Le Covid-19 n’est pas une pandémie mais une « syndémie » disent certains épidémiologistes parce qu’il résulte d’une interaction négative entre l’infection virale et les facteurs sociaux aggravant la pathologie. A ce titre, il est un puissant révélateur des inégalités et discriminations, à commencer par les disparités raciales comme l’expérience dramatique des Etats-Unis l’a mis en pleine lumière. Dans ce texte de juin 2020, la journaliste Zoé Carpenter1 analyse les origines de la surmortalité très importante des Afro-américain.es – des conditions de travail et de logement au racisme du système de santé dual en passant par le fardeau des maladies chroniques préexistantes– ainsi que les mobilisations des communautés pour y faire face.
Jason Hargrove se trouvait au volant d’un bus dans le quartier du West Side, à Détroit, quand l’une de ses passagères s’est mise à tousser sans faire aucun effort pour se couvrir la bouche. C’était le 21 avril, et l’épidémie de Covid-19 se propageait à travers de nombreuses villes des Etats-Unis. L’incident a pas mal secoué Hargrove. « Écoutez-moi, » a-t-il lancé en se filmant sur Facebook Live pendant sa pause déjeuner, dans une vidéo rapidement vue des dizaines de milliers de fois, « ces histoires de coronavirus, c’est pour de vrai, et nous on est des employés du service public, on essaie de gagner honnêtement notre vie pour pouvoir prendre soin de notre famille… c’est vraiment abusé d’avoir fait ça. J’ai le sentiment qu’on m’a complètement manqué de respect. »
Quelques jours plus tard, victime d’une poussée de fièvre, il a dit à sa femme, Desha Johnson-Hargrove, qu’il ne se sentait « pas dans son assiette ». