« Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. »

Déclaration universelle des droits de l’Homme, Article 22

Suivant l’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, « toute personne, en tant que membre de la société […] est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité […] ». On peut bien sûr faire diverses interprétations de cet article… Voici la nôtre : toute personne, du fait de son appartenance à la société, a droit à un revenu garanti, d’un montant suffisamment élevé pour lui permettre d’accéder aux biens et services essentiels. Nous y voyons donc la justification d’un revenu à la fois universel car versé à tous au nom de l’égalité des droits (article 2) et inconditionnel car versé sans condition, sans contrepartie et donc sans impliquer un contrôle social inacceptable (article 12). Un revenu universel, inconditionnel, mais aussi un revenu d’existence, c’est-à-dire garant de l’existence sociale des citoyens, permettant leur participation aux affaires publiques (article 21), le libre choix de leur travail (article 23) et plus largement de leur activité, la libre occupation de leur temps et leur droit au repos (à la paresse ?) (article 24). S’il ne suffit certainement pas à garantir tous ces droits, le droit au revenu est à nos yeux une condition nécessaire à leur concrétisation, au même titre que l’extension de la gratuité, la réflexion sur les biens communs et lutte contre les inégalités.

C’est à ces questions qu’est consacrée la première partie de ce dossier, Antonella Corsani, Laurent Geffroy, Paul Ariès et Michel Lepesant soulignant les divers enjeux philosophiques et anthropologiques du revenu universel.

Le pendant de ces approches est de concevoir un revenu universel envisageable dans le réel. C’est pourquoi la question du financement abordée dans la deuxième partie du dossier voudrait tout autant permettre de démontrer la viabilité de ce projet que la nécessité d’un débat public autour des modes de financements et de versements possibles tant leurs aspects les plus concrets renvoient à des choix de sociétés. Marc de Basquiat, Carlo Vercellone, Jean-Marie Monnier et Michel Lepesant, encore lui, s’attellent à cette tache. Bernard Friot rappelle quant à lui la réalité d’une socialisation des salaires déjà là à généraliser.

Utopie ambitieuse mais réaliste, tous les chemins mènent au revenu universel : il nous semble constituer une réponse favorable aux revendications de nombreux mouvements sociaux et permettre ainsi d’envisager une véritable convergence des luttes. Chômeurs, femmes, handicapés, jeunes, précaires, se retrouvent derrière la garantie d’autonomie que le revenu universel donne. Marc Desplats, Samira Ouardi, Patrick Presse, Emmanuel Porte et Mathieu Grégoire développent, dans la troisième partie de ce numéro, les diverses justifications qui peuvent amener à cette même revendication.

Élément essentiel à l’émancipation des individus, le revenu universel vient questionner le fonctionnement actuel de notre société, notamment dans la remise en cause de la centralité de l’emploi comme critère de définition de la valeur, comme principal vecteur de reconnaissance sociale, de lien social, d’estime de soi, mais aussi comme principale source de revenu et de droits. C’est ce dont débat Robert Castel, dans la quatrième partie de ce dossier.

Mais, comme la contribution à la société ne saurait se limiter à l’emploi, pourquoi l’accès au revenu et aux divers droits sociaux devrait-il être conditionné à l’occupation d’un emploi ?

Suivant cette logique, le revenu universel invite à reconnaître et à trouver des dispositifs sociaux de valorisation des occupations et des activités dont l’utilité sociale, pourtant indéniable, n’est pas reconnue par les critères marchands de définition de la valeur. Le marché du travail, aujourd’hui régi par les règles néolibérales, ne rémunère pas l’utilité sociale, sinon pourquoi un « trader » ou gestionnaire de fortune serait (et est) mieux payé qu’une nounou ou qu’un agent d’entretien dans un hôpital1 ? Du reste, toute utilité sociale n’a pas nécessairement à être rétribuée, mais il serait bon de l’encourager et de la rendre possible hors de l’emploi en assurant à chaque individu les moyens de sa subsistance, les moyens de sa libre contribution à la société dans le champ de l’économie sociale et solidaire par exemple, comme nous l’expliquent Daniel Goujon et Éric Dacheux. Au-delà, c’est l’avenir et la place du salariat qui sont questionnés dans ce dossier de Mouvements par Denis Vicherat, Chantal Nicole-Drancourt, ou encore Jean Zin et Stanislas Jourdan suivant une approche plus prospective.

Le revenu universel renvoie ainsi à l’établissement d’une citoyenneté politique mais aussi sociale. Il instaure une couverture sociale universelle qui viendrait compléter et renforcer notre système de protection sociale. Il permettrait notamment d’assurer chacun contre les risques auxquels sa trajectoire ou son statut l’expose. On peut regretter l’absence, au sein de ce dossier, du point de vue des syndicats, généralement hostiles à toute idée de revenu universel déconnecté de l’emploi. Toutefois, plus qu’un simple article dans un dossier déjà très fourni, ouvrir ainsi le débat sur le rapport des syndicats à la centralité de l’emploi et au productivisme mériterait sans doute un numéro entier. Le rapport complexe que les syndicats entretiennent avec la revendication d’un droit au revenu, en France comme ailleurs, est d’ailleurs un des points abordés par Philippe van Parijs dans le long entretien qu’il nous a consacré en écho à ce dossier. Il y expose également sa vision du revenu inconditionnel et l’histoire de cette revendication qu’il a largement contribué à populariser. Il développe dans cet « itinéraire » une vision optimiste de l’avenir, proposant aux nouvelles générations de consommer moins pour vivre mieux, un chemin capitaliste vers le communisme entendu comme une société qui peut écrire sur ses bannières : « de chacun (volontairement) selon ses capacités, à chacun (inconditionnellement) selon ses besoins ».