Couv 118

 

En France comme dans la plupart des pays occidentaux, la question des inégalités spatiales a fait son grand retour sur l’agenda politique au cours de la décennie 2010, sous une forme renouvelée. Auparavant, le problème était abordé principalement en termes de ségrégation urbaine, à partir des quartiers populaires de banlieue. Désormais, le cadrage médiatique et politique oppose d’un côté des métropoles qui concentrent les capitaux privés, les investissements publics, les groupes sociaux les plus aisés et, de l’autre, des territoires affectés simultanément par les restructurations industrielles, l’austérité budgétaire et le déclin démographique : « France périphérique », « Left behind places » (lieux délaissés, Grande-Bretagne et USA), « Aree Interne » (zones intérieures, Italie), « Krimpgebieden » (zones en rétractation, Pays-Bas), « España vaciada » (Espagne vidée) ou encore « Abgehängte Regionen » (régions en décrochage, Allemagne)… Ces différentes catégories qui ont fait irruption dans les débats nationaux ont en commun de désigner des espaces doublement affectés par les transformations du capitalisme et les restructurations des États. Ces territoires que l’on peut qualifier de « délaissés » seraient dès lors les terrains privilégiés de la montée du ressentiment, et se révèleraient particulièrement perméables aux populismes, en particulier de droite[1].

Aux sources des inégalités territoriales contemporaines

Commençons par tenter d’objectiver le problème : dans les pays des Nords comme des Suds, les inégalités territoriales repartent à la hausse de manière nette au cours de la décennie 2010. L’ère des politiques keynésiennes ou développementalistes de l’après-guerre qui visaient, entre autres, à atténuer les disparités territoriales sous l’impulsion de l’Etat central, semble se refermer définitivement[2]. Cette mutation trouve ses racines dans la combinaison de dynamiques économiques et politiques. La tertiarisation et la financiarisation de l’économie amplifient la concentration spatiale des investissements, des emplois et des populations dans les espaces métropolitains. Mais la divergence des trajectoires territoriales et les inégalités qui en résultent ne sont pas seulement liées aux transformations des systèmes productifs à l’échelle globale. Elles traduisent aussi, sur le plan spatial, le triomphe de l’idéologie néolibérale, qui rend caduques les ambitions de rééquilibrage territorial.

En France, comme dans le reste de l’Europe et aux Etats-Unis, la différenciation des trajectoires territoriales s’est singulièrement accentuée à partir de la crise financière de 2008. La grande récession de la fin des années 2000 a affecté différemment les régions. Les vieux bassins industriels, déjà en difficulté, ont été de nouveau durement frappés alors que les métropoles ont davantage amorti le choc[3]. La baisse des taux d’intérêt décidée par les banques centrales a considérablement accru la masse des liquidités en circulation, favorisant les investissements productifs et surtout immobiliers dans les espaces les plus valorisés (grandes villes, zones touristiques, etc.)[4]. La divergence des trajectoires territoriales s’est amplifiée avec l’adoption de politiques d’austérité dans les principaux pays développés, mais aussi du fait de la multiplication de réformes néomanagériales qui touchent l’ensemble des administrations et des services publics, tout en affectant très différemment les territoires.

Du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux sous Nicolas Sarkozy à la digitalisation des services publics sous Emmanuel Macron, en passant par les multiples programmes de « rationalisation » des cartes administratives, avec leur longue liste de fermetures d’écoles, de maternités, de bureaux de Poste, de tribunaux, de gendarmeries et de casernes, les chocs sont ressentis partout. Mais leurs effets cumulatifs frappent plus durement les espaces en difficulté, ceux qui concentrent la précarité et dans lesquels les flux d’argent public et l’offre des services publics sont les plus cruciaux pour les populations. Le tournant austéritaire a ainsi fait basculer dans le déclin de nombreux territoires jusque-là épargnés par ce phénomène[5]. Mais, il faut insister sur ce point, le renforcement des inégalités territoriales auquel on assiste ne se réduit pas à une grande divergence entre les métropoles et le reste du territoire. Si les premières ont bien résisté, elles ne sont pas épargnées par l’accroissement des inégalités : la gentrification et l’embourgeoisement de certains espaces s’accompagnent de la paupérisation et de la relégation d’autres. La fragmentation des dynamiques territoriales s’observe donc à toutes les échelles et dans tous les types de territoires.

