À partir des années 1970, la formation des enseignant·es (dorénavant FDE) du 1er degré connaît une inflexion significative : l’élévation du niveau de recrutement du Baccalauréat au Diplôme d’études universitaires générales (Bac +2) en 1979 puis à la Licence en 1990 avec la création concomitante des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Cette création des IUFM a en outre marqué le passage des enseignant·es du 1er degré de la catégorie B (technicien·nes) à la catégorie A (encadrement) de la fonction publique d’État. Quant à la FDE du 2d degré, elle a toujours été universitaire (agrégation). Sa « diversification » avec la création du CAPES et des Instituts de préparation à l’enseignement secondaire (rattachés à l’université) en 1950 a été une réponse à la croissance des effectifs scolaires et a été guidée par un souci de démocratisation scolaire « limitée ».

La création des IUFM a constitué un pas décisif dans le processus d’universitarisation de la formation puisque les enseignant·es de la scolarité obligatoire (écoles primaires, collèges et lycées) sont dorénavant formé·es dans la même institution [1]. Les IUFM n’étaient cependant pas des composantes universitaires à part entière mais des structures relativement autonomes adossées à une ou plusieurs universités. Leur dynamique a cependant vite été brisée par l’alternance politique et le retour de la droite au gouvernement en 1993.

Un autre tournant s’est amorcé à partir de 2007 avec le delta composé par la loi « Libertés et responsabilités des universités » (LRU), la mastérisation de la FDE et l’intégration-dissolution des IUFM dans les universités. La mise en œuvre de la mastérisation de la formation s’est par ailleurs accompagnée d’une mise en avant croissante du « terrain », une sorte de « terrainisation » de la formation qui n’a, depuis lors, cessé de prendre de l’importance. À  partir de ce moment, la FDE a connu une double évolution en apparence contradictoire : une élévation du niveau de recrutement et de qualification des enseignant·es à Bac +5 parallèlement à une modification profonde de la composition organique de la formation, où le « terrain », ou plus exactement une certaine conception de celui-ci, en devient le pivot. Et la transformation des IUFM en Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) en 2013, puis en Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) en 2019, a parachevé ce mouvement.

L’universitarisation de la FDE s’est donc paradoxalement accompagnée d’une main-mise de plus en plus forte de l’employeur sur la formation, dans toutes ses dimensions : son architecture, ses contenus et sa validation. C’est que, l’expérience du terrain, c’est-à-dire la prise en charge plus ou moins progressive d’élèves, est en effet devenue le cadre principiel de la formation, au détriment de tout le reste, en particulier la formation universitaire. La FDE, dispensée dans des structures à la main – grandissante – de l’employeur (rectorat/ministère), a évolué vers une logique de « conformation », de plus en plus inféodée au pouvoir administratif et politique, qui se résout in fine dans la formation d’une force de travail et, en quelque sorte, de sa « re-marchandisation »[2].

« Terrainisation » de la formation : une aubaine pour le ministère, mais pas pour les stagiaires

La place grandissante accordée au « terrain », c’est-à-dire l’expérience de la responsabilité d’une classe, vient de l’idée que cette expérience serait par elle-même réellement « formatrice » [3] et que le « reste », la partie universitaire de la formation, un soutien, notamment réflexif, à la pratique, viendrait par surcroît. Une formation par « osmose » [4], en somme. Or, comme tout métier, enseigner est un métier qui s’apprend, un apprentissage auquel la pratique de terrain est évidemment indispensable. Mais, pas à n’importe quel prix, ni sans réflexion pour faire, ni sans outillage pour réfléchir. Le métier d’enseignant·e ne s’apprend donc pas seulement par imprégnation ou imitation [5], du moins si l’on se donne comme objectif de former des enseignant·es concepteur·rices, capables de faire réussir toutes et tous les élèves qui leur sont confié·es. Si c’est bien cet objectif qui est visé, alors une formation universitaire de haut niveau est nécessaire, qui doit anticiper, soutenir, enrichir et permettre d’analyser cette pratique du terrain, nécessairement très progressive et pensée dans le cadre d’une alternance intégrative.

