Un numéro imaginé avec la collaboration du Syndicat Asso.
Les associations proposent une forme d’organisation profondément démocratique et solidaire. Lieu de mobilisation de la société civile, elles sont aussi devenues des actrices importantes de l’économie. Mais, contrairement aux entreprises capitalistes classiques, elles ne cherchent pas la plus-value économique : l’essence même de leur modèle économique est non lucratif. Qu’elles agissent dans le domaine de la solidarité, de la finance, de la culture, de l’insertion, de l’environnement, du sport, de l’éducation, du sanitaire et social, de la petite enfance, de la justice ou encore de l’artisanat, c’est le principe de l’utilité sociale qui guide l’action.
Démocratiques – une personne égale une voix – elles ont une gouvernance composée de bénévoles, elles expérimentent des modes d’organisation et de prise de décision qui préfigurent la démocratisation de la société et de l’économie que nous appelons de nos vœux.
Si historiquement le monde associatif s’est appuyé sur l’engagement bénévole, au fil des ans il est devenu un milieu professionnel où des salariés, nombreux et formés, viennent concilier la nécessité de travailler et une vie engagée vers le bien commun. Plusieurs dizaines de milliers d’associations sont aujourd’hui employeuses. Ce n’est pas négligeable puisqu’en France on estime à près de deux millions le nombre de personnes employées dans les différents champs professionnels du monde associatif. Cette structuration, marquée par la salarisation, s’est en grande partie réalisée grâce ou à cause des pouvoirs publics qui ont vu dans les associations une société civile régénérée, dynamique, capable de propositions répondant aux défis du quotidien mais aussi de la planète, du social et de l’économie.
Alternatives à l’économie de marché, les associations promettent la fin de l’exploitation et de l’aliénation au travail. Mais la réalité est différente. Plus qu’ailleurs, les associations sont à l’avant-garde de la flexibilisation et de la précarisation. Depuis quelques années, des sociologues pointent du doigt cette particularité du monde associatif : dans ce marché du travail c’est le salariat « atypique » qui est typique1 : CDD, temps partiel, travail en soirée, le week-end, stages, services civiques… Le monde associatif est un gros consommateur de contrats précaires.
Cette situation est largement invisible et méconnue. Face à ce décalage entre mythe et réalité, ce numéro préparé en collaboration avec le syndicat Asso – affilié à l’union syndicale Solidaires – propose d’explorer des pistes pour repenser le travail dans le monde associatif, imaginer les solutions afin que la pratique corresponde davantage à l’utopie.
En posant la question « Qui est le patron des associations ? », ce dossier a trois missions. Tout d’abord, il s’agit de comprendre dans quel contexte économique général les associations emploient : elles sont tiraillées entre l’État et les pouvoirs publics d’un côté, le marché de l’autre. Le soutien de l’État au monde associatif s’est souvent transformé en délégation de la mise en œuvre du service public, c’est une véritable quatrième fonction publique qui s’est créée, portant parfois assistance, parfois de l’expertise citoyenne et mille autres formes d’actions d’utilité sociale : comme l’embauche de personnes à insérer. Par ailleurs, avec l’ère néolibérale2 et la baisse des finances publiques, les associations sont mises en concurrence entre elles, mais aussi avec les entreprises classiques, pour accéder aux financements publics. Variables d’ajustement des politiques publiques, elles se retrouvent sur le marché concurrentiel pour trouver les moyens de poursuivre leurs missions, aux dépends de leurs projets associatifs malmenés par les exigences du marché.
La deuxième mission est d’essayer de comprendre qui est le patron dans les associations. La loi est claire : les employeurs sont les bénévoles (le bureau, le conseil d’administration, l’assemblée générale de l’association). Mais dans les faits, les témoignages des salarié-e-s montrent que cette responsabilité est rarement assumée. Le travail salarié n’a pas été pensé dans les associations puisqu’embaucher n’est pas leur vocation première. Ainsi les bénévoles se considèrent rarement comme patrons, en refusent même parfois l’étiquette et la responsabilité. Les salarié-e-s sont eux aussi pris dans une double identité, celle de travailleur et celle de bénévole militant. En partant des expériences recensées, des difficultés constatées, nous donnerons la parole aux salarié-e-s qui luttent, à ceux qui travaillent à la définition de leur métier. Qu’est-ce que travailler dans le monde associatif veut dire ? Pourquoi le monde du travail associatif est-il si spécifique ?
Enfin, les perspectives. Le monde associatif appartient à ceux et celles qui le font : salarié-e-s, employeurs mais aussi bénévoles. La troisième partie ouvre la discussion entre tous ces acteurs pour ré-imaginer le projet de transformation sociale du monde associatif, proposer des solutions à ses difficultés, et faire de ces organisations employeuses des actrices du social et de l’économie démocratiques.