C’est dans ce contexte que la question des inégalités spatiales fait son grand retour dans le débat public. Mais elle le fait au travers de catégories englobantes, opposant les métropoles à la « France périphérique »[6]. Ce nouveau clivage s’est imposé dans les représentations et les débats, au terme d’un long travail de (re)cadrage des enjeux et de construction de sens permettant de réunir dans une même catégorie des espaces pourtant très divers. A l’image de la « classe objet » dont parlait Bourdieu pour décrire la paysannerie[7], ces territoires « perdants » se rapprochent surtout par leur domination symbolique et leur incapacité à imposer une définition d’eux-mêmes. En ce sens, ce sont avant tout des « territoires objets ».

La construction politique d’un nouveau clivage territorial

L’opposition binaire entre métropoles et « France périphérique » s’inscrit dans l’histoire longue des débats sur l’aménagement du territoire. En France, elle trouve son origine dans l’ouvrage à succès de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947 et réédité en 1953, 1958 et 1972. Le géographe, qui avait fait partie des propagandistes du régime de Vichy, y dénonce un système urbain macrocéphale, le poids démesuré de la capitale étant rendu responsable de la dévitalisation économique, démographique et morale du reste de la France[8]. La thèse de Gravier, qui inspire la politique de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale) tout au long des années 1960 et 1970, trouve une forme de réactualisation dans la figure contemporaine de la « France périphérique ». Cette grille de lecture géographique, qui rencontre elle aussi un vif succès, est d’abord politique. Réunissant dans une même catégorie les villes petites et moyennes, le périurbain et les espaces ruraux en déprise, elle sert avant tout à dénoncer des élites politiques xénophiles et « globalistes », dont le tropisme métropolitain serait une cause centrale de l’abandon des autres territoires. Ces derniers feraient figure de lieux de relégation pour des classes populaires blanches repoussées vers les périphéries par l’explosion des prix de l’immobilier et la concentration des populations racisées dans les grandes cités HLM, lesquelles seraient indûment abreuvées de fonds publics.

La « France périphérique » est une catégorie fourre-tout fondée sur des bricolages statistiques qui ne résistent pas à l’examen scientifique[9]. Pour ne donner qu’un exemple, les collèges publics pourvus de l’indice de position sociale (IPS) le plus faible de France métropolitaine – autrement dit, regroupant les élèves dont l’environnement familial est considéré comme le moins favorable à la réussite scolaire – sont ceux de Seine-Saint-Denis (soit la quintessence de la “France des tours” supposée bénéficier de l’avantage métropolitain), suivis de l’Aisne, des Ardennes et de la Haute-Marne (soit des départements ruraux subissant de plein fouet la désindustrialisation)[10].

En dépit de sa faible consistance scientifique, l’opposition simpliste et binaire entre ces divers types de territoires, les imaginaires mobilisés (l’alliance supposée entre quartiers gentrifiés et cités HLM), l’exposition médiatique et les relais politiques dont bénéficie cette grille de lecture, en assurent le succès. Ses effets s’avèrent délétères. En quelques années, l’extrême droite et ses relais sont en effet parvenus à en faire le socle d’un nouveau clivage politique, établissant une relation de cause à effet entre les « milliards déversés dans les banlieues » et « l’abandon de la France périphérique ». Il en va de même aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens, où la droite populiste et ethno-nationaliste a imposé un nouveau cadrage des inégalités territoriales qui est tout autant racial que spatial… et qui n’est pas si nouveau : le mythe de la « Welfare Queen », une femme noire imaginaire qui mènerait grand train aux frais du contribuable, a surgi dans le débat politique dès les années 1960 alors même que les quartiers noirs étaient largement abandonnés par la puissance publique[11]. Popularisée par Ronald Reagan dans les années 1980, cette figure a contribué à diffuser, dans de larges segments de l’opinion états-unienne, l’idée selon laquelle les populations racisées bénéficieraient de privilèges indus, dont le véritable peuple, évidemment blanc, paierait le coût[12]. Le prisme territorial de la « France périphérique » procède de la même logique, permettant in fine de « coder » spatialement des grilles de lecture racistes.

Mais le succès de cette catégorie tient aussi à la quasi-disparition des espaces institutionnels de production d’analyses et de représentations spatiales à même de fournir des contre-récits des dynamiques territoriales. L’affaiblissement des partis à l’échelle nationale s’accompagne d’un déclin de leur capacité à lire les évolutions spatiales et à porter un projet politique pour les territoires dans leur diversité. La politique d’aménagement du territoire des Trente glorieuses s’appuyait sur des compétences techniques internes à l’Etat qui ont été progressivement remplacées par des bureaux d’études et des cabinets de consulting. Ce démantèlement de l’expertise publique se voit parachevé lors du premier quinquennat d’E. Macron, avec la création en 2020 de l’Agence nationale de cohésion des territoires, chargée d’accompagner les projets des territoires en difficulté, et qui pour ce faire recourt systématiquement aux cabinets de conseil.

L’opposition entre métropoles et « France périphérique » était déjà solidement installée dans le débat public quand les Gilets Jaunes ont pris possession des ronds-points, et c’est au prisme de cette grille de lecture facile à mobiliser que le mouvement social a été immédiatement analysé[13]. Organisé pour sortir de cette crise politique, le « grand débat » national a mis en scène E. Macron face à des centaines de maires qui exprimaient frontalement leur sentiment d’abandon. La réorientation des politiques territoriales de l’Etat s’est alors brusquement accélérée. Après deux décennies très favorables aux grandes villes, envisagées comme les locomotives nationales du développement économique et de la redistribution, ces politiques s’en détournent désormais, d’abord au profit des villes petites et moyennes, puis des espaces ruraux. Il ne s’agit pas du retour de l’Etat keynésien dans ces territoires, ni même d’une remise en cause du dogme austéritaire, mais simplement du saupoudrage de différents labels et dispositifs dont la portée est surtout symbolique (Petites villes de demain, Villages d’avenir, etc.), et qui consistent à diffuser les logiques de développement entrepreneurial pensées au départ davantage pour les grandes villes[14]. Cette réorientation des politiques territoriales a pour corollaire une disparition des quartiers urbains défavorisés de l’agenda politique. Pour la première fois dans la longue histoire de la politique de la ville, les émeutes de l’été 2023 n’ont été suivies d’aucune mesure autre que répressive. La composition du gouvernement Barnier, qui compte un ministère délégué en charge de la Ruralité mais pas de ministre de la Ville, fournit une autre illustration de l’infléchissement de la politique spatiale de l’Etat.

Dépasser les oppositions binaires

Le présent numéro de Mouvements vise à dépasser les oppositions binaires qui structurent le débat public. La mise en concurrence de territoires qui partagent en réalité nombre de problématiques communes[15] nécessite en effet d’être combattue. Elle obscurcit la compréhension des inégalités qui structurent les sociétés contemporaines, suscite des réponses politiques inadaptées et pèse considérablement sur les processus de politisation et de mobilisation des individus et des groupes. Enfin et surtout, elle contribue à diviser les couches populaires – et celles et ceux qui sont censés les représenter – selon des catégories prétendument spatiales, mais en réalité raciales : à la « France des bourgs » dont tout le monde aura compris qu’il s’agissait d’une France blanche et laborieuse, s’opposerait une « France des tours », autrement dit issue de l’immigration, vivant de l’« assistanat ».

Contre cette vision délétère, nous proposons de désigner par le terme de « territoires délaissés » ces espaces qui subissent de plein fouet le retrait conjoint du capital et de l’Etat, qu’ils soient métropolitains, urbains, périurbains ou campagnards. Ce faisant, nous importons ici dans les débats français la notion de left behind places qui s’est imposée récemment dans la géographie anglophone. Si elle pose d’autres problèmes épistémologiques et politiques[16], cette notion a le mérite de fédérer les quartiers défavorisés des grandes métropoles, les zones périurbaines paupérisées, les centres en déclin des villes petites et moyennes, et les espaces ruraux en déprise, et de rendre compte de la complexité des dynamiques territoriales à l’œuvre, tout en soulignant les processus sociaux et politiques qui les rapprochent. C’est autour de trois de ces processus communs que s’organise le présent numéro : la production du délaissement par les gouvernants, les dynamiques de politisation de ce délaissement, et enfin les stratégies de réinvestissement des espaces délaissés.

La première partie du dossier s’intéresse donc aux processus politiques de (re)production du délaissement dont les habitant·es sont les premières victimes. Certes, des stratégies de redéveloppement existent, mais l’action publique se contente souvent de dupliquer mécaniquement des instruments initialement conçus pour des espaces prospères et attractifs. Clément Barbier et Thibault Boughedada montrent ainsi que les territoires post-industriels comme le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais font l’objet d’initiatives multiples, mais que ces logiques politiques sont souvent à l’origine du délaissement qu’elles prétendent combattre. C’est le cas aussi dans les quartiers informels des métropoles des Suds, comme à Sàkani, le quartier de Lagos que Côme Salvaire étudie et qui connaît un déclin accéléré dont les origines sont à trouver dans les conflits entre les mondes de « la rue » et de « la politique ». A propos de la Chine, Judith Audin montre comment à Datong, capitale déchue du charbon, le soutien de l’Etat aux projets urbains des villes moyennes s’est brusquement interrompu, laissant des habitant·es piégé·es dans des quartiers partiellement démolis. Cette situation de délaissement et d’absence de perspective se retrouve également dans le quartier marseillais étudié par Charles Reveillère, que les pouvoirs publics ont laissé se dégrader dans l’attente de sa démolition.

 

C’est à la politisation du délaissement territorial que la deuxième partie de ce dossier est consacrée. En analysant un vaste corpus de tweets, Anastasia Magat montre que le délaissement des quartiers populaires s’accompagne de différences notables dans la manière dont leurs problèmes sont publicisés et dans l’identification des responsabilités, selon les contextes territoriaux. Comparant Vaulx-en-Velin dans la banlieue lyonnaise et La Tour-du-Pin située aux confins de l’Isère, l’enquête d’Anouk Chainais suggère pourtant de nombreuses similitudes entre ces territoires confrontés à l’éloignement, aux négligences et parfois au mépris des institutions censées symboliser la présence de l’Etat. La place de la question du délaissement territorial dans les débats politiques et la manière dont elle est cadrée varient en fonction des contextes politiques nationaux. Le cas italien est à cet égard éclairant, où la question méridionale, qui était au centre de l’agenda politique depuis des décennies, se trouve désormais marginalisée sous l’effet de transformations du système politique défavorables aux territoires les plus en difficulté du Sud, comme le montrent Deborah Galimberti, Gilles Pinson et Angelo Salento. Le fait que les territoires délaissés soient devenus des terrains privilégiés des mobilisations protestataires n’est sans doute pas sans lien avec ces défaillances politiques. Mais là encore, il faut se garder des jugements hâtifs qui établissent des liens mécaniques entre l’accroissement des inégalités territoriales et les processus de politisation et de mobilisation. C’est ce qui ressort de l’article de Félicie Roux, qui analyse les mobilisations de parents d’élèves suite à des troubles dans un lycée à Saint-Denis : la dénonciation des inégalités territoriales est parfois présente, mais elle ne constitue pas le cadrage principal des mobilisations et peut conduire à des formes de dépolitisation. Ce rapport ambigu à la question du territoire et de son « délaissement » est également au centre de l’article de Jimmy Grimault, Tristan Haute, Leny Patinaux et Pierre Wadlow concernant l’effet du développement éolien sur le vote dans la région des Hauts-de-France. Si l’implantation d’éoliennes constitue un signe de la relégation des territoires ruraux et populaires, elle ne conduit pas pour autant à une amplification mécanique du vote à l’extrême-droite ou à droite.

La troisième partie du dossier porte sur les politiques, à forte dimension symbolique, de réinvestissement des territoires délaissés. Si de nouveaux dispositifs ont été initiés pour ces territoires, ils ne remettent aucunement en cause le dogme néolibéral et la primauté des logiques descendantes, pourtant souvent dénoncés comme étant à l’origine des problèmes. A partir du programme “Action cœur de ville” porté par l’Agence Nationale de la Cohésion Territoriale (ANCT), l’article de Julie Chouraqui montre comment l’attention des pouvoirs publics s’est déplacée vers les villes moyennes, tout en perpétuant des logiques d’aménagement focalisées sur des objectifs de croissance et de compétition territoriale. Cette standardisation de l’action publique se retrouve dans le programme “France services” analysé par Anthony Besch et Chloé Devez. Également porté par l’ANCT, ce programme présenté comme “le retour du service public au cœur des territoires” s’avère au final plus soucieux de rationalisation que d’adaptation aux besoins et aux spécificités des de ces territoires. Autre dispositif étudié par Violaine Girard et Elie Guéraut, le programme EMILE incitant des ménages précaires de la région parisienne à s’installer dans des villes moyennes en déclin, fournit une illustration supplémentaire de l’inadaptation des dispositifs conçus « d’en haut », en décalage avec la diversité des contextes locaux. A rebours de ces politiques nationales standardisées, certaines collectivités, comme celle de Grande-Synthe, ont développé des stratégies originales de réinvestissement. Mais, comme le montre Clément Cayol, ces « modèles » sont difficilement duplicables car ils supposent la présence de ressources politiques et financières dont ne disposent pas, loin s’en faut, tous les territoires délaissés.

