Alors qu’il entame sa quatrième année à la tête de l’Etat équatorien, Rafael Correa fait aujourd’hui face à un défi majeur de la part de certains des acteurs sociaux qui l’ont propulsé au pouvoir, sur fond d’exploitation des ressources naturelles.

Lors d’un discours adressé à l’ensemble de ses concitoyens début janvier, Correa a exprimé tout son courroux concernant « une série de conflits à venir ce mois-ci, parmi lesquels des mobilisations des populations indigènes, des ouvriers, des conflits à propos de la politique de communication, et même, des différends avec les forces armées. »

Le pays, emporté par la crise mondiale, est actuellement confronté à un ralentissement de l’économie et pâtit de pannes électriques chroniques. Pourtant, les racines de l’actuel affrontement sont plus profondes : il s’agit bien de la désillusion croissante de la « révolution citoyenne » qui a porté Correa au pouvoir en 2007 et qui constitue le fondement de son organisation politique, l’Alianza País, ou Alliance Pays. Correa avait alors promis de refonder le pays avec une nouvelle Magna Carta et de débarrasser le pays de la partidocracia corrompue, composée des élites financières et politiques qui, pendant près de deux décennies, avaient imposé des politiques économiques néolibérales désastreuses pour l’Equateur.
Il a mis en place au début de son mandat une série de programmes sociaux pour aider les plus pauvres en captant une partie des revenus pétroliers du pays et convoqué une assemblée constituante pour élaborer une constitution plurinationale prévoyant la large participation du peuple dans les institutions sociales et économiques du pays. Réélu président dans le cadre de cette nouvelle constitution, il a déclaré dans son discours inaugural du 10 août dernier que la révolution citoyenne « adhère à la révolution socialiste du XXIe siècle. »
Mais ses actions et ses relations avec les mouvements sociaux sont conflictuelles et démentent son engagement pour un socialisme participatif authentique. Comme me l’a dit René Baez, un activiste de longue date, coordinateur du Centre pour une Pensée Alternative de l’Université centrale de Quito : « Correa prône un modèle étatique de développement qui ne permet pas une participation populaire réelle. Ses actes violent la nouvelle constitution. Les travailleurs, les enseignants, les organisations autochtones et les écologistes n’ont pas leur mot à dire dans ce gouvernement. »
On compte parmi les groupes qui se préparent à une mobilisation nationale contre le gouvernement, l’Union nationale des enseignants, la Confédération nationale des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE), la Fédération étudiante universitaire, et un certain nombre de syndicats, dont la Confédération équatorienne des organisations de classe.
Lors de la désignation des nouveaux dirigeants d’ECUARUNARI, une grande fédération au sein de la CONAIE installée sur les hauts plateaux des Andes, le 8 janvier dernier au Théâtre national de Quito, le président en partance a déclaré : « Ceci est un message d’unité |contre le gouvernement|, c’est pour cette raison que nous avons invité les dirigeants et militants de toutes les organisations et mouvements de gauche. »
Il a ensuite demandé à Alberto Acosta de le rejoindre sur le podium. Acosta est l’un des économistes les plus respectés du pays, ministre de l’Énergie et des Mines dans le premier gouvernement de Correa et président de l’Assemblée constituante, jusqu’à ce qu’il soit contraint de démissionner par Correa. Acosta, appelant à l’unité entre les organisations sociales et indigènes, a déclaré : « La nouvelle constitution est devenue une camisole de force pour le gouvernement parce qu’elle prévoit que les transformations à effectuer le seront par le peuple ». Il a ajouté : « Les révolutions ne sont pas le produit de deux ou trois divas du gouvernement, mais le fruit d’organisations et de luttes. »
Le conflit central entre Correa et les mouvements sociaux a trait au contrôle de l’économie du pays, en particulier de ses ressources extractives, le pétrole et les riches gisements miniers récemment découverts. L’intensification du conflit date d’il y a un an lorsque la Commission législative de l’Assemblée nationale a approuvé une nouvelle loi minière.
Selon Acción Ecológica, organisation équatorienne très respectée avec une expérience de plus de quinze ans, la loi a été « écrite selon le modèle néolibéral » : elle favorise les investissements étrangers plutôt que les préoccupations sociales et environnementales, considère l’extraction des minéraux comme primant sur les droits des communautés et permet l’extraction minière à ciel ouvert et la destruction de la biodiversité, y compris l’utilisation illimitée des ressources en eau dans les opérations minières |1||. La loi « criminalise par ailleurs la protestation et le droit à l’exercice de la résistance ».
La mobilisation contre cette loi en janvier 2009 s’est organisée autour de groupes autochtones et d’organisations urbaines, environnementales et humanitaires, avec le soutien de la Fédération luthérienne des peuples autochtones. Des gaz lacrymogènes ont été lancés contre les manifestants, exposés à la répression pure et simple. Tous remettaient en question la loi sur les mines, considérant qu’elle est inconstitutionnelle parce que votée précipitamment, sans ample débat national. À la mi-mars 2009, la CONAIE a intenté une action en justice en affirmant que cette loi viole de façon flagrante la reconnaissance des droits fonciers des autochtones inscrite dans la nouvelle constitution. Durant cet épisode contestataire, des sociétés minières canadiennes ont reçu le feu vert pour lancer des opérations de prospection de gisements aurifères et de cuivre.
