Vendredi 4 mars 2016 a eu lieu la soirée de lancement de « Légitime Défonce ». C’est le nom donné à leur mobilisation par celles contre qui Frédérique Calandra, maire du 20e arrondissement de Paris, a porté plainte pour diffamation. Parmi ces accusées, Rokhaya Diallo, à propos de qui Calandra a déclaré : « Si un jour Mme Diallo veut débattre, pas de problème, je la défoncerai ! » Les autres accusées sont les membres du collectif 8 Mars pour Toutes et Sylvie Tissot, en tant que responsable juridique du site Les Mots Sont Importants. Qu’ont-elles fait, selon Mme Calandra ? L’affaire commence avec l’annulation, par la maire, d’une série de débats avec Rokhaya Diallo prévue en mars 2015. Mouvements s’en était déjà fait l’écho. Nous y renvoyions notamment, par les liens hypertextes, à un texte publié par LMSI ironisant sur cette annulation et ses raisons : « Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau ». C’est ce texte, ainsi qu’un autre publié par le collectif 8 Mars Pour Toutes, qui sont portés devant le tribunal pour diffamation – et Rokhaya Diallo pour avoir partagé le texte de LMSI sur sa page facebook !
La soirée « Légitime défonce » du 4 mars 2016 visait ainsi à lancer une mobilisation destinée à pousser Frédérique Calandra à retirer ces plaintes, à expliquer et dénoncer leur logique de criminalisation de la dissidence, et à lancer un appel à soutien financier pour les accusées. Le principe de la plainte pour diffamation est en effet qu’elle ne peut être déclarée sans objet par le juge avant le passage au tribunal : elle amène automatiquement jusqu’au procès, et implique donc le recours à un avocat et une procédure d’au moins plusieurs mois. Nous publions ici les trois interventions des accusées lors de cette soirée.

Liberté d’expression : un mot important (Sylvie Tissot)

Frédérique Calandra a porté plainte pour diffamation contre moi en tant que responsable de publication du site Les mots sont importants, pour un texte intitulé « Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau » et publié le 23 février 2015.

Ce texte critiquait, en utilisant le mot censure, le fait que la maire du 20ème arrondissement a interdit la tenue d’un débat sur les violences sexistes avec Rokhaya Diallo en mars dernier, et surtout la manière dont cette interdiction a été justifiée. Il revenait un par un sur les arguments qui ont été donnés pour refuser la présence de cette journaliste, réalisatrice et militante féministe et anti-raciste : tous sont liés à ses idées et à ses prises de position. Enfin l’article pointait la contradiction entre les principes affichés par la mairie du 20è arrondissement « Liberté d’expression » et ce refus de débattre.

Mais aujourd’hui il ne s’agit pas seulement de refuser un débat, mais d’intimider et de nous faire taire.

La plainte pour diffamation implique la convocation par la police puis par le juge pour une mise en examen qui est automatique. Elle est coûteuse puisqu’elle nécessite un avocat. Elle est de fait intimidante, comme l’est la confrontation avec l’institution policière et judiciaire – et je suis consciente que beaucoup la vivent avec bien moins de ressources que moi.

Depuis octobre, cette plainte nous prend beaucoup d’énergie, génère de l’anxiété, nous détourne en tous cas de choses bien plus intéressantes à faire. Pour autant elle ne nous paralyse pas, bien au contraire. Dès l’annonce de la plainte, nous avons publié un texte « De quoi Frédérique Calandra est-il le nom ? ». Aujourd’hui nous lançons une campagne « Légitime défonce ! » – une expression à prendre avec ce dont la maire semble totalement dépourvue : l’humour.

Mais ce n’est pas seulement l’humour qui lui manque. Cette plainte montre que Calandra est dépourvue de ces deux autres choses que nous avons nous, qui sont les plus précieuses.

La première c’est l’énergie militante de ce féminisme inclusif qui s’est construit depuis 10 ans et qui n’est plus minoritaire. Ce féminisme ne suppose pas que nous soyons d’accord sur tout, car il reste beaucoup de question à débattre, mais il se refuse en tous cas à considérer que certaines femmes sont plus aliénées que d’autres à cause de ce qu’elles portent. Ce combat, qui refuse toute instrumentalisation raciste de la cause féministe, connaît un écho de plus en plus grand dans le champ militant. Ce n’est pas le cas de ceux et celles qui n’ont pour exister que le soutien institutionnel, et en partie médiatique, et désormais l’arme judiciaire.

La deuxième chose qui fait notre force, ce sont nos analyses et nos arguments, ceux qu’inlassablement depuis plus de 15 ans le collectif Les mots sont importants s’efforce de publier. En mettant en évidence les amalgames racistes, leur euphémisation, en étudiant la recomposition du racisme à travers la question du voile et de l’islam, puis des Roms. En 1998, dans le livre Mots à maux, nous dénoncions le consensus croissant sur le « problème de l’immigration », qui renvoyait les immigrés dans l’altérité, du côté du danger et des « problèmes » qu’évidemment ils posaient aux autres, les « Français ».

Ce « problème » venait évidemment en cacher d’autres, celui du chômage de masse, de la précarité, des discriminations, des violences policières, passés à la trappe. En 15 ans la banalisation du racisme, ce que nous appelions « lepénisation des esprits », est sidérante. Aujourd’hui on peut lire sous la plume d’un éditorialiste que le FN ne mérite plus stricto sensu l’accusation de racisme, et qu’il n’y a pas eu l’année passée un seul incident grave contre les musulmans.

Cette phrase est de Jacques Julliard, que je cite, car c’est aussi ce qui est visé à travers cette plainte contre LMSI : le fait que notre critique anti-raciste passe par la citation précise des propos qui sont tenus. Certes les individus sont pris dans des logiques sociales, comme on dit en sociologie, mais citer nommément c’est rappeler qu’ils sont responsables, surtout quand ils occupent des positions de pouvoir, dans des journaux ou des ministères. C’est dire qu’ils sont aussi responsables de la montée de la haine dans la France de 2016.

A défaut d’arguments, la plainte est la seule arme dont dispose cette élue, Frédérique Calandra, face à des individus avec qui elle n’est pas d’accord. Une élue, rappelons-le, qui va très probablement parvenir à se faire payer par l’Hôtel de ville (donc par les contribuables) les lourds frais d’avocat générés par trois plaintes. Une élue qui n’envisage le débat que comme un combat de boxe avec protège-dents obligatoire, jamais une confrontation d’idées, pour finalement refuser de l’envisager tout court.

Il faut en effet rappeler que, après le débat reprogrammé par les Verts avec Rokhaya Diallo, la maire a tout simplement annulé l’ensemble des autres débats et projections prévues pour le 8 mars, dont la projection dans le 20è arrondissement du film « Je ne suis pas féministe, mais… », pourtant annoncée par la Mairie de Paris. Depuis ce film a été montré dans une dizaine de pays différents où personne n’en croit ses oreilles quand on raconte cette histoire.

Aujourd’hui nous demandons le retrait des plaintes, et nous vous demandons votre aide pour l’obtenir car elles sont insupportables et inadmissibles.

Nous appelons aussi les élus aux élus du 20ème arrondissement et du conseil de Paris, de gauche et de droite, de se positionner publiquement sur les plaintes de Frédérique Calandra : les trouvent-ils justifiées, ou non ? Si elles les choquent, que pensent-ils faire ? En d’autres termes, quelle est leur conception de la liberté d’expression, une question qui est bien au cœur du débat.

LegitimeDefonce : la liberté d’expression selon Frédérique Calandra, maire du XXème (Rokhaya Diallo)

Il y a quelques semaines j’ai eu la désagréable surprise de recevoir une convocation de la police, suite à une plainte déposée Frédérique Calandra, maire du 20ème arrondissement de Paris faisant suite à la publication d’un article … sur mon compte Facebook ! Une élue de la République est donc prête à user des moyens du contribuable pour faire taire une journaliste. France de 2016, je te reconnais bien là.

