La loi dite LRU, propose une nouvelle réforme libérale de l’université qui donne les pleins pouvoirs aux présidents, au détriment de la communauté universitaire elle-même. Premier volet d’une analyse de ce tour de force.

|*1ère partie : Un hyperprésident, c’est déjà trop ! Alors quand la LRU prévoit de les multiplier…*|

On comprend l’agacement des « modernisateurs » de l’enseignement supérieur. Une mobilisation étudiante se développe contre la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités), quelques mois donc après qu’elle a été votée, au cœur de l’été.

Ce choix de calendrier, certes stratégique, les étudiants n’ont plus cours dès juin, indique déjà la conception du débat démocratique du gouvernement. Pour ce qui est présenté comme la grande réforme du quinquennat (Sarkozy aime à parler de l’Université dans l’Europe de la connaissance- petit caporal à la recherche de galons d’intellectuel), c’est une négociation restreinte, à la CPU (conférence des présidents d’université) et aux organisations « représentatives », et limitée dans le temps, qui va s’ouvrir. Et encore, le gouvernement choisit-il les interlocuteurs qu’il écoute ! L’opposition au texte, exprimée par une très large intersyndicale (regroupant notamment la plupart des syndicats de personnels des universités), n’est absolument pas prise en compte. A l’inverse, l’oreille est attentive pour les responsables de la CPU, qui ne représentent qu’eux-mêmes, en tout cas pas les communautés universitaires, puisque sur ce dossier elles n’ont pas été consultées.

Mais ce sont les réactions des étudiants que Sarkozy craint, eux qui sont majoritairement opposés aux idées de sélection et d’augmentation des droits d’inscription. L’hyperprésident va circonvenir « leurs » représentants (pas tous, mais les principaux), traitant en catimini avec eux dans l’atmosphère feutrée d’un restaurant où il les avaient invités (invitation, on en conviendra, inhabituelle, plus inhabituelle encore étant l’acceptation, par des syndicalistes, de s’asseoir autour d’une table de négociation si particulière !). Et obtient, en particulier de l’UNEF, que celle-ci ne s’associe pas au mot d’ordre de retrait du texte, mieux qu’elle affirme que cette réforme-là, d’autonomie, était nécessaire. En échange, le gouvernement a renoncé, mais on le verra ce n’est que provisoire, à l’introduction de la sélection à l’entrée du master et à la hausse des droits d’inscription.

Tout avait donc été prévu pour que la mobilisation n’ait pas lieu. D’où l’ire des « modernisateurs ». Qui se traduit d’abord par une mauvaise foi confondante. Ainsi, Le Monde, dans son éditorial du 14 novembre, dont le titre même (L’université en otage), au-delà du contenu, vise à disqualifier d’emblée une mouvement qui s’étend rapidement, énonce avec aplomb qu’il y a « un accord assez large de la communauté universitaire » sur la LRU puisque « la loi du 11 août s’appuie pour une bonne part sur les recommandations de la conférence des présidents d’université ; mais elle a surtout été sur bien des points négociée avec le principal syndicat d’étudiants. » Singulière conception de la communauté universitaire, réduite ici à la CPU et à l’UNEF.

Mais ce sont aussi sept présidents d’universités parisiennes qui affirment, toujours dans Le Monde, depuis longtemps devenu l’organe central du parti modernisateur, le 15 novembre que « ce sont les universités elles-mêmes qui ont demandé à ce que les nouvelles dispositions prévues par la loi LRU s’appliquent à l’ensemble des établissements(…) » |1|. Les universités pour la LRU ? Jamais leurs parlements (les conseils des universités) n’ont été consultés ! Mais effectivement, la loi nouvelle reprend largement les desiderata de la Conférence des présidents d’université. D’où leur courroux face à des étudiants qu’ils avaient dénoncés comme minoritaires et qui s’avèrent de plus en plus nombreux à avoir prescience de ce que la loi nouvelle accroîtra encore les inégalités et entamera un peu plus le service public. Et nos présidents, en rupture avec une certaine tradition universitaire où l’on privilégie continûment le débat, de faire donner, ici et là, la troupe, alors que l’ordre public universitaire n’est, pour le moment en tout cas, en rien menacé : la caporalisation des universités est bien en marche.

La Coterie des présidents d’université (cpu)

On le voit, il faut, pour comprendre la réforme LRU, revenir sur le rôle spécifique joué par la CPU. Car c’est elle qui, comme un lobby classique, a fourni l’ossature du texte de loi et du discours de justification qui l’accompagne.