Aujourd’hui, le terrain est ainsi devenu une primauté qui grignote la partie universitaire de la formation, selon le principe qu’il serait formateur en et par lui-même, amenant de fait les stagiaires en formation à être en même temps considéré·es comme de la main d’œuvre, une force de travail. De cette ambiguïté, résulte le fait que les stagiaires ont le sentiment que la formation est déconnectée de leurs besoins immédiats, sentiment d’autant plus impérieux/pressant qu’iels disposent de moins de temps pour prendre du recul. Un véritable cercle vicieux donc, et une véritable aubaine aussi, puisque la nécessaire expérience du terrain justifie que l’institution se serve des étudiant·es et des stagiaires comme des personnels d’enseignement, ce qui permet des économies de moyens.

Depuis 2007, le temps de service des stagiaires en école ou établissement n’a cessé d’augmenter. Qu’on en juge : à la rentrée 2007, Fillon l’a fait passer de la fourchette 4-6h à 8h par semaine en responsabilité, pour les agrégé·es et certifié·es en collèges et lycées [6]. Puis ce temps de service a explosé et atteint, à la rentrée 2010, un temps plein devant élèves, avec une journée de formation en plus par semaine. À la rentrée 2012, Peillon a accordé une petite décharge de service à certain·es enseignant·es et il a fallu attendre la rentrée 2014 pour que les stagiaires soient placé·es à mi-temps devant élèves, ce qui est tout de même deux fois plus lourd qu’avant 2007.

La rentrée 2022 verra le retour des stagiaires à plein temps : dans la réforme Blanquer, la formation sera réputée avoir eu lieu avant le concours, notamment par le biais de contrats dits de « pré-professionnalisation » pour des étudiant·es invité·es à prendre progressivement des classes en charge jusqu’à servir de remplaçant·es contre faible rémunération, avant le concours déplacé en fin de master.

L’entrée dans le métier par « le faire » et la précarité, en parallèle de ses études, ne fait pas une formation en alternance intégrative, mais une formation « sur le tas », les élèves en l’occurrence. Une formation en alternance intégrative devrait plutôt intégrer l’une dans l’autre chacune des deux dimensions de la formation, pratique et théorique, ce qui suppose des moyens que les INSPÉ n’ont pas.

Des contenus de formation qui évacuent la recherche et caporalisent

La création des IUFM a contribué à ancrer, sinon en pratique au moins symboliquement, la formation des enseignant·es dans les résultats de la recherche, avec le recrutement d’enseignant·es-chercheur·ses. Elle a aussi concrétisé l’ambition d’une formation universitaire et professionnelle des enseignant·es, étayée par des recherches scientifiques portant sur la ou les disciplines enseignées, le métier et son environnement. Pareillement, beaucoup des formateur·rices qui n’étaient pas universitaires ont été encouragé·es à poursuivre leurs études jusqu’au doctorat. Mais la place de la recherche dans les IUFM n’a jamais été celle initialement prévue, puisqu’elle a été sabotée, dès 1993, avec l’interdiction qui leur a été faite de disposer de leurs propres laboratoires de recherche, les rendant par conséquent dépendants des financements et des priorités d’autres organismes [7]. L’intégration des IUFM dans les universités en 2008 aurait pu résoudre ce problème. Mais réalisée en même temps que l’autonomie des universités, et que celles-ci perdaient des financements, les IUFM, considérés comme des composantes « riches et préservées » (en personnels BIATSS, fonds de réserve, locaux et surtout, postes d’enseignant·es-chercheur·ses) ont été pillés pour compenser la perte des moyens. Cette intégration s’est donc payée d’une diminution drastique du potentiel de recherche des IUFM.

Pourtant, la mastérisation supposait la rédaction d’un mémoire exigeant des futur·es enseignant·es qu’iels soient formé·es « à et par la recherche ». Or, en raison de la pénurie croissante d’enseignant·es-chercheure·ses d’une part, et des fortes contraintes temporelles pesant sur la partie universitaire de la formation, de l’autre, cette ambition n’a jamais réussi à être convenablement réalisée.

Cette distorsion entre les ambitions affichées et la réalité affecte également les contenus des maquettes des masters Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), supposément élaborées à partir des connaissances universitaires. En réalité, ces maquettes font une large place aux contenus exigibles dans les concours de recrutement puisque, pour attirer des étudiant·es dans ces masters, les INSPÉ doivent montrer qu’elles assurent des chances de succès élevées aux concours, principal débouché des masters MEEF, de sorte que les contenus des concours modèlent largement ceux que les étudiant·es apprennent en INSPÉ.

La tendance observée depuis une dizaine d’années est d’accroître fortement la place des savoirs scolaires dans les concours [8]. On observe également, et c’est très inquiétant, la soustraction d’épreuves orales pour apprécier la maîtrise de savoirs disciplinaires et professionnels, au profit d’une « épreuve » censée évaluer la « motivation » du·de la candidat·e, « sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et se positionner en fonctionnaire ». Au fond, les candidat·es sont davantage interrogé·es sur les façons usuelles d’enseigner, plutôt que sur les connaissances universitaires sur l’enseignement, issues des didactiques et des sciences de l’éducation et de la formation. Iels sont aussi de plus en plus testé·es sur leur maîtrise des savoirs de l’école, plutôt que sur leur maîtrise des savoirs universitaires. Or les savoirs scolaires sont différents des savoirs universitaires, dont ils sont en partie issus [9]. Ce sont des savoirs transposés et recontextualisés, voire des créations faites pour l’école (comme la grammaire [10]), quoiqu’ils tirent leur légitimité de leur source, c’est-à-dire des savoirs universitaires.

Le recentrage des concours sur les savoirs de l’école et certaines pratiques d’enseignement normées comporte trois risques au moins :

1. Les futur·es enseignant·es ne sauront pas d’où viennent les savoirs scolaires qu’iels enseignent, ce qui affaiblit la légitimité de ces savoirs et rend plus difficile leur enseignement [11];

2. Les programmes changent bien plus souvent que les professeur·es : que feront-iels au prochain changement de programme, s’iels n’ont appris qu’à transmettre, d’une certaine manière, les savoirs scolaires du moment ?

3. Ce recentrage des concours risque de détourner un grand nombre d’étudiant·es (et peut-être même surtout les meilleur·es) de ces concours, du moins toutes celles et tous ceux qui voient leur futur métier comme l’occasion d’enseigner une discipline à laquelle iels sont attaché·es. La question du rapport à la discipline est pourtant décisive dans le 2d degré (l’intérêt pour un savoir disciplinaire à transmettre est la raison principale [12] pour laquelle ces étudiant·es choisissent de se présenter au concours, et le réussissent). Pour le 1er degré, si l’intérêt pour le monde de l’enfance et son développement compte beaucoup, il semble que l’approche disciplinaire (pluridisciplinaire en l’occurrence), en particulier ce qui est perçu comme « les bases », les « fondamentaux » (le français et les mathématiques en premier lieu) ne soit pas étrangère au fait de se présenter au CRPE, et encore moins au fait de le réussir.

En définitive, ce recentrage risque d’aggraver encore la crise du recrutement, et de rendre les enseignant·es encore plus impuissant·es à résoudre les difficultés scolaires de leurs élèves.

Élévation du niveau de recrutement, prolétarisation et précarisation des enseignant·es

La masterisation de la formation et avec elle le rehaussement du niveau de recrutement à Bac +5 ont été présentés comme conditions d’une revalorisation du métier, espérée par une partie du syndicalisme enseignant, qui n’a pas eu lieu. Or la faiblesse des rémunérations est un puissant facteur d’explication de la crise actuelle du recrutement qui se noue à la dégradation des conditions de travail. Et si la rémunération est un élément-clé pour recruter des enseignant·es, elle l’est aussi pour les former, puisque percevoir un vrai salaire pendant sa formation permet de s’y consacrer pleinement et sereinement.

