Cet entretien réalisé avec Don Winslow est publié en avant-première d’un numéro spécial USA de la revue Mouvements à paraître en septembre 2022.

Avec un focus sur la trilogie des cartels (La Griffe du Chien, Cartel, La Frontière), l’auteur y aborde, outre le marché de la drogue entre les Etats-Unis et le Mexique, la question de la frontière et des migrations sous le mandat de Trump et après. Il annonce également la publication d’une nouvelle trilogie dont le premier opus, La Cité en flammes, parue le 4 mai 2022 chez Harper Collins, est une transposition des grands thèmes de certaines tragédies antiques dans le polar contemporain.

Mouvements remercie la maison d’édition Harper Collins, tout particulièrement Caroline Lamoulie, éditrice de Don Winslow, et Nadine Straub, son attachée de presse, de nous avoir permis la réalisation de cet entretien.

Propos recueillis par Patricia Osganian, membre du comité de rédaction de Mouvements. [1]

Traduction de Claire Habart.

La trilogie des cartels contre le mur de la honte, tel pourrait être le slogan de de la colossale entreprise littéraire accomplie par Don Winslow avec les trois volets de sa trilogie : La Griffe du Chien (traduction française, Fayard, 2007), Cartel (traduction française, Seuil, 2016), La Frontière (traduction française, Harper Collins, 2019).

Auteur prolifique de romans noirs et de nouvelles, Don Winslow s’est distingué par des polars où la satire sociale alliée à la comédie humaine le disputent à la critique politique, sur fond de dénonciation implacable de la corruption.

Outre la trilogie dédiée aux cartels de la drogue à la frontière du Mexique et de l’Amérique centrale, on peut à ce titre mentionner son excellent thriller Corruption, dont la traduction française est publiée en 2018 chez Harper Collins. Plongeant dans les compromissions et les turpitudes de la police new-yorkaise, Don Winslow nous livre un récit où le combat pour la justice et la vérité est miné de l’intérieur et, contaminé par les dérèglements de l’éthique à des fins de profit personnel, rattrapé par le basculement dans l’abjection.

De même, la trilogie des cartels aborde dans un récit fleuve aux accents épiques et tragiques le destin d’Art Keller, agent d’une unité spéciale créée au sein des services de renseignement chargés de la lutte contre la drogue (DEA) dont les idéaux d’origine seront peu à peu pulvérisés par le mal qu’il combat et qui menace lui-même de l’engloutir.

Poussant plus loin le parallèle avec la tragédie antique, l’auteur revisite dans sa toute récente trilogie La Cité en flammes (City on fire) – premier tome, Harper Collins, mai 2022, pour la traduction française – les thèmes et les personnages mythiques issus des grands récits tels que l’Iliade, l’Odyssée, l’Énéide ou l’Orestie.

Dans cet entretien accordé à Mouvements, Don Winslow revient sur les raisons qui l’ont poussé à clore la série des cartels par un roman autour de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, au moment où Trump, à l’acmé de sa politique migratoire, imagine d’ériger un mur pour stopper la circulation de la drogue.

Mouvements (M.) : Vous êtes l’auteur d’une célèbre trilogie (La Griffe du Chien, Cartel, La Frontière) sur les cartels de la drogue, et sur les liens entre le Mexique, les pays d’Amérique centrale et les États-Unis. Pouvez-vous nous dire comment vous est venue l’idée du dernier volet ? Quel est pour vous le sens profond de cette trilogie ?

