Les transformations du capitalisme ont contribué, depuis les années 1980, à la fragmentation des espaces, des statuts et des temps du travail, fragilisant considérablement l’un des foyers d’émergence historique de la contestation du capitalisme : l’usine. Nous faisons l’hypothèse que les mobilisations pour le droit à la ville, notamment celles ancrées dans l’unité de lieu que représente le quartier, peuvent constituer un nouveau front des luttes sociales.

Le logement occupe une place paradoxale dans les mobilisations des quartiers populaires. Les témoignages de sa centralité ne manquent pas : comme espace privilégié de déploiement de la sphère privée et familiale, il est un socle de la vie quotidienne. Mais il est dans le même temps une source de précarité de plus en plus importante, comme en témoigne le taux d’effort moyen des ménages[1]. Le logement social est par ailleurs l’un des derniers grands services publics présents dans des territoires sous-dotés en la matière. Mais il est aussi, surtout quand il dysfonctionne (pannes de chauffage, d’ascenseurs, factures élevées…), une source récurrente de colère et d’indignation. La question du logement a par ailleurs été théorisée à plusieurs reprises comme un front de la lutte des classes, des premiers écrits de Friedrich Engels sur le logement ouvrier du XIXe siècle aux théorisations de l’opéraïsme italien sur la ville-usine, en passant par les travaux de la sociologie urbaine marxiste française des années 1970.

Les conditions matérielles et théoriques semblent donc rassemblées pour que le logement occupe une place majeure dans les contestations sociales. Pourtant, en ce début de XXIe siècle en France, cette question continue à être reléguée au second plan. C’est pour tenter de répondre à ce paradoxe, pour aller des conditions objectives de mobilisation aux tentatives en actes, que nous passons ici par l’étape intermédiaire de la proposition stratégique.

Celle-ci s’appuie notamment sur l’analyse de certaines formes de mobilisation qui sont bel et bien parvenues à l’emporter, autrement dit à gagner au sens matériel du terme : une baisse ou un maintien du loyer, l’évitement de l’expulsion ou de la démolition, l’accès au logement, la modification des plans d’un projet urbain… En nous appuyant sur un bilan empirique non seulement des défaites, mais aussi des victoires, cet article souligne le potentiel transformateur de la stratégie syndicale dans le domaine du logement. Nous désignons par là une stratégie qui reconnaît le caractère structurellement divergent des intérêts dans le capitalisme urbain – entre propriétaires d’usage et propriétaires de rente des logements – et qui cherche à organiser collectivement et durablement la défense des personnes dominées. Elle s’appuie sur une forme d’organisation ancrée dans la quotidienneté et les lieux routiniers, au sein de laquelle s’articulent défense des cas individuels et mobilisation collective. Enfin, elle mobilise un répertoire d’action large (du blocage de la production urbaine aux négociations avec les institutions) en vue d’obtenir des accords qui tiennent dans la durée, autrement dit des conventions protégeant les droits des habitant·es.

L’histoire des mobilisations des travailleur·euses, comme celles autour du logement, montrent à quel point syndicalisme et mouvement social sont deux formes d’action collective qui se renforcent et s’hybrident[2]. Le choix de promouvoir un cadrage syndical dans le présent article vise à souligner l’efficacité de stratégies qui ancrent la construction des formes d’organisation collective dans les temps et dans les lieux du quotidien – plutôt que dans ceux de l’événement et de l’espace médiatique. Pour sortir d’un sentiment de résignation de plus en plus partagé, tout l’enjeu est d’articuler les stratégies. Or, par choix ou par défaut, les formes les plus saillantes de mobilisation des quartiers populaires prennent aujourd’hui des contours insurrectionnels – à l’instar des émeutes de 2005 ou celles de 2023. En dépit de la politisation ordinaire des injustices dont elles témoignent, ces révoltes ne sont cependant pas parvenues à infléchir le sort des habitant·es des quartiers populaires.

Les exemples mobilisés dans notre article, tout comme celui de formes de community organizing aux États-Unis[3], montrent les limites du spontanéisme lorsqu’il s’agit de transformer durablement les rapports de pouvoir. Or la stratégie syndicale défendue dans ce texte fournit selon nous des ressources déterminantes non seulement pour gagner, mais aussi pour pérenniser les acquis et construire des identités collectives et des formes de politisation favorables à l’élargissement, au long cours, des luttes urbaines. Notre perspective s’appuie sur des enquêtes menées en première main, souvent depuis une position d’alliés dans plusieurs luttes urbaines, à Marseille, Lille et Roubaix au cours de la dernière décennie.

