jeu démocratique leur permet également de faire un choix conscient. Ainsi aux choix inconscients (immoraux) de la gent politique, les consommateurs doivent opposer des choix conscients quant aux aliments qu’ils achètent et consomment. Planter des arbres naturels et élever les animaux non génétiquement modifiés ne servent à rien si les sols sont utilisés par des firmes pour expérimentation de semences.

Pour ceux qui désirent se nourrir de façon plus responsable et durable, la première étape la plus évidente, qui est également celle de la résistance, se situe au niveau de la prise de conscience. L’Inde se présente a ce titre comme un bon exemple. Pays de la non violence inspirée par Gandhi, l’Inde s’est montré propice à l’organisation et au développement de la résistance. L’Association des Agriculteurs de l’Etats du Karnataka a rejeté les cultures expérimentales de Monsanto vers la fin de novembre 1998. L’Association a décidé de réduire en cendre les cultures expérimentales de Monsanto. En plus, les journalistes ont obligé le ministre de l’agriculture du Karnataka à dévoiler les sites de cultures expérimentales de coton Bt. L’association a expliqué les fondements des actions de Monsanto qui y seraient menées. Pour amener les agriculteurs à cerner les biens fondés de la résistance, l’association a décidé de les dédommager de toute perte subie liée à l’abandon de la culture de coton Bt. Le 28 novembre 1998 précisément, les agriculteurs ont lancé une campagne dénommée opération « incinérons Monsanto ». C’est une opération qui a consisté à déraciner le premier plant de coton génétiquement modifié. Les autres agriculteurs de la région ont été invités à faire la même chose. Voici un bel exemple de la part de la société civile.

Cette résistance témoigne de la volonté de sauvegarder le naturel, mais aussi de s’auto-nourrir en respectant les vivants. Aussi radical cela puisse-t-il sembler, il s’agit d’une question de vie ou de mort. C’est en chacun de nous que la résistance doit s’amorcer par une prise de conscience, car quelque soit ce que la biotechnologie nous offre (la vie, la nourriture …), le prix social à payer est la mort à cours ou à long terme en plus des effets pléiotropiques.

II. Effets pléiotropiques, illusion et carriérisme scientifique

Les fondements de la résistance est que le génie génétique qui a été appliquée prématurément à la production alimentaire alors qu’il n’a pas dépassé le stade expérimental. Le génie génétique est essentiellement expérimental, c’est-à-dire que ce sont de nouvelles découvertes que l’on essaie. Dans ce cas, le contrôle des effets secondaires imprévisibles que nous avions nommés effets pléiotropiques devient difficile et parfois impossible. Certes, il est possible, à partir de l’analyse d’un gène, d’observer son comportement dans une éprouvette qui est un environnement limité et conditionné. Mais, il faut dire que cela ne permet pas d’appréhender le rôle et le fonctionnement du dit gène à l’intérieur de l’organisme où il a été prélevé, et moins on ne peut prévoir ses réactions advenant son introduction dans une espèce complètement différente. Comment peut-on garantir qu’un organisme génétiquement manipulé et destiné à l’alimentation ne produira pas d’effets pléiotropiques nuisibles et sans solution certaine ? La valeur nutritive des aliments ne subit-elle pas les impacts des modifications génétiques ? Que dire de la biodévastation ? Les biotechnologues ne se préoccupent pas de ces types de questions. Autrement dit, ils n’agissent pas sur les bases du principe de précaution. Or, une des attitudes éthique voudrait que ces questions trouvent réponse avant que le génie génétique ne sorte du laboratoire. Pour laisser ces questions cruciales en suspens, les industries biotechnologiques utilisent le secret encore appelé « confidentialité ou information exclusive ». Les campagnes de propagande de grande envergure permettent de faire taire les victimes de la rhétorique scientifique. La rhétorique existe en science. Par exemple, le choix de l’expression Organisme Génétiquement Modifié n’est pas fortuit. Puisque l’expression Organisme Génétiquement Manipulé peut révolter, alors « modifié » est utiliser pour éviter les réactions des populations, ou les manifestations d’hostilité sans équivoque. Il faut évidemment comprendre la structure de la science avant de cerner l’attitude des biotechnologue dont nous venons de faire cas.

