Entretien avec Noël Pons, ancien inspecteur des Impôts, ancien conseiller au Service central de prévention de la corruption. Auteur de Cols blancs et mains sales : économie criminelle, mode d’emploi, Paris, Odile Jacob, 2006. Cet entretien a déjà été publié dans le n°78 de Mouvements, Peut-on Aimer le Football?, publié en juillet 2014, soit quelques mois à peine avant que n’éclate le scandale de corruption qui touche actuellement la FIFA. Notamment, Michel Platini était encore président de l’UEFA. Par Noé le Blanc pour la revue Mouvements.

Site personnel de Noël Pons: www.noelpons.fr

Mouvements: Dans son livre Le milieu du terrain[i], le journaliste d’investigation spécialisé dans la délinquance financière Denis Robert écrit que “le football est devenu une formidable machine à blanchir l’argent”. Partagez-vous ce constat?

Noël Pons: Je suis assez d’accord avec cette analyse. L’argent tourne très vite dans le football, ce qui a permis d’en faire à la fois une sorte de laboratoire pour des montages frauduleux inédits et un site dans lequel se développent les montages déjà existants. Mais en cela, il n’est pas différent de beaucoup d’autres secteurs de l’économie. Globalement, le blanchiment n’est que la conséquence d’un comportement de fraude généralisé, devenu presque industriel. Auparavant, seuls les trafiquants de drogue avaient recours au blanchiment d’argent de façon systématique, mais depuis que les entreprises se sont mises à frauder massivement, elles ont besoin de blanchir leurs fonds illégaux. Tout fraudeur a recours au blanchiment aujourd’hui, pas simplement les criminels. Le football est donc représentatif du fonctionnement actuel de l’économie, avec tout de même un 0 en plus dans les chiffres.

La situation s’est aggravée avec la crise de 2008 parce que les entités économiques ayant besoin d’argent, nombreuses sont celles qui sont prêtes à accepter des fonds douteux.[ii] C’est vrai aussi des clubs de foot. Les clubs espagnols sont par exemple pour moitié en faillite : en 2011-2012 notamment, certains clubs n’ont pu payer leurs joueurs pendant plusieurs mois. Cela ne veut pas dire qu’à chaque fois qu’on est déficitaire on devient un “truand”, on peut aussi descendre en division inférieure. Mais les clubs sont souvent déficitaires à cause de leurs dirigeants. Comme ce sont eux qui ont « pompé » les bénéfices du club, ils vont tout faire pour ne pas tomber en division inférieure, sinon leur responsabilité apparaitra. Le phénomène est similaire à celui rencontré dans une entreprise classique. La course en avant camoufle pour un temps les détournements.

Mouvements: Quelles sont les méthodes de blanchiment les plus couramment utilisées?

N.P.: Des méthodes extrêmement simples. Pour expliquer une rentrée d’argent illégale en évitant les contrôles, qui malgré tout existent, il suffit de surfacturer un transfert en vendant dix fois son prix un joueur qui a deux pieds gauches à un complice dans un autre club. Il est facile de majorer un contrat, puisque la valeur d’un sportif est très subjective. Il suffit de mettre en présence un club bien contrôlé et un club mal ou pas contrôlé, et vogue la galère. Certains joueurs vieillissants ne font que passer d’un club à l’autre, sans jamais mettre un pied sur le terrain. On retrouve le même phénomène chez les mannequins ou les traders de haut niveau, ou encore dans le marché de l’art.

Le problème du blanchiment, c’est rendre de l’argent légitime, c’est-à-dire le justifier par une opération de camouflage. Soit vous surfacturez, c’est-à-dire vous faites une fausse facture, soit à l’inverse vous fraudez en achetant un joueur plus cher que sa valeur pour faire de l’évasion fiscale. Ce qui est fraude d’un côté est blanchiment de l’autre, bref c’est « fromage et dessert ». La mécanique comptable est la même que pour n’importe quel autre produit, comme les matières premières par exemple. Vous pouvez faire la même chose avec un rachat de club. Après la guerre au Kosovo, beaucoup de criminels se sont retrouvés à la tête de sommes d’argent considérables et ils ont racheté des clubs. L’intérêt pour eux, c’est qu’un club voyage, ce qui permet de vendre des armes, de la drogue ou des produits de contrebande sans grand risque d’être contrôlé. Quel policier va arrêter un bus de supporters enivrés?