On peut en effet regarder le recrutement comme une condition pour que la formation professionnelle soit possible ensuite. Beaucoup pensent qu’il est possible de former des enseignant·es avant le recrutement, par la pré-professionnalisation, des stages et des épreuves professionnelles aux concours. Cependant, ce que les étudiant·es apprendront avant d’être recruté·es seront des réponses et pratiques normées qu’iels penseront susceptibles d’être jugées acceptables par un jury de concours, non des savoirs professionnels réflexifs et éclairés.

C’est pour éviter cet écueil que dans plusieurs corps de métiers, c’est le niveau de fin de formation, elle-même dispensée après le recrutement, qui est reconnu comme niveau de qualification et donc de rémunération. Dans le cas des enseignant·es, une option pourrait être de recruter tôt, par exemple en fin de licence, pour éviter aussi l’éviction des femmes et des étudiant·es issu·es des milieux populaires des études longues, puis former professionnellement, dans une structure universitaire, sur deux années de master, et reconnaître le niveau de fin de formation comme niveau de recrutement, de rémunération et de qualification, ce qui suppose donc une hausse des rémunérations.

La réforme Blanquer de la FDE prévue pour 2022 est à rebours de cette idée. Il s’agit d’avancer l’essentiel de la formation professionnelle avant le concours, lui-même repoussé en fin de master, impliquant dès lors le financement de cinq années d’études. Et si l’on choisit un master enseignement pour se donner plus de chances de réussir les nouveaux concours qui se veulent plus professionnels, il faudra accepter d’être contractuel·le, au risque d’échouer au concours et au master.

Se pose par conséquent la question de savoir si la mastérisation n’aurait pas potentialisé la crise du recrutement comme le suggère l’étude de Milena Hillion [13] ? En repoussant le concours en fin de master alors qu’il était précédemment accessible sous condition de licence, la mastérisation, conjuguée à une baisse du nombre de postes, a eu pour conséquence une chute du nombre de candidat·es aux concours de l’ordre de 50 % entre 2011 et 2013. Le fait que le nombre d’inscrit·es à l’agrégation – qui permet de travailler moins pour gagner plus, et qui est demeurée accessible avec le même niveau de diplôme (la maîtrise puis le master) – résiste mieux, constitue un élément supplémentaire qui tend à mettre en lumière une corrélation entre élévation du niveau du recrutement et crise de ce recrutement. Le retour à un recrutement en licence et la formation sous le régime du fonctionnariat, qui est au fond celui des ENS (une excellence de masse) est-il la solution ?

Tout cela fait débat au sein du syndicalisme enseignant et entre formateur·rices. S’il n’est pas ici possible de le déployer, on peut cependant observer que la mastérisation a été partiellement réalisée et qu’elle est, en un sens, une contradiction performative. En effet, la position temporelle du concours n’a pas été formellement changée puisque ses épreuves se déroulent, comme auparavant, l’année suivant l’obtention de la licence, en fin de 1re année du master, et donc en plein milieu de celui-ci rompant sa cohérence formative. Quant à la dernière réforme Blanquer, elle déplace le problème puisque le concours est désormais positionné en fin de 2e année du master. Finalement, le problème n’est-il pas que le recrutement est intriqué à la formation ? Car cette intrication forme un chiasme, entre la « terrainisation » de la formation, réduite à de la conformation, et une formation universitaire dégradée et en définitive sub-ordonnée au « divin terrain ».

Des IUFM aux INSPÉ : des structures de formation progressivement « désémancipées »

On l’a dit, l’ambition des IUFM était de construire une « maison commune » de la formation des enseignant·es des 1er et du 2d degrés, adossée à l’Université, garantissant l’accès à des savoirs issus de la recherche et nouée à une exigence élevée de professionnalisation. Et bien qu’ils ne fussent pas des composantes universitaires à part entière, sans doute en raison de leur autonomie relative, les IUFM ont ainsi pu assurer une maîtrise effective de leur institution par les personnels. Le principal changement, des IUFM aux ÉSPÉ-INSPÉ, réside dans la perte du contrôle par les personnels et les étudiant·es puisque leurs élu·es sont devenu·es structuralement minoritaires dans les conseils d’école et d’institut, de sorte que les décisions sont en réalité désormais prises par les rectorats et les présidences d’universités.

