À l’occasion du débat autour de la loi “renforçant la lutte contre le système prostitutionnel”, Mouvements publie un entretien avec Morgane Merteuil, secrétaire générale du STRASS (syndicat du travail sexuel).

Nicolas Haeringer : Le débat autour de la loi visant à pénaliser les clients de prostituées, adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale, a mis en évidence de profondes divisions entre féministes.
Ces divisions ne sont pas sans rappeler le débat sur l’interdiction du voile. Vous faites d’ailleurs le lien entre les deux, dans un texte écrit avec Rokhaya Diallo. Comment expliquez-vous ce clivage ?

Morgane Merteuil : Une partie du mouvement féministe s’accroche à des symboles. Parmi ceux-ci, il y a la prostitution et le voile, symboles de la domination masculine. En tant que tels, il faudrait donc les faire disparaître. Ce sont effectivement des symboles : ça n’est pas un hasard que la majorité des travailleuses du sexe soit des femmes, ça n’est pas un hasard que ce soient des femmes des femmes qui portent le foulard. Pour autant, les symboles ne sont jamais autre chose que ce qu’on en fait.
Il y a donc une majorité de femmes qui sont travailleuses du sexe, parce qu’elles n’ont pas accès à d’autres métiers. Que fait-on, à partir de ce constat ? Est-ce qu’on supprime la prostitution parce qu’elle est une preuve que le patriarcat existe, ou bien est-ce qu’on s’attaque aux inégalités, par exemple professionnelles et économiques qui touchent les femmes ? Je pense que la première solution est hypocrite, qu’elle revient à prendre les choses à l’envers, et que la deuxième approche est la bonne.
Comme elles considèrent que c’est un symbole de la domination masculine, une partie des féministes estiment qu’on ne pourrait pas choisir cette activité, qu’on ne peut se l’approprier sans être victime de l’aliénation patriarcale. Et à leurs yeux, les personnes qui trouveraient que se prostituer, ça n’est pas si horrible que ça, auraient des problèmes psychologiques. Nous serions même la preuve de l’existence de ces problèmes psychologiques. On a donc tout un tas d’études qui nous montre que les travailleuses du sexe ont déjà connu des souffrances lorsqu’elles étaient plus jeunes, pour invalider la parole qu’elles portent sur leur activité – quand bien même la parole que nous portons est une parole critique. On est donc dans un débat assez médiocre. L’essentiel des arguments consiste que nous n’avons pas pu choisir cette activité, à rappeler que de toute manière, le libre choix n’existe pas dans une société structurée par l’aliénation… Mais ça, personne ne remet d’ailleurs vraiment en cause, en dehors de quelques libérales comme E. Badinter. Ça n’est pas la position du STRASS, par exemple. Nous ne nions pas les rapports de domination qui ont évidemment une influence, plus ou moins forte, dans l’activité professionnelle que nous décidons de faire. Pour autant on estime que ces conditions concrètes qui influent sur nos choix ne sont pas des raisons suffisantes pour invalider nos choix et, de là, nous mettre sous tutelle de l’état.

N.H. : Vous estimez donc que les abolitionnistes invisibilisent la parole des travailleuses du sexe, du moins celles qui revendiquent le droit d’exercer cette activité.

M.M. : Oui. Soit on nie notre légitimité, en expliquent que nous sommes victimes de nous-mêmes, ou encore d’un proxénète. Soit, comme c’est le cas pour moi, on nous accuse d’être payées par l’industrie proxénète – on nous accuse donc soit d’être victimes, soit d’êtres coupables. Mais nous ne sommes jamais à égalité avec les autres femmes ou les autres travailleurs.

N.H. : Comme il s’agit d’une loi visant à pénaliser le client, dans leur extrême majorité des hommes, on a donc aussi assisté à une mobilisation masculine – d’un côté des collectifs comme « zéro macho », qui soutiennent la loi, de l’autre des initiatives comme le manifeste dit des « 343 salops », lui-même empreint de sexisme…

M.M. : On a d’un côté des mecs qui nous disent « on doit pouvoir vous baiser gratuitement » et de l’autre des mecs qui disent « on doit pouvoir vous baiser en payant si on le veut ». Dans les deux cas, ce sont des hommes qui revendiquent un droit. Dans les deux cas, leur propos est centré sur la volonté des mecs, alors qu’à la base, ce dont il est question, c’est une large majorité de femmes en situation de précarité. Et ce sont des mecs qui discutent entre eux pour savoir s’il vaut mieux nous baiser gratuitement ou pas. Et nous, nous n’avons toujours pas notre mot à dire, nous subirons la décision des hommes.