D’autres techniques de blanchiment que la surfacturation existent, bien entendu. Par exemple, la justice espagnole a diligenté une procédure de blanchiment de narco-dollars colombiens dans lequel le père de Lionel Messi a été entendu. Sous couvert d’une ONG, des matchs de gala permettaient de “vendre” en masse des billets à des spectateurs fictifs. C’est le système dit “du rang zéro”. Ces places étaient “payées” en argent liquide. C’est un procédé que l’on retrouve souvent dans l’univers du spectacle. Les matchs de gala se prêtent très bien à ce système, ainsi qu’à l’organisation de paris truqués, car il n’y a pas de contrôles. Dans certains pays, on multiplie le nombre de spectateurs : dans certains clubs balkaniques on a pu vendre 28 000 billets dans des stades ne contenant que 10 000 places. Les opportunités sont nombreuses. Dans les années 1930, les criminels achetaient des boxeurs, des chevaux ou des clubs de foot parce que le sport offre des possibilités exceptionnelles pour les activités financières illégales. On peut passer aussi par des clubs de supporters : pour calmer leurs ardeurs destructrices, on leur donne des cartes VIP qui sont revendues à prix d’or. Les sommes obtenues permettent d’acheter de la drogue, par exemple.

Mouvements: Un rapport du Groupe d’Action Financière[iii] (GAFI) de juillet 2009 intitulé “Le blanchiment d’argent dans le secteur du football”[iv] décrit le monde du football comme un environnement particulièrement vulnérable au développement de la délinquance financière. Pourriez-vous expliquer les principales raisons de cette vulnérabilité?

N.P.: Le football présente tous les critères de la vulnérabilité : les montants sont importants, les régimes juridiques sont différents et les contrôles et la traçabilité sont inexistants dans beaucoup de pays. C’est surtout ce dernier aspect qui est important. La force effective d’un système de contrôle est celle de son maillon le plus faible. Si le contrôle est plus lâche à un endroit, il y a un effet d’aspiration des pratiques illégales vers cet endroit. Or, dans certains pays, très peu de contrôles effectifs existent. Au Brésil, l’obligation pour les clubs de tenir une comptabilité date de 2006, et ils avaient jusqu’en 2009 pour la mettre en place. Il existe une liste officieuse des clubs “pourris” à l’échelle mondiale que connaissent les professionnels du secteur. Pour les paradis fiscaux, c’est la même chose : il existe une liste officielle, mais les acteurs du métier ont créé leur propre liste dans laquelle figurent les pays dans lesquels les fraudes sont récurrentes. Quant aux paris illégaux, les trois-quarts des pays européens sont incapables de récupérer les données informatiques nécessaires à une enquête, même si le texte qui permet de lancer des poursuites existe. Dans de nombreux pays, les footballeurs ne sont condamnés que lorsqu’ils tuent leur femme, ou se font prendre bêtement en train de transporter de la drogue, les sanctions pour corruption sont rares. Seuls les très grands scandales sont sanctionnés.

Ce laxisme provoque des situations ubuesques. En France, en Angleterre, en Allemagne, il y a environ une affaire de délinquance financière par an. En Chine, ils sont obligés de suspendre le championnat tellement ils ne savent plus démêler les coupables des innocents. En Turquie, le champion a récemment été suspendu pendant un an.

Les liens entre le football et le monde criminel sont parfois très étroits. En Italie, un club a failli être acheté ouvertement par une structure mafieuse. Certains oligarques russes ont pour leur part, avec des fonds déjà blanchis, acheté une protection en finançant des clubs célèbres. En Bulgarie, après la guerre du Kosovo, la durée moyenne des présidents de club était de six mois, ils étaient rapidement assassinés. Six ou sept présidents de clubs ont été tués à la fin des années 1990. Donc d’une part existent des systèmes sophistiqués de trucage de matchs, d’autre part des manières d’intervention plus primaires.