Disons que dans le monde séculier du XXIème siècle, la science remplit en partie la fonction inspiratrice jouée par les mythes dans les sociétés en voie de développement. L’idéologie de la science reste solidement ancrée dans l’imagination, non seulement des scientifiques, mais aussi dans celle du public. La nature réelle de la science est mal comprise par la population. La fraude, la rhétorique, l’autocontrôle, la subjectivité, le carriérisme sont également des facteurs qui guident les scientifiques. De façon classique, la science est présentée comme un processus typiquement logique et l’attitude du scientifique à pour fondement l’objectivité à l’égard de son travail. En plus, les affirmations du scientifique sont vérifiées de façon rigoureuse. Ce système autocontrôlé donne l’impression au public que les erreurs et les fraudes sont inexorablement éliminées quelle que soit leur nature : c’est là une des illusions que le public se fait de la science. La structure logique de la science ne donne aucune information sur la mentalité, les motivations et comportements réels de ceux qui l’ont élaborée. Outre cela, ajoutons que lors de l’acquisition de connaissances nouvelles, les scientifiques ne sont pas guidés uniquement par l’objectivité. Les préjugés personnels les guident aussi. Ainsi, « Les scientifiques n’obéissent pas à la seule pensée rationnelle, et n’en détiennent pas le monopole. La science ne devrait pas alors être considérée comme la gardienne de la rationalité dans la société, mais simplement comme une forme majeure de son expression culturelle »15. La fraude, les motivations non-dites des scientifiques sont des témoignages éloquents sur la fiabilité de la science qui justifient en même temps les résistances. L’erreur du public, c’est de croire que les scientifiques sont différents des autres gens. Ils ne sont pas différents des autres gens car ils ne se défont pas des passions, des préjugés, des défauts … lorsqu’ils portent leurs blouses dans les laboratoires. De la même façon que les personnes d’autres professions sont habitées par des tendances qui les inclinent aux mensonges, c’est de la même façon que les scientifiques sont enclins aux truquages des résultats et aux mensonges. C’est ce qui fait que l’idéal originel est défiguré délibérément par le scientifique. Le truquage est une négation de la finalité fondamentale de tout chercheur.

L’entêtement des biotechnologues dans les expérimentations hâtives, prématurées s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler la pression du carriérisme. En effet, la science est devenue une carrière aujourd’hui. En d’autres termes, la science moderne est une carrière où il faut que le scientifique évolue en se faisant remarqué par les comités d’attribution des prix scientifiques. La science actuelle est donc soumise à la montée des pressions de types carriériste mais aussi à la pression des récompenses des progrès même apparents et non une réalisation originale. Les modifications tout azimut des gènes en génie génétique s’inscrivent dans les ambitions des scientifiques de poursuivre leurs recherches avec le prétexte du professionnalisme. C’est une manière de perpétuer leur source de profit généralement égoïste. La pression carriériste vise l’affirmation du scientifique et à l’hégémonie de l’empire des biotechnologues. En l’absence de résistance et de mesures de dissuasion à l’encontre de la liesse des scientifiques mystificateurs, la pression du carriérisme va pousser le scientifique à promouvoir sa carrière au détriment du bien-être des populations. L’océan de produits génétiquement manipulés aux effets secondaires imprévisibles peut encourager l’apparition et la dissimulation des méfaits connus à l’avance par le scientifique. A tout prendre, l’aventure biotechnologique moderne est le fruit véreux de la rationalité. C’est seulement ceux qui travaillent dans les laboratoires qui peuvent avoir accès aux données de base à partir desquelles on modifie les gènes. Les chercheurs externes au laboratoire ne peuvent pas voir ces données de base qui sont les seuls moyens qui permettent de déceler les informations dissimulées. Tout cela est révélateur du fonctionnement réel de l’activité scientifique. Certains refusent de montrer les données de base aux autres membres du laboratoire. L’ascension des carriéristes conduit visiblement au pouvoir d’élite, à la position hiérarchique très protégés en raison des avantages qu’ils peuvent apporter. Nous comprenons pourquoi en science, la stratification est de tout ordre.