Au-delà du changement cosmétique de dénomination, la récente transformation des ÉSPÉ en INSPÉ s’inscrit dans la logique des réformes éducatives du ministre Blanquer. Il s’agit d’une reprise en main effective, d’une « désémancipation »[14], de la FDE, de ses contenus et de ses formateur·rices. À cet égard, les articles 43 à 47 de la loi « Pour une école de la confiance » sont éloquents : d’une part, les directeur·rices des INSPÉ sont désormais nommé·es par le ministre, alors qu’iels étaient auparavant désigné·es par les conseils d’école dans lesquels les personnels n’ont pas toujours été sous-représenté·es. D’autre part, le nombre d’universitaires dans les équipes de formateur·rices INSPÉ est appelé à diminuer encore : « leurs équipes pédagogiques comprennent des personnels enseignants, d’inspection et de direction en exercice dans les premier et second degrés ainsi que des enseignants-chercheurs. Elles intègrent également des professionnels issus des milieux économiques [15] ». L’arrivée d’inspecteur·rices et de chef·fes d’établissement dans les équipes de formateur·rices traduit la volonté de caporaliser, tandis que celle de « professionnels issus des milieux économiques » renvoie à celle d’importer dans l’école les pratiques managériales et marchandes du monde de l’entreprise.

L’employeur occupe enfin une place de plus en plus grande dans le processus d’évaluation et de titularisation de l’année de stage également. Avant la mastérisation, l’évaluation des stagiaires était de la responsabilité de l’IUFM, elle se faisait selon un référentiel de compétences adossé au cahier des charges ministériel de la formation et c’était le·la directeur·rice de l’IUFM qui validait (ou non) la formation, validation qui valait titularisation officiellement prononcée ensuite par le ministre.

L’évaluation consistait en un bilan portant sur trois volets : le stage en responsabilité, le mémoire professionnel et les enseignements. La visite de l’inspection pendant l’année de stage n’était pas la règle, mais l’exception, sauf pour les agrégé·es en raison de leur statut. Aujourd’hui, les inspections sont devenues systématiques, et l’avis de la direction de l’INSPÉ, qui est déjà une synthèse des évaluations par toutes et tous les formateur·rices, est numériquement minoré et écrasé par celui des corps d’inspection et du·de la chef·fe d’établissement du stage en responsabilité pour les stagiaires du 2d degré.

En conclusion : une hétéronomisation commune à tous les métiers de la fonction publique

Les réformes successives de la FDE, accélérées depuis 2007, sont à l’opposé de ce qu’un pouvoir progressiste devrait faire : ne pas s’accommoder de l’idée d’une formation professionnelle par osmose, et mettre les moyens nécessaires dans une formation réellement universitaire et intégrative, pour garantir l’autonomie, et, partant, la qualité de la formation. Si, toutefois, le but est bien de former des enseignant·es émancipé·es et capables de faire réussir toutes et tous leurs élèves ; si donc, le but recherché est bien la démocratisation scolaire.

Plus largement, on peut s’interroger sur l’autonomie réelle de la FDE, qui souligne en creux son importance pour la reproduction de la société. N’a-t-il jamais été question de la lui accorder ? Sans pouvoir répondre ici à cette question, on peut d’ores et déjà noter que cette hétéronomie rejoint l’involution austéritaire-autoritaire du libéralisme qui transforme l’État et l’action publique, d’État social de droit en État pénal, de droit, privé surtout. L’un de ses traits saillants est la réduction des espaces d’autonomie en son sein, la seule autonomie acceptable et valorisée étant celle du marché et de la « concurrence libre et non faussée », bien que partiellement soumise au contrôle étatique. Cette hétéronomisation est une autre facette de la désémancipation, qui dépossède progressivement les personnels de leurs droits, de leur participation à la vie démocratique des institutions et ce faisant de la maîtrise partielle de celles-ci. Ce mouvement, qui n’est pas spécifique à l’Éducation, est en train d’être parachevé par la réforme actuelle de la codification du droit de la fonction publique. La formation des enseignant·es a constitué, de ce point de vue, un terrain d’expérimentation, tout comme la création des ÉSPÉ puis des INSPÉ l’a été pour la transformation des modalités de gouvernement de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dont la dépossession des personnels est également le « code-maître ».