Petit rappel : il y a un an presque jour pour jour Frédérique Calandra avait rendu impossible l’organisation d’un événement dans l’enceinte de la mairie du 20ème – qu’elle semble confondre avec son domicile – pour la seule raison de ma présence. Les arguments avancés quant aux raisons de sa frilosité auraient été comiques s’ils n’étaient pas délirants. Non contente de m’avoir empêchée de m’exprimer, elle a, déclaré dans un interview accordé à Médiapart : « le point de vue de Rokhaya Diallo ne peut pas représenter le féminisme. Elle est faite pour le féminisme comme moi pour être archevêque » m’accusant d’être « au mieux qu’une idiote utile de l’intégrisme musulman, au pire un faux-nez de Tariq Ramadan» avant d’ajouter avec la mesure et l’élégance qui la caractérisent : «Si un jour Mme Diallo veut débattre, pas de problème, je la défoncerai !».

Cette charmante promesse de me « défoncer » est d’autant plus intéressante que j’étais initialement invitée à m’exprimer dans le cadre d’un échange autour de la violence faite aux femmes… On ne pouvait pas attendre moins de délicatesse de la part de Frédérique Calandra dont la vision du féminisme inclut un soutien inconditionnel à Dominique Strauss-Kahn qui n’est pas connu pour être le plus fervent des féministes.

Finalement le débat a bien eu lieu, dans une salle bondée, mais cela n’a aucunement entamé la volonté de Frédérique Calandra de poursuivre la guerre qu’elle a déclaré à celles et ceux qui ont le tort de ne pas être d’accord avec elle.

La maire d’arrondissement ne s’en était pas cachée l’an dernier : «L’objectif de ces semaines de débats autour du 8 mars, c’est que la mairie délivre son message sur le féminisme». Pour elle, la démocratie c’est simple : « sa » mairie détermine les contours d’un discours officiel, et n’autorise pas l’émission d’avis contraire dans l’enceinte de ses locaux.

Aujourd’hui le site Les Mots Sont Importants (dont Sylvie Tissot est la responsable) ainsi que des militantes du collectif « 8 mars pour toutes » sont poursuivis pour avoir eu l’outrecuidance de publier un article critique à l’égard de la maire du 20ème arrondissement . Et je suis attaquée en justice pour l’avoir relayé sur Facebook !

Je déplore le fait qu’aujourd’hui dans notre pays des citoyens qui le tort ont d’émettre publiquement des opinions soient harcelés par des élus. C’est une vision insupportable du débat démocratique que nous devons dénoncer. Il est hors de question de laisser nous intimider et priver de parole. Nous ne devons pas céder à ce régime de censure où seules certaines idées ont droit de cité.

La liberté d’expression, ne peut en aucun cas être réduite à l’énonciation de slogans ou de banderoles. Nos élus ne doivent pas le perdre de vue : ils ne sont pas nos chefs mais nos représentants, dépositaires d’un mandat confié par le peuple (vous et moi).

Je vous invite à le leur rappeler en écrivant à Anne Hidalgo la maire de Paris et aux élus du 20ème  ou en vous manifestant sur les réseaux sociaux avec le hashtag #legitimedefonce pour demander le retrait de ces plaintes indignes. Et si vous n’êtes pas intimidé-e par les procédés menaçants de la maire du XXème arrondissement, vous pouvez aussi poster l’article incriminé pour rappeler à Sa Majesté Calandra que la liberté d’expression est une liberté fondamentale.

La police du féminisme ne nous fera pas taire (Collectif 8 mars pour toutes)

Nous sommes attaquéEs par Madame Calandra, Maire du XXème arrondissement, pour diffamation. Cette attaque est pleine de sens politique c’est pourquoi nous commencerons par revenir sur notre politique pour ensuite parler de la plainte en elle-même.

Nous sommes un collectif féministe qui existe depuis mars 2012. Nous nous sommes organiséEs pour lutter contre l’exclusion de certaines catégories de femmes et de trans de la journée du 8 mars depuis de longues années (femmes musulmanes, trans, travailleuses du sexe) par des femmes qui considèrent être en position de décider qui est, ou n’est pas, légitime dans le combat féministe. C’est cette même police du féminisme qui se débat maintenant avec l’arme politique qui lui reste : la censure. Numériquement et politiquement affaiblie, celle-ci s’agrippe lamentablement à son pouvoir institutionnel pour « régler » des comptes qu’elle a déjà perdu sur le terrain politique des mobilisations.