Le caractère carriériste de la science moderne explique pourquoi la manipulation des gènes dans l’intérêt égoïste et personnel est un phénomène endémique dans la science moderne. Notons qu’ici, la science fait fi de l’universalisme, qui pourtant, renferme la déontologie de la science contemporaine. La communauté scientifique des biotechnologues s’est mise à l’abri de l’universalisme au profit du prestige et de la position hiérarchique car, elle est consciente que l’universalisme est la condition de possibilité nécessaire à l’évaluation efficace des idées nouvelles, des nouveaux produits et à leur incorporation dans la société. De façon délibérée, l’universalisme est limité en science par le contrôle des pairs et le système de referees. Tous n’ont pas accès aux données de base. « L’élitisme en science possède un fondement légitime mais ses abus permanent sont une insulte au principe de l’universalisme »16. L’universalisme peut désigner l’objectivité des données de base. Mais ici, il signifie le non accès à tous aux données de base comme élément promoteur de la carrière du scientifique et de vérification des propagandes autours des résultats. Le manque d’universalisme entraine l’illusion collective de crédulité au niveau de la masse. La tendance des scientifiques à entretenir l’illusion collective est patente lorsque la recherche porte sur des espèces non humaines. Le monde non humain sert donc de substrat aux fantasmes et aux projections des sciences. L’illusion selon laquelle la science serait un processus typiquement logique exerce une intimidation tyrannique sur la population en les condamnant à la résignation. Or, il est évident aujourd’hui que la structure logique décelable a posteriori, est souvent remise en cause avec le temps. Toute théorie scientifique quelle que soit sa confirmation, est perpétuellement à la merci d’une contradiction future. Ainsi, les théories de la science doivent être reçues de façon temporaire et avec réserve.

La vulnérabilité des théories scientifiques nous enjoint de nous méfier de la biotechnologie. Posons-nous la question : que deviendra l’humanité le jour où la biotechnologie sera à la merci d’une contradiction future ? Que deviendront les populations génétiquement alimentées le jour où les biotechnologues vont mettre fin à leur aventure pour chercher profit ailleurs ? Les articles scientifiques portent généralement sur la confirmation des théories scientifiques et non sur leur vulnérabilité future. De ce fait, l’univers littéraire des articles scientifiques est une chimère destinée à perpétuer l’idéologie et le mythe. Le calme qui règne en ce temps de vulgarisation de produits génétiquement manipulés ne va pas durer éternellement. C’est dans cette mouvance d’idée que pour Thomas Kuhn, l’activité scientifique n’est pas cette acquisition continue, et cumulative. La science est plutôt envisagée comme une succession d’intermèdes paisibles ponctués de violentes révolutions intellectuelles. L’histoire humaine est paradigmatique. Chaque génération de scientifique est guidée par des critères, des théories et des méthodes appelés paradigme par Kuhn. Le paradigme étant un plan d’exploration indiquant les problèmes à résoudre ou que nous serons appelés à faire face et à trouver solution, l’éthique de la durabilité se présente comme une phase pré paradigmatique en vue d’envisager la postparadigmatisation de notre avenir commun ou plan alimentaire et de la félicité.

La dualité est une caractéristique de la science. Les hommes en effets se sont orientés vers deux finalités à l’intérieur du cadre de la science. Nous avons d’une part la compréhension du monde, et d’autre part la reconnaissance des efforts du scientifique dans la connaissance du monde. C’est une dualité qui met en lumière les motivations des scientifiques, l’attitude de la communauté scientifique ainsi que le processus même de la science. Pour forcer l’approbation, le scientifique use de la propagande et de la rhétorique. Cela éloigne le scientifique de l’étude désintéressée de la nature en faisant de la recherche scientifique ou course olympique, une concurrence acharnée pour avoir la première place et le maximum de profit. Dans cette ambiance concurrentielle, le scientifique peut céder facilement à la tentation de prendre des raccourcis ou de trafiquer ses résultats. Dans une certaine mesure, la science est une entreprise fondamentalement pragmatique puisque la reproduction exacte d’une expérience n’est pas un élément standard du processus scientifique. Autrement dit, reproduire des expériences ne constitue pas le moteur de l’évolution scientifique. Ainsi dit, on comprend que pour se développer, il ne s’agit pas de prendre la science chez les autres ou de reproduire la science des autres. Il faut connaître son environnement et ensuite chercher la reconnaissance. Les semences dites améliorées, les produits génétiquement modifiés sont un obstacle à l’émergence de la science endogène.