N.H. : Le manifeste pouvait entretien l’illusion d’une possible alliance entre clients et travailleuses du sexe. Vous refusez cette possibilité, et vous définissez même comme « anti-client ».

M.M. : C’est ma position personnelle, mais ça n’est pas la position de toutes les travailleuses du sexe. Il y en a certaines qui n’ont rien contre les clients. J’essaie en fait d’avoir une analyse de classe sur la question. Je fais la distinction entre les clients que j’ai, en tant que travailleuse du sexe, et une question politique autonome. Ça ne veut pas dire que je suis anti-mecs dans mes rapports individuels. Il faut bien distinguer les deux. C’est une analyse sur la domination masculine.

N.H. : Dans certains travaux, on retrouve l’idée que le travail sexuel pourrait être une forme de remise en cause de cette domination. Je pense notamment au texte « Prenons soin des putes », paru dans Multitudes, ou encore à ce qu’on peut retrouver dans le travail de Gayle Rubin.

M.M. : Je considère en effet que, d’un certain point de vue, le travail sexuel peut participer à la remise en cause des rapports de domination. Pourquoi est-ce que la prostitution choque ? Parce que les femmes sont censées être baisées gratuitement. Elles ne sont pas censées gagner de l’argent avec ça. Il y a, dans le mouvement abolitionniste, une remise en cause très intéressante de toute l’idée que l’après 68 aurait permis une libération sexuelle, alors que cette libération n’est rien d’autre qu’un libéralisme sexuel au profit de la classe des hommes, qui leur a juste permis d’avoir un accès plus libre au corps des femmes, sans plus de remise en cause des conditions concrètes dans lesquelles se sont les échanges. Mais les abolitionnistes ne vont pas plus loin. Je considère que le travail du sexe, c’est aussi une manière d’apporter un regard critique sur la sexualité de manière générale, ou sur les rapports sexuels entre hommes et femmes de manière générale…
Il y a toujours plusieurs structures de domination qui se superposent. La domination économique en est évidemment une.
Mais dans le contexte patriarcal, je ne suis pas certaine que demander de l’argent en échange de services sexuels soit un renoncement à la lutte féministe plus fort que de baiser gratuitement.

N.H. : Un peu en miroir, Élisabeth Bernstein dénonce dans ces travaux un renoncement du côté des abolitionnistes : l’appel à l’État et à la police pour mettre fin à la prostitution reviendrait à réhabiliter des structures de domination.

M.M. : Et l’abolitionnisme réhabilite également le couple hétérosexuel, soi-disant gratuit. C’est la démarche des mecs de « zéro macho », qui disent que ce qu’ils veulent, c’est que les femmes les désirent. Ils ne veulent pas payer parce qu’ils veulent être désirés pour ce qu’ils sont plutôt que de s’abaisser à payer. C’est une démarche complètement égocentrique.

N.H. : Il y a un autre argument : celui que si quelque chose doit bien échapper à la marchandisation, c’est l’acte sexuel et plus encore l’amour.

M.M. : Mais moi, je fais la distinction entre ce qu’on appelle marchandisation et la présence d’argent concret. Je ne pense pas qu’il y ait besoin d’un billet de banque pour que l’amour soit marchandisé. Je pense que l’amour est marchandisé de plein d’autres manières que lorsqu’il y a un échange de billets contre du sexe.

N.H. : Ici se pose aussi la question des services sexuels aux handicapés…

M.M. : Je ne fais de distinction entre le service sexuel aux handicapés et au non handicapés. Je ne sais pas ce que c’est qu’un handicap… un mec qui est hyper complexé, hyper timide, est-ce que ça n’est pas un handicap pour lui, en tous cas dans la sphère sexuelle ? On sait bien que le handicap, c’est surtout ce que la société considère à un moment donné comme un handicap, en relation à certaines choses qu’on est censés être capables de faire et qu’on ne peut pas faire.