Un lien existe par ailleurs entre le dopage et la délinquance financière: pour acheter les “médicaments dopants” si le club ne les fournit pas, des espèces sont nécessaires. A priori les chèques sont proscrits. Il faut alors du “black”, et des fausses factures… Dès qu’on veut s’engager dans des pratiques illégales, la seule façon de ne pas se faire repérer rapidement est de disposer d’espèces, donc de faux documents qui maquillent ces sorties en liquide. Mais finalement, c’est toute l’économie qui fonctionne comme cela.

Mouvements: L’afflux massif d’argent que le football a connu à partir des années 1980 a-t-il été un facteur proprement déclencheur, ou simplement aggravant?

N.P.: Le facteur nouveau est la mondialisation, c’est-à-dire la rapidité et la facilité de transferts de capitaux. Quand vous voyez que les clubs de certains pays comme la Chine ou le Brésil n’ont même pas de comptabilité… Les comportements délinquants existaient avant, mais on n’avait affaire qu’à du bricolage, on pouvait attraper les fraudeurs à la frontière… La dérégulation a beaucoup profité aux “criminels”. C’est depuis la mondialisation que les sommes en jeu dans le football ont explosé. Dans les années 1975-80, les redressements dans le domaine du football tournaient autour de 30 000 euros. Actuellement, on a changé d’échelle. Mais comme dans tous les domaines, c’est le côté noir des affaires qui s’est développé.

La grande différence tient à l’instabilité des  situations. Avant, on restait trente ans dans son entreprise, ou dans son club. La fraude était présente, mais elle restait locale et limitée, parce que les gens savaient qu’ils allaient rester et qu’il était plus difficile de détourner de fortes sommes. On pouvait à la limite ignorer le phénomène sans que cela devienne trop problématique. On détournait des remboursements de frais, on surfacturait à la marge, etc., des bêtises. Mais pour faire passer de l’argent de l’autre côté d’une frontière, il fallait utiliser les valises. De nos jours, le moindre montage se chiffre en millions, c’est devenu incontrôlable.

Le sens de l’intérêt collectif a aussi disparu. Il y a trente ans, un fraudeur était regardé de travers, de nos jours il est applaudi. Il n’était pas rare que certains dirigeants perdent tout pour faire avancer leur club. Maintenant, cela n’existe plus. Par contre, on a beaucoup de gens qui détournent des fonds et qui disparaissent. C’est l’esprit “tout pour ma pomme et je me tire” typique de la mondialisation. Les financiers rachètent des clubs des équipes depuis une vingtaine d’années alors que ces clubs étaient une affaire de municipalités. Même lorsque le club appartenait à une entreprise, comme Peugeot qui possédait le FC Sochaux, le lien avec la ville était indissoluble.

Cet afflux d’argent dans le foot résulte pour l’essentiel du sponsoring et des revenus télévisuels. Le foot est ainsi devenu une activité où l’image est centrale. Cela pousse à la dépense excessive, somptuaire : si vous faites signer un joueur célèbre, vous pouvez prétendre à des victoires futures et donc obtenir davantage de prêts, avec lesquels acheter d’autres joueurs, etc. Pour passer à la télé et bénéficier des revenus télévisuels, il faut aussi avoir des grands joueurs. Inversement, si votre image est mauvaise, personne ne veut plus vous prêter de l’argent ni investir dans votre club, et vous devrez vous tourner vers des organisations atypiques pour espérer relancer la machine.

Mouvements: Les paris illégaux ont-ils connu un développement similaire?

N.P. : Le récent procès à Bochum (Allemagne), où plusieurs personnes ont été condamnées pour avoir truqué un grand nombre de compétitions[v], démontre que le phénomène des paris illégaux se porte bien. Environ 1700 sites de paris apparaissent et disparaissent chaque jour. Grâce à l’internet, vous pouvez organiser des paris à partir de pays où aucun contrôle n’existe. En avril 2013, une enquête préliminaire a été ouverte par le pôle financier de Bastia à propos de la rencontre Ajaccio-Montpellier en Ligue 1. Montpellier était déjà champion, tandis qu’Ajaccio était relégable. 200 000 euros auraient été misés sur des sites affiliés à la Française des Jeux par des montpelliérains pariant sur une victoire d’Ajaccio, obtenue sur penalty dans le temps additionnel. L’enquête est en cours. Si les paris avaient été effectués sur un site non officiel au lieu de celui de la FDJ, nul ne l’aurait jamais découvert.