La science est d’abord un processus social, historique et culturel. Elle est un processus social parce que découvrir le secret de la nature et ne pas partager ce secret ne contribue pas au progrès de la science. On dit que la science est un processus historique car elle progresse dans le temps, c’est-à-dire qu’elle fait partie intégrante de la civilisation et de l’histoire. Au surplus, le sens social de la science ne peut être appréhendé lorsqu’on la sort de la civilisation et de l’histoire. La science est la forme culturelle qui offre à l’opportunité maximale de chaque société son inclination pour la pensée rationnelle. Cette forme culturelle offre la même chose à l’humanité également. Mais l’aspect culturel peut susciter des malentendus lorsqu’on met en avant la présence d’un élément rationnel dans la science et le considère comme le seul important de la pensée scientifique. On appréhende mal la rationalité dans la science quand on considère la science comme la seule activité rationnelle de l’intellect dans la société. C’est une erreur de considérer la science comme la sommité des activités rationnelles, la plus impérieuse. Cette considération fait que les déclarations philosophiques sont rejetées comme non objective. Or, ce sont les déclarations rationnelles de la philosophie sur l’attribution à la science tout le crédit du progrès matériel et social, de la victoire de la raison sur l’obscurantisme ou l’ignorance met en lumière la science pour toutes les insuffisances dans les sociétés modernes. La critique et la discussion rationnelle de la philosophie dévoilent la décadence et le péril social engendrés par le progrès de la science. Faire de la science le seul garant la rationalité fait émerger de nouveaux défis. Le caractère organisationnel de la science à encourager et récompenser le carriérisme participe à la multiplication des nouveaux maux de la modernité. Le zèle carriériste distille le cynisme, signe d’une civilisation décadente. En effet, l’idée actuelle du progrès est une valeur mobilisatrice des sociétés occidentales. La recherche scientifique est le moyen important pour parvenir au progrès. La mission des scientifiques, c’est de s’engager professionnellement dans la découverte de la vérité pour le bien de la société, donc au nom de l’humanitaire. Mais l’excès du système carriériste incite au cynisme et défavorise les comportements honnêtes et humanitaires de la part des scientifiques : c’est là où se situe la source de la décadence sociale. Les scientifiques trahissent la vérité dans leur intérêt personnel souvent. C’est là on voit également le signe d’une atteinte à l’engagement dans la découverte de la vérité au nom de la société. Une bonne appréhension de la nature de la science inciterait la population à considérer la communauté scientifique avec moins de vénération et un tantinet de scepticisme. Les zététiques ne sont pas à négliger donc dans l’incitation à la prudence et la crédulité aveugle.

Comprendre la science dans son essence passe avant tout par une compréhension des scientifiques eux-mêmes. Le socle de cette double compréhension devrait être l’idée fondamentale qu’il n’existe pas une discontinuité aucune entre la science et les autres modes de création intellectuelle. La recherche du profit du scientifique au détriment de l’humanitaire est une réalité qui met en relief l’importance du facteur humain dans la science. La biotechnologie se présente à ce titre comme une mise en relief de la cupidité féroce du scientifique. Comme quoi, la science est une activité humaine gouvernée par les désirs et les passions humains courants. Il ya une marge étroite entre les tendances humaines et la science, donc entre la cupidité et la dissimulation des impacts négatifs et des données de bases. La résistance à la biotechnologie nécessite une compréhension de la nature réelle de la science en tant qu’activité humaine sujette aux tendances humaines. La science est l’expression culturelle de la rationalité. Une telle définition montre que chaque société doit être capable de développer sa science étant donné que chaque société a sa culture. La paternalisation des semences est un danger pour les africains. Les sociétés développées aujourd’hui ainsi que celles dites émergentes ont développé un modèle autonomiste et non paternaliste et assistantialiste. La montée des incertitudes liée au développement technique autorise la méfiance vis-à-vis de la science.

III. La montée des incertitudes qui disqualifie l’obstination techniciste

L’histoire de l’humanité progresse-t-elle vers une fin ? Il ressort selon certaines conceptions que l’histoire a un sens, c’est-à-dire quelle progresse vers une fin. La technique est basée sur le calcul et la prévision. Mais il faut savoir que le sens de l’histoire n’offre pas les clefs du futur. En plus, les crises ou catastrophes sont difficiles à anticiper. Ainsi, le développement de la technique est aussi celui de la montée des incertitudes : l’incertitude au niveau des solutions fiables, l’incertitude quant à l’aptitude au changement de comportement, l’incertitude sur le sens de la vie ainsi que l’incertitude sur les catastrophes éventuels à venir. En ce qui concerne les catastrophes justement, l’incertitude ne porte pas sur leur effectivité seulement, mais surtout sur leur nature. Outre ceux-ci, il faut ajouter l’incertitude des possibilités que la technique semble porteuse, puisqu’il est admis que la technique est inhérente à la condition des humains en ce qu’elle résorbe le décalage entre leurs besoins et les moyens précaires que la nature leur avait donné au départ. La technique continue d’être nécessaire à la survie d’homme. Le pouvoir matériel assuré par la technique a engendré un sentiment de confiance que l’on qualifierait de prométhéen parce qu’il est l’incarnation du bonheur de l’homme. Cela a généré évidemment une foi tenace en l’incomparable performativité de la technique et en l’incomparable efficacité de la puissance matérielle dans la mesure où elles ont permis à l’homme d’adopter le réel à ses besoins et à ses ambitions. Pourquoi une telle soumission au déterminisme ? Malgré la conscience des incertitudes, la prise de conscience de la précarité n’est pas prioritaire, car la disparition totale des espèces est inconcevable par rapport aux disparitions individuelles. La prévision des impacts de la technique est difficile. Le rythme de l’évolution introduit la complexité et l’incertitude dans la prédiction. Ainsi, « La conjonction du besoin de pouvoir et de l’évolution de la technique offre le cadre d’une réflexion nouvelle sur notre capacité d’anticiper … Toutefois nos capacités prédictives ne sauraient satisfaire un quelconque fantasme de futurologie. Prévoir l’évolution du climat comporte deux sources d’incertitude, de nature différente : une incertitude scientifique, mais que pourrait peut-être réduire le progrès de l’observation et de la puissance de calcul ; une incertitude sociétale dans laquelle l’explosion démographique joue un rôle capital »17.

Il incombe à l’homme d’analyser sa capacité de prédiction et ses limites du fait qu’elle influe sur nos représentations du future et vont déterminer notre comportement et mode de vie collectifs. Il faut distinguer deux types de prévisions afin de comprendre la remise en question de la prévision scientifique en rapport avec les incertitudes. Le progrès technique informationnel et sa répercussion sur les branches de la technique par une rétroaction favorise l’amélioration de la capacité de prévoir. La prévision des organismes vivants en biotechnologie et en médecine est une réalité relative en science. Mais cette prévision ou anticipation ne s’attache qu’à la connaissance des phénomènes périodiques liés à leur environnement vitaux. On ne peut pas considérer cela comme une prévision véritable par son caractère d’eternel recommencement. C’est plutôt une adaptation aux caractères permanents du monde physique : c’est ce que nous appelons l’adaptation à la forme particulière de l’immobilité, de l’invariabilité. Le scientifique par conséquent dispose d’un langage d’expression et de communication de ses prédictions. L’homme sait identifier les signes annonciateurs d’un évènement contingent et anticipe activement le futur.