N.H. : Parmi vos arguments, vous dites régulièrement qu’il n’y a pas « une » prostitution, pas « un système prostitutionnel », mais « des » prostitutions. C’est aussi ce genre d’argument qui vous est opposé : le STRASS ne représenterait pas la prostitution de rue, il serait un syndicat d’escort boy et girls.

M.M. : C’est factuellement faux. Au STRASS, on a une majorité de travailleuses de rue, de travailleuses migrantes.
Mais c’est une question complexe,, parce qu’en réalité j’aimerais qu’on ne parle pas de prostitution, voire même qu’on ne parle pas de travail sexuel. Ces frontières sont bien pratiques pour nos analyses, pour comprendre certains mécanismes, mais l’usage qui en est fait aujourd’hui ne permet plus de les comprendre. Il sert juste à faire des amalgames ou à faire des distinctions qui n’ont pas lieu d’être. Cet usage sert soit à poser des frontières entre les prostituées, entre elles, soit entre les prostituées et le reste des femmes. C’est une démarche que je réfute. Ça sert à nous diviser, à nous isoler.

N.H. : E. Bernstein pointe un mécanisme, concernant les hommes cette fois, qui renvoie à l’individu plutôt qu’aux structures : on dénonce les clients comme étant des hommes déviants, on se focalise donc sur des pratiques et des conduites individuelles, plutôt que sur des mécanismes de domination.

M.M. : Les abolitionnistes évoquent les inégalités rapidement, pour introduire leur propos, pour souligner qu’elles et ils ont bien conscience qu’il y a des inégalités structurelles. Mais à vrai dire les abolitionnistes parlent rarement de domination structurelle. Elles et ils et préfèrent parler de domination masculine. Elles et ils commencent à découvrir le concept de race, mais l’utilisent n’importe comment. Elles et ils font donc comme si elles et ils voulaient remettre en cause des rapports de domination, mais en faisant porter la responsabilité sur les individus, sur les citoyens. À aucun moment il n’y a une remise en cause des institutions qu’elles et ils appellent à l’aide pour faire cela, que ce soit l’état, la police, les entreprises dans lesquelles on devrait se se réinsérer…

N.H. : La nouvelle loi doit permettre une avancée dans ce sens, avec une allocation destinée à aider à sortir de la prostitution. C’est une évolution notable par rapport à la loi contre le racolage.

M.M. : Oui, mais le montant de l’allocation en question est dérisoire. Et son versement est conditionné à l’arrêt de la prostitution. On veut nous donner de quoi ne pas survivre – parce que 336 euros par mois, ou même le RSA, ça ne permet pas de survivre – et on est censées s’en contenter.
Il y a une idée très dangereuse derrière : nous sommes censées vivre avec ça, et si on réclame plus, et qu’on fait en sorte d’obtenir plus, nous devenons coupables. Nous, nous ne sommes pas censées avoir accès à la richesse et au pouvoir. Nous ne sommes pas censées avoir accès à quelque chose qui nous permette de vivre confortablement. Nous sommes pauvres, nous restons pauvres, et si nous essayons d’outrepasser cette frontière entre les pauvres et les riches, nous sommes punies. C’est ce qui se joue depuis plusieurs années maintenant, avec la stigmatisation des personnes qui bénéficient d’aides sociales. Ça n’est pas propre au travail sexuel : tu n’es pas censé avoir plus d’argent que l’argent que tu mérites. Si tu ne t’en sors pas autrement qu’en étant pute, tu n’as qu’à te débrouiller autrement, d’ailleurs les autres l’ont bien réussi.
Si le RSA suffisait à vivre, les françaises qui ont droit au RSA et se prostituent ne se seraient pas prostitué. On leur propose moins que ce à quoi elles avaient droit avant de se prostituer, moins que ce qui les a poussé à se prostituer.

N.H. : On vous reproche, en avançant la contrainte économique comme cause de la prostitution de la banaliser, et d’en faire un travail comme un autre.


M.M. : Mais au STRASS, on n’a jamais utilisé cette expression, on ne sait pas ce que c’est qu’un travail comme un autre.

N.H. : Cette critique est peut-être tout de même à ce que pouvait, par exemple, dire Emma Goldman : il n’y aurait pas de différence entre un patron, un proxénète ou un flic.