Correa avait déclaré l’année dernière que « le principal danger » pour le développement national était « l’infantilisme de gauche et écologique », ainsi que « l’indigénisme infantile ». Désormais, il affirme que les mouvements sociaux « incitent au soulèvement contre les entreprises minières. … Nous ne permettrons pas ces abus, et nous utiliserons la loi. Nous ne pouvons pas permettre que des jacqueries, où les manifestants barrent les routes et menacent la propriété privée, empêchent le développement d’une activité légale, l’exploitation minière. »
Les tensions se sont attisées en septembre lorsque le gouvernement a présenté un nouveau projet de loi sur l’eau. Les opposants ont fait valoir qu’il violait les dispositions de la Constitution en matière de contrôle entièrement public et communautaire des ressources en eau. En effet, cette loi autorise la privatisation de l’eau, met en place des limites à la participation des communautés dans la gestion de l’eau, donne un accès prioritaire aux utilisateurs industriels et surtout, ne contraint aucunement les compagnies minières à limiter le ravage des rivières et des aquifères |2|.
Une fois de plus des protestations ont éclaté, cette fois principalement dans la ville andine de Cuenca et dans la ville amazonienne de Macas. Alors que la police tentait de déloger deux barrages routiers près de Macas le 30 septembre, des violences se sont produites entrainant la mort d’un enseignant bilingue de la fédération indigène Shuar ; il y a eu des dizaines de blessés. Pour désamorcer la situation explosive, les deux parties ont convenu d’entamer un processus de dialogue permettant l’examen des lois sur l’eau et l’extraction minière ainsi que celui des dispositions de la nouvelle Constitution relatives à un Etat plurinational |3||.
Ces négociations n’ont mené nulle part. En début d’année, un représentant de l’ECUARUNARI, reflétant le sentiment général de la CONAIE et des autres mouvements sociaux, a déclaré que le gouvernement Correa « poursuit sa politique de droite, privatise les ressources nationales du pays, et manque de volonté politique pour mener à bien les changements dont le pays a besoin. » Il a continué en appelant à une mobilisation générale pour ramener le gouvernement « à la raison ». La proposition de loi sur les communications est également devenue un point de discorde, comme les lois sur l’eau et l’extraction minière, quand le gouvernement a décidé de fermer une station de radio Shuar pour avoir prétendument « incité à la violence ».
Le différend au sein du gouvernement sur l’exploitation adéquate des ressources de l’Équateur s’est soldé la semaine dernière par la démission du ministre Fander Faconi, à la demande de Correa pour cause d’« infantilisme écologique » dans ses négociations avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Fander Faconi avait accepté de laisser en terre les réserves de pétrole inexploitées du Parc National Yasuni, dans la région amazonienne, en échange de 3,6 milliards de dollars payés par les donateurs internationaux. Ironiquement, en prenant ses fonctions en 2007, et sous l’impulsion du ministre de l’Energie et des Mines d’alors Alberto Acosta, Correa avait fait de son administration une des parties signataires de ce projet |ITT|, démontrant par là-même que Nord et Sud pouvaient intelligemment collaborer pour mettre en place des accords sur les questions environnementales.
Mais Correa a également donné son accord à la société d’Etat, Petroecuador, pour continuer ses opérations d’exploration et de prospection des réserves de pétrole dans le Parc national ; tout en admettant qu’une autre entreprise d’État, Petroamazonas, ait été chargée de toute exploitation et activité de forage. Comme Fander Faconi était en train de mettre en place l’accord de fiducie avec le PNUD, Correa a déclaré ce mois-ci que la fiducie avait été entachée de graves irrégularités et que « ni les bureaucraties internationales, ni des usurpateurs internationaux » ne seraient autorisés à dicter leur loi à l’Équateur. Il a accusé Fander et Acosta d’avoir conspiré avec d’autres dans son gouvernement et dans l’Alliance Pays pour mettre en place des « barrières » autour de lui pour arrêter l’exploration pétrolière.
Correa a donné instruction à une nouvelle équipe de négociateurs pour que le PNUD n’ait plus le moindre rôle dans la gestion des 3,6 milliards de dollars, arguant : « Cet argent est le nôtre et il sera directement versé dans le budget de l’Etat. » Acosta affirme que le projet échouera si Correa continue d’adopter cette attitude, en ajoutant que « si un accord de fiducie n’est pas trouvé, le projet ne se fera pas . » Lors d’une assemblée ce week-end, la Fédération Shuar a pris une position plus radicale, en proposant une résolution demandant la révocation du mandat présidentiel de Correa, et en proclamant que si le gouvernement tente d’exploiter les ressources non renouvelables sur leurs terres, « nous défendrons notre territoire. »

Cet article a d’abord été publié sur le site de NACLA : www.nacla.org.

Mouvements l’a repris de Counterpunch.
Traduction par Morgane Iserte, dans le cadre du projet M-e-dium.


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|2| NdT : Un aquifère est une couche de terrain ou une roche, suffisamment poreuse (qui peut stocker de l’eau) et perméable (où l’eau circule librement), pour contenir une nappe d’eau souterraine. Une nappe d’eau souterraine est un réservoir naturel d’eau douce susceptible d’être exploitée. (source : Wikipédia)

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