Cette prévision ne peut pas s’appliquer par exemple à la disparition des espèces et leurs conséquences pour l’homme. La survie de l’homme suppose l’existence des autres espèces. Que deviendrait l’homme en cas de disparition de ces espèces indispensables à sa vie ? Que seraient les conséquences d’une artificialisation totale des vivants non-humains ? : la science ne peut prévoir cela. La technique aujourd’hui détruit les formes naturelles de vie mais reste incapable de créer de nouvelles formes naturelles ni de reconstituer les anciennes. La technique engage donc l’homme dans un processus de destruction de la vie naturelle dont l’extinction est irréversible. L’humanité fait face à deux types d’extinctions des espèces naturelles : l’extinction par les prélèvements anthropiques massifs, et l’extinction par l’artificialisation techniciste. Or, comme le dit André Lebeau, « dès que l’effectif d’une espèce s’est abaissé en dessous d’un certain niveau et que son pool génétique s’est appauvri à l’excès, le processus d’extinction se poursuit de façon autonome »18. A ce niveau, la science est incapable d’obvier, mais promet de se donner les moyens pour maîtriser les effets néfastes qui vont surgir. Mais au prix de combien de vies perdues ? La fuite en avant s’impose grâce à la défense des intérêts particuliers. Cette défense des intérêts a sans cesse eu force de loi dans les sociétés modernes, favorisant le glissement de la rationalité vers la foi et devient ainsi une idéologie à laquelle les hommes doivent se conformer. En raison de cela, il n’est pas abusif de dire que tant que la matérialité des incertitudes n’impose pas à l’homme la prise de conscience, il manifestera toujours une propension réelle à nier l’existence des catastrophes à venir. Les optimistes dogmatiques soutiennent que la technique va résoudre les catastrophes au fur et à mesure qu’elles apparaîtront. C’est là un choix nait en prenant l’alternative techniciste qui est la source des problèmes que l’aveuglement idéologique qui l’accompagne empêche de l’admettre.

Les incertitudes sur l’avenir sont un regain d’intérêt pour la réflexion sur l’entêtement techniciste, et sur l’éthique de la peur, du principe de précaution. La performativité technoscientifique est susceptible de provoquer de nouvelles erreurs dont les désastres et les catastrophes seront l’expression. En plus des catastrophes naturelles, il faut ajouter les catastrophes technologiques, les accidents technologiques a grande échelle y compris. L’éthique de la peur consiste-t-elle seulement à déstabiliser les modes de vie et les mentalités par le développement d’une philosophie catastrophiste de l’évolution technologique ? Si cela est le cas, il va signifier que la préoccupation sur les incertitudes est peine perdue car les catastrophes ne vont pas se produire. C’est sur la réalité des catastrophes technologiques actuelles que se justifie l’éthique de la peur, car des catastrophes d’origine technologiques restent à venir et que la science ne peut pas prévoir. Nous sommes amenés à définir la notion de catastrophe afin de cerner jusqu’où elle peut saper la dignité de l’homme et même rendre impossible le bonheur sur terre.

Le mot catastrophe vient du latin catastropha et est emprunté au grec katastrophê qui veut dire bouleversement. Dans son sens courant, la catastrophe désigne un malheur effroyable et soudain qui entraîne la perte de nombreuses vies humaines et de nombreux dégâts matériels. Telle que définie, la catastrophe implique un regard subjectif et une évaluation quantitative : l’appréhension subjective et quantitative de la catastrophe selon le nombre de vies perdues bien que sacrées. Il faut également une appréhension qualitative qui rend incertain le comptage : les pertes en ressources humaines qualifiées ainsi qu’une diminution considérable de la qualité de la vie, le risque de perdre le sens de la vie et de l’histoire individuelle et collective, le recours aux réserves de fonds pour reprendre une nouvelle vie économique tant du côté des individus que du côté de l’Etat qui doit investir pour la formation des ressources humaines. C’est un processus très lent alors que les effets des conséquences négatives n’attendent pas.