Déjà en 2003, mobilisant d’ailleurs les services d’un cabinet spécialisé dans cette forme-là de « communication » |2|, mais oubliant une nouvelle fois de consulter les usagers et les personnels des universités sur cette question, la CPU avait plaidé pour la « réforme nécessaire », d’ « autonomie » et de « modernisation », auprès de Luc Ferry ; au grand dam des présidents, le philosophe-ministre trouva finalement plus sage, face aux mobilisations de la rue, de surseoir. Mais la CPU ne renonça pas : elle a continué à revendiquer, auprès des politiques, plus d’autonomie et de pouvoir, non pour les universités au vrai, mais pour les présidents |3|. Et elle va être écoutée par la gauche et la droite modernisatrices, réunies dans la célébration de la LOLF |4|.

Le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur la gouvernance de |5|, rédigé consensuellement par Michel Bouvard (UMP) et Alain Claeys (PS) en juin 2006, fait la part belle aux demandes des présidents puisqu’il propose le renouvellement du mandat du président (proposition n°1), le droit de veto présidentiel sur les nominations dans l’établissement (proposition n°2) etc., autant de propositions reprises dans la loi LRU, ce que ne manquera pas de rappeler perfidement Valérie Pécresse lorsque des parlementaires socialistes exprimeront, lors des débats de juillet, des réserves, bien timides réserves en vérité. En septembre 2006, la CPU va donc se lancer dans une deuxième campagne de lobbying (les farces démocratiques, dans l’histoire, se répètent toujours deux fois !), entreprenant les candidats à la présidentielle, sans là encore avoir jamais consulté les parlements des universités sur ces revendications, ou organisé d’Etats généraux. Mais il est vrai, ces revendications de la CPU étaient d’abord corporatistes ; quant au contournement des conseils, et par là des communautés universitaires, il anticipe l’avènement des hyperprésidents institués par la LRU.

Le règne annoncé des hyperprésidents

Les présidents avaient déjà beaucoup de pouvoir, quoiqu’ils en disent. Beaucoup de pouvoirs dans les universités, même si leur position par rapport au Ministère était plus faible, la contractualisation en vigueur depuis 1989 permettant à la tutelle d’orienter très fortement les politiques des établissements. Par rapport à l’Etat, la loi nouvelle ne donnera pas plus d’autonomie à la plupart des universités, celles dont les ressources financières sont, et resteront malgré les mirages des mannes financières extérieures, foncièrement limitées. Par contre, dans leurs établissements, avec ce nouveau texte, les Présidents deviennent tout puissants.

Ils pourront recruter à leur guise, dans la limite cependant des marges budgétaires, des contractuels, pour des tâches administratives et techniques (en catégorie A) mais aussi, ce qui est nouveau, pour des fonctions de recherche et d’enseignement. Et cela pour une durée déterminée ou indéterminée |6| . Pour ces dernières fonctions, de recherche et d’enseignement, ils devront prendre l’avis du « comité de sélection », créé par la LRU : mais un avis n’est que consultatif. Cette possibilité, pour le Président, de recruter, à titre contractuel, mais possiblement sur la longue durée, des enseignants, des enseignants-chercheurs ou des chercheurs est un pouvoir insigne. Car il aura ainsi la maîtrise, avec la possibilité de substituer des contractuels aux fonctionnaires, de tous les recrutements. Et l’on peut imaginer qu’il y aura des contractuels qui seront embauchés pour exercer dans des conditions de travail et de rémunération plus précaires que les « statutaires ». Mais que tous les contractuels ne seront pas précaires. Certains seront choyés par le Président. A raison de leur rayonnement international en recherche ? Parfois, sans doute ! Ou parce qu’ils figurent au panthéon académique présidentiel, panthéon qui peut réserver bien des surprises. Pierre Lunel, ancien président de Paris 8, réclamait en février 2007 l’autonomie des universités pour pouvoir recruter et bien payer de « très grosses pointures » |7| , citant alors Henri Kissinger ou Bill Gates. Plus prosaïquement, avec ce pouvoir de nomination, les Présidents pourront être tentés de recruter des notables locaux (un avocat sans clientèle comme professeur de droit, un député non réélu ou invalidé comme sociologue etc.) ou récompenser des mécènes, naturellement désintéressés. Au-delà de ce que ce recours aux contractuels est une remise en cause du statut de la Fonction publique, il ouvre la voie à toutes les dérives népotiques.

Mais le pouvoir personnel du Président en matière de recrutement va s’exercer aussi sur les postes d’enseignants statutaires. Le système de recrutement actuel, à travers des commissions de spécialistes locales, devait être réformé, au nom de l’équité : ces commissions sont souvent minées par le localisme (le concours est national, mais les candidats locaux sont en réalité privilégiés) ou plus rarement menacées par l’excès inverse, l’anti-localisme d’affichage (on exclut d’emblée les candidats « locaux », avec une définition d’ailleurs plus ou moins extensive de ce qu’est un candidat local), à peine plus justifiable. L’association de réflexion sur l’enseignement supérieur et la recherche (ARESER) propose depuis longtemps que ce recrutement s’opère par le biais d’un concours vraiment national où tous les candidats seraient auditionnés et classés par un jury national.

