Le collectif national Urgence Climatique, Justice Sociale organisait, ce samedi 6 février, une rencontre nationale pour avancer dans la construction d’un “mouvement citoyen” autour des questions de justice climatique. Mouvements en publie le texte de cadrage.

Leur échec n’est pas le nôtre. Les Etats-Unis et l’Union Européenne qui ont refusé de reconnaître leur responsabilité historique, le jeu de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, le poids des grands lobbies industriels et des multinationales ont précipité l’échec. Deux ans de négociations ont abouti à une déclaration très en retrait par rapport aux objectifs fixés par l’ensemble des pays à Bali en décembre 2007. Cette simple « lettre d’intention » dont l’Assemblée s’est contentée de « prendre note » est loin de répondre à l’urgence climatique et la justice sociale. On nous avait annoncé Hop-enhaguen, nous avons eu Flop-enhaguen. Comme le dit la coalition Climate Justice Now « la Conférence des Nations Unies a été incapable d’apporter des solutions à la crise climatique, pas même de dessiner des avancées minimales vers ces solutions ».

Copenhague a débuté avec l’ONU et a fini avec un G20. Les processus de négociations officielles onusiennes ont été détournés avec la création d’un circuit parallèle où les pays les plus puissants et quelques autres ont imposé le texte final par des méthodes inadmissibles. Depuis, Nicolas Sarkozy, Gordon Brown, l’administration d’Obama et d’autres ne cessent d’affirmer que le « système onusien » serait « à bout de souffle » et d’un « autre temps », remettant ainsi en cause tout cadre multilatéral de négociations. Les représentants d’ONG, d’associations et de syndicats ont été par ailleurs évincés de la fin des négociations, transformant l’ONU en une enceinte barricadée, rendant plus aisée la forfaiture finale. Les dernières 48 heures de Copenhague avaient dès lors tous les contours d’un G20.

Trois pistes de négociations ? A défaut d’avoir conclu les deux pistes de négociations fixées à Bali (engagements post-2012 dans le cadre du protocole de Kyoto et engagements de long-terme), le sommet de Copenhague pourrait bien en avoir créé une troisième. L’accord de Copenhague prévoit en effet que les pays aient notifié leurs engagements ou actions de réduction de GES à moyen terme d’ici le 31 janvier. Face au peu d’empressement des Etats, le secrétariat des négociations vient d’annoncer que la date du 31 janvier n’était qu’indicative et qu’il n’espérait réunir que la liste des Etats « s’associant à l’accord de Copenhague ». Craignant que ce processus mal engagé n’évince les deux autres pistes de négociations, de nombreux pays en développement, de l’Inde à la Bolivie en passant par le Soudan, exigent aujourd’hui une reprise des négociations sur les deux pistes de négociations fixées à Bali, en vue d’aboutir à la COP-16 de Cancun (Mexique). Dans le même temps, confirmant ces craintes, les pays développés, Etats-Unis et Union Européenne en tête, exercent une véritable pression sur les autre pays pour qu’ils s’associent à l’accord, sans même que les engagements de financements rapides – 30 milliards de dollars – n’aient aujourd’hui trouvé un début de concrétisation. Au niveau des engagements de réduction de GES, on est toujours très loin des exigences du GIEC et revendications des ONG et mouvements sociaux : l’UE vient de confirmer son engagement de réduction de 20 % en 2020, et de 30 % sous condition. Si on rajoute à cela l’offensive des climato-sceptiques et les incertitudes pesant sur l’action des Etats-Unis en raison de la perte de la majorité qualifiée démocrate au Sénat, il y a peu de chance que soit résolu en 2010 ce qui ne l’a pu l’être en 2009, sauf à ce que la pression citoyenne entrevue à Copenhague ne s’intensifie.