Gagner la bataille du temps


Prenons l’exemple des luttes face aux opérations de rénovation urbaine qui entraînent le délogement des habitant·es d’un quartier. Ces projets sont longs, discontinus et s’étendent souvent sur une ou plusieurs décennies. Ils promettent un avenir meilleur tout en laissant le présent se dégrader : la gestion courante des bâtiments est mise en suspens, au point que les conditions d’existence des habitant·es se détériorent considérablement. Cette expérience est si éprouvante qu’elle fabrique souvent le consentement des habitant·es au départ[4]. Pour les collectifs qui s’y opposent, il faut donc construire un rapport de force qui permet de tenir dans la durée pour éviter que les locataires ne se résignent progressivement à partir. Si la plupart des collectifs ont eu du mal à l’emporter, c’est notamment parce que leurs mobilisations ont été directement indexées sur les calendriers des projets eux-mêmes[5]. Apparus lors des premières réunions publiques de présentation des opérations, ces collectifs ont souvent été pris dans ce mouvement qui tend à détourner le regard du présent pour s’orienter vers l’avenir. En tentant de bloquer l’avancée du projet par exemple, on laisse au second plan la lutte pour l’entretien des conditions actuelles d’habitation (gestion courante des parties communes, des logements et des espaces publics, charges…). En luttant pour une charte future de relogement, on risque d’oublier de mener des recours contre les logements actuellement indécents. Si bien qu’au moment où les délogeur·euses arrivent, les habitant·es veulent parfois déjà partir, pour en finir avec un quotidien déjà trop dégradé.

Ces cas nous rappellent que ce sont les conditions matérielles d’existence du présent qui déterminent le rapport de force. Ce sont donc les luttes les plus ancrées dans la défense des droits du quotidien qui permettent d’enrayer le cycle de la résignation.

Le syndicalisme locatif, qui continue à défendre les droits de la population au quotidien, est souvent mieux armé pour gagner cette bataille du temps. Il garantit les conditions d’un habitat décent, qui entretient la détermination des habitant·es à rester chez soi et à s’opposer aux délogements. Il fournit alors les conditions matérielles pour se réapproprier l’arme du temps, déterminante pour gagner dans la contestation des projets urbains. Car face à la rénovation urbaine, la meilleure stratégie est souvent de retarder les projets, par le blocage. À la manière d’une grève du délogement, les habitant·es enrayent la production urbaine en lui refusant l’accès à leurs corps (blocage du relogement) et à leurs territoires (blocage du chantier)[6]. Ils et elles jouent alors sur une zone d’incertitude des projets urbains : leur calendrier. Chaque retard risque de faire perdre un financeur privé ou public, d’obliger à payer un·e prestataire en incapacité de travailler, ou d’accumuler des pénalités vis-à-vis d’un·e partenaire. L’adage « le temps, c’est de l’argent » ne saurait trouver meilleure application.

L’exemple de Molombes, cité d’habitat social située dans les quartiers Nord de Marseille, est révélateur. Un projet conventionné avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2005 prévoit d’y démolir plus de la moitié des logements. En menaçant de bloquer le chantier, les locataires obtiennent, au début des années 2010, le maintien du loyer au mètre carré en cas de relogement. Le bailleur social, maître d’œuvre du projet, cède car il a déjà passé contrat avec plusieurs entreprises et craint un retard très coûteux. Mais il refuse dans un premier temps de s’engager sur le maintien du loyer pour le cas des relogements qui se dérouleraient en dehors de son parc de logement[7]. Les locataires se mobilisent à la fin des années 2010, pour obtenir cette extension, mais n’arrivent pas à l’imposer. Une victoire sur cette question est cependant obtenue, au début des années 2020, dans un autre quartier de la ville : Bellevie[8]. Plus de cent locataires signent une pétition, s’engageant à ne pas ouvrir leurs portes aux chargées de relogement tant que le maintien du loyer n’est pas garanti quel que soit le bailleur de destination du relogement. La pression sur les calendriers se diffuse rapidement dans la chaîne partenariale, où les bailleurs sociaux sont tenus par des contrats passés avec plusieurs prestataires. Devant les difficultés, ils se retournent vers la métropole qui, prise dans des engagements avec l’État, finit par céder et garantir le maintien du loyer au mètre carré à l’échelle de l’ensemble de son territoire.

Le bilan des victoires (Molombes début des années 2010, Bellevie début des années 2020) et des défaites (Molombes fin des années 2010) est parlant : jouer la montre est une stratégie gagnante, si et seulement si le cycle de la résignation a été enrayé. En effet, au début des années 2010 à Molombes, les locataires gagnent car une association structurée permet encore que leurs conditions d’habitat soient relativement décentes, si bien qu’ils et elles sont déterminé·es à rester dans leurs logements tant que le bailleur n’a pas cédé sur le maintien du loyer. Ils et elles perdent en revanche à la fin de la décennie lorsque leurs conditions d’habitat se sont considérablement dégradées, notamment parce que l’association de locataires a laissé de côté la lutte pour l’entretien et la gestion courante des logements pour se focaliser sur la participation au projet urbain. En ce qui concerne la victoire à Bellevie, au début des années 2020, elle est en grande partie permise par le fait que les associations de locataires ont continué à mener, en parallèle de la contestation liée au projet, une activité quotidienne de défense les droits courants :  négociations annuelles des charges, recours contre l’indécence et les troubles de jouissance… Le travail bénévole de leurs militantes, appuyé par l’engagement d’une cause lawyer en droit au logement, leur a par exemple permis de gagner un procès en première instance en décembre 2023, impliquant près de 300 locataires. Le bailleur social a été condamné pour « troubles de jouissance », du fait du risque avéré de contamination par la légionnelle qui pèse sur les locataires depuis plusieurs années.

À Roubaix, le collectif « Non à la démolition de l’Alma-Gare », opposé à la démolition de près de 500 logements depuis 2022, tient également sa force de ses actions quotidiennes pour la gestion courante de ce quartier délaissé par les bailleurs sociaux : coupures d’électricité, accès à internet ou délogement des résidentes d’un foyer de personnes âgées. À l’automne 2023, par exemple, une quarantaine de jeunes habitants du quartier occupe les locaux du siège social du principal bailleur du quartier pour exiger le rétablissement du chauffage coupé depuis plusieurs jours dans deux immeubles en raison de travaux préparatoires aux démolitions. Mis sous pression, le bailleur rétablit le réseau dans la journée. Cette victoire témoigne de la force et du sérieux du collectif aux yeux des habitant·es et vient améliorer concrètement les conditions d’existence de la population du quartier.

La force de la routine


Ces actions, menées au jour le jour et dans le temps long, constituent un antidote à la résignation. Elles permettent non seulement d’améliorer le présent et d’entretenir les espérances, mais aussi d’instaurer des routines d’entraide qui agissent comme des remparts face à l’individualisation des litiges. Actif certes dans les grands moments d’effervescence, le syndicalisme est en effet avant tout structuré par des relations de solidarité tissées dans les combats du quotidien et ancrées dans un lieu. Une lutte contre un plan massif de licenciements est plus facilement victorieuse lorsqu’elle est structurée par des réseaux de résistance qui lui préexistent. Il en est de même d’une mobilisation collective face à une opération massive de délogement.

Les plans de démolition exigent en effet souvent de faire face à des temporalités faites d’accélérations et de ralentissements soudains. Les mobilisations contre les démolitions de logements alternent donc entre des moments qui exigent de mobiliser massivement les habitant·es, parfois en quelques jours, et de longs mois, voire années sans nouvelles. Les collectifs à même de tenir la durée sont souvent ceux qui bénéficient d’un ancrage de longue haleine. En 2010 à Molombes, l’association de locataires réunit plus de 200 habitant·es – un soir de match de l’Olympique de Marseille ! – juste après l’annonce d’une démolition à venir. La majorité des personnes présentes sont celles qui ont déjà bénéficié du soutien de l’association pour leur situation individuelle. Il en est de même à Bellevie au début des années 2020, où plus de 100 locataires sont mobilisé·es en deux jours pour menacer d’une grève du relogement lors d’une réunion de lancement du projet annoncée à la dernière minute.

Les Ateliers populaires d’urbanisme (APU) de Lille offrent également un excellent exemple de l’articulation entre, d’un côté, les luttes visant à améliorer les conditions d’existence au quotidien et, de l’autre, celles qui cherchent à s’opposer au délogement. Investis aux côtés de collectifs d’habitant·es mobilisé·es contre la démolition de leurs logements, les APU agissent au quotidien sur trois thématiques : contestation des évictions (délogements dans le cadre de projets de démolition, expulsions locatives des ménages en impayés ou encore expropriations des propriétaires occupant·es), lutte contre le logement indigne/insalubre et contestation des charges et loyers. Pour les locataires, les accompagnements – qui durent en moyenne plus de deux ans – fournissent non seulement une information sur les droits du logement, mais aussi un accès effectif à ces droits. Ce dernier est permis par un important travail administratif, qui jongle entre courriers avec les propriétaires, actes juridiques délivrés par le tribunal, dossiers institutionnels et rendez-vous réguliers visant à trouver des solutions juridiques et financières pour les locataires. Cette modalité d’action des APU incarne une forme de travail qui rappelle celui des syndicats, mené au long cours. À la manière des syndicats qui accompagnent les salarié·es devant les Prud’hommes et font le lien avec les avocat·es en droit du travail, l’APU défend individuellement les locataires dans un rapport de force qui leur est structurellement défavorable, par exemple lorsqu’il s’agit de contester une expulsion locative devant les tribunaux. Certes, le travail d’accompagnement individuel des locataires n’est pas toujours directement tourné vers la construction d’une mobilisation collective. Par ailleurs, il nécessite du temps salarié et des financements, notamment publics, rendant les APU en partie dépendantes des institutions financeuses. Pour autant, c’est aussi cette forme de militantisme du quotidien qui structure progressivement des routines de solidarité au long cours et des interconnaissances : elles ont, par exemple, permis le maintien de relations intergénérationnelles dans la mobilisation à Roubaix.

Cette fonction de défense individuelle n’a donc rien de contradictoire avec les mobilisations collectives, pourtant parfois considérées comme plus combatives. Elle part, à l’inverse, de la conviction que la révolte ne naît pas spontanément de la misère, et que c’est en combattant cette dernière au quotidien que seront réunies les conditions matérielles et relationnelles de la mobilisation. Cet accompagnement permet l’amélioration concrète des conditions d’existence des populations les plus pauvres, ce qui représente un levier de leur engagement dans l’action collective. Cette solidarité au long cours fonde non seulement des relations susceptibles de fournir un terreau favorable à l’émergence de mouvements sociaux lorsqu’une structure d’opportunité favorable se présente ; mais c’est aussi elle, à la suite d’un événement catalyseur, qui permet aux mouvements sociaux de tenir dans la durée. À Barcelone, la Plateforme des personnes affectées par les hypothèques (Plataforma de afectados por la hipoteca [PAH])  en offre un bon exemple. Née suite à la crise financière mondiale de 2008 et à ses conséquences sur les valeurs immobilières, l’endettement et l’expulsion des ménages les plus précaires, elle « combine un répertoire d’action institutionnel, qui relève de la négociation, et un répertoire contestataire, qui relève de la désobéissance civile et de l’action directe »[9]. Bien qu’elle soit née en temps de crise, son inscription dans le temps long est permise par l’articulation entre des actions éphémères à forte visibilité (occupation d’une banque) et des « pratiques militantes quotidiennes discrètes », qui prennent la forme de pratiques de solidarité dans l’espace local (accompagnement individuel d’une personne lors d’un rendez-vous à la banque).

Le risque de l’institutionnalisation cogestionnaire


Les organisations traditionnelles de représentation des locataires connaissent actuellement une crise majeure. Elle s’explique notamment par une trajectoire d’institutionnalisation qui les a progressivement amenées à tomber dans un écueil cogestionnaire – dans leurs relations avec les organismes du logement social – et à s’éloigner d’une grande partie de leur base – les habitant·es des quartiers populaires. Une telle critique ne doit cependant pas conduire à condamner trop rapidement la stratégie syndicale en elle-même, notamment lorsqu’elle s’accompagne de pratiques de négociation avec les institutions. La négociation peut être une arme déterminante pour pérenniser les acquis des victoires. L’enjeu stratégique consiste donc plutôt à identifier les conditions qui permettent de jouer le jeu de la négociation, tout en évitant de tomber dans cet écueil gestionnaire. Cela exige, tout d’abord, de faire un détour historique pour comprendre comment certaines grandes organisations dites représentatives des locataires y sont tombées.

En France, les premières organisations de locataires de la fin du XIXe siècle sont anarchistes. Au cours de la première moitié du XXe siècle, elles se positionnent comme un contre-pouvoir autonome des institutions et mettent en place des actions directes, souvent médiatisées, qui forcent les politiques à répondre à la question du logement ouvrier. À la fin de la Première Guerre mondiale, ce sont les femmes des soldats mobilisés qui créent l’Union confédérale des locataires de France et des Colonies, l’ancêtre de la Confédération nationale du logement (CNL), et obtiennent le blocage des loyers des soldats mobilisés (loi du 9 mars 1918). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les occupations d’immeuble initiées par le mouvement populaire des familles visent à rendre effective l’ordonnance de 1945 sur la réquisition des logements vacants. Plus connu enfin, l’appel de l’Abbé Pierre du 1er février 1954 entraîne le vote, à l’unanimité du Parlement, d’un budget de 10 milliards de francs en faveur du logement. Les associations de locataires qui se développent dans les décennies suivantes, ancrées dans un syndicalisme du cadre de vie, articulent les luttes autour de l’habitat – loyer, charges – à celles autour du pouvoir d’achat – salaires, prix[10].

Les années 1980 représentent un tournant, qui fait basculer progressivement ces organisations de l’action directe et contestataire, vers une approche cogestionnaire. À partir de 1983, la gauche socialiste fait voter un ensemble de textes qui élargit les prérogatives des associations de locataires et les fait entrer dans les conseils d’administration des bailleurs sociaux. Cette reconnaissance institutionnelle participe à orienter les associations vers une « démocratie locative » électorale et à affaiblir leur légitimité sur le terrain. L’inscription dans les instances des bailleurs sociaux entraîne une technicisation des débats, rendant difficile l’implication massive des locataires. Les représentant·es deviennent un public d’initié·es qui se professionnalise. À la tête de nombreuses associations, encore aujourd’hui, on retrouve ces figures « pionnières », en grande majorité blanches, appartenant aux classes moyennes ou aux strates supérieures des classes populaires et souvent retraitées. Se construit ainsi une fracture sociale, raciale et générationnelle avec les habitant·es des quartiers populaires, qui ne fera que s’approfondir par la suite.

L’intégration des instances de décision des bailleurs sociaux s’accompagne donc d’un renversement de perspective, dans laquelle ils ne sont plus perçus comme des adversaires, mais comme des acteurs avec lesquels il s’agit de « cogérer » le logement social. C’est sûrement ici que se joue la rupture avec le syndicalisme tel que nous l’avons défini. Celui-ci repose sur un fort ancrage local, ainsi que sur la reconnaissance de la divergence structurelle des intérêts dans le capitalisme urbain, qui exige d’organiser collectivement la défense des personnes exploitées. Tout l’enjeu consiste donc à prendre à bras le corps la question de la domination interne et de la bureaucratisation de ces organisations, pour (re)mettre le syndicalisme aux mains de celles et ceux qui s’organisent aujourd’hui dans les quartiers populaires.

Des graines ont germé ensemble,
puis poussé en racines tordues, bizarres et riches
Et soudain un tronc des branches un houppier
La vie palpite désormais dans l’Arbre-Maison tout à la fois cœur et squelette
La vie se rebelle dans l’Arbre contre l’accaparement des ressources, il est temps de remuer
Les fourmis s’unissent en ponts, en passerelles et en échafaudages
pour faire bouger l’Arbre, dans la danse immémoriale de la co-évolution
Leur action conjuguée peut faire trembler la terre, tomber des empires,
Abolir les barreaux et chanter des printemps
Gare à celleux qui pensent user leur détermination à petit feu, comme les vagues érodent la roche…
Car quand elles bougent comme un seul être, il n’y a pas de montagne
Qu’elles ne puissent déplacer.
Texte et image : Aurora (@aurore.chapon sur Instagram)

Pérenniser les acquis des victoires


Parmi les armes auxquelles peut recourir la stratégie syndicale, une en particulier doit être réhabilitée : la négociation, qui ne saurait être réduite à l’écueil paritaire cogestionnaire dans lequel certaines organisations l’ont confinée. Négocier des accords est en effet un enjeu déterminant pour pérenniser les acquis des victoires et les diffuser, autrement dit les étendre au-delà des lieux et des moments du conflit. Des mobilisations permettent parfois d’obtenir des victoires ponctuelles (charges, loyers, anti-démolition). Mais elles sont souvent suivies d’une double difficulté : que les gains soient garantis dans la durée, et qu’ils bénéficient aux habitant·es des autres quartiers. Dans le cas de la rénovation urbaine par exemple, il est fréquent de voir des conditions de relogement acquises par une lutte ne plus s’appliquer cinq ans plus tard, lorsqu’un autre bâtiment est démoli dans le même quartier ou à proximité. Voire, d’observer des promesses faites à l’oral pour apaiser un conflit, qui ne s’appliquent pas à ces mêmes locataires quelques mois plus tard. La crainte des acteurs institutionnels à l’égard de la formalisation écrite des engagements est d’ailleurs révélatrice : à Molombes au début des années 2010, ils font tout pour que le maintien du loyer avec le relogement, obtenu par la lutte, ne soit écrit nulle part, notamment pour éviter que les habitant·es des quartiers voisins en cours de démolition n’en bénéficient. À l’échelle nationale, la comparaison des conditions de relogement entre différents quartiers fait ressortir de manière flagrante à quel point les acquis ne se sédimentent pas dans le temps et dans l’espace, donnant l’impression de luttes qui repartent constamment au point de départ, sans bénéficier des acquis des autres ou de leurs prédécesseurs.

Les mobilisations autour des chartes de relogement cherchent à mettre fin à cet éternel recommencement. Elles visent à produire un droit (local) du relogement, plutôt qu’à attendre que les institutions le fassent à la place des habitant·es. À la manière des conventions collectives négociées par les syndicats, ces chartes ont une double face : elles reconnaissent et admettent la domination (l’exploitation au travail, le délogement imposé par la rénovation urbaine), mais elles permettent de l’encadrer par des règles. Elles ne sont ni radicalement anticapitalistes, ni radicalement anti-démolition. Mais, lorsque le délogement est inéluctable, elles permettent d’institutionnaliser le rapport de force : garantir qu’il respecte certaines règles, les visibiliser devant des tiers, limiter l’arbitraire et l’encadrer dans la durée.

Elles permettent qui plus est d’imposer une certaine formalisation des garanties accordées aux habitants et habitantes qui les rend plus aisément diffusables au-delà du groupe mobilisé. À Bellevie, lorsqu’une charte de relogement est imposée aux institutions au début des années 2020, l’ambition est claire : profiter d’un retard des institutions pour que le premier texte d’encadrement du relogement sur l’aire métropolitaine soit produit par un collectif militant, puis qu’il fasse jurisprudence pour les autres quartiers. « Si on le fait pour vous, on devra le faire pour tout le monde ! » avait lâché un directeur de service de la métropole en réunion, pour justifier son refus de céder à une demande. Nul n’aurait pu mieux résumer la stratégie, qui s’est avérée gagnante grâce à la menace de blocage du projet et à la pression en chaîne mise sur les institutions. Cette « jurisprudence » n’est néanmoins pas forcément automatique, et l’inscription dans des réseaux voire des fédérations nationales peut contribuer à changer d’échelle et généraliser des victoires au-delà d’un seul quartier[11].

La négociation dans le conflit


Il y a cependant certaines conditions pour que la négociation ne tombe pas dans les écueils d’une cogestion pacificatrice, mais soit bel et bien une arme conçue dans un continuum avec le conflit. La première a trait à la manière de poser le cadre de la négociation. À l’encontre de la recherche d’un intérêt commun entre habitant·es et dirigeant·es, la stratégie syndicale peut s’appuyer sur une reconnaissance initiale de l’asymétrie radicale qui lie les parties. La recherche de conventions vise dès lors à limiter un rapport de force structurellement inégalitaire ou encore à compenser ou réparer un abus.

Le fondement du droit du travail est de reconnaître que le salariat est un rapport de subordination, et donc qu’il exige des protections, des réparations et des compensations pour les travailleur·euses. Il en est de même, par exemple, dans le cas des délogements causés par la rénovation urbaine. Le cas de Bellevie en donne un bon exemple. Il montre, tout d’abord, que l’arme de la négociation peut aussi être saisi par des associations autonomes des grandes organisations dites représentatives du logement social, en l’occurrence des militantes qui sont des femmes populaires et racisées, à la tête d’associations ancrées dans les routines de solidarité quotidienne du quartier (alimentaire, scolaire, administrative…). Il illustre, par ailleurs, à quel point le cadre de départ des négociations est déterminant. Lors des réunions autour de la signature d’une charte de relogement avec les partenaires du projet, les militantes prennent toujours la parole en premières. Elles posent, d’emblée, qu’il s’agit de discuter de la réparation d’un préjudice, et non des conditions d’attribution d’une faveur. Ce cadre exclut d’emblée le registre du remerciement (par les habitant·es) pour privilégier celui de l’excuse et de la compensation (par les institutions). Dans le préambule de la charte de relogement de Bellevie, il est écrit que la « dimension dérogatoire » de la rénovation urbaine est « l’un des moyens principaux pour pallier les insuffisances ou la non-application du droit commun ». Au début de chaque réunion avec les partenaires institutionnels, une militante commence par un récit de l’historique de la construction des grands ensembles, des carences gestionnaires et de la manière dont la rénovation urbaine bouleverse les ancrages. Elle évite, en cela, le cadrage introductif habituel de la rénovation urbaine : une « chance » dont habitant·es devraient se saisir parce que, cette fois-ci, le projet serait mené sous les auspices de la « confiance ». Il s’agit de situer la négociation dans le cadre d’un rapport de force, justifié par une conscience sociale et historique du caractère structurellement divergent des intérêts des différentes parties.

Le cadre posé, à la table des négociations, est donc déterminant. Mais il n’est pas dissociable de ce qui se joue en dehors. La négociation n’est pas une alternative au conflit. À l’inverse, c’est de ce dernier, ou parfois de sa menace, qu’elle tire sa force[12]. Lors des réunions de négociation, à Bellevie, les militantes posent comme condition que l’échange ait lieu directement avec les décideur·euses institutionnels et qu’il porte sur les points de désaccord de la charte. Elles refusent l’animation des réunions par des médiateur·ices risquant de pacifier la conflictualité derrière une rhétorique du « bien commun ». Elles attendent, à chaque clause discutée, une réponse simple : « oui ou non. » En amont, le degré de concession acceptable relativement à chaque clause est établi au sein du collectif, non pas au nom d’une recherche de l’équilibre, mais relativement à une estimation du rapport de force qu’elles sont en mesure de tenir à l’extérieur. Lorsque les institutions répondent par la négative à une demande, le collectif menace systématiquement de sortir de la salle et de revenir en nombre avec les locataires pour contester et bloquer le projet. C’est ce qui se passe à l’automne 2019, lorsque le collectif part après moins de 30 minutes de réunion face au refus des institutions de s’engager sur le maintien du reste à charge au mètre carré. Un mois plus tard, une réunion publique est organisée, réunissant plus de 100 locataires et menaçant le blocage du projet si la clause n’est pas garantie. Les négociations ne sont ensuite réouvertes que lorsque les collectivités ont cédé sur ce point.

Conçue dans la continuité du rapport de force, la négociation est donc nourrie par le conflit, plutôt qu’elle ne le tempère. Le continuum est illustré de manière physique, par le jeu d’entrée et de sortie de la salle des négociations, qui rappelle aux institutions qu’il ne s’agit pas d’un jeu délibératif visant à trouver la solution la plus « commune », mais bien une forme d’expression du rapport de force, visant à parvenir à des accords représentant des garanties et fondées sur la reconnaissance, dès le départ, du caractère divergent des intérêts.

Force du (petit) nombre et verticalisation de la colère


Une telle stratégie repose donc, d’un côté, sur la reconnaissance de la divergence structurelle des intérêts, sur un plan vertical. Mais elle exige, de l’autre, la reconnaissance de la convergence horizontale des intérêts, entre les dominé·es qui se mobilisent. Il s’agit ici d’un élément au cœur de la stratégie syndicale, qui fait sa force et certaines de ses limites. Plutôt que fondée sur la représentation, souvent fantasmée, d’un « peuple des quartiers » ou des « prolétaires » qui serait homogène, la stratégie syndicale s’appuie d’abord sur des petits groupes, réunis dans une logique catégorielle, autour d’une identité et d’intérêts communs.

Il est parfois bon de sortir de la terminologie générale des « habitant·es des quartiers populaires » pour reconnaître les luttes victorieuses réunissent souvent principalement des groupes particuliers : propriétaires, squatteuses et des squatteurs, locataires. Voire même des sous-groupes plus restreints : les locataires qui se considèrent « respectables », les plus ancien·nes du quartier, les « jeunes », celles et ceux qui s’identifient à une identité raciale commune (les « blanc·hes », les personnes racisées descendantes de l’immigration algérienne). Ce sont souvent ces sous-groupes, animés par des interconnaissances denses et forts d’un ancrage de long cours, qui représentent une force de mobilisation déterminante. Car pour l’emporter dans le rapport de force, la masse numérique n’est pas toujours nécessaire. La question du nombre est certes importante, mais il suffit parfois qu’un groupe restreint et soudé constitue une « minorité de blocage », comme on l’appelle à Bellevie, lorsqu’il s’agit par exemple d’enrayer un projet urbain.

On ne peut que constater, empiriquement, que les appels à la « mobilisation des quartiers », lorsqu’ils constituent un postulat de départ trop abstrait, n’ont pas réussi à entraîner de force collective derrière eux. À l’inverse, la stratégie syndicale ne nie pas la fragmentation interne des dominé·es, mais s’efforce de composer avec. C’est aussi ce qui en fait une limite, si souvent décriée. Le syndicalisme est, en effet, confronté au risque de se restreindre à une expression d’intérêts catégoriels qui marginalise, voire exclut les plus précaires : au travail (chômeur·ses, intérimaires, sans-papiers, salarié·es en contrat à durée déterminée), comme dans le quartier (squatteur·ses, occupant·es de terrains). Comme dans le capitalisme usinier[13], le capitalisme urbain fabrique le consentement en produisant des divisions horizontales entre habitants et habitantes dominées. En témoignent les difficultés à tisser un lien entre les locataires et les propriétaires délogé·es dans une même rue, ou les échecs criants lorsqu’une mobilisation tente de faire le lien entre ces dernier·es et les personnes en squat. C’est cependant en admettant cette réalité que l’on peut comprendre que la structuration en petits groupes, faits d’une convergence d’intérêts catégoriels et d’identités, reste le principe le plus rapidement et le plus efficacement fédérateur. Tout l’enjeu est de parvenir ensuite à construire une stratégie à différents niveaux : en organisant les luttes urbaines par petits groupes, sans perdre de vue la grille de lecture qui cible les lignes de clivage structurelles.

Cette stratégie peut se construire au long cours, car la mobilisation dans la durée permet le développement de formes de socialisation collective impossibles sur le temps court. Il est courant d’observer que les petits groupes mobilisés opèrent comme des instances de socialisation qui produisent progressivement des alliances identitaires (de classe, de race, de genre), des identités collectives qui débordent les frontières qui avaient souvent prévalu au début, lors de l’entrée dans ces dynamiques collectives. Dans le cas de la Table de quartier du Pile à Roubaix, se sont trouvé rassemblé·es des résident·es aux propriétés sociales variées : blanc·hes ou racisé·es, âgé·es ou plus jeunes, familles ou retraité·es, etc. Certes, le cercle des mobilisé·es ne comprenait pas tous·tes les « habitant·es » du quartier : de fait étaient surreprésenté·es et davantage engagé·es les propriétaires (souvent modestes) de maisons, dont l’issue de la lutte impactait à la fois le devenir résidentiel mais aussi financier et matériel. Mais l’engagement dans une lutte autour d’intérêts partagés a permis, au long cours, de dépasser certaines frontières symboliques, raciales et religieuses. Ce n’est donc pas forcément en partant au départ d’un mot d’ordre de politisation très général qu’on dépasse ces clivages, mais plutôt en misant sur la généralisation qui s’opère dans la socialisation au sein du groupe mobilisé, jusqu’à ouvrir de proche en proche les frontières entre groupes. La politisation s’opère par la participation.

La perspective stratégique présentée ici s’inscrit dans la conception « incrémentale »[14] typifiée par Erik Olin Wright. Ce n’est peut-être qu’en l’articulant à d’autres perspectives, notamment à la perspective interstitielle, que des changements de plus grande ampleur pourraient être dessinés. Ceux-ci supposent, notamment, une verticalisation des colères permise par l’engagement. Alors que les formes de conflictualité ordinaire sont souvent latérales parmi les classes populaires contemporaines – on recherche à côté, chez le voisin, voire en bas, la cause de ses problèmes sociaux –, témoignant de l’enracinement d’une conscience sociale triangulaire[15], la lutte permet une verticalisation de celle-ci : l’ennemi devient le bailleur ou la mairie, favorisant une re-binarisation de la conscience sociale. Un exemple nous en est fourni par un des leaders de la Table de quartier du Pile à Roubaix qui, s’il tient parfois des propos racistes ou culturalisants en entretien, a concentré durant plusieurs mois sa colère (publique) contre « le maire », et derrière lui l’Etat, quand bien même il avait voté pour cet élu de droite aux dernières élections municipales.

Les organisations ancrées dans les quartiers populaires, qui luttent au quotidien pour les droits des habitant·es, sont ainsi des instances de politisation déterminantes. Mais les cas étudiés montrent à quel point ce processus de verticalisation des sentiments d’injustice n’est pas un effet mécanique de la lutte. Il exige un travail politique, souvent exercé par les personnes les plus dotées en « capital militant »[16], qui s’efforcent de marginaliser les formes d’expressions stigmatisantes en direction des fractions les plus précarisées de la population et d’orienter les colères vers « les vrais responsables ». À Bellevie c’est souvent Halima, militante antiraciste depuis les années 1980 et ancienne directrice de centre social, qui lève le ton au sein du collectif lorsque la responsabilité de la dégradation des conditions de vie est trop directement orientée vers les « squatteurs » ou des « migrants » dans les discours des locataires. Elle rappelle que le « pire ennemi des luttes » est la « guerre entre les dominés », puis que la « meilleure arme des dominants » est celle du « diviser pour mieux régner », avant de s’engager dans des discours qui reviennent sur le colonialisme, les inégalités macrosociales dans le capitalisme et les décennies d’abus dont les habitant·es des quartiers populaires ont été victimes dans leurs rapports aux institutions du logement social.

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Défendre une stratégie syndicale dans le domaine du logement ne revient pas à se focaliser seulement sur les « petites victoires » et à abandonner tout objectif de renversement du capitalisme urbain. Mais tout en s’inscrivant dans une conception radicale du rapport de force, cette hypothèse stratégique refuse de postuler cette radicalité et préfère la construire de manière incrémentale. Car une mobilisation à même de produire un grand renversement n’est envisageable que si trois facteurs sont combattus : la résignation produite par l’usure des petites défaites à répétition ; l’individualisation des stratégies produite par l’absence d’identification à un groupe ; l’absence de sédimentation des gains acquis qui condamne à l’éternel recommencement. Nous nous sommes appuyés sur l’exemple de luttes qui ont opté pour une stratégie syndicale qui leur a permis d’accumuler des petites victoires qui donnent espoir, sur celui de petits groupes qui ont amené un ensemble d’individus à se retrouver autour d’une identité et d’un intérêt commun à se mobiliser, et sur celui de luttes qui ont obtenu des conventions qui leur ont permis de pérenniser les acquis gagnés.

L’accumulation de défaites contribue à nourrir l’idée que l’engagement ne sert à rien, que le rapport de force est trop inégal et qu’il faut trouver d’autres voies de salut. La remobilisation passe par la croyance collectivement partagée que la lutte peut être gagnée. Or la stratégie syndicale permet d’entretenir ce cycle de l’espérance collective et durable, qui produit des formes de conscientisation progressives et la croyance dans la possibilité des victoires.

 

[1] Les 20% des ménages les plus modestes consacrent, en moyenne, plus de 22% de leurs dépenses dans le logement, ce qui en fait un des premiers postes du budget de ces ménages. Insee Focus, n°203, 15/09/2020.

[2] Pour des exemples d’organisations syndicales de défense des droits des habitant·es, ancré·es dans l’espace local et dans un cadre de mobilisation radical face au capitalisme urbain, voir par exemple les Tenant and neighborhood councils, dans la baie de San Francisco.

[3] Julien Talpin, Community organizing. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux Etats-Unis, Paris, Raisons d’agir, 2016.

[4] Reveillere, Charles, « La fabrique temporelle du consentement. Les habitant·es des quartiers populaires dans l’attente du délogement », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°250, 2024, p. 60-77.

[5] Voir par exemple le rapport de l’Observatoire des projets urbains imposés, qui étudie 44 cas de mobilisations récentes contre des projets urbains. La norme est l’absence de mobilisation plutôt que la contestation collective face à de tels projets, qui ne sont pas pour autant majoritairement acceptés.

[6] À l’Alma-Gare, à Roubaix, dans les années 1970, l’Atelier populaire d’urbanisme avait également engagé une « grève de la concertation », moyen de gagner du temps et d’infléchir le rapport de force avant de revenir à la table de négociation. P. Cossart, J. Talpin, Lutte urbaine. Participation et démocratie d’interpellation à l’Alma-Gare, Le Croquant, 2015.

[7] Lorsque le relogement a lieu dans le parc d’un même bailleur, celui-ci peut procéder à une diminution du loyer dans le nouveau logement, pour éviter une hausse aux frais du ménage. Lorsqu’il a lieu dans le parc d’un autre bailleur, le maintien du loyer exige la mise en place de « compensations inter-bailleur », qui permettraient de couvrir la hausse de loyer éventuelle.

[8] Pour des raisons liées à une mobilisation et à un procès en cours, le nom du quartier est a été pseudonymisé.

[9] Marcos Ancelovici et Montserrat Emperador Badimon, « Résister à la crise sur le pas de la porte : la lutte contre la dette et pour le droit au logement en Espagne », Mouvements, 97, n° 1 (2019).

[10] Dominique Mehl, « Les voies de la contestation urbaine », Les annales de la recherche urbaine, n°6, 1980, pp. 26-62.

[11] Voir Julien Talpin, « Améliorer le quartier ou changer la société ? À propos de deux expériences contrastées de community organizing à l’échelle californienne », Mouvements, vol. 85, no. 1, 2016, p. 129-137.

[12] La dialectique conflit/rapport de force/négociation, consubstantielle à la stratégie syndicale, a bien été décrite par Saül Alinsky concernant l’organisation syndicale hors du lieu de travail. Voir S. Alinsky, Radicaux, réveillez-vous, Paris, Le passager clandestin, 2019 [1946]. Voir également plus récemment Jane McAlevey, No Short Cuts. Organizing for Power in the New Guilded Age, Oxford, Oxford University press, qui défend la pratique de négociations salariales ouvertes aux salarié.es dans le prolongement du rapport de force

[13] Michael Burawoy, Manufacturing consent. Changes in the labor process under monopoly capitalism, University Of Chicago Press : Chicago, 1979.

[14] Erik Olin Wright, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle. La Découverte : Paris, 2020.

[15] Yasmine Siblot et Marie-Hélène Lechien, « « Eux/nous/ils » ? Sociabilités et contacts sociaux en milieu populaire », Sociologie 1, no 10, 2019.

[16] Frédérique Matonti et Franck Poupeau, « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales 155, no 5 (2004), p. 411.