Prévoir et anticiper des conséquences négatives d’une catastrophe ne relève pas du même type de prévision des organismes. C’est ainsi que l’évolution du point de vue qualitatif et incertaine. De ce fait, notons que l’ampleur réelle d’une catastrophe ne se mesure pas à partir du nombre immédiat de vies humaines détruites, tributaire de la dimension émotionnelle, elle se mesure à la nature et à l’importance des impacts négatifs à long terme. La maîtrise de ces conséquences à long terme est incertaine. La maîtrise technique des conséquences négatives liées à l’altération de l’environnement est aussi incertaine. Encore faut-il se poser la question si le temps permettra à la génération actuelle de trouver les réponses. A chaque catastrophe son temps de conséquences et le temps d’une éventuelles maîtrise de ses conséquences. Que dire sur l’incertitude de l’irréversibilité de certaines conséquences. L’évaluation technique entretenue par l’idéologie de la fuite en avant ou l’idéologie de l’optimisme dogmatique met entre les mains de l’homme les outils de la provocation d’une éventuelle catastrophe généralisée : accidents technologiques, manipulations génétiques, développement et stockage d’armes nucléaires, nanotechnologie, virus synthétique etc. susceptibles d’échapper à la maîtrise de leur créateur qui est l’homme lui-même. Sans être créateur, un utilisateur peut déclencher une catastrophe. Ainsi le développement de la technologie s’accompagne parallèlement d’un déluge d’incertitudes et d’imprévisibilités des catastrophes. Autrement dit, le progrès technologique accentue en même temps la montrée des incertitudes ainsi que l’imprévisibilité de la catastrophe. Comme le dit Anne Dalsuet, « la complexification de la chaîne causale qui aboutit à la catastrophe rend toute prévision inefficace »19. Le carriérisme scientifique fait que chaque catastrophe suscite des passions du côté des scientifiques. Les catastrophes sont source de passion pour les scientifiques car elles leur offre l’opportunité d’exercer leurs métiers en s’investissant dans des recherches dans l’intention de résoudre les nouveaux problèmes. C’est le cas de la biotechnologie, cette passion de transformer les gènes des vivants face aux problèmes de la faim et de la stérilité des sols que la technique elle-même a engendré en grande partie.

La catastrophe nourrit d’un coté la passion du scientifique, alors que de l’autre côté, les populations touchées expérimentent la souffrance, la vulnérabilité, le deuil, la douleur, la frustration et même des traumatismes à long terme. Alors que la société est sous le poids de l’incendie de la technologie, le scientifique lui se demande qu’elle opportunité technologique il peut tirer de cette nouvelle catastrophe. Il n’est donc pas étonnant que sous l’effet de son rapport passionnel à l’événement, le scientifique propose une thérapie contraire ou se permet de truquer les résultats. La catastrophe technologique est comme un spectacle dont jouit le scientifique. Il ne faut pas émettre de doute sur l’incertitude sur l’incapacité des scientifiques à trouver des solutions. Les catastrophes sont des inventions technologiques mais qui échappent à la prévision scientifique. Toute catastrophe qualifie un processus ainsi que sa manifestation. C’est au nom de cette double qualification que les scientifiques sont coupables puisque la catastrophe qui se manifeste porte le poids d’un passé : technologique, ou naturel ou anthropique.

L’ambivalence des catastrophes est qu’elle offre un terrain aux revendications démocratiques par l’encouragement des communautés d’actions : l’appel à la solidarité nationale et internationale par exemple. Mais dans d’autres mesures, le discours sur la catastrophe détourne l’intention du public vers un spectacle instrumentalisé à des finalités de contrôle. En effet, les discours politiques sur les catastrophes, surtout en Afrique, sont dominés par l’image de la fatalité. Cette perception fataliste domine également notre manière de percevoir les désastres. Tout cela contribue à réduire les populations en spectatrices passives des catastrophes et événements qui les dépassent dans un monde toujours menaçant. Chaque catastrophe légale d’origine technologique comporte des ramifications globales. Ainsi, la mondialisation prend une autre dimension, puisque les ramifications globales des crises environnementales locales appellent à penser à partir d’une communauté d’affection et de vulnérabilité. La globalisation a fait que tout devient exportable et contagieux. La technologie et son cortège de méfaits directs et indirects s’exportent et s’importe sous les auspices de la mondialisation. La communauté d’affection et la nouvelle sensibilité que les menaces et les incertitudes appellent sont les effets de la mondialisation présentée comme la condition de possibilité de notre sensibilité aux menaces et aux incertitudes qui concernent la totalité des peuples de la planète. A ce niveau, il faut dire que la mondialisation ne fait pas bonne figure car elle multiplie les solidarités perverties qu’elle justifie au nom du principe de la bienfaisance.

