RWANDA. Hélène Dumas, qui a observé le déroulement des procès pendant plusieurs mois, analyse la mise en place de ce système au Rwanda, dans un contexte où l’impunité des crimes commis contre les Tutsi depuis 1959 est considérée comme une des causes du génocide.

Cet article est paru dans le numéro 53 de Mouvements.

« Comment gérer cette mémoire génocidaire avec, premièrement, ces horreurs et, deuxièmement, si ces horreurs-là n’étaient pas dites ? »
José Kagabo

Un jeudi matin d’octobre 2007 |1|, au bureau du Secteur de Kanyinya, la séance hebdomadaire de la gacaca se prépare. Les juges revoient les dossiers, le Service national des prisons a déposé son lot de prisonniers en tenue rose, convoqués soit comme prévenus, soit comme témoins dans les procès du jour. Les autres acteurs sont là aussi : les anciens miliciens Interahamwe aujourd’hui repentis et libres |2|, des femmes, beaucoup de femmes dont la plupart sont appelées à témoigner sur les activités des prévenus pendant le génocide ; et les rescapés. Leur nombre est réduit, selon les procès, à deux ou trois veuves. L’assistance afflue au compte-goutte, les groupes se forment, assis sur l’herbe, abrités par les parapluies colorés des femmes ou l’ombre frêle d’un vieil arbre.
Dans cette petite foule bigarrée mais silencieuse, rien ne laisse présager de la gravité des faits qui vont être examinés lorsque le siège de la juridiction fera son entrée. Le touriste en chemin pour une excursion dans le parc naturel des Virunga – où vivent une partie des derniers gorilles de montagne – emporte de cette vision fugace de bord de route un cliché pittoresque, une image bucolique, un instantané sympathique de la palabre africaine.

Pourtant, aujourd’hui se prépare le procès de treize hommes, tous accusés de participation au génocide. L’une des deux seules rescapées de la cellule de Nyarumama attend de connaître les circonstances de la mort de son mari. Elle est assise sur le banc des plaignants, à gauche de la table centrale où siègent les sept juges de la juridiction. En face, les prévenus, tous libres, ont peine à tenir sur leur banc tant ils sont nombreux aujourd’hui. Les juges font leur apparition, une écharpe aux couleurs du drapeau national bardant leurs poitrines. L’assistance se lève, la séance s’ouvre sur une minute de silence en mémoire des victimes du génocide.
Ce jour-là, les procès s’enchaînent pendant sept heures, levant le voile sur l’intimité du massacre, la complexité des relations sociales et familiales engendrée par les stratégies de défense ou d’accusation des uns et des autres, la difficulté d’établir les faits, l’exercice périlleux du droit appliqué par des citoyens non juristes.