Don Winslow (D.W.) : En réalité, je n’ai jamais eu l’intention de faire une trilogie. Après La Griffe du chien, puis à nouveau après Cartel, je m’étais juré de ne plus écrire sur le trafic de drogue. Je trouvais ce sujet bien trop exaspérant, trop violent et déprimant. Mais j’ai tout de même écrit Cartel parce que j’ai pensé, d’une façon peut-être un peu présomptueuse, que mes connaissances sur la question pouvaient, par le biais du dispositif romanesque, éclairer les lecteur·rices sur ce que signifie réellement la « guerre contre la drogue » (war on drugs). Il m’a semblé qu’il était de mon devoir de le faire. Je pensais alors avoir fait le tour du sujet. Mais deux choses se sont produites : la crise des opiacés et l’élection de Trump. À nouveau, la fiction permettait de montrer ce qui se cache derrière les gros titres, par exemple, à travers le destin d’un immigré clandestin, ou le quotidien d’un héroïnomane. J’ai voulu dépasser les stéréotypes. J’espère y être parvenu. Avec le recul, maintenant que cette trilogie existe, j’ai l’impression qu’elle en dit long sur le mélange tragique de bonnes intentions et d’ignorance, sur la corruption généralisée inhérente au trafic de drogue, qui fait en réalité partie intégrante de notre système économique et social dans son ensemble. Et par ailleurs, en tant qu’auteur de polars, j’avais aussi envie de raconter une histoire captivante.

M. : Quel rapport y a-t-il entre votre roman et le projet de Donald Trump d’ériger un mur entre le Mexique et les États-Unis ?

D.W. : Un sacré rapport. Toute cette histoire de mur n’était qu’une arnaque cruelle et opportuniste. Trump et sa bande de dégénéré·es savaient parfaitement qu’un mur ne permettrait jamais d’endiguer le flot de drogues qui inonde le pays, mais ils ont quand même essayé de nous le faire avaler. C’était d’une hypocrisie hallucinante. Je passe mon temps à répéter que le soi-disant « problème mexicain de la drogue » est en réalité un « problème américain de la drogue ». J’ai donc repris le personnage récurrent d’Art Keller, qui mène la guerre contre la drogue depuis des décennies à la frontière. J’ai voulu le confronter directement à l’idée du mur, ainsi qu’à une administration corrompue et mensongère. Cela constitue la colonne vertébrale du livre.

M. : Vous montrez de nombreuses personnes pauvres brisées par les cartels des deux côtés de la frontière. Quel message essayez-vous de transmettre ?

D.W. : La Griffe du chien est une expression tirée de la Bible, qui montre à quel point les puissant·es sont toujours prêts à opprimer celleux qui n’ont rien. Ce sont toujours les gens sans ressources qui trinquent le plus, n’est-ce pas ? Les chiffres varient – et le fait que nous ne disposions pas de statistiques fiables sur la question est assez révélateur – mais on estime qu’entre 150 000 et 200 000 Mexicain·es, pauvres pour la plupart, ont été victimes de violences liées à la drogue. Je trouve cette estimation un peu basse, mais ce bilan, même sous-évalué, n’en est pas moins effrayant. Néanmoins, les chiffres ont tendance à perdre de leur sens ; c’est un cliché que de le dire, mais on réduit souvent les gens à de simples statistiques. C’est pourquoi je pense qu’un roman peut à l’inverse susciter l’empathie des lecteur·rices, leur faire ressentir personnellement l’impact de ces disparitions. De nombreux lecteur·rices m’ont confié à quel point iels avaient été choqué·es ou bouleversé·es par la mort de tel ou tel personnage, d’autant plus lorsqu’iels ont appris que je m’étais inspiré de personnes et d’événements réels. (Il n’y pas un seul acte de violence dans la trilogie qui ne se soit réellement produit.) Je dirais donc qu’il s’agissait moins de faire passer un message sous-jacent que de faire éprouver, intimement, l’ampleur de cette hécatombe.

M. : Et comment avez-vous abordé le thème de l’oppression économique et raciale ?

D.W. : Pour poursuivre mon propos, l’oppression économique et raciale (les deux vont presque toujours de pair, n’est-ce pas ?) joue un rôle central dans la trilogie, et ce dès le titre du premier livre. Le racisme a toujours été un facteur décisif dans la « guerre contre la drogue ». On ne parlait pas de « guerre » quand seuls des gamin·es noir·es ou latinos mouraient ; la drogue est réellement devenue un « problème » le jour où elle a commencé à se répandre dans les banlieues blanches. La répression du trafic de stupéfiants a toujours frappé majoritairement les minorités, notamment par le biais de pratiques discriminatoires en matière de contrôles de polices et de condamnations. La dimension économique du problème est tragique, car les pauvres aux États-Unis, au Mexique et ailleurs considèrent souvent le trafic de drogue comme un moyen de sortir de la pauvreté. Seule une très faible minorité y parvient. Mais la structure des cartels est par nature capitaliste : une poignée d’individus s’enrichit tandis que ceux à la base de la pyramide se font exploiter, emprisonner et/ou exécuter. L’argent circule du bas vers le haut.

