QUESTIONS QUI FACHENT. Les missions de service public peuvent-elles être confiées au privé ? On ne peut plus faire croire que l’État et les fonctionnaires seraient les uniques dépositaires des valeurs de service public. 4 octobre 2007.
Si la défense des services publics reste une revendication forte de la gauche française, son discours est devenu conservateur et mal adapté aux nouveaux besoins des usagers et de la société. L’idée prévaut toujours que leur défense passe avant tout par la préservation des acquis sociaux – dans une logique souvent corporatiste – et se focalise plus particulièrement sur les grands services publics d’État (La Poste, Éducation nationale, etc.). S’il ne s’agit pas d’abandonner la défense des intérêts du personnel, une modernisation du discours de gauche sur le service public s’accompagne d’une prise en compte des attentes des usagers, traditionnellement oubliées. L’attention portée sur les conditions de travail et sur le statut du personnel a occulté la question des usagers du service, qu’ils soient contributeurs par la facture ou par l’impôt.
L’usager est l’angle mort de ces analyses. À trop oublier que l’objet d’un service public est de rendre un service à la population, les prises de position revendicatives sur les services publics deviennent de moins en moins audibles pour une grande part des citoyens. Or, si nous voulons gagner la bataille de la reconquête des services publics face au processus engagé de leur libéralisation, il faut repenser notre offre politique dans ce domaine.
Il faut faire participer l’usager-citoyen à la définition et à la gestion des services, ne plus craindre de parler d’efficience des services proposés tout en garantissant leur accès non discriminant (notamment financièrement) à l’ensemble de la population. Si la logique de profit doit être bannie, celle de l’efficacité et de l’évaluation des services publics est à conforter et à renforcer. C’est une garantie de leur pérennité. Prenons pour exemple le cas du service municipal d’eau, à Paris dont la future organisation est en débat. Actuellement, la production est assurée par une société municipale (Eau de Paris), et la distribution et la facturation sont gérées par les deux grandes multinationales de l’eau que sont Suez et Veolia. Je suis partisane de la re-municipalisation du service. Elle permettra de récupérer les gains financiers générés par les contrats actuels aux multinationales, qui servent à rémunérer les actionnaires, et ainsi de les réinvestir dans le service. Mais, au-delà de la position politique, nous pouvons montrer que cela conduira également à une meilleure efficacité du service selon des principes d’intérêt général lisibles pour et par l’usager.
Les services publics doivent être pensés différemment selon les échelons territoriaux (communal, national, etc.), les ressources (électricité, eau, etc.), les missions (transports, poste, Éducation nationale, etc.) et les évolutions de modes de vie. Il y a des biens qui devraient être « sanctuarisés » publics : les biens vitaux comme l’eau, l’éducation, par exemple, et d’autres qui peuvent être rendus selon des modes encadrés de délégation de service public (accueil de la petite enfance…). On ne peut plus faire croire que l’État et les fonctionnaires seraient les uniques dépositaires des valeurs de service public. Par ailleurs, les temps de travail et de loisirs se sont modifiés sans qu’il y ait eu toujours adaptation des services publics, notamment au niveau des horaires d’ouverture. Est-ce qu’une bibliothèque municipale ne pourrait pas être ouverte plus tard le soir et le dimanche ? Est-ce que les transports publics doivent s’arrêter le soir ? Ceux qui sont les plus pénalisés par les restrictions d’accès à ce type de services, ce sont les classes populaires qui n’ont pas les moyens d’une alternative privée. Or, c’est notamment pour elles qu’il faut développer les services publics, les classes moyennes ou supérieures ayant toujours la capacité de se reporter sur les offres du secteur privé pour pallier les insuffisances du public.
Cela pose évidemment la question des conditions de travail du personnel, et cela ne peut se faire sans concertation avec lui. Le confort de l’usager ne doit pas devenir, a contrario, le seul objectif visé par les services publics, au détriment des conditions de travail. La modernisation des services publics ne doit ainsi pas s’accompagner de précarisation sociale, comme nous en avons vu récemment l’illustration avec les centaines de contrats « de très courte durée » signés par certains agents de La Poste. Mais les services publics pourraient être à la fois les nouveaux lieux du progrès social et de l’innovation sociale, tout en intégrant les besoins du plus grand nombre des usagers. Une pensée de gauche sur les services publics doit articuler les nécessités d’une démocratie sociale réinventée et les attentes des usagers dans le contexte évolutif de la société. Faire participer les salariés et les usagers aux processus de décision et d’évaluation contribuerait à moderniser et à adapter les services.