Cochabamba : premier bilan à chaud le 27 avril 2010

À l’arrivée à Tiquipaya, à 10 km de Cochabamba, on est tout d’abord impressionné par la foule de personnes venues de 142 pays pour assister à la Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les Droits de la Terre Mère. 15 000, 20 000 puis 35 000 sont les chiffres avancés par les organisateurs, ce qui est sûr c’est que le nombre de participants est beaucoup plus élevé que ce que l’on attendait… et malgré cela et le peu de temps dont a disposé le gouvernement bolivien pour préparer cette rencontre internationale, on est presque surpris par le fait que tout semble bien organisé. L’acte inaugural de la conférence est un festival de couleurs, les wiphalas et autres drapeaux fendent l’air, démontrant la diversité et l’enthousiasme contagieux des personnes présentes, originaires essentiellement des différents pays d’Amérique Latine. Même si la majorité n’a pas pu voyager jusqu’en Bolivie, la « délégation » argentine est particulièrement nombreuse et regroupe des personnes de différentes provinces, principalement membres d’assemblées citoyennes et organisations populaires (indigènes, paysannes, etc). Pour ma part, je partais pour accompagner Adolfo Pérez Esquivel : invité par le président Evo Morales Ayma, il a cependant dû annuler sa venue au dernier moment et m’a demandé de le représenter à Cochabamba.

Tables rondes, groupes de travail, activités autogérées et événements culturels se déroulent en parallèle pendant trois jours, et parfois on ne sait que choisir tellement l’offre est importante. Certains débats sont un peu décevants, s’en tenant à un diagnostic et à des idées certes importantes, mais que nous connaissons déjà tous, du moins tous ceux qui travaillent en relation avec les problématiques environnementales. D’autres au contraire traitent de sujets moins connus, comme les dangers de la géo-ingénierie (manipulation intentionnelle du climat terrestre).

La déclaration finale, nommée « Accord des Peuples » est une bonne synthèse des débats des 17 groupes de travail, et ces conclusions ont rapidement été remises à l’ONU afin d’être prises en compte dans les débats de la prochaine conférence sur le climat (COP16) à Cancún, au Mexique. En ce sens, il est important de saluer cette initiative bolivienne, unique véritable opportunité d’inclure la « voix des peuples » aux négociations internationales sur le changement climatique. Il faut maintenant espérer que cela ne reste pas qu’une simple déclaration, et trouver les outils pour que ces idées soient mises en œuvre de façon concrète. Pour cela, il est indispensable de maintenir la mobilisation sociale pour faire pression sur les gouvernements, notamment au Sud, pour qu’ils ne cèdent pas au chantage des Etats-Unis et autres grandes puissances, et s’engagent réellement dans la lutte contre le changement climatique et pour la défense des droits des peuples et de la nature.

Un des thèmes de discussions était la construction d’un Tribunal International de Justice Climatique. À Cochabamba, en octobre 2009, s’était tenue une première session du Tribunal des Peuples pour la Justice Climatique et une nouvelle session internationale est prévue à Cancun en décembre. Dans ce domaine, l’Accord des Peuples demande la création d’un Tribunal International de Justice Climatique et Environnementale. L’inclusion de l’adjectif « environnementale » représente un pas important puisqu’il signifie que la base de ce tribunal sera le concept plus large de dette écologique et non simplement celui de dette climatique. Pour de nombreuses personnes, le changement climatique reste quelque chose d’abstrait, et les pays et entreprises qui y contribuent profitent de l’amplitude du problème à niveau historique et géographique pour échapper à leurs responsabilités, et il est donc très difficile voir impossible pour les victimes d’être reconnues comme telles et obtenir des réparations. À l’inverse, la notion de dette écologique reconnaît explicitement les impacts sur les peuples et sur la nature, et permettra que soient jugés les pays, entreprises et individus qui commettent des crimes environnementaux. Autre détail essentiel, dans les conclusions du groupe de travail spécifique, il est précisé que les populations devront pouvoir avoir un accès direct à ce tribunal, sans avoir à épuiser d’abord les instances nationales.
À court terme, il faut répéter l’expérience du tribunal des peuples non seulement à échelle mondiale, mais aussi dans les cadres nationaux et régionaux, afin d’approfondir la connaissance des causes structurelles et la définition des responsabilités. Ces condamnations éthiques sont aussi un moyen de pression vers la constitution d’un Tribunal Pénal International de Justice Climatique et Environnementale : une des propositions est la réforme du Statut de Rome, reconnaissant les délits environnementaux comme crimes contre l’humanité, mais obtenir l’adhésion de la majorité des gouvernements est malheureusement encore une horizon lointaine.

En attendant, il est indispensable d’enrayer l’accumulation de dettes écologiques envers les peuples et la nature. Les gouvernements du Sud ont ici une responsabilité particulière : ils doivent cesser d’être complices en accueillant les multinationales destructrices et en appliquant les mêmes politiques néolibérales. En ce sens, le gouvernement bolivien doit chercher plus de cohérence entre son discours sur la défense des communautés indigènes et de la Pachamama et la réalité du pays : un premier pas aurait dû être l’inclusion de la « mesa 18 » sur les industries extractives dans le programme officiel et les conclusions de la conférence. De même, le gouvernement équatorien doit mettre fin à sa politique de développement de méga-projets miniers, et l’on espère qu’il ira jusqu’au bout de l’initiative innovatrice Yasuni-ITT, de ne pas exploiter une des plus grandes réserves de pétrole du pays.

La Conférence Mondiale des Peuples à Cochabamba fut donc une belle initiative avec plusieurs avancées, notamment la condamnation des mécanismes de marché pervers, prônés dans la lutte contre le changement climatique. Mais il va falloir encore insister pour que les progrès soient mis en œuvre afin de défendre concrètement les droits des peuples et de la nature.