M. : Pensez-vous que la guerre de Donald Trump contre la drogue ait été efficace ?

D.W. : Vous plaisantez ? Cet infâme bonimenteur n’a jamais rien fait d’un tant soit peu efficace, et sa politique antidrogue n’échappe pas à la règle. Il s’est borné à vociférer « Érigeons ce mur ! » et « Tous en tôle ! », tandis que des milliers d’Américain·es mouraient d’overdose. N’importe quel·le idiot·e – enfin, pas tou·tes apparemment – savait que 90% de la drogue arrive du Mexique dans des camions qui franchissent tranquillement les portes, ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, dans ce soi-disant mur. Pour être clair, aucun mur n’a été construit. Quelques kilomètres de clôture ont été réparés, tout au plus. C’était un mensonge pur et simple.

Mais une politique qui s’attaque à la production plutôt qu’à la consommation est vouée à l’échec. Tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre, et aucune mesure d’interdiction n’a jamais été efficace. Les opioïdes, par exemple, sont un remède à la douleur. Notre société ne s’interroge même pas sur la nature de cette douleur. Quand on va voir un médecin, la première chose qu’elle ou il demande, c’est : « Où avez-vous mal ? ». C’est la question centrale vis-à-vis des sociétés toxicomanes : quel mal nécessite ainsi le recours à des antidouleurs ? Tant qu’on n’aura pas répondu à cette question, toutes les mesures antidrogues resteront vaines.

M. : Pour en revenir à votre projet d’écriture, l’évolution de votre protagoniste, Art Keller, a-t-elle une fonction particulière dans la trilogie, à la fois du point de vue de la portée politique du récit et de la trajectoire personnelle du personnage ?

D.W. : Je l’espère. C’est l’arc tragique de cette histoire. Au départ, Keller croit réellement en cette guerre contre la drogue, c’est un guerrier pétri de bonnes intentions, qui se bat contre ce qu’il considère, à juste titre, comme un terrible fléau. Keller est un idéaliste. Mais à mesure qu’il combat le dragon, il devient lui-même le dragon. Il se met à utiliser des méthodes répréhensibles et, peu à peu, il devient le genre même de personne qu’il déteste. L’idéaliste devient réaliste, puis cynique. Vous savez, en tant qu’écrivain, je me suis un peu perdu au fil des romans, tout était très confus, jusqu’à ce que je comprenne la question que se posent tous les personnages : « Comment rester quelqu’un de bien dans un monde foncièrement mauvais ? » Est-ce possible ? Keller est confronté à ce dilemme.

M. : Pouvez-vous nous parler de la rédemption d’Art Keller ?

D.W. : À la fin de Cartel, Keller est devenu un homme cynique, il s’est laissé envahir par sa part d’ombre. Quand nous le retrouvons au début de La Frontière, il est littéralement en train d’émerger d’une jungle obscure. Je pense que son histoire dans La Frontière est précisément une histoire d’émergence, de rédemption, en quelque sorte. Il va devoir découvrir, reconnaître, accepter et finalement dire la vérité. C’est en cela qu’il passe de l’ombre à la lumière, c’est sa rédemption. Alors que Keller était, au départ, mû par son idéalisme, il s’est longtemps laissé guider par la vengeance, car il pensait y trouver une forme d’apaisement. Lorsqu’il se rend compte qu’il n’en est rien, il est sous le choc. Il réalise alors qu’une bataille plus difficile encore l’attend, et quand il doit faire face à un gouvernement corrompu et malfaisant, son propre gouvernement, il l’affronte avec pour seule arme la vérité. J’aime à penser que ce parcours est rédempteur, mais je laisse le·la lecteur·rice en juger.