            De plus, de nos jours, toute une gamme de paris est proposée. Par exemple, à l’époque où je préparais mon ouvrage “Cols blancs et mains sales”, on a constaté qu’un grand nombre de blessures graves se produisaient dans le championnat allemand. On a cherché à comprendre la raison de ces blessures, et il est apparu que des paris étaient engagés sur le premier carton rouge du match : par conséquent, certains joueurs dès le début du match tentaient de “casser” des adversaires pour se faire exclure au plus vite, afin que leurs complices empochent des gains. L’UEFA, la FIFA, le CIO et des instances du cyclisme, dont les sièges sont en Suisse, tentent de limiter ces dérives.

Mouvements: Le rapport du GAFI insiste beaucoup sur la concentration financière qui existe dans le monde du football. Plus de la moitié des revenus du football mondial sont absorbés par les cinq championnats les plus riches du monde (la premier League britannique, la Bundesliga allemande, la Liga espagnole, la Serie A en Italie et la Ligue 1 en France). Cette concentration favorise-t-elle la délinquance financière?

N.P.: L’importance des sommes en jeu n’est pas en soi une cause de suspicion, si la provenance des fonds est connue. Les personnes ou les sociétés qui rachètent des clubs pour des fortunes apparemment à perte peuvent en fait y trouver leur compte, par exemple en se rattrapant sur le prix des transferts de joueurs si elles possèdent d’autres clubs. Il s’agit de montages triangulaires classiques. Il est clair cependant que l’attirance pour le fric génère de la délinquance. Récemment à Marseille, les footballeurs ont été victimes d’une épidémie de car-jacking. Comme on sait qu’ils ont de l’argent, à chaque fois qu’ils achetaient un véhicule neuf, des petits truands les suivaient et leur volaient le véhicule. C’est vrai à tous les échelons. Plus de la moitié des grands sportifs se font escroquer par leur conseiller fiscal. Les sportifs sont le plus souvent des jeunes peu formés et sans beaucoup de distance, qui ont l’habitude qu’on leur apporte tout. Ils ne prennent donc que peu de précautions. Ils sont d’autant plus faciles à “enfumer” que les conseillers leur proposent des montages compliqués pour échapper au fisc.

Mouvements: Pourquoi n’y a-t-il pas selon vous davantage de condamnations?

N.P.: Il y a très peu de poursuites d’abord parce que très peu de plaintes sont déposées. Ensuite parce que les poursuites sont uniquement diligentées dans quelques rares pays (France, Allemagne, Italie). De plus, celui qui veut dénoncer les pratiques risque à la fois d’être exclu de la famille du foot, et de n’obtenir qu’un non-lieu. Le foot est un monde très verrouillé. Par exemple, un petit nombre d’agents contrôle le marché des transferts et si vous ne passez pas par eux, vous ne pouvez pas travailler. Les agents défendent férocement leur panier de joueurs : le plus souvent ils s’attaquent devant les tribunaux, mais dans certains pays la violence physique n’est pas rare. Dans les années 2000-2002, dans le sud de la France, les agents menaçaient leurs propres joueurs de leur casser les genoux s’ils refusaient d’aller jouer en Angleterre, où les prix de transferts étaient les plus élevés.

En plus, les gens ne veulent pas savoir si des fraudes existent. Le foot, c’est “l’opium du peuple”. On se demande: “Zlatan va bien, ou est-ce qu’il est blessé?”, on crée des buzzs, etc… Et puis, les montages sont très complexes, donc prouver qu’il y a faute demande un travail considérable, avec des spécialistes. Même si en principe les délits financiers sont relativement simples, les réseaux qu’il faut détricoter sont extrêmement complexes. Les paradis fiscaux jouent un rôle d’intermédiaire clé, puisque c’est grâce à eux que ces transferts peuvent se faire à l’abri du regard de la justice. Les preuves de toute ces activités sont les transferts d’argent, mais quand ils sont réalisés aux îles Caïmans, il faut deux ans pour mettre la main dessus. Faute de moyens, il est donc difficile pour la justice de poursuivre tout le monde.