Face à cette police « féministe » auto-proclamée nous continuons d’affirmer que toutes les femmes qui se rebellent face aux injonctions sociales, économiques ou politiques dont elles sont la cible, quels que soient les moyens qu’elles choisissent (ou pas d’ailleurs) pour le faire, sont des féministes.

Si toutes les femmes et les minorités de genre ne vivent pas l’oppression sexiste dans les mêmes conditions, nous partageons certaines réalités : la limitation par les hommes et l’Etat de notre pouvoir de décision quant à ce qu’il advient à, et de, nos corps, de notre capacité d’autonomie économique et de nos libertés de mouvement et de parole par la menace des violences physiques et sexuelles qui pèse sur nous en permanence. Ces réalités, aussi variées qu’elles soient dans les formes et les intensités qu’elles prennent constituent les fronts visibles d’un système de domination politique et global. C’est à lui que le féminisme s’oppose et c’est lui que nous voulons détruire. Définir ainsi le féminisme implique donc que la rébellion dont nous parlions précédemment soit collective et s’inscrive dans la perspective de construire un rapport de force, par les femmes elles-mêmes, face aux bénéficiaires de ce système et aux institutions qui en protègent les intérêts.

Nous disons donc que nos expériences sociales et politiques sont diverses. Nous disons aussi que, par conséquence, notre combat est multiple et traversé de débats nombreux. En effet, notre mouvement constitue une aventure politique, justement : en perpétuel mouvement. Et nous avons l’orgueil de penser que c’est sa véritable force. Cela signifie que, concrètement, l’une ou l’autre des réalités citées précédemment prendra le pas sur les autres dans les priorités politiques que les femmes et les minorités de genre se fixeront dans leurs luttes : c’est ainsi que prend corps, en permanence, le mouvement féministe, à partir de rythmes et de priorités politiques variables en fonction des groupes en lutte et à l’initiative de celles-ci.

En effet, n’en déplaise à Madame Calandra, les rangs du féminisme ne sont gardés par personne. Disséminée partout, cette armée hétéroclite est, et nous nous en réjouissons, totalement incontrôlable ! Chacune y a sa place lorsqu’elle le souhaite. Et c’est ainsi que nous affirmons, face à tous ceux et celles qui préfèreraient que nous nous taisions, que sommes bien vivantes.

Bien plus que de défendre des catégories spécifiques de femmes, ce qui aurait assez peu de sens et qui ne nous importent pas vraiment en réalité, nous refusons que le féminisme soit vidé de son pouvoir politique subversif pour devenir une tranchée politique avancée de l’ordre dominant. Et c’est exactement ce qu’il advient lorsqu’il se réduit à être une police politique et revendique une soi-disant « exemplarité occidentale » (voire française) dans la libération des femmes en imposant un modèle unique, une jauge arbitraire qui incarnerait ce modèle universel de l’émancipation et de ses voies.

Le féminisme meurt lorsqu’il se nourrit des structures sur lesquelles cet ordre dominant repose : l’Etat, la police, les juges, les médias mainstream et toutes sortes d’institutions, de l’échelle locale à l’international. Le féminisme ne devient plus qu’un mot-maquillage : on a même lancé des guerres et justifié la colonisation au nom de ce grossier grimage…

Nous sommes féministes parce que nous avons acté que la guerre nous était déclarée, en tant que femmes. Nous sommes féministes parce que cette guerre qui ne dit pas son nom implique que nous construisions nous-mêmes nos luttes face aux violences politiques, économiques, sociales ou sexuelles qui s’abattent sur nous. Nous sommes féministes parce que nos vies en dépendent, pas par goût de la politique.