Ces milliers de tribunaux à ciel ouvert incarnent les multiples facettes de la politique de réconciliation nationale au Rwanda, où exigence de justice et impératif de coexistence sociale n’apparaissent pas d’emblée contradictoires. Au-delà de leur vocation judiciaire et réconciliatrice, les juridictions gacaca apparaissent aussi comme une entreprise historiographique du génocide. En effet, les dizaines de milliers de procès qui ont eu lieu entre mars 2005 et décembre 2007 ont progressivement mis à jour la réalité du crime à l’échelle locale. Pour la première fois depuis 1994, la population est invitée à reconstruire par le menu détail les scènes des massacres et des pillages, selon des modalités particulières, présentées comme la résurgence d’un modèle traditionnel.
L’originalité de la politique de justice au Rwanda prend sa source dans la singularité du génocide lui-même. En effet, planifié au cœur de la hiérarchie militaire et politique, son exécution a exigé la participation de la population dans des proportions considérables |3|. Cette caractéristique engendre par conséquent un contentieux judiciaire sans précédent. Comment juger l’ensemble des responsables et exécutants du génocide ? Et au-delà, comment assurer les conditions d’une coexistence non violente entre victimes et bourreaux ? Comment encore, établir, par le dévoilement de la vérité attendu dans les procès, un récit historique commun de la catastrophe en passant par une révision complète du récit national ? C’est à ces questions que se trouve confrontée la société rwandaise au lendemain du génocide. Les voies élaborées pour y répondre mettent en avant l’impératif judiciaire contre toute forme d’amnistie, qui serait perçue comme un prolongement de l’impunité |4|, elle-même analysée comme l’un des facteurs décisifs ayant conduit au génocide d’avril 1994.
L’attention portée au volet judiciaire de la réconciliation trouve une expression normative dans la première loi organique du 26 janvier 2001, portant création et organisation des juridictions gacaca. Les deux lois suivantes, celle de juin 2004 et de mars 2007, aménagent l’organisation de ces juridictions. Elles privilégient les procédures d’aveu et de plaidoyer de culpabilité et encouragent l’application de peines alternatives à l’incarcération |5|. Il s’agit donc d’analyser en premier lieu l’institution des juridictions gacaca comme un élément central de la politique nationale de réconciliation. Elles prennent d’ailleurs place dans un dispositif plus large dans lequel le retour sur le passé constitue une référence fondamentale.
À une échelle plus réduite, c’est-à-dire celle des procès proprement dits, les différents acteurs (juges, prévenus, victimes et témoins) interprètent de façon complexe les mots d’ordre de la politique nationale. Ainsi, les échanges parfois véhéments entre le siège de la gacaca et les rescapés sur l’objectif des juridictions – entre reconnaissance de la souffrance des victimes et souci d’établir les faits le plus objectivement possible, y compris en accordant du crédit à la parole du prévenu (Séance Kanyinya 8/11/07) – témoignent d’interprétations divergentes de l’exhortation à la réconciliation. Il en va de même pour les demandes de pardon plus ou moins stéréotypées des prévenus, soucieux de ménager leur sort auprès de la juridiction.

Punir le crime : un impératif juridique et historique

L’accent mis sur le volet judiciaire de la réconciliation nationale au Rwanda après le génocide ressort d’un double impératif, à la fois juridique et historique. En effet, la nature même du crime commande une réponse de type judiciaire dont témoigne, à l’échelle internationale, la mise en place du TPIR en novembre 1994. Ce dernier est chargé de poursuivre et juger les principaux instigateurs du génocide et c’est pourquoi son activité demeure marginale au regard de la masse des exécutants impliqués dans le génocide |6|. Son impact sur la réconciliation nationale est également sujet à caution dans la mesure où son travail est peu connu au Rwanda |7|. Le travail du TPIR, dont les compétences sont réduites à la poursuite et au jugement des grands responsables politiques, militaires ou médiatiques, interfère peu sur les activités des tribunaux gacaca. Enfin, le TPIR voit son intérêt décroître à mesure que le terme de son mandat approche à la fin de cette année.

D’autre part, l’une des justifications qui préside à la mise en place des juridictions gacaca réside dans la volonté affichée d’éradiquer la « culture de l’impunité ». La loi du 20 mai 1963 est éclairante de ce point de vue. Elle octroie l’amnistie à tous les auteurs des crimes commis en 1959 et présente les massacres commis contre les Tutsi comme un événement fondamental dans la lutte pour l’indépendance du pays. Il s’agit ici de l’acte fondateur d’une « culture de l’impunité » nourrie dès l’indépendance et qui perdure jusqu’au génocide de 1994, sous des formes plus ou moins atténuées |8|. Ainsi, la mise en place des juridictions gacaca vient rompre avec des pratiques tendant à légitimer les massacres. C’est d’ailleurs un leitmotiv qui ressort de propos tenus tant par les prisonniers, les rescapés ou encore les juges de gacaca. Un détenu de la prison centrale de Kigali interrogé en 2004 rend compte de la banalisation des crimes commis contre les Tutsi : « Nous avons confiance en gacaca. Le bas peuple a été manipulé, c’était une coutume de faire des tueries, on ne comptait pas à ce qu’il y aurait des poursuites. » |9| Autre écho, venu lui d’un procès : un juge interpelle un accusé : « Tu n’avais pas d’appréhension, tu ne savais pas qu’il arriverait ce moment où tu te tiendrais debout ici devant nous, et tu ne pouvais pas savoir non plus qu’il arriverait ce moment où tu serais amené à être questionné |10|. » La lutte contre l’impunité informe ainsi en partie la dimension punitive des juridictions gacaca.