Copenhague est entré dans l’Histoire… Marquant l’arrivée massive des mouvements sociaux dans la bataille climatique, Copenhague a permis une convergence inédite entre mouvements sociaux, mouvements écologistes, mouvements de solidarité internationale. Dix ans après Seattle, Copenhague suscite un nouvel espoir et constitue peut-être un tournant du mouvement altermondialiste. A l’immense manifestation du 12 décembre réunissant 100 000 personnes, il faut ajouter l’excellente déclaration «  Changeons le Système ! Pas le Climat ! » et les 350 initiatives du KlimaForum – ayant réuni 50 000 personnes en une dizaine de jours – ainsi que les multiples actions de rue – dont l’initiative « Reclaim Power », portée par les coalitions Climate Justice Now ! et Climate Justice Action – qui ont maintenu la pression et l’expression citoyennes durant les 15 jours du sommet.

Après Copenhague, continuer en tirant quelques enseignements… A Copenhague, les coalitions d’ONG et de mouvements sociaux exigeaient l’obtention d’un accord contraignant, juste, à la hauteur des enjeux. Le climat étant le premier sujet politique planétaire à solidarité obligatoire, l’obtention d’un tel accord, dans un cadre onusien multilatéral, reste une absolue nécessité. Après Copenhague, il devient évident que seul un rapport de force mondial construit par des mobilisations citoyennes et sociales sans précédent peut l’autoriser. En effet, la science, la prise de conscience de l’opinion publique et l’ultimatum médiatique ne suffisent pas à obtenir un accord à la hauteur des enjeux. S’il faut bien-entendu condamner l’inaction des puissants, leur aveuglement et leurs mensonges, le Flop de Copenhague doit aussi interroger les stratégies des uns et des autres. Le long et patient travail des ONG environnementales pour alerter les opinions publiques fut décisif et est absolument nécessaire. Néanmoins, le résultat de Copenhague illustre toutes les limites des actions de plaidoyer et de lobbying. Preuve semble faite que la maitrise de l’expertise technique et l’interpellation des opinions publiques par opérations de communication ou mass médias ne suffisent pas à obtenir des décisions à la hauteur des enjeux. Se retrouver en tête-à-tête avec les décideurs sans disposer du rapport de force social nécessaire pour imposer ses propres solutions revient à espérer que seul l’intérêt général dicte les décideurs de ce monde. C’est bien-entendu une illusion. Le lobbying et la communication grand public ne sont pas inutiles. Mais ils ne peuvent être fructueux que pensés dans la construction d’un rapport de force social ne transigeant pas avec des véritables objectifs de transformation du monde dans lequel nous vivons.

Partir de ce qui existe. Qu’ils se réfèrent à l’appel Urgence Climatique Justice Sociale ou pas – ou pas seulement – plus d’une quarantaine de collectifs locaux mobilisés pour Copenhague ont été répertoriés, multipliant les débats – Attac France en a comptabilisé plus d’une centaine – les actions de rue et interpellations publiques (courriers, etc.), en lien, souvent mais pas toujours, avec les initiatives d’Ultimatum Climatique. Non négligeables, toutes ces initiatives n’ont pourtant pas permis de construire un rapport de force suffisant avec le gouvernement et le président de la République. Les initiatives décentralisées des 5 et/ou 12 décembre, sauf exception, ont été assez peu suivies. Pourtant, comme le montrent la réussite d’un collectif tel que Bizi ! au pays basque, les mo
bilisations contre le circuit de F1 dans les Yvelines, celles contre l’extension des lignes LGV, pour des dessertes de proximité et pour la défense du fret ferroviaire, le terreau pour de véritables mobilisations existe. D’autre part, les initiatives de rédaction de Plans Climat Energie Territoriaux (PCET) alternatifs en Nord pas de Calais ou dans les Pays de la Loire, les actions pour rendre les villes soutenables et solidaires et/ou pour la relocalisation des activités économiques et pour les alternatives concrètes de production et d’échanges, montrent qu’il est possible de mixer alternatives concrètes et revendications globales. Si le collectif national Urgence Climatique Justice Sociale et ses organisations membres ne peuvent décréter la généralisation de ces initiatives et la création de collectifs locaux, il entend essayer de les faciliter. Il se propose par exemple de jouer un rôle de passerelle et de mise en réseau de ces mobilisations et expériences, par l’intermédiaire de son site Internet et liste de diffusion. L’organisation de journées de rencontre comme celle du 6 février participe également de cette volonté d’échanges et de construction collective pour faciliter et renforcer les mobilisations locales et nationales. Contribuer à l’émergence d’un véritable mouvement pour l’urgence climatique et la justice sociale à l’échelle nationale nécessite d’inscrire nos revendications globales dans des batailles et alternatives concrètes. Et inversement.

Rejeter les fausses solutions. Atteindre les objectifs de réduction de GES fixés par la science exige de revoir de fond en comble le modèle de développement productiviste de nos sociétés, construit sur la prédation des ressources et la mise en concurrence des populations : la croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini. Repeindre en vert le capitalisme n’est pas une solution mais une partie du problème. La réduction domestique des ressources énergétiques consommées est une nécessité absolue et les populations les plus pauvres ne peuvent être celles qui paient ces transitions vers des sociétés plus justes et écologiquement soutenables. Les propositions visant à confier aux marchés financiers la régulation du climat, notamment en leur articulant les mécanismes de flexibilité (REDD, MPD, etc.), ne peuvent être acceptées : elles sont inefficaces et font perdurer un système qui est à la source des crises et inégalités sociales que nous connaissons. Le collectif national propose donc, dans la droite ligne du slogan « System Change, not climate change » défendu à Copenhague, de participer pleinement aux campagnes contre l’extension des marchés carbone et mécanismes de compensation, notamment en Europe où la Commission européenne doit élaborer d’ici juin 2010 sa proposition relative à l’organisation des enchères de quotas de CO2. Dès lors, la rencontre intermédiaire de Bonn début juin et le Forum Social Européen début juillet à Istanbul seraient des échéances importantes. Cette proposition nécessite par ailleurs d’approfondir les débats autour de ce que serait une véritable fiscalité écologique juste socialement et efficace écologiquement, et de mieux préciser la place des réglementations et normes internationales dans la régulation du climat.

Articuler local et global. Ce sont sur ces bases que nous pouvons construire un véritable mouvement citoyen, liant réponses à l’urgence climatique et pour la justice sociale, qui s’appuierait donc sur des mobilisations locales et expérimentations concrètes tout en exigeant un accord international négocié au sein de l’ONU et de véritables politiques alternatives à l’échelle nationale ou européenne. Du point de vue du collectif national, il est évident qu’il n’y aura pas de solutions aux enjeux climatiques sans véritable régulation internationale – taxes globales, réglementations ambitieuses, transformation des institutions internationales etc. – faisant des droits de l’homme, des droits sociaux et environnementaux des droits supérieurs au droit commercial. A ce titre, l’invitation pour une « Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les Droits de la Mère Terre » en avril faite par la Bolivie est à suivre avec attention tout comme les prochaines échéances de construction de la coalition internationale Climate Justice Now. Ce n’est qu’en articulant le local et le global que les éco-gestes citoyens auxquels nous sommes en permanence invités pourraient ne plus être culpabilisants mais au contraire mobilisateurs, parce qu’entrant en résonnance avec des revendications globales et des exigences de politiques publiques réellement alternatives. Cela nécessite également de sortir d’un certain catastrophisme plus démobilisateur qu’efficace : nous pouvons agir, maintenant, ensemble, du local au global, pour assurer la stabilité climatique nécessaire à nos sociétés, et pour plus de justice sociale. Finalement, le challenge proposé aux mouvements luttant pour répondre à l’urgence environnementale à travers plus de justice sociale est de contribuer à l’émergence planétaire d’un véritable mouvement d’émancipation individuelle et collective à la hauteur des enjeux de ce début de 21ème siècle.