La loi LRU supprime les commissions de spécialistes, remplacées par un « comité de sélection ». Celui-ci est composé d’une majorité, mais d’une majorité seulement, d’enseignants-chercheurs et chercheurs de la discipline dans laquelle va s’opérer le recrutement, le comité devant être composé pour moitié de membres extérieurs ; pour siéger valablement, ce qui est une bonne chose- à condition qu’ils soient de la discipline -, ces extérieurs doivent être présents. Mais si le comité de sélection sélectionne, là encore, le Président garde la maîtrise du recrutement : il peut en effet poser un veto sur le choix du comité |8| . Et la nécessité de motiver ce refus n’est pas une limite sérieuse à l’arbitraire présidentiel, malheureusement possible.

Plus d’autonomie pour le président = moins d’autonomie pour la recherche

Indépendamment des autres prérogatives nouvelles que la loi lui reconnaît, ce pouvoir présidentiel considérable, en matière de recrutement, laisse craindre une remise en cause de l’autonomie intellectuelle des enseignants et chercheurs. La dépendance des enseignants et chercheurs à l’égard du Président va résulter aussi du pouvoir de modulation des services entre enseignement, recherche et administration qu’il exercera de fait, puisqu’il a désormais « autorité sur l’ensemble des personnels » |9|, même si le Conseil d’administration définit les règles générales de cette modulation |10|. Il lui sera loisible d’accabler de cours ou de tâches administratives tel enseignant-chercheur jugé peu « loyal », rendant impossible la poursuite de ses recherches ; et à l’inverse de récompenser tel autre, par des allègements de service, éventuellement doublés de primes.

Cette possibilité de moduler les services, même si l’arbitraire présidentiel ne s’exerce pas, marque bien une remise en cause du statut des enseignants-chercheurs. La modulation s’exercera selon les universités de façon différente, mais globalement c’est l’activité de recherche qui sera la variable d’ajustement. Il ne fait guère de doute que dans les établissements les plus pauvres, la modulation passera par une augmentation des heures d’enseignement et de tâches administrativo-pédagogiques, au détriment de la recherche, pour faire face aux charges, et faute de moyens.

On le voit, le texte de la LRU reprend les revendications de la CPU ; des revendications corporatistes, accroissant le pouvoir des présidents, améliorant leur statut et leur donnant toute autonomie par rapport à la communauté universitaire. Emblématique est sous ce rapport la possibilité pour le Président de renouveler son mandat, vieille revendication de la corporation des présidents d’université (cpu), aujourd’hui satisfaite. Redevenir, « simplement », enseignant-chercheur, au terme d’un mandat ? Ce serait la solution de sagesse, puisque la charge est si lourde. Beaucoup ne parviennent pourtant pas à envisager de revenir au rythme de l’enseignement et de la recherche. Et cela explique l’investissement privilégié de certains dans la CPU : le Ministère, bon prince, a puisé souvent par le passé recteurs et directeurs (d’administration centrale) dans le bureau de la conférence des présidents. Mais au-delà de ces possibilités ouvertes de deuxième carrière, au sein de l’administration tutélaire, d’autres avaient aussi trouvé le moyen de contourner l’impossibilité d’une réélection immédiate. Le poste de « délégué général » (l’administrateur donc) de la CPU, pour attendre de se représenter comme Président, pour un deuxième mandat, non consécutif.

La loi LRU permettra désormais à tous les présidents qui le souhaitent de prolonger leur carrière : c’est une amélioration de leur statut, mais qu’y gagnent les universités ? Les présidents vont se professionnaliser, leurs profils vont être plus administratifs, rompant avec les traditions de l’Universitas d’un président, simplement, mais c’est la toute la noblesse du principe, primus inter pares. Dans le même sens, et plus grave encore, le Président ne sera plus forcément un pair : un enseignant « associé », par exemple un chef d’entreprise recruté pour, soi-disant, « professionnaliser » l’université, pourra ainsi le devenir |11|.

Les licences du président

Le tableau que nous avons dressé jusque-là pourra paraître exagérément noirci. Effectivement, tous les présidents d’université ne chercheront pas à « jouir du pouvoir » (pour reprendre la belle formule de Pierre Legendre), considérable que leur donne la LRU, même si ces prérogatives élargies attireront certains |12|. Car toutes les dérives absolutistes sont possibles, la loi n’ayant pas prévu de contrepoids.