M.M. : Tout ça dépend de la définition du proxénétisme. Le problème c’est qu’aujourd’hui, le proxénétisme recouvre à la fois les « tierces personnes », auxquelles des travailleuses du sexe peuvent avoir recours dans le cadre de leur activité, que ce soit un webmaster, un agent de sécurité, un chauffeur, quelqu’un qui leur loue un appartement, etc. bref des gens qui ne sont pas des patrons. Ça recouvre bien sûr aussi le concept de patronat, et ça recoupe enfin tout ce qui ressort d’activités criminelles : faire travailler quelqu’un sous la contrainte, les menaces de violences, et les violences réelles.
Ce sont trois choses très différentes, toutes désignées par le même terme. On ne sait donc plus de quoi il s’agit quand on parle de proxénétisme.
En tant que syndicat, nous sommes bien évidemment opposés aux patrons, sans même parler de ce qui ressort du crime. Pour autant on ne considère pas qu’un patron de putes est fondamentalement différent d’un autre patron. C’est justement en reconnaissant que nous sommes dans une relation de travail qu’on peut développer une conscience de classe pour que les personnes concernées puissent lutter contre leur exploitation par les patrons, plutôt qu’en niant les rapports qui peuvent exister ou en les amalgamant de manière aussi grossière.

N.H. : Il y a aussi la question des sans-papiers.

M.M. : Nous, on se calque sur les recommandations faites par la CNCDH dans son rapport sur la traite et l’exploitation, dans lequel on trouve des recommandations pour lutter contre l’exploitation des personnes migrantes. Ce sont des mesures logiques, de bon sens : ce n’est pas en privant les personnes de leurs papiers qu’on va les aider à avoir de bonnes conditions de travail.
C’est pour ça que pour nous, l’accès aux droits commence par l’accès aux droits des personnes migrantes, plutôt que de leur proposer un titre de séjour comme récompense. Si elles avaient eu des papiers dès le départ, elles auraient pu éviter de se faire embarquer dans des processus d’exploitations.

N.H. : Là, il pourrait y avoir une alliance objective avec les abolitionnistes de gauche : revendiquer la régularisation des sans-papiers, comme préalable à toute autre démarche ou loi…

M.M. : Ce que les abolitionnistes disent de plus en plus, parce qu’elles ont besoin de l’alliance avec la droite réactionnaire, c’est que régulariser les sans-papiers serait un appel d’air, que ça développerait l’immigration illégale.

N.H. : Cette alliance entre la gauche et la droite est également dénoncée par Éric Fassin, ou encore Lilian Matthieu, qui estiment que les lois abolitionnistes ne viseraient en réalité pas à réinsérer les prostituées, mais auraient d’autres objectifs : nettoyer des centre villes, permettre la gentrification de certains quartiers, etc. Derrière le client, au fond, c’est la prostituée étrangère en situation irrégulière qui serait visée…

M.M. : Quand on reçoit à la permanence toutes les semaines des travailleuses chinoises qui se font arrêter toutes les semaines, ou qu’on voit très bien que les travailleuses de Vincennes françaises n’ont pas de problèmes, que seules les migrantes sont chassées, on ne peut que constater que c’est bien ça le problème.
Et c’est aussi la crainte que nous inspire cette nouvelle loi. La loi sur le racolage c’était une chose. Mais il y a tout le pouvoir des autorités locales que ce soient les mairies ou les préfectures, les arrêtés qu’elles peuvent prendre pour restreindre la présence des travailleuses du sexe, en interdisant le stationnement des camionnettes, par exemple, sur leur territoire. Avec l’abrogation du délit de racolage, ces arrêtés vont se multiplier. Les maires l’ont déjà annoncé. Lyon est une ville prototype de ce genre de politiques.
Malgré l’abolition du délit de racolage, on aura donc une pénalisation de fait des travailleuses du sexe, en plus de la pénalisation des clients. C’est un régime prohibitionniste…
Cette loi n’est pas faite pour être appliquée dans l’absolu. Elle est un outil que l’on aura à disposition quand d’autres besoins se feront sentir : la gentrification d’un quartier, la chasse aux étrangères en situation illégale, etc.

N.H. : On oppose deux modèles : suédois (abolitionniste) et néerlandais (réglementariste). Mais vous, vous dénoncez les deux. Pourquoi ?

