DOSSIER GRENELLE “OGM”. Délaissée par le Grenelle, l’expertise sur la santé et l’environnement est pourtant centrale, explique le chercheur André Cicolella, après la sortie d’un rapport controversé sur les causes du cancer. 22 octobre 2007.

Mouvements : Sur le fond, que reprochez vous au rapport du international de recherche sur le cancer(CIRC), des Académies de science et de médecine sur les causes du cancer en France ?

André Cicolella |1| : Ce rapport n’est pas un rapport d’expertise, c’est purement et simplement un rapport de propagande. En effet, il repose sur une démarche qu’on ne peut que contester : la sélection partiale et orientée de la vaste littérature scientifique existant sur les causes du cancer. Cela devient particulièrement cocasse quand les propres études antérieures du CIRC sont passées sous silence : c’est notamment le cas d’une étude majeure de 2004,sur l’augmentation régulière des cas de cancers de l’enfant ( de 1 à 1,5 % par an depuis 30 ans) |2| !

Impossible ici bien sûr, d’expliquer cette augmentation par le vieillissement ou les progrès du dépistage, le tabagisme ou l’alcoolisme… Or c’est la thèse principale du présent rapport, qui ne ménage pas ses efforts pour minimiser le rôle des pollutions comme cause possible de nombreux cancers. Et comme cette étude antérieure est une épine dans son pied, il choisit de l’écarter, comme de nombreuses autres.

Pour quelles raisons le CIRC et l’Académie des sciences produiraient-ils une analyse si biaisée ?

Pour blanchir les industries responsables de la production des produits polluants. Ce rapport manque à toutes les règles de déontologie. Tout ce qui ne va pas dans le sens des conclusions finales est retoqué sur des critères flous et non définis, comme par exemple le fait que des résultats ne seraient pas « de qualité ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Selon quels critères ? Le rapport ne le dit jamais. Ce sont les mêmes travers que l’on pouvait recenser dans un rapport similaire sur le risque des champs électromagnétiques |3| qui concluait à une absence globale de risque démontrés. Des résultats allant contre cette thèse lénifiante avaient été écartés, au motif qu’ils avaient été publiés dans une « petite revue ». Or ils l’avaient été dans la revue spécialisée dont le facteur d’impact (critère consensuel d’évaluation de la qualité d’une revue à comité de lecture) était le plus élevé |4| . Cet argument était donc un mensonge pur et simple. Tant d’acrobaties finissent par se payer, et apparaissent même en filigrane dans les propres termes du rapport sur le cancer. On y explique qu’on ignore la cause de 85 % des cancers des sujets n’ayants jamais fumé mais on réfute toute tentative d’explication gênante … notamment le rôle des pollutions ou des produits chimiques. On se garde bien de s’interroger, par exemple, sur le fait que seules 3 % des substances chimiques sont évalués pour les risques cancérogènes. Tout cela, c’est un oeuf de Colomb : pour le faire tenir droit sans le briser, on le casse à la base ; appliqué au cancer, cela donne : on évalue en biaisant les règles mêmes de l’évaluation.

Outre les aspects méthodologiques et déontologiques, existe-t-il des données permettant de contester les conclusions du rapport ?

Oui, surtout si l’on se place un instant hors du débat franco-français. Aux États-Unis, par exemple, le Dr Samuel Epstein a démontré l’effet de certains produits chimiques, et a dû pour cela affronter le même type de lobbies. Par ailleurs, le rapport joue sur l’ambiguïté du mot « environnement ». Il est scientifiquement douteux de séparer formellement les différents environnements, alors qu’ils sont bien sûr tous en interaction, notamment « l’environnement social », à savoir la manière dont des conditions sociales plus ou moins favorables exposent de manière diférenciée à des situations dangereuses sur le plan de la santé. Enfin, il y a une duperie à ne pas tenir compte de ce qui n’est démontré, dans un premier temps, que chez l’animal, au motif que seule des preuves définitives validées chez l’homme pourraient permettre de conclure. Le rapport refuse de prendre en compte des situations intermédiaires, où des commencements de preuves seraient obtenus sur un modèle animal. Cela pose de nombreux problème éthiques, y compris au regard du principe de précaution.

Faut-il envisager de nouvelles formes d’expertise crédibles et affranchies des pressions ? Quelles formes leur donner ?

Oui, il y a nécessité de fonder une déontologie de l’expertise, c’est pourquoi je préconise une haute autorité administrative indépendante, une sorte de « CNIL », de l’Expertise. Cela devrait aller de pair avec un nécessaire développement de l’expertise associative qui, sur ces sujets, est encore à bâtir.

Quels rôles les pouvoirs publics devraient ils jouer sur la question des causes industrielles (pollutions, produits chimiques) du cancer ?

Tout d’abord, il faut une loi qui protège conjointement l’expertise et l’alerte, les deux étant ici indissociables. Protéger l’alerte, cela veut dire permettre de mettre sur la place publique des points de vue non-orthodoxes, et d’éviter à leurs auteurs de subir des mesures de rétorsion, notamment professionnelles. Et bien sûr, il faut que ces arguments puissent être pris en compte dans les débats, et évalués au même titre que les autres. Dans le cadre de la préparation du Grenelle de l’Environnement, l’Alliance pour l’Environnement avait obtenu le principe d’un Haut Conseil de l’expertise, qui avait même été soutenu par le patronat. Malheureusement, force est de constater que ce principe n’a pas été retenu dans le dernier document en date fourni par le gouvernement (le 18 octobre) aux parties prenantes. Nous attendons ses explications avec impatience. En parallèle à cela, il faut absolument augmenter notre compétence collective : cela signifie qu’il faut que des disciplines scientifiques actuellement délaissées, comme la toxicologies, soient soutenues. Enfin, il faut développer l’expertise citoyenne.


|1| André Cicolella est chimiste et toxicologue, co-auteur, avec Dorothée Benoit Browaes, de Alertes santé. Experts et citoyens face aux intérêts privés, Paris, Fayard, 2005.

|2| Geographical patterns and time trends of cancer incidence and survival among children and adolescents in Europe since the 1970s (the ACCISproject) : an epidemiological study.E Steliarova-Foucher, CA Stiller, P Kaatsch, F Berrino, JW Coebergh, B Lacour, M Parkin.Lancet, 2004, 364 : 2097-105.

|3| Rapport à l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale (AFSSET) : Téléphonie mobile et santé, Jean-Marie Aran, Jean-Charles Bolomey, Pierre Buser,René de Seze, Martine Hours, Isabelle Lagroye, Bernard VeyretMars 2003
téléchargeable ici :
http://www.afsset.fr/upload/bibliot…),

|4| Dans le rapport sur les champs électromagnétiques, on peut lire que : “Pourtant, Salford et al. (2003) montrent des effets à long terme. Il faut également reconnaître que la qualité scientifique des revues dans lesquelles publie le groupe de Salford depuis de nombreuses années ne constitue pas une garantie “. Pourtant, la référence exacte, p. 83, concernant le papier “Salford et al. (2003)” est la suivante : Salford LG, Brun AE, Eberhardt JL, Malmgren L, Persson BRR. Nerve Cell Damage
in Mammalian Brain after Exposure to Microwaves from GSM Mobile Phones.Environmental Health Perspectives, 2003. Or, contrairement à ce que prétend le rapport, la revue “Environmental Health Perspectives”(http://www.ehponline.org/) est une excellente revue, puisqu’elle a un très bon facteur d’impact : 5.86, ce qui fait d’elle la première revue en “Environmental Health Sciences”.