Il y a tout de même des condamnations, comme celle de Robert-Louis Dreyfus, président d’un grand club, dans l’affaire des comptes de l’Olympique de Marseille, en 2006.[vi] Mais les condamnations restent mineures par rapport au trafic. Le football est peu régulé d’abord parce qu’il représente finalement une activité marginale en termes économiques. Dans le cas de Marseille, il s’agissait du détournement de 10-15 millions d’euros. La fraude des grosses entreprises concernent des sommes dix fois supérieures. On n’a pas les moyens de tout vérifier, donc il faut hiérarchiser, et le football n’est pas prioritaire tout simplement à cause de la faiblesse relative des sommes d’argent en jeu.

Mouvements: La “Déclaration du Conseil européen relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe” de décembre 2000 souligne dans son point 7 “l’attachement” du conseil “à l’autonomie des organisations sportives et à leur droit à l’auto-organisation au moyen de structures associatives appropriées.” Cette autonomie est censée mettre le football à l’abri des ingérences politiques. C’est une forme de reconnaissance de l’importance sociale et non simplement sportive du football. Mais n’est-ce pas une sorte de renoncement à toute régulation effective, voire une forme de bénédiction officielle des pratiques illégales?

N.P.: Un club de foot qui fonctionne bien et qui suscite l’encouragement permet évidemment d’éviter un certains nombre de troubles sociaux dans votre ville. Pendant les matchs et leur préparation, les supporters violents ne cassent pas en ville. Donc le football a une utilité dans une collectivité. Il n’est pas rare que l’achat d’un club ne soit un préliminaire à une prise de pouvoir politique dans une ville. Néanmoins, il me semble approprié que les instances organisatrices des compétitions de football demeurent des institutions privées, comme l’UEFA et la FIFA, plutôt que des organismes intergouvernementaux.

Mouvements: Que pensez-vous du “fair-play financier” promu par l’UEFA de Michel Platini?[vii]

N.P.: Le fair-play financier est une excellente initiative qui vise à limiter les quantités d’argent dans le foot. Il s’agit d’éviter les trop grands déséquilibres entre clubs ou entre les championnats, et aussi d’empêcher que les clubs fassent faillite. Mais je pense que les pays sponsors comme le Qatar ou certains financiers des pays de l’est, vont rapidement réussir à contourner les normes de ce fair-play. Certains voudraient créer un championnat de foot à dix clubs, les clubs les plus riches, avec les meilleurs joueurs. Ces clubs ne descendraient jamais et ne prendraient jamais de risques. C’est organisé comme cela dans certains sports aux Etats-Unis, c’est plus commercial. On ne voit plus que des joueurs stars et des matchs prestigieux. La création de la Champion’s League était déjà un pas en ce sens, même si ce n’est pas explicitement inscrit dans les principes de cette compétition.

Mouvements: Le football, comme le sport en général, possède une structure de production spécifique dans la mesure où les compétiteurs (les clubs) produisent conjointement les matchs ou les compétitions qui les opposent, donc ont des intérêts communs très importants. Il existe donc dans le football une tendance lourde aux ententes et à la cartellisation. N’est-ce pas un argument contre la gestion de l’activité footballistique par des acteurs privés, par des clubs-entreprises?

N.P.: Je ne pense pas qu’une gestion par des structures étatiques serait une meilleure garantie d’honnêteté et de transparence. Regardez ce qui se passait en Union Soviétique! La seule solution serait un alignement judiciaire réel de tous les pays. C’est vrai aussi pour le reste des secteurs économiques…

Notes

[i] Robert, D. (2006), Le milieu du terrain, Editions Les Arènes, Paris.