M. : Comment appréhendez-vous la lutte entre le bien et le mal ?

D.W. : Vaste sujet ! Je suis auteur de romans policiers, pas philosophe. S’agissant du bien et du mal, j’ai une vision du monde somme toute assez manichéenne. Je pense qu’ils cohabitent au sein de toutes les sociétés et de tous les individus. J’ai été élevé dans la religion catholique, et je reste sans doute imprégné par cette perspective assez tranchée, où tout est blanc ou noir, et celle-ci transparaît dans mes livres un peu malgré moi. Keller est tiraillé par ces questions. Ce thème est au cœur de la plupart des grands romans policiers.

Vous connaissez peut-être ce vieux proverbe amérindien qui représente cet éternel conflit en chacun de nous sous la forme de deux loups. Le premier est colérique, amer, cupide et violent ; le second est calme, généreux et gentil. À la question de savoir lequel des deux loups finira par l’emporter, l’histoire répond :  celui que vous choisissez de nourrir.

M. : Vous montrez des femmes qui combattent mais qui sont aussi broyées, victimes de la guerre contre la drogue, dans les deux camps. Pouvez-vous nous parler du sexisme et du patriarcat au sein des cartels ? Quel rôle jouent-ils dans la transmission des valeurs et des symboles qui perpétuent ce système ?

D.W. : C’est une question extrêmement complexe, dont la réponse a évolué avec le temps. Le Mexique est traditionnellement une société patriarcale, et les cartels le sont également. À leurs débuts, il était donc rare (mais pas impossible) de voir une femme exercer des responsabilités au sein d’une organisation, en particulier à un poste de commandement. Il y a eu quelques cas, j’en parle dans mes livres. Mais ceux-ci restaient des exceptions. Avec le temps, comme dans le reste de la société, les rôles alloués aux deux sexes ont un peu évolué et on a commencé à voir quelques femmes passer au premier plan et jouer les intermédiaires entre les trafiquants mexicains et les producteurs de cocaïne sud-américains.

Le facteur familial a considérablement joué en la matière. Lorsque les conflits meurtriers liés au narcotrafic ont explosé – d’abord au milieu des années 1990, puis surtout entre 2002 et 2013 – le leadership essentiellement masculin des organisations a été décimé. Avec autant d’hommes assassinés ou emprisonnés, si une grande famille de narcotrafiquants souhaitait maintenir son statut, il revenait aux femmes (les épouses, les veuves ou les sœurs) de prendre les commandes. On a observé ce phénomène notamment dans le cartel de Tijuana, et dans une moindre mesure dans celui de Sinaloa. Ainsi, la participation des femmes s’est normalisée, comme on a pu le voir récemment avec la condamnation d’Emma Coronel, la femme de Joaquín Guzmán.

Cela dit, ces cas demeurent exceptionnels et, dans l’ensemble, le crime organisé a eu un effet dévastateur sur les femmes. Souvent assassinées, violées, réduites en esclavage pour les travaux agricoles, victimes d’exploitation sexuelle, nombre d’entre elles ont vu mourir un mari, un frère, une sœur ou un enfant. Selon moi, ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut au narcotrafic et à la guerre contre la drogue.

En me plongeant dans cet univers pour mes livres, j’ai été époustouflé par le courage inouï des femmes qui ont su tenir tête aux cartels, à la police, au gouvernement et à l’armée, bien trop souvent au prix de leur propre vie. La force morale et physique de ces femmes dépasse, de loin, tout ce que jamais je pourrais écrire sur elles.

M. : Au sujet des cartels, pensez-vous que dénoncer la corruption et la complicité ou la coalition entre le gouvernement et les cartels peut permettre d’informer le public américain et d’éveiller sa conscience politique ?

D.W. : Je n’y croyais pas vraiment, jusqu’à ce que je commence à recevoir des retours sur la trilogie. J’ai été très surpris quand des lecteur·rices (y compris pas mal de conservateur·rices) m’ont dit que mes romans avaient changé leur point de vue sur les mesures antidrogue, sur l’immigration, le système carcéral, etc. C’est la force de la littérature, qui permet aux gens de s’identifier personnellement aux personnages, de se sentir concerné·es par ce qui leur arrive. Par exemple, c’est une chose de trouver acceptable que l’on mette des enfants en cage, mais c’en est une autre quand on a passé du temps avec l’un·e d’entre elleux. C’est une chose de considérer les « junkies » comme des rebuts de la société, mais cela se complique quand on a partagé un pan de leur existence.