La réflexion sur les incertitudes et sur les catastrophes a pour mérite de rendre plus perceptible la menace technologique et par là provoquer un bouleversement des mentalités et des modes de vie des sociétés contemporaines. C’est dans ce sens de l’horizon des mentalités que Frédéric Neyrat dit que « la pensée des catastrophes […] fait sauter le verrou gestionnaire qui semble incapable de prendre la mesure exacte de ce qui nous arrive et peut encore nous arriver »20. Nous présentons les menaces et le déluge d’incertitudes comme thérapie nécessaire et utile à l’aveuglement des sociétés modernes qui caractérise l’hymne au développement. Les menaces et incertitudes ainsi que les crises environnementales et sociales actuelles constituent à la fois un danger qui occasionne singulièrement de penser et repenser nos logiques sociales de la modernité. Nombre des mentalités et des modes de vie des sociétés ne peuvent continuer à l’infini sans conduire à des impasses tragédiques. Lorsque l’on reconnaît la spécificité d’une crise, cela suppose alors de rompre avec ce qui est évident ou qui va de soi : c’est une des tâches de l’activisme politique dans la postmodernité. Remédier sur l’Être n’éloigne pas de la technique. Le caractère paroxystique de la crise nous engage à remonter la métaphysique.

Conclusion

Il faut dire que la biotechnologie se pratique sur des bases éthiques : lutter contre la faim et protéger l’environnement. Mais, les produits qui sont fabriqués ont des effets incertains imprévisibles. Alors, parler d’une telle obstination serait un leurre, un mythe du développement dans la mesure où en science et par principe, toute vérité sur le réel est provisoire, relative. L’ambition originelle de la biotechnologie est la prise de conscience du scientifique de sa responsabilité de réduire autant que possible les impacts environnementaux et sociaux de son activité. Le fait de s’inscrire dans la logique du progrès est un obstacle à l’émergence des pays pauvres, car les moyens sont énormes pour entreprendre une telle aventure. La biotechnologie ne fait pas de l’excès des produits une préoccupation majeure. Or, un produit peut respecter l’environnement dans sa conception et constitution interne, mais, son accumulation peut polluer ou dégrader l’environnement et même créer de nouveaux problèmes sociaux. De ce fait, la biotechnologie fait plus la promotion du scientifique que celle de l’homme, cet être humain, des lointains.

BIBLIOGRAPHIE

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MAMMI Albert, Portrait du colonisé, Paris, Gallimard, 1985.

1Brewster Kneen, Les Aliments trafiqués. Les dessous de la biotechnologie, Montréal, Ecossociété, 2000, p.71.

2Mae-Wam Ho, Genetic Engineering : Dreams or Nightmares ?, New Delhi, Research Foundation for science, Technology and Ecology/Third World Network, 1998, p.179.

3Brewster Kneen, Op. Cit., p.75.

4Déclaration Cargill http://www.cargill.com

5Affirmation du sous-secrétaire au Département américain de l’Agriculture Richard Rominger, tirée d’un communiqué de presse USDA, 18 novembre, 1997.

6Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, p.132.

7Expression citée par Richard Doyle dans On Beyond Living : Rhetorical Transformations of the Life Sciences, Standford University Press, 1997, p.10.

8Brewster Kneen, Op. Cit., p.34.

9Karl Marx, Misère de la philosophie, Paris, Editions Sociales, 1972, p.64.

10Gomdaogo Pierre Nakoulima, La préservation de la planète : défis contemporains de la modernité, Parsi, L’Harmattan, 2010, p.114.

11Edgar Morin, Pour la science, science avec conscience, Paris, Fayard, 1990, p.17.

12Albert Memmi, Portrait du colonisé, Paris, Gallimard, 1985, p.158.

13Brewster Kneen, Op. Cit., p.222.

14Ibid., p.223.

15William Broad, Nicholas Wade, La souris truquée. Enquête sur la fraude scientifique, Paris, Seuil, p.9.

16Ibid., p.121.

17Anne Dalsuet, Philosophie et écologie, Paris, Gallimard, 2010, p.103.

18André Lebeau, L’Enfermement planétaire, Paris, Gallimard, 2009, p.85.

19Anne Dalsuet, Op. Cit., p. 129.

20Frédéric Neyrat, Biopolitique des catastrophes, Paris, Musica Falsa, 2008, p.49.