[ii] « Le recours à l’endettement de la part des clubs de football professionnel européens est loin d’être un phénomène nouveau . En revanche, l’ampleur qu’il a pris depuis le début des années 1990 est plutôt inquiétante. A la fin de la saison 2009-2010, l’endettement des clubs professionnels de première division en Europe était de 8,4 milliards d’euros dont 5,5 milliards d’emprunts bancaires. Ces montants jamais atteints et les risques qui y sont associés peuvent légitimement faire craindre la multiplication d’accidents industriels. Nous pouvons notamment penser à la grève des joueurs de la Liga espagnole au début de la saison 2011-2012 et aux menaces d’annulation de la saison entière. Par ailleurs, le fait que la régulation financière dépende des instances nationales alors que la compétition européenne phare, c’est-à-dire la Ligue des Champions, est, elle, disputée au niveau européen pose un certain nombre de questions relatives à l’équité sportive.” En effet, il est établi dans la littérature (Kuypers et Szymanski, 1999; Drut, 2011) que les résultats sportifs sont corrélés aux dépenses salariales sur le long terme. Pour ceux qui le peuvent, il est donc tentant d’avoir recours à l’emprunt pour accroître son pouvoir de dépense et accéder plus facilement à la gloire et au succès. C’est notamment pour mettre fin à ce que Michel Platini, le président de l’UEFA, appelle la « victoire à crédit » que l’UEFA a établi les règles de fair-play financier. » Les règles de fair play financier dans l’UEFA : quelles conséquences pour le football européen ?,
International Review on Sport & Violence, n°7, 2013.

[iii] Organisme international chargé de formuler des recommandations quant aux politiques à mener en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et les transferts de capitaux illégaux.

[iv] Money laundering through the football sector, Financial Action Task Force, juillet 2009.

[v] Le procès est en cours. Le 09/11/2011, 50 personnes ont été accusées par la justice allemande d’avoir truqué 320 matchs dans 10 pays européens, y compris des matchs de coupes européennes et des rencontres internationales. Cf. P. Boniface, S. Lacarrière, P. Verschuuren, Paris sportifs et corruption, IRIS éditions, 2012.

[vi] L’affaire des comptes de l’OM est une affaire financière jugée en première instance du 13 au 30 mars 2006 par le tribunal correctionnel de Marseille pour des malversations survenues au sein du club phocéen à l’occasion d’une quinzaine de transferts frauduleux entre 1997 et 1999. Quatorze personnes ont été jugées : Robert Louis-Dreyfus, actionnaire majoritaire de l’OM, Rolland Courbis, entraîneur, et douze autres prévenus, essentiellement des agents de joueurs.

[vii] « Quelles sont exactement les règles du FPF? A partir de la saison 2013-2014, l’accès aux compétitions européennes (Ligue des Champions et Ligue Europa) sera conditionné à de nouvelles règles : les recettes des clubs ne devront pas dépasser les dépenses de plus de 5 millions d’euros sur les deux saisons précédentes (sur les trois saisons précédentes à partir de la saison 2015-2016). Cette « tolérance » sera portée à 45 millions d’euros si les actionnaires couvrent l’excès de dépenses (30 millions d’euros à partir de la saison 2015-2016). Seules les recettes et les dépenses liées aux « opérations footballistiques » seront prises en compte : en particulier, les « dépenses relatives à des activités de développement du secteur junior », les « dépenses relatives à des activités de développement de la collectivité » et les « charges financières directement attribuables à la construction d’immobilisations corporelles », c’est-à-dire d’un stade, seront exclues du calcul de l’équilibre recettes/dépenses. Contrairement à une vision largement répandue, l’éventail des sanctions est assez large : retenue sur les dotations financières en Ligue des Champions et Ligue Europa, déduction de points en phase de poules, interdiction d’aligner de nouveaux joueurs, voire exclusion des compétitions. Au passage, il convient de noter que l’UEFA n’a pas encore fait savoir ce qui ferait encourir une sanction plutôt qu’une autre.Nous pouvons faire trois constatations à ce stade :

a) Les règles de FPF constituent une incitation forte à l’équilibre entre recettes et dépenses pour les clubs susceptibles de participer aux compétitions européennes.

b) La limite acceptée de déséquilibre entre recettes et dépenses est de facto de 45 millions d’euros sur deux ans pour les clubs détenus par des milliardaires (généralement peu regardants sur les dépenses et prêts a renflouer le club sans aucune difficulté) et plus généralement pour les clubs importants qui peuvent procéder à des augmentations de capital sans encombre.

Ce sont bien les déficits et pas la dette qui sont ciblés par le FPF : les dettes existantes ne disparaîtront pas du football européen, tout au plus le FPF peut limiter leur accroissement. » Les règles de fair play financier dans l’UEFA : quelles conséquences pour le football européen ?,
International Review on Sport & Violence, n°7, 2013.