Les parlements des universités, conseils de la vie et des études universitaires, conseil scientifique et conseil d’administration ? Pour les deux premiers, leurs pouvoirs, déjà limités, sont encore restreints ; ils ne participeront plus à l’élection du Président. Le conseil d’administration, resserré et aux attributions, nous dit-on, renforcées ? Le resserrement est incontestable : il n’y aura que 20 ou 30 membres dans le nouveau conseil, selon la configuration choisie, les étudiants et les personnels non enseignants faisant les frais de cette contraction. Mais le conseil d’administration pourra être facilement contrôlé par le Président à qui la nouvelle loi donne le pouvoir de nommer entre 26% (8 sur 30) et 35% (7 sur 20), des membres, les personnalités extérieures qui lui seront a priori favorables.

Le président a, donc avec la loi sur les libertés et les responsabilités des universités toutes les libertés |13|, qui confinent aux licences, mais n’est pas responsable, même devant ce Conseil ! Certes, il doit soumettre au CA un rapport d’activité annuel ; si celui-ci n’est pas approuvé, marque d’une singulière défiance, celui-ci peut continuer à exercer, en toute liberté.

Le gouvernement a ainsi refusé d’introduire un quelconque dispositif d’impeachment, pourtant réclamé par certains élus de sa majorité, qui avaient là sans doute des réminiscences « de l’esprit des lois », de la théorie des poids et contrepoids. Et cela au motif « qu’il risque de politiser les antagonismes et de favoriser des alliances syndicales de circonstance pour déstabiliser la présidence » et qu’il « faut se méfier des révolutions de palais qui peuvent traverser nos universités ! » |14| ! Comble des paradoxes pour une loi d’autonomie, si la crise entre un président et son conseil venait à perdurer, c’est la mise sous tutelle rectorale que prévoit le texte. |15|

|*A suivre…

2ème partie : Le darwinisme social appliqué à l’enseignement supérieur ou les effets de la mise en concurrence des universités
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|1| Sous le titre « Défendre l’université » !

|2| Sur cet épisode, et cette première tentative de réforme libérale de l’université, voir Abélard, Universitas calamitatum. Le Livre noir des réformes universitaires, Editions du Croquant, 2003.

|3| Comme le résume, devant la mission d’évaluation et de contrôle de l’assemblée nationale en 2006, celui qui n’est encore que directeur de la conférence des doyens de science mais dont on sent déjà la fibre présidentielle, ou plutôt hyperprésidentielle (il est devenu depuis président de l’université de Brest) : « Pour moi, un Président n’a jamais trop de pouvoir ». Assemblée nationale. Rapport d’information n°3160 du 14 juin 2006 de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) opus cité p 149

|4| La loi organique relative aux lois de finances qui traduit l’importation, dans les procédures budgétaires, des principes du « nouveau management public ».

|5| l’université Assemblée nationale. Rapport d’information n°3160 du 14 juin 2006 de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur la gouvernance des universités dans le contexte de la LOLF de l’Assemblée nationale

|6| Nouvel article L 954-3 du Code de l’Education.

|7| « Je souhaite que l’université obtienne la possibilité de pouvoir recruter une partie des enseignants, des professeurs associés, de très grosses pointures, comme Kissinger ou Bill Gates. Et qu’elle soit capable de les payer ce qu’ils méritent. Actuellement, ils touchent si peu qu’il faut qu’ils aient déjà un emploi ailleurs ! » Interview dans le Nouvel Observateur n°2204 du 1er février 2007. Pourquoi pas aussi le mercenaire Bob Denard (mais il vient de mourir), dont Lunel était le biographe, pour un cours de relations internationales ?

|8| Art.L712.2 du Code de l’éducation : « aucune affectation ne peut être prononcée si le président émet un avis défavorable motivé. »

|9| Art L712.2.

|10| « Le conseil d’administration définit, dans le respect des dispositions statutaires applicables et des missions de formation initiale et continue de l’établissement, les principes généraux de répartition des obligations de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. » Art L 954.1 . Pour permettre cette modulation, les décrets fixant les obligations de service des enseignants-chercheurs (192 heures, équivalent TD, annuelles) et enseignants (384h) vont être modifiés.

|11| « Le président de l’université est élu à la majorité absolue des membres élus du conseil d’administration parmi les enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou tous autres personnels assimilés, sans condition de nationalité. » Art 712-2

|12| A l’image d’icelui, précité, affirmant qu’ « Un Président n’a jamais trop de pouvoir ».

|13| Art L 712.3

|14| Assemblée nationale, 1ère séance du 24 juillet 2007, Compte rendu analytique.

|15| Art. L. 719-8.