Le recours à la tradition comme creuset de l’unité nationale

Les juridictions gacaca sont présentées comme la résurgence d’un modèle « traditionnel » de règlement des conflits. Elles sont pourtant bien éloignées de leurs ancêtres, tant par les crimes qu’elles prennent en charge que par les multiples emprunts au rituel judiciaire moderne. Cependant, ce recours à l’argument de la tradition ne relève pas exclusivement de l’artéfact. Non seulement il correspond à l’engouement des bailleurs de fonds pour la réactivation des mécanismes dits « traditionnels » de règlement des conflits, mais il prend place dans un processus général de redéfinition de l’histoire nationale rwandaise. Depuis la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais en juillet 1994, les nouvelles autorités rwandaises développent leur propre analyse du passé qu’elles entendent imposer par divers biais (l’éducation nationale, les camps de solidarité, les médias, le jour des Héros). L’effacement de toute référence ethnique dans la vie publique, la condamnation du « divisionnisme » et de « l’idéologie génocidaire » font partie de l’arsenal rhétorique et politique mis en place afin de juguler le spectre de la division ethnique ayant mené au génocide. La division inculquée par le colonialisme a fait imploser l’unité originaire du Rwanda et de son peuple. C’est donc un nationalisme nourri à la source de l’unité que prône actuellement le gouvernement rwandais. Dans ce contexte, la « tradition » est censée incarner le creuset immémorial de la nation rwandaise, susceptible d’apporter une solution aux divisions tragiques de l’histoire. Sur le plan national, les juridictions gacaca prennent place dans le processus de gestation d’un nouveau récit national, où la tradition rwandaise issue du passé pré-colonial occupe une place charnière.

Modelées à partir d’une tradition idéalisée et magnifiée, les juridictions gacaca sont pourtant confrontées dans leur fonctionnement concret à la modernité du crime de génocide. Le retour sur le passé s’affranchit alors des mots d’ordre aseptisés sur la réconciliation nationale puisqu’il faut bien alors convoquer le souvenir du racisme ethnique, la description du massacre, les conditions de la survie.

Le génocide dans les procès

Pour la première fois depuis 1994, l’ensemble des acteurs se trouvent réunis pour revenir sur les événements. À travers leurs voix, leurs questions, leurs interpellations, la mosaïque de l’histoire du génocide prend forme. Pendant les procès, les techniques de mobilisation des tueurs, les pratiques d’assassinat, les formes de résistance présentent des caractéristiques communes d’un lieu à l’autre du pays. La mise à jour progressive – et souvent laborieuse – des faits travaille le magma des histoires individuelles pour faire advenir une histoire collective du génocide. Quelques-uns des traits les plus saillants des procès suivis en 2006 et 2007 seront présentés.

Les groupes d’attaquants |11|)

Lorsque le secrétaire de la gacaca procède à la lecture publique du dossier du prévenu, il énumère les crimes dont celui-ci s’accuse. Dans les cas observés, il s’agit presque exclusivement de participation à des groupes d’attaquants. Les massacres sont exécutés à plusieurs et la tâche des juges consiste alors à définir le rôle précis de l’accusé au sein de son groupe. Il semble que le nombre de membres soit assez élevé dans la mesure où pour chacune des « attaques », le prévenu est tenu de dénoncer ses « complices », souvent présents lors des séances. D’après les témoignages, ces « ibitero » sont constitués au sein de chaque cellule. Ils semblent opérer de manière différente selon les cas.