Depuis 3 ans, nous avons pris l’initiative d’organiser une manifestation féministe le 8 mars, autonome du cadre féministe officiellement reconnu et des partis politiques ou syndicats qui le constituent, le Collectif National Droits des Femmes (CNDF). Nous avons fait cela car cet espace nous était interdit par cette police auto-proclamée du « féminisme ». Nous savions notre force collective et voulions rendre visible, dans la rue, la puissance réelle du féminisme. Depuis, cet événement est chaque année une fête, une véritable prise de la rue par toutes les générations, des communautés de femmes et de minorités de genre les plus variés et offensives, portant haut et fort leurs propres revendications et imposant leurs formes de langages et d’organisation propres. Et, pendant ce temps-là, les flics du féminisme peinent à organiser des rassemblements et des manifs rassemblant plus de quelques centaines de personnes, globalement blanches, cis et de plus de cinquante ans…

Nous sommes attaquéEs en diffamation parce que nous avons osé les défier et qu’elles ne veulent se résoudre à acter leur débâcle politique.

Nous sommes attaquéEs en diffamation parce que nous avons dénoncé des faits dont Madame Calandra porte l’entière responsabilité. Et nous n’en sommes pas restéEs aux faits, nous en avons également souligné la logique politique. En censurant un débat au motif de la présence de Madame Rokhaya Diallo alors que d’autres femmes, défendant les mêmes positions étaient annoncées à la tribune, Madame Calandra a ciblé spécifiquement la seule femme Noire et Musulmane du tableau pour l’exclure du champ des possibles du féminisme, du haut de sa très haute autorité de… maire d’arrondissement. Nous avons dénoncé cette censure politique à la justification ciblée et nous l’avons appelée « racisme ».

Le recours à la justice dans le débat politique est rarement anodin. La première des réponses c’est de ne pas se laisser acculer à la défensive et de s’interroger sur les raisons d’une telle délocalisation du débat politique.

Pourquoi Calandra nous attaque-t-elle ?

S’il y a, en apparence, une dimension stupéfiante et inédite à voir des militantes féministes attaquées en justice par une élue socialiste qui se dit elle-même féministe, il y a en réalité quelques repères qui devraient nous permettre de démasquer les enjeux politiques de ce recours à la judiciarisation du débat. Et ces enjeux nous dépassent, largement.

La Maire du 20ème, en portant plainte contre des militantes féministes ne fait qu’appliquer à l’échelle de l’arrondissement les méthodes employées à l’échelle nationale par le premier Ministre.

Il en est de Madame Calandra comme de Monsieur Valls. Dans leur entreprise de conquête et de conservation du pouvoir, ces gens ont entrepris d’imposer par la force leur domination idéologique et politique, ne tolérant aucune contestation de ce qu’ils incarnent et veulent préserver : l’universalisme à la française, colonial et viril, qui écrase tout ce qui lui résiste à coup de République et ne tolère aucune remise en cause de l’ordre autoritaire où le chef (de famille ?) règne en maître. L’objectif est clair : réduire au silence et laminer celles et ceux qui refusent de se soumettre.

Ils font même encore plus fort du point de vue des privilégiéEs qu’ils sont. En diabolisant celles et ceux qui refusent leur grille et leur agenda politique, ils tiennent une nouvelle façon d’interdire d’interroger les dimensions sexistes, racistes, islamophobes, colonialistes, lesbophobes, transphobes et antisociales de leur politique et, de façon plus générale, les dimensions structurelles et institutionnelles de celles-ci.

Ils veulent nous faire taire pour empêcher les luttes contre les discriminations et les violences structurelles de prendre corps sur la durée. Nous l’avons dit précédemment, le féminisme autonome se construit depuis quelques temps.

Ainsi, le recours à l’intimidation judiciaire a trois objectifs :

  • Biensûr, faire taire celles qui ont osé les défier
  • Nous empêcher de nous constituer en force et de gagner des soutiens
  • Mais, également, de dissuader par avance d’autres voix de vouloir s’en mêler.

Une tradition des conservateurs et de l’extrême-droite

Cette introduction de la justice dans le débat d’idées est une vieille technique, généralement utilisée par les pouvoirs conservateurs et dont use assez régulièrement l’extrême-droite afin, au-delà de l’intimidation, d’épuiser les ressources (souvent limitées) de ses opposants et de les obliger à concentrer leurs forces sur leur défense plutôt que sur l’objet de leurs luttes, en les entraînant dans des procédures coûteuses en termes de mobilisation, d’énergie, de temps et d’argent.