M.M. : Si on se réfère aux arguments qui ont justifié le vote de la loi suédoise, elle ne fonctionne pas. Si on se réfère au contexte dans lequel cette loi a été votée, un contexte très réactionnaire de réhabilitation de l’identité nationale et de chasse aux non-nationaux, elle est efficace. C’est un peu le même contexte que l’on a actuellement en France.
Mais le modèle néerlandais n’est pas meilleur, il est fondé sur la même idéologie, de préférence nationale. Son objectif elle le même : promouvoir une économie nationale pour pouvoir expulser toutes celles qui ne correspondent pas au modèle. C’est pour ça qu’on s’oppose aussi au réglementarisme.

N.H. : Quelles sont, donc, les revendications du STRASS ?

M.M. : On revendique l’abrogation de toutes les lois discriminatoires sur le travail sexuel. On considère qu’on n’a pas besoin de lois particulières pour encadrer le travail sexuel. Tout ce qui est condamnable, tout ce qui doit être condamné peut déjà l’être, il y a déjà des outils pour le faire.
Elisabeth Bernstein montre très bien que les lois sur la prostitution ne changent en réalité pas grand chose à ce qui se passe dans l’industrie du sexe. Ce qui va avoir un impact, ce sont les autres lois : les lois néolibérales sur l’immigration, celles sur l’urbanisation des centre-villes, etc. Ce sont ces lois qui ont un impact sur l’industrie du sexe.
Les lois sur la prostitution, si elles ne s’accompagnent pas d’une régularisation des sans-papiers, s’il n’y a pas un arrêt aux politiques de gentrifications ou aux politiques d’austérités, elles ne changent rien. On peut développer tout un arsenal législatif contre la prostitution, mais les femmes resteront toujours dans la merde, et les femmes migrantes encore plus.

N.H. : En tant que syndicat, comment travaillez-vous ?

M.M. : Nous organisons des permanences, qui sont un espace réservé aux travailleuses du sexe, un espace de parole et de convivialité.
Nous avons deux salariées, des juristes à mi-temps. L’une est spécialisée en droit pénal et en droit d’asile, l’autre travaille plus sur le droit des étrangers. Elles font un travail merveilleux.
Quand les travailleuses du sexe ont un problème, elles peuvent nous contacter. Qu’il s’agisse de nous poser une question sur leur statut, la manière dont elles peuvent déclarer leur activité, ou bien que ça porte sur des choses plus importantes, des violences par exemple. On essaie aussi de partager les savoirs, de faire en sorte que les travailleuses du sexe assistent à certains entretiens, s’ils ne sont pas confidentiels, pour qu’elles soient capables de répondre à certaines questions juridiques et puissent s’entraider.
Mais il y a des des dossiers beaucoup plus lourds. On a tout ce qui relève des agressions des travailleuses du sexe par des agresseurs qui se font passer pour des clients, on aide donc la personne à faire valoir ses droits, faire reconnaître ses droits, à faire reconnaître qu’elle n’a pas été agressée par hasard mais parce qu’elle est travailleuse du sexe. Et puis on a d’autres dossiers beaucoup plus lourds, avec des personnes victimes de ce qu’on appelle les réseaux, avec des passeports confisqués, des menaces sur la famille parfois mises à exécution, etc.
Cette permanence hebdomadaire est à Paris, mais elle est aussi téléphonique. D’autres associations peuvent parfois faire appel à nous sur des questions de droit, etc. On a des appels de toute la France.
On fait également de l’information sur les droits, avec des petites fiches pratiques : régularisation, travail sur internet, etc. qu’on distribue lors de nos tournées de rue, ou qu’on envoie à nos fichiers de contact.

N. H. : En tant que syndicat, est-ce que vous avez des contacts internationaux ?

M.M. : Oui, tout à fait. En France, on est très en retard là-dessus. Il y a des mouvements massifs de travailleuses du sexe en Inde, en Thaïlande et dans différents pays d’Amérique du Sud, où les syndicats regroupent des dizaines de milliers de personnes. Ce sont des mouvements très impressionnants. En Inde, il y a même une branche syndicale qui soutient les enfants de travailleuses du sexe, qui sont victimes de discriminations et n’ont pas accès à l’éducation. Elles ont organisées leurs propres écoles, leurs propres banques, leurs propres mutuelles de santé, etc. C’est un syndicat qui fait vraiment que les travailleuses du sexe constituent une sorte de société alternative dans une société qui ne veut pas d’elles.