D’abord, les attaques peuvent être portées contre les établissements scolaires ou religieux dans lesquels les Tutsi se sont réfugiés. Un tel cas de figure est l’objet d’un procès en novembre 2007 à Kanyinya (08/11/07). Deux hommes sont accusés d’avoir pris part à une attaque contre un refuge religieux au cours de laquelle environ 2000 personnes sont mortes. Au cours des interrogatoires qui suivent la lecture d’aveux très circonstanciés, on apprend comment l’assaut s’est déroulé. L’attaque a été progressive, et le nombre de tueurs grossit pendant son déroulement avec les renforts constitués d’Interahamwe venus d’autres communes. Les deux hommes en question ont été les premiers à lancer l’attaque à coups de pierre. À Mugonero (23/10/07), deux prévenus sont reconnus coupables des meurtres d’une centaine de personnes lors des attaques massives lancées dans les collines avoisinantes et à Murambi, dans la préfecture de Gikongoro |12|.
D’autres témoignages indiquent l’importance de la délation dans la décision de partir « attaquer ». Ainsi, à Kibuye (10/10/06), un témoin fait état des rumeurs ayant amené deux groupes de tueurs chez lui où il cache effectivement des Tutsi. De même, à Butamwa (4/10/06), la rumeur court que le bourgmestre, qui a une femme tutsi, cache des gens. Il semble ainsi que les groupes se déplacent en fonction des informations glanées au fil de la rumeur délatrice. Les dénonciations commandent ainsi de nombreuses attaques contre les domiciles de ceux qui cachent des Tutsi ou dans des endroits dans lesquels ils ont pu se cacher, dans la brousse ou les marais par exemple. Ainsi, à Butamwa, deux personnes réfugiées dans une bananeraie sont découvertes par un paysan qui donne l’alerte en criant et en envoyant un voisin chercher du « renfort ». Les groupes ne sont pas forcément composés exclusivement d’Interahamwe mais souvent de paysans mobilisés sur le chemin même de l’attaque. À Butamwa (4/10/06), de nouveau, un des hommes présents au moment du meurtre de ces deux personnes raconte comment ils sont allés de maisons en maisons pour réunir le groupe qui devait encercler leurs victimes avant de les tuer. Un procédé identique est décrit à Kanyinya (5/10/06), où l’on voit comment se mettent en place les attaques : un coup de sifflet dans la vallée signale la présence d’un Tutsi à abattre, les effectifs du groupe augmentent dans la poursuite. De même, on apprend la manière dont s’organisent les fameuses barrières, dont les moindres routes du Rwanda sont hérissées pendant le génocide. Lors d’un procès, on apprend les circonstances de la mort de 53 personnes, dont de nombreux enfants, sur une barrière (Kanyinya, séance du 5/10/05). En recherchant dans le détail les circonstances de la mort des victimes, le travail des gacaca permet de comprendre la diversité des modes de mobilisation et le fonctionnement des « ibitero », brossés ici à grands traits.

Les formes de participation au génocide

Les procès reposent, on l’a dit, sur l’examen des aveux des prévenus. La plupart avouent une participation directe au massacre, mais souvent ils sont aussi complices de crimes et le procès permet de déterminer la nuance des degrés de participation. En effet, la procédure devant les gacaca porte une attention particulière à la « complicité », une notion examinée au même titre que le meurtre. Ainsi, à Kibuye (10/10/06), l’un des accusés finit par reconnaître sa complicité dans le meurtre d’un jeune garçon, auquel il a barré la route lorsque celui-ci tente de fuir le groupe qui le poursuit.