Vincent Charbonnier et Marie David sont formateur·rices à l’INSPÉ de Nantes, militant·es FSU/tendance Ecole émancipée; Marie Haye est professeure de français dans un collège de Rezé, militante FSU/tendance Ecole émancipée.

[1]     Leur création a pu symboliquement ébaucher la constitution d’un corps unique des enseignant·es de la maternelle à l’université qui est une vieille revendication du mouvement syndical enseignant.

[2]         E. KOUVELAKIS, « La résistible marchandisation de la force de travail », Actuel Marx, 2003, no 34, p. 17-42 ; https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2003-2-page-17.htm

[3]     Ce que sans aucun doute cette expérience est, au sens où elle donne « forme » selon des perspectives à réfléchir, à penser et à maîtriser. L’enjeu est considérable : c’est celui de la dé- et de la ré-formation et par suite de la « bonne forme », ou d’une forme « bonne ». Sur cette question, voir M. FABRE, Penser la formation, Paris, Fabert, 2015.

[4]     P. BOURDIEU et J.-C. PASSERON, Les Héritiers. Les Étudiants et la culture, Paris, Ed. de Minuit, 1964.

[5]     Nous faisons ici une analogie avec ce que S. GARcia, Le goût de l’effort. La construction familiale des dispositions scolaires, Paris, PUF, 2018, a montré concernant le capital culturel au sein de la famille.

[6]     https://www.education.gouv.fr/bo/2007/9/MENB0700441C.htm

[7]     Cette minoration de la recherche dans les IUFM est sans doute tributaire des pressions et des hostilités d’une partie/fraction du milieu universitaire, qui a craint, comme lors de la mastérisation, de « perdre » des étudiant·es, notamment dans le champ des sciences humaines et sociales, et sans doute aussi parce que la recherche en éducation est toujours un peu estimée secondaire sur le plan scientifique. Il faut d’ailleurs noter qu’il n’y a pas d’équivalent de la section 70 du CNU « sciences de l’éducation et de la formation » au CNRS et que l’Institut national de recherche pédagogique a été définitivement liquidé en 2010.

[8]     On observe également, et c’est très inquiétant, la soustraction d’épreuves orales pour apprécier la maîtrise de savoirs disciplinaires et professionnels, au profit d’une « épreuve » censée évaluer la « motivation » du·de la candidat·e, « sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et se positionner en fonctionnaire ».

[9]     Y. CHEVALLARD, La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : Éd. La Pensée sauvage, 1997.

[10]    A. CHERVEL, La culture scolaire : une approche historique, Paris, Belin, 1998.

[11]       J. DEAUVIEAU, Enseigner dans le secondaire, Paris, La Dispute, 2009.

[12]       A. BARRERE ? Les enseignants au travail. Routines incertaines, Paris, L’Harmattan, 2002, ; P. PERIER, Professeurs débutants. Les épreuves de l’enseignement, Paris, PUF, 2014.

[13]    M. HILLION, « Le métier d’enseignant en France : une attractivité en déclin ? » https://jean-jaures.org/nos-productions/le-metier-d-enseignant-en-france-une-attractivite-en-declin (consulté le 10 mars 2021).

[14]    On fait ici référence à un terme forgé par D. LOSURDO, Démocratie et bonapartisme, Pantin, Le Temps des cerises, 2003. Sur cette question, voir A. TOSEL, Émancipations aujourd’hui ? Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2016.

[15]    Article L721-2 du Code de l’éducation, modifié par la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019.