On notera d’ailleurs, au passage, que Mitterrand, Président dont Calandra dit s’inspirer, s’était interdit d’y recourir à titre personnel. Chirac de ce point de vue, s’était inscrit dans les mêmes rails. L’usage s’est perdu avec Nicolas Sarkozy et le « casse-toi pauv’con »… Parce que, plutôt qu’une affaire de personnes, ces choix tactiques (que sont également les présidents) sont le produit d’une période politique, Sarkozy a, d’une certaine façon, ouvert la voie à une politique de criminalisation judiciaire de l’activisme et des luttes politiques. Et cela n’a plus cessé depuis : il y a quelques jours encore, un syndicaliste manifestant s’est vu attaqué et condamné pour outrage au 1er ministre et, le mois dernier, c’était un prof d’Avignon qui était en procès. Encore ministre de l’Intérieur, il y a 2 ans, c’est Amal Bentounsi, la sœur d’Amine Bentounsi dont le policier responsable de la mort de son frère a été acquitté il y a un peu plus d’un mois à Bobigny, qui était traînée en justice pour diffamation par ce même Valls.

L’inversion du pouvoir ou comment disqualifier les combats des subalternes.

En plus de dire ce qu’elles disent sur la période politique, ces pratiques sont aussi une stérilisation de la minuscule protection que les minorités politiques avait cru gagner avec l’inscription des discriminations dans la loi. Cela montre les limites de ce genre de garantie…

Ici, la démarche de Madame Calandra ne vaut pas mieux que celle de La Manif pour tous attaquant le sénateur Jean-Pierre Michel pour diffamation parce qu’il les avait qualifiés d’homophobes. Encore une fois, il s’agit de tentatives de disqualifier les combats des dominés, en forgeant de fausses équivalences et en leur attribuant un pouvoir qu’ils n’ont pas et, ainsi, les priver de leurs statuts de victimes en inversant les rôles et les statuts.

Il est d’ailleurs a noté que cette possibilité judiciaire d’attaque en diffamation est largement utilisée dans ce but : combien de violeurs, lorsqu’ils sont dénoncés par leur victime, brandissent la menace de la plainte en diffamation pour les faire taire ?

L’autoritarisme et virilisme

Un dernier mot sur la posture autoritaire et le virilisme que révèle cette affaire. Là encore, Calandra s’est remarquablement située en continuité de Manuel Valls, tant sur la forme, en surjouant ce qu’elle imagine représenter une forme positive de virilité au moyen de son registre linguistique brutal et vulgaire, que sur le fond en revendiquant, justement, une confusion entre virilité supposée et autorité, entre brutalité et autorité ou encore, entre ignorance délibéré, inculture revendiquée et autorité. Tout comme Valls, son nouveau modèle (le précédent ayant été DSK).

Outre le fait qu’il s’agit de refuser le terrain politique de l’affrontement et de désarmer un adversaire déjà bien peu équipé, d’utiliser les armes des institutions contre celles qui ne disposent d’aucun relais institutionnels ni d’aucune fortune personnelle ou de ligne budgétaire intitulée « frais de justice » dans leur fonction, ces plaintes en diffamation révèlent une politique bien plus générale : jouer de postures qu’on sait politiquement porteuses auprès des classes populaires blanches dans le contexte actuel.

Quel meilleur moyen que de surfer sur la peur du déclassement et de l’entretenir en attribuant à l’autoritarisme et à la répression une valeur sécurisante quand elle n’est que le moyen de garantir une immuabilité de l’ordre établi et des hiérarchies sociales et politiques assignant chacune et chacun à la place désignée par les priviligiéEs, leur pied bien écrasé sur nos gueules, avec interdiction formelle d’en sortir, sous peine de se « faire défoncer » ?

Vous l’avez compris, nous ne comptons pas camper sur la défensive : nous exigeons que Calandra retire ses plaintes et annule, ainsi, ce procès honteux.

Cette démarche serait la preuve, même d’un simple point électoraliste dans un arrondissement comme le vingtième, qu’elle aurait recouvré ne serait-ce qu’un peu de ses esprits.