Un autre procès, dans un quartier de Kigali, révèle une autre forme de participation. À Kagarama (14/10/06), une femme est la principale accusée du procès. Tandis que les co-accusés ont présenté un dossier d’aveu assez circonstancié, elle clame son innocence. Pendant le génocide, sa maison et sa boutique sont un point de rendez-vous pour les Interahamwe. On l’accuse de les avoir encouragés à participer au génocide. Ainsi, au cours de la séance, de nombreux témoignages la présentent comme l’une des instigatrices du génocide dans la cellule. L’ancien conseiller de secteur affirme même qu’elle vendait des machettes dès 1990. D’autres, disent l’avoir vu s’entraîner avec des militaires. Son système de défense repose sur le déni, même si elle finit par avouer que ceux qui étaient chez elle ont pillé et tué. Elle ne participe pas aux attaques, partant, personne ne peut témoigner de sa présence. Le cas de cette femme montre l’extrême complexité des degrés de participation au génocide et la difficulté de les déterminer avec précision.

Dans le procès déjà cité de Butamwa, les juges interrogent longuement les prévenus et témoins sur l’auteur des cris qui ont alerté les tueurs sur la présence de Tutsi dans la bananeraie. Ici encore, la recherche des responsabilités ne se borne pas au meurtre mais tente de rétablir le panel des modes de participation au génocide.

Les résistances

L’un des aspects les plus intéressants des procès gacaca réside dans la mise à jour de nombreuses formes de résistances au génocide.
D’abord, les cas de tentatives échouées ou réussies de sauvetage de Tutsi par leurs voisins hutu apparaissent publiquement lors des procès. Il peut s’agir d’une question délicate pour les cas où les sauvetages sont rapportés par ceux-là mêmes qui reconnaissent leur implication dans les massacres |13|. S’il est difficile d’obtenir des statistiques fiables sur le sujet, l’association de rescapés, Ibuka, élabore actuellement une liste recensant les noms des personnes ayant sauvé des Tutsi au péril de leur vie. Dans la seule séance de Kibuye, deux cas sont apparus où les témoins rapportent qu’ils cachaient des enfants qui ont fini par être surpris et assassinés. Le récit d’un témoin est à ce titre assez exemplaire. Il a été molesté par le groupe de tueurs qui menaçait de le tuer à son tour. Un autre groupe intervient en sa faveur auprès du Major et il a finalement la vie sauve. Ces cas particuliers renseignent non seulement sur les capacités de résistance à l’idéologie ambiante pendant le génocide mais également sur la force de la contrainte. Ils relèvent aussi souvent de la contingence, le témoin de Kibuye doit sa vie au fait que l’autre groupe de tueurs l’a reconnu comme Hutu. De même, un habitant de Mugonero |14| raconte qu’il doit sa vie au fait d’avoir été reconnu comme Hutu par les tueurs qui n’ignorent cependant rien de sa tentative de sauvetage d’une femme et de ses deux enfants. À Kigali, une femme vient livrer devant le siège de la juridiction de Niboye (13/10/07) le récit du sauvetage de plusieurs de ses voisins tutsi. Les rescapés sont là pour témoigner de son geste.

Ensuite, les procès mettent en lumière les tentatives de certains édiles locaux pour juguler la violence dans leur commune. Ainsi, à Butamwa, les témoignages apportés par les accusés montrent que le bourgmestre de l’époque a tenté de maintenir le calme dans sa commune avant d’être débordé par les éléments extrémistes engagés dans les milices Interahamwe ou Impuzamugambi |15|. Cette tentative de résistance de la part des autorités locales |16| ne constitue pas un cas isolé. Ainsi, Scott Strauss en relève plusieurs, notamment à Musambira |17|.

Enfin certains procès apportent des précisions quant aux actes de résistance des victimes, qui parfois tentent de se défendre des attaques. Ces tentatives de résistance provoquent un redoublement de violence de la part des attaquants. Les attaques prennent alors un caractère plus massif et regroupent responsables politiques locaux, militaires et milices secondés par les paysans.