Finalement, ce numéro ainsi que les articles et la table-ronde qui le prolongent sur le site Mouvements.info, posent la question suivante : que faire, scientifiquement comme politiquement, du territoire ? Le constat d’une montée des inégalités territoriales est désormais largement partagé, mais le consensus s’arrête là. La caractérisation de ces inégalités et de leurs effets, les explications de leurs causes ainsi que les propositions esquissées pour y remédier varient considérablement. Face à un sentiment d’abandon qui nourrit l’abstention et le vote en faveur de l’extrême-droite[17], le réinvestissement des services publics s’impose comme une évidence à gauche. On peut cependant douter que ce retour, s’il avait lieu, suffirait pour organiser la décrue d’un vote RN désormais solidement ancré dans les espaces sociaux locaux[18]. Le sentiment d’abandon qui s’exprime dans les campagnes, les petites villes et les banlieues est aussi voire surtout politique. La prégnance du sentiment de ne pas être entendu et de ne pas avoir prise sur les décisions, invite à un profond renouvellement des pratiques politiques dans ces territoires qui ont aussi été délaissés par les partis de gauche.

Une chose est sûre, il n’est plus possible d’ignorer la question territoriale tant les « effets de lieu » sont puissants[19]. Le tableau dessiné dans ce dossier n’invite pas à l’optimisme. Mais il n’est pas interdit d’espérer, comme le suggère Phil Neel dans l’itinéraire qui lui est consacré, que les territoires délaissés portent les germes d’une remise en cause des rapports sociaux, raciaux et politiques contemporains qui serait le prélude à de nouvelles mobilisations et alliances de classes.

 

[1] A. Rodríguez-Pose, “The revenge of the places that don’t matter (and what to do about it)”, Cambridge journal of regions, economy and society, 11(1), 2018, p.189-209

[2] N. Brenner, New State Spaces: Urban Governance and the Rescaling of Statehood, Oxford, Oxford University Press, 2004

[3] L. Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, 2012.

[4] A. Guironnet, L. Halbert, L’empire urbain de la finance. Pouvoir et inégalités à l’ère du capitalisme de gestion d’actifs, Paris, éd. Amsterdam, 2023.

[5] Le déclin territorial est un processus qui combine des dimensions objectives (dynamiques socio-démographiques, économiques ou matérielles) et subjectives (sentiment d’abandon ou de déclassement territorial). Pour plus d’élément cf. V. Béal, N. Cauchi-Duval et M. Rousseau, Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Vulaines-sur-Seine, ed. du Croquant, 2021.

[6] C. Guilluy, La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, 2014.

[7] P. Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales,. 17-18, 1977, p. 2-5.

[8] M-V. Ozouf-Marignier, A. Warnant, « Que reste-t-il de Paris et le désert français ? », Métropolitiques, 29 février 2024

[9] ESO, « Les chercheurs d’ESO face à la ”France périphérique” », Travaux et Documents, 41, 2016.

[10]  I. Deroeux, “En Seine-Saint-Denis, état des lieux chiffré des problèmes de l’enseignement”, Le Monde, 22 avril 2024.

[11] T. Boussac, L’affaire de Newburgh: aux origines du nouveau conservatisme américain, Paris, Presses de Sciences Po., 2023

[12] J.Hackworth, Manufacturing Decline. How Racism and the Conservative Movement Crush the American Rust Belt, New York, Columbia University Press, 2019

[13] E. Walker, “Les Gilets jaunes, c’est la France périphérique” in E. Reungoat, F. Buton (dir.) Idées reçues sur les Gilets jaunes: un marqueur des luttes sociales contemporaines, Paris, Le Cavalier Bleu, 2024.

[14] S. Bonnin-Oliveira, H.Reigner, « Le programme Petites villes de demain : vers un État start-up ? Ce que vivent les chefs de projet », Métropolitiques, 2 septembre 2024.

[15]Voir l’entretien de Benoit Coquard dans la revue Ballast : “Milieux ruraux et banlieues ont beaucoup en commun” https://www.revue-ballast.fr/benoit-coquard-milieux-ruraux-et-banlieues-ont-beaucoup-en-commun/

[16] A Pike et al.., ”‘Left behind places’: a geographical etymology”, Regional Studies, 58(6), 2024, p.1167-1179.

[17] T. Piketty et J. Cagé, Une histoire du conflit politique: Elections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Paris, Seuil, 2023

[18] B. Coquard, Ceux qui restent: Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019 ; F. Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Paris, Seuil, 2024.

[19] L. Barrault-Stella, C. François, A-F. Taiclet, “La conversion politique des intérêts sociaux: ordre politique et division sociale de l’espace local”, Politix, 143(3), 2023, p.7-25.