Que mesure-t-on chez un individu quand on « teste » son ADN ? Alors que pour le conseil national d’éthique la science génétique a plus de répercussions politiques et sociales qu’aucune autre, l’autorisation de tests ADN préalables au regroupement familial pose des questions trop vite évacuées. 26 septembre 2007.

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, les députés ont adopté à main levée le projet de loi sur la « maîtrise de l’immigration » présenté par le ministre de « l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale », contenant un amendement prévoyant le recours à des tests ADN pour les candidats au regroupement familial.

Des « tests ADN »… Comme pour l’intitulé du ministère en question, comme pour le titre rassurant du projet de loi, encore faut-il analyser ce que cela recouvre. Car, à partir de l’extraction d’ADN d’une personne, toutes sortes de tests peuvent être effectués. Leurs objectifs et leur signification varient énormément d’un cas à l’autre.

Il y a d’abord l’exploration complète du génome, désormais à portée de main de chacun, ou presque : la société 23andme (qu’on pourrait traduire par « mes 23 paires de chromosome et moi » propose ainsi « un accès détaille, sécurisé et privé à votre information génétique ». Bref, tout savoir sur soi ! Ce tout est évidemment relatif |1| . Le monde anglo-saxon très pragmatique et toujours prêt à se soumettre aux lois du marché est prêt à ce type d’exploration, pour un individu et pour sa descendance. Quand ce marché prometteur sera ouvert en France – laquelle, ne l’oublions pas, a soigneusement verrouillé toutes recherches génétiques dès la première loi de bioéthique (1991) – et que vous serez disposé à en payer le prix, vous découvrirez vos prédispositions, pour le meilleur ou pour le pire.

Pour le pire, car parfois l’annonce prématurée d’une maladie grave, incurable, risque de gâcher les dernières bonnes années qui restent avant la déchéance. Il s’agit alors du diagnostic prédictif qui a toujours été entouré, en France, de solides précautions afin d’avoir la conviction que la personne – elle a le droit de savoir ou de ne pas savoir – est suffisamment préparée à la révélation d’un tel diagnostic. Dans le même esprit, celui-ci est fortement déconseillé pour les enfants mineurs afin de les protéger le mieux possible et de ne pas influencer défavorablement la conduite éducative.

Ainsi, dans la recherche de maladies génétiques, les personnes acceptant une étude ADN font l’objet de toutes les attentions afin de préserver leur intérêt personnel. Les recommandations du Comité National d’Ethique sont claires à ce sujet : consentement éclairé, confidentialité, respect de la vie privée, droit de s’opposer au traitement informatisé des données les concernant…
Du reste, celui-ci, dans un de ses avis (n°46), soulignait : « que la science génétique avait eu et pouvait avoir dans le futur plus de répercussions individuelles politiques et sociales qu’aucune autre science » La suite démontre qu’il ne croyait pas si bien dire.

Les analyses de l’ADN sont aussi capables de distinguer les personnes les unes des autres, de les identifier en établissant une sorte de carte d’identité individuelle.
Dès 1985, Alec Jeffreys découvre des sondes permettant de reconnaître un individu à partir de ses « empreintes ADN » et publie dans Nature ses possibles applications en médecine légale. La police britannique se dote alors rapidement d’une importante base de données. Les décisions en France sont plus frileuses et ce n’est qu’en 1998 (loi n° 98-468) qu’est créé le fichier relatif à la prévention et à la répression des infractions de nature sexuelle : « le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d’un magistrat, est destiné à centraliser les empreintes génétiques issues de traces biologiques ou des personnes condamnées pour les infractions mentionnées à l’article 706-55 en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs de ces infractions. »

Enfin, les tests de filiation permettent de confirmer ou d’infirmer les filiations, et les recherche en paternité. Là encore, contrairement à de nombreux pays où les intéressés voulant faire une recherche de paternité choisissent les laboratoires les moins coûteux, la loi française a entouré cette demande d’une stricte législation : toute recherche de paternité ne peut être effectuée que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Adoptée en 1994, cette contrainte n’a pas été remise en cause en 2004 lors de la révision de la loi « dite de bioéthique ». Elle prévoit pour toute infraction un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (article 226-28 du Code pénal) et les laboratoires qui pratiquent ces tests sont contrôlés et tenus de respecter la loi. Le tribunal de grande instance, statuant en matière civile, est seul compétent pour connaître des actions relatives à la filiation. Tout test de paternité commandé à l’étranger via Internet ou par téléphone est interdit et l’envoi peut-être confisqué par les douanes.

Ainsi, à la différence des pays anglo-saxons, tout a été fait en France pour contrôler l’utilisation de l’ADN, limiter les tests, au risque de voir se développer un « tourisme génétique » illégal. Pourtant elles ne manquent pas, ces annonces sur Internet, y compris sur des sites français comme www.easydna.fr (220€) ou www.dnasolutions.fr (199€), qui proposent des tests ADN de recherche de paternité rapides et fiables à 99,99+% : « Commandez votre kit gratuit ! » … peut-être en perspective des nouveaux marché.

Depuis le développement de la génétique et des études familiales, tout généticien a pu constater, dans les familles françaises étudiées, l’existence d’enfants illégitimes dont il garde soigneusement le secret. Leur fréquence n’est pas négligeable. Ce désir de protection des familles en évitant toute révélation intempestive ne date pas d’hier : lors de l’établissement de la carte d’identité, l’idée d’y adjoindre systématiquement le groupe sanguin a rapidement été écartée pour ces mêmes raisons, et il n’est pas prévu de reconnaissance ADN dans les futures cartes d’identité électroniques biométriques. Pourtant les mœurs ont bien changé de nos jours.
De moins en moins, en effet, dans ce XXI siècle, il apparaît que les liens entre parents et enfants se réduisent à la simple filiation biologique. Le temps des bâtards semblait révolu. Un enfant peut faire partie d’une famille sans qu’il existe de « liens du sang ». Bien des familles sont recomposées et les couples stériles peuvent officiellement recourir à du sperme de donneur ou solliciter officiellement une adoption. Ceci est vrai en France comme dans d’autres pays, en Afrique par exemple, où nombre d’orphelins ont été recueillis. Devra-t-on refuser l’entrée à un enfant en raison d’une absence de filiation biologique, de façon purement administrative, sans chercher à comprendre ? Sans tenir compte de l’histoire de la famille ? Devra-t-on révéler à un père qu’un de ses enfants est illégitime ?

Il est vrai que, dans des pays à la législation très différente de la nôtre, les tests génétiques pour le dépistage des étrangers suspects d’être en situation illégale est pratiqué, parfois depuis longtemps. Mais la loi du sol n’a jamais été en vigueur dans notre pays, alors que celle-ci a paru aller de soi ailleurs, et les gouvernements successifs, sous l’influence des comités d’éthique, se sont toujours efforcés de légiférer dans le respect de notre culture. Ainsi, désormais en France, il y aurait deux poids, deux mesures, l’une soucieuse de la confidentialité, du respect des individus, destinée aux familles françaises, faisant partie des « exceptions françaises », et l’autre, illégale selon la loi, mais licite quand elle est appliquée aux individus de seconde zone, ces étrangers envers qui toute méfiance, toute exigence est permise, comme on le fait pour les criminels. La France ne serait-elle pas en train de perdre son âme ?


|1| Jordan B. Genotype tous azimuts. Médecine/sciences 2007 ; 23 : 772.