Conclusion

À l’heure où les derniers procès s’achèvent et ou le Service national des juridictions gacaca s’apprête à clôturer ses activités, le travail d’analyse ne fait que commencer. La masse d’archives produite par ces tribunaux offre un matériau important pour la recherche historique. Le travail accompli par les tribunaux gacaca renseigne sur les modalités d’exécution du génocide. Il permet une entrée dans l’intimité du crime sans laquelle on s’interdit de comprendre l’événement. Le Rwanda a mis en place une entreprise complexe de mise en récit judiciaire de l’histoire du génocide qui invite à interroger les rapports entre histoire et justice, singulièrement lorsque ces notions sont convoquées dans la définition du dessein politique de la réconciliation.

|1| L’analyse présentée ici se fonde sur deux enquêtes de terrain menées respectivement en 2006 et 2007.

|2| Deux vagues de libération de prisonniers ont eu lieu sur décision présidentielle en janvier 2003 et août 2005. Ont été libérés provisoirement les détenus ayant procédé à des aveux, ceux dont les dossiers sont incomplets ou encore les détenus malades, âgés et mineurs au moment des faits. Environ 50.000 personnes ont bénéficié de ces libérations provisoires.

|3| L’évaluation du nombre de personnes impliquées dans le génocide fait l’objet de vives discussions. Le Service national des juridictions Gacaca fait état d’environ 700 000 personnes. Scott Strauss évalue le nombre de tueurs à environ 210 000 personnes. L’écart tient au fait que la participation au génocide recouvre des actes de nature différente qui ne sont pas toujours précisés.

|4| La culture de l’impunité fait notamment référence à l’absence de poursuites engagées contre les instigateurs et les exécutants des pogroms anti-tutsi émaillant l’histoire du Rwanda depuis 1959.

|5| Ainsi, dans la dernière loi organique du 1er mars 2007, les peines applicables à chacune des catégories de coupables sont axées sur l’exercice de travail d’intérêt général (TIG) et sur le sursis.

|6| Les jugements rendus par le TPIR contribuent à sanctifier par le droit l’existence du génocide.

|7| Voir, E. Stover, H. M. Weinstein, My Neighbor, My Ennemy. Justice and Community in the Aftermath of Mass Atrocity, Cambridge University Press, 2004, p. 214.

|8| Sur cette question particulière, voir le témoignage d’un magistrat rwandais, F.-X. Nsanzuwera, La magistrature rwandaise dans l’étau du pouvoir exécutif, CLADDHO, 1993.

|9| Entretien avec un prisonnier, 23/09/04.

|10| Gacaca de Secteur Mageragere, ancienne commune de Butamwa, le 4/10/06.

|11| ibitero désigne le groupe d’attaquants et l’attaque elle-même.

|12| Dans la nuit du 21 au 22 avril 1994, plus de 50 000 Tutsi réfugiés dans les locaux de l’École technique de Murambi sont assassinés. Murambi est aujourd’hui l’un des principaux mémoriaux du pays.

|13| Le cas s’est présenté dans une séance à Kanyinya le 8 novembre 2007 où le chef de la barrière de Nyarurama cachait des Tutsi chez lui. Découvert, un homme lui ordonne de les tuer. Il refuse et recevra une amende pour avoir caché des Tutsi. Ce cas n’est pas isolé, on le rencontre fréquemment dans les procès, sans pour autant que l’on dispose de chiffres sur la question.

|14| entretien du 8/10/06

|15| Ces milices regroupent les jeunesses de deux partis politiques. Les Interahamwe sont recrutés chez les jeunes du MRND, parti du président Juvénal Habyarimana. Les Impuzamugambi appartiennent au parti CDR, le plus farouchement extrémiste.

|16| On cite également souvent le cas très connu du préfet de Butare qui maintint l’ordre dans sa préfecture jusqu’au 19 avril, jour où le président vient inciter la population à se mettre « au travail ». Le préfet, tutsi, a été destitué et assassiné avec sa famille le jour même.

|17| S. Strauss, The Order of Genocide. Race Power and War in Rwanda, Ithaca, London, Cornell University Press, 2006, p. 79-85.