Interviewé dans le cadre du projet Alter-Echos (www.alter-echos.org) à l’occasion du Forum Social de Dakar, Moussa Tchangari, d’Alternative Niger, revient sur ses attentes envers les G8-G20 et les mouvements citoyens. Sur fond de crises économique, financière et alimentaire, il explique pourquoi se limiter à réguler le système est une impasse. A quelques jours du G8 de Deauville (26 et 27 mai) et du contre-sommet au Havre (21 et 22 mai) (http://mobilisationsg8g20.org), il appelle à construire un « rapport de force mondial », avec des « mouvements intenses, presque insurrectionnels », pour « inverser réellement la tendance

Qu’attendez-vous du G8 et du G20 ?

Nous n’avons rien à attendre d’une réunion du G8 ou du G20. Parce que habituellement ces réunions n’enfantent rien. Malgré la crise économique mondiale qui affecte beaucoup les pays du G8, et qui affecte aussi indirectement les autres pays, il n’y a aucune raison que cela change. Leur rôle est de maintenir le système en l’état, si besoin de prendre quelques mesurettes pour divertir et donner le change. Mais pas plus. Aujourd’hui il y a des situations de tensions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, des régions stratégiques pour les pays du G8, mais il ne sortira rien du G8 ou du G20 qui puisse aller dans le sens des aspirations des peuples.

Vous ne faites donc aucune différence entre le G8 et le G20 ?

Le passage du G8 au G20 peut apparaître comme une évolution positive : il n’y a plus les seuls 8 pays les plus puissants, mais il y en a 20. Le cercle a été ouvert. On a dit à ces pays « venez, vous êtes maintenant assez grands, nous pouvons traiter avec vous, nous allons nous partager le monde, nous allons décider à la place des citoyens, à la place parfois même des institutions élues ». Or 20, ce n’est toujours pas l’ensemble des pays. J’aurais préféré que les 12 essaient de former un pôle avec l’ensemble des autres pays pour résister à l’influence du G8.

Pourtant le G20 dit « regardez tous les continents sont représentés, même l’Afrique, puisque l’Afrique du Sud est présente dans le G20 ».

L’Afrique du Sud représente l’Afrique du Sud. L’Afrique du Sud ne représente pas l’Afrique. Sinon on pourrait aussi considérer que les pays du G20 représentent tous les autres pays du monde et qu’ils ont un mandat. Mais qui leur a donné ce mandat-là ? Personne n’a donné un mandat à quelque pays que ce soit. Les citoyens n’ont bien souvent pas donné mandat à leur dirigeant pour ce genre de réunions. C’est à peine si les dirigeants sud-africains représentent les citoyens ordinaires sud africains. Ils ne représentent donc pas le reste de l’Afrique. Je ne suis d’ailleurs pas certain que des millions de français se retrouvent dans le rôle que la France joue à l’intérieur de cette institution. Sarkozy, comme tous les chefs d’Etat, représente les intérêts des classes dominantes, les intérêts des grands groupes financiers. Raisons pour lesquelles chaque fois que des décisions sont prises, elles sont généralement décevantes et vont à l’encontre de ce que veulent les peuples. Que ce soit au G8 ou au G20, en fait, ils mettent en œuvre ce que les dirigeants des grandes entreprises ont pensé, réfléchi, à Davos.

Le passage du G8 au G20 a été également justifié par la promesse de régulation des marchés financiers. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pense pas que ces réunions seront en mesure d’établir des régulations pouvant réellement protéger les populations qui travaillent. Pour moi, la question n’est d’ailleurs pas de savoir comment réguler ce système, mais comment le remettre en cause. Toutes les formes de régulations qui sont susceptibles d’êtres inventées ne règleront pas le problème. Ce sont les bases mêmes du système qui sont à revoir. Parler de régulations revient à considérer qu’il s’agit juste de corriger les dysfonctionnements du système, sanctionner des comportements déviants, etc… Or ce sont les principes mêmes du système qu’il faut revoir, et je ne pense pas que le G8 ou le G20 puissent aller dans ce sens.

Quels sont les effets des politiques des pays du G8 ou du G20 sur les autres pays de la planète ?

Les politiques du G8 et du G20 ont un impact considérable sur les populations en Afrique, dans le tiers monde en général. Ces politiques ont appauvri les populations. Au point qu’un repas par jour est devenu un défi considérable pour de nombreuses populations à travers le monde. Le nombre de personnes qui sont confrontées à la faim ne fait qu’augmenter. Dans mon pays, le Niger, la moitié de la population est concernée par cette situation.

Justement, Nicolas Sarkozy s’est engagé à ce que le G20 avance sur une régulation des marchés des denrées alimentaires pour lutter contre la faim dans le monde. Qu’en pensez-vous ?

Ce que je dis pour les marchés financiers est valable pour les marchés des denrées alimentaires. « Réguler » ça veut souvent dire ne pas toucher aux fondements du système. Aujourd’hui, tout le monde sait d’où vient l’envolée des prix des denrées alimentaires. Ce secteur a été complètement libéralisé et les prix sont fixés par le marché. Que signifie réguler ? Instaurer des mécanismes pour qu’il n’y ait pas trop de spéculation, que les prix se stabilisent un peu, etc ? Si je me reporte à l’exemple de mon pays, je sais que de telles mesures peuvent légèrement atténuer la volatilité des prix mais cela ne résout pas fondamentalement le problème.

Comme la crise alimentaire mondiale de 2008 l’a prouvé, il ne faut pas faire confiance aux marchés, et, en tout cas, pas aux marchés totalement débridés et non contrôlés. Lorsque ce sont les entreprises ou les commerçants qui dominent, les besoins alimentaires des populations ne peuvent pas être satisfaits. Ce sont des entreprises privées qui fixent les prix. Ces prix ne sont plus rémunérateurs pour les producteurs, ce qui pose problème dans les campagnes. Et dans les villes, en raison de la spéculation, les prix augmentent et les denrées alimentaires ne sont plus accessibles à tous les habitants.

Quelles sont les conséquences ?

On est ainsi passé de 800 millions de personnes qui sont confrontées à la faim dans le monde à près d’un milliard de personnes. Et les objectifs que s’étaient donnés l’ensemble des chefs d’Etat d’éradiquer la faim d’ici 2015 ne pourront être tenus. Nous craignons d’ailleurs une nouvelle crise alimentaire mondiale. Le marché ne fait pas partie de la solution, il fait partie du problème.

Que faudrait-il faire ?

Avant la libéralisation, à travers des organismes publics et des mécanismes de fixation des prix, l’Etat pouvait assurer des prix rémunérateurs pour les producteurs et des prix accessibles aux consommateurs. Ce système a été cassé. C’est la question du financement de l’agriculture qui se pose. L’Etat y a forcément un rôle important à jouer. Il doit soutenir les producteurs pour qu’ils produisent davantage et qu’ils puissent avoir une bonne rémunération pour leur travail.

Le G20 doit-il s’occuper de ces enjeux ?

Non. Le G20 ne doit pas s’occuper de cette question. L’organisation mondiale de l’alimentation, la FAO, le programme alimentaire mondial, les organismes qui financent l’agriculture sont des instances compétentes pour cela. Je ne pense pas que le G20 puisse résoudre quoi que ce soit. Il ne faut pas oublier qu’il y a déjà eu un sommet mondial organisé par la FAO sur la question de l’alimentation au moment de la crise de 2008. Les pays, notamment les pays riches, ont pris des engagements de soutien de l’agriculture vivrière, de contrôle des marchés, de protection des consommateurs contre les hausses vertigineuses des prix des denrées alimentaires. Sans que cela n’ait suscité d’avancées significatives.

Qu’attendez-vous des mouvements citoyens, des mouvements sociaux à l’occasion des prochains G8 et G20 en France ?

Nous devons mettre davantage la pression sur le G8 et le G20 pendant que les sommets vont se tenir. Il faut é
galement multiplier les mobilisations dans les pays comme on le voit aujourd’hui en Afrique du Nord, au Moyen Orient. Nous ne devrions pas avoir pour objectif de nous faire entendre par les dirigeants du G8. Tant qu’il n’y a pas un rapport de force mondial qui l’impose, ils ne toucheront pas à ce qu’ils considèrent comme essentiel. Il s’agit de renverser concrètement l’ordre qui est en place. C’est par des luttes, par des mouvements intenses, presque insurrectionnels, mais bien organisés, qu’on pourrait arriver à inverser réellement la tendance. Nous devons passer à l’offensive.

Propos recueillis à Dakar par Sophie Chapelle et Maxime Combes dans le cadre du projet Echo des Alternatives.

Toutes les informations sur le contre-sommet du Havre : http://mobilisationsg8g20.org/