J’ai passé plus de vingt ans à faire des recherches et à écrire cette trilogie, et au fil du temps, j’ai vu l’opinion américaine évoluer considérablement sur la question. Je ne prétends pas que mes livres ont eu un impact considérable, ce n’est pas le cas, mais les Américain·es ont été sensibilisé·es sur le sujet, iels ont elleux-mêmes été témoins de certaines situations, et leur attitude a changé, iels voient par exemple davantage l’intérêt du traitement des toxicomanes plutôt que leur simple incarcération.

M. : Pensez-vous que le mandat de Trump aura des conséquences durables sur la conscience politique des Américain·es ?

D.W. : Tout d’abord, il n’y a pas eu de mandat, puisque le « Menteur en chef » n’a jamais eu de réel programme, si ce n’est celui d’attiser la colère et le racisme de ses concitoyen·nes. Mais il faut bien reconnaître que ce déchet humain n’aurait jamais été élu s’il n’avait pas exploité un courant de conscience déjà présent dans la psyché américaine. Les États-Unis ont toujours abrité un sentiment raciste, anti-immigration et anti-intellectuel, cela remonte à la création même du pays, et ce Mussolini de pacotille a compris qu’il pouvait en tirer profit à des fins électoralistes. Que les choses soient bien claires, si le Donald s’était dit que le communisme, l’unitarisme ou le satanisme pouvaient lui faire gagner des voix, il se serait fait passer pour un communiste, un unitariste ou un sataniste. La seule chose en laquelle Donald Trump ait jamais cru, c’est sa petite personne. Il n’est dévoué qu’à sa propre cause. Est-ce que cela va durer ? Sachant que ce courant de pensée est présent depuis trois cents ans, oui, probablement. Va-t-il l’emporter ? Toute la question est là.

M. : Vous vous êtes beaucoup exprimé au moment de la campagne et de l’élection de Joe Biden. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

D.W. : Je pensais (et la suite des évènements m’a donné raison) que ce qui était en jeu, c’était l’avenir de la démocratie américaine, rien de moins. Quand Trump a été élu, j’ai dit que c’était un fasciste. On m’a accusé d’être alarmiste. Puis est arrivée la tentative de coup d’État fasciste du 6 janvier. Trump a carrément tenté de renverser le gouvernement élu démocratiquement des États-Unis. Il devrait être traîné en justice et condamné pour haute trahison. Pour moi, il n’y avait pas photo entre, d’un côté, un honnête homme et, de l’autre, un homme mauvais. Inutile de parler de divergences politique, de gauche ou de droite, de libéraux·ales ou de conservateur·rices. C’était une question de bien ou de mal. Trump rêvait (et il a essayé) de se lancer dans une carrière de dictateur. Alors, bien sûr, je me suis exprimé.

M. : Au sujet de l’immigration, comment expliquez-vous la position de Joe Biden sur les migrant·es venu·es d’Haïti ? Faut-il y avoir un lien avec la politique précédente de Trump, une volonté de satisfaire une partie de l’électorat américain ?

D.W. : C’était une erreur. Je dirais simplement que dévier un énorme cargo en pleine course n’est pas chose aisée. Les pratiques de son prédécesseur en matière d’immigration ont imprégné le système, et il est difficile de faire machine arrière. Quant à savoir si Biden a ainsi tenté d’amadouer l’électorat de Trump, je n’y crois pas du tout.

M. : Quel regard portez-vous sur l’administration Biden, plusieurs mois après son élection ? Qu’est-ce qui a changé aux États-Unis, et qu’est-ce qui n’a pas changé ?

D.W. : J’ai le sentiment que nous sommes en guerre. Les dégâts que ce sociopathe égocentrique – ou cet égoïste sociopathe, si vous préférez – a infligés à notre pays pendant quatre ans sont incommensurables. (Faut-il rappeler que ses mensonges sur le Covid ont coûté la vie à des milliers d’Américain·es ?!) Le mensonge qu’il a perpétré sur le prétendu vol de l’élection, auquel tant de gens crédules croient encore dur comme fer, cause toujours des ravages. Le parti républicain, à l’heure actuelle, n’est plus que le parti des mensonges, de la lâcheté et de la sédition, et cela fait obstacle aux changements dont ce pays a besoin.

Qu’est-ce qui a changé ? Sur une note plus positive, le pays est maintenant dirigé par des professionnel·les compétent·es, qui ne s’intéressent pas qu’à leur propre personne. Nous n’avons plus à écouter tous les jours une litanie de mensonges, d’invectives, de messages subliminaux racistes et de vantardises intéressées. Et je n’ai plus à voir constamment ce faciès bouffi, stupide et suffisant, ni à écouter une armée de laquais béat·es, obséquieux·euses et serviles ânonner des « faits alternatifs ».

M. : Aujourd’hui vous êtes un auteur reconnu, dont la voix porte auprès d’un lectorat international. Pensez-vous que la littérature puisse changer le monde ?

D.W. : J’ai des réserves sur la première partie de votre question. Mais oui, je pense que la littérature peut sauver le monde. Elle l’a toujours fait. Je ne prétends pas y parvenir avec mes livres, je ne suis qu’un auteur de polars, mais de tout temps, la grande littérature a toujours eu un impact. Prenez La Case de l’oncle Tom, par exemple. J’écris pour raconter de bonnes histoires, avec des personnages intéressant·es. C’est mon objectif principal, mon boulot. Si je peux y parvenir et en même temps éclairer quelques consciences sur des questions politiques ou culturelles, tant mieux.

M. : Pouvez-vous nous parler des adaptations à venir de vos romans et de la trilogie d’Art Keller pour le petit ou le grand écran ?

D.W. : Une série inspirée de la trilogie va bientôt être tournée, ainsi qu’une autre, tirée de mon premier roman publié, Cirque à Piccadilly (A Cool Breeze on the Underground). Les droits de ma prochaine trilogie à paraître ont déjà été achetés pour en faire un film. Et d’autres projets sont encore au stade des négociations.

M. : Votre nouvelle trilogie sortira très bientôt, au mois de mai. Pouvez-vous la présenter en quelques mots ?

D.W. : Le premier tome s’appelle La Cité en flammes [parution en mai 2022 chez Harper Collins][2]. C’est un polar inspiré des classiques de la littérature grecque et romaine, comme L’Iliade, L’Odyssée, L’Énéide, et de certaines tragédies grecques, comme L’Orestie. J’ai essayé de revisiter ces thèmes et ces personnages mythiques, en les plaçant dans le contexte d’un roman policier contemporain. Il y a des années de cela, j’ai réalisé que tous les thèmes abordés dans les romans policiers étaient déjà présents dans les classiques. J’ai eu envie de voir si je pouvais fusionner les genres, si la nouvelle trilogie pouvait fonctionner comme une histoire sans référence directe à l’Antiquité, tout en faisant en sorte qu’un·e lecteur·rice féru·e de littérature classique puisse repérer et apprécier certaines analogies.

M. : Y a-t-il autre chose que vous souhaitiez dire aux lecteur·rices de Mouvements au sujet de ce projet ? Au sujet de votre œuvre en général ?

D.W. : Je pense avoir fait le tour. J’ajouterais seulement que cette trilogie est le projet d’une vie. J’y ai travaillé par intermittence pendant trente ans, une tâche aussi agréable que passionnante. Mon œuvre ? Ce n’est pas à moi de porter un jugement, plutôt à mes lecteur·rices. J’ai essayé de raconter de bonnes histoires, aussi bien écrites que possibles, pour qu’elles soient plaisantes à l’œil autant qu’à l’oreille. J’ai essayé d’être réaliste et honnête, de dire la vérité.  

[1] Remerciements tout particuliers à Clément Petitjean pour son accompagnement dans la version anglo-américaine de l’entretien.

[2] La Cité en flammes (City on fire), Harper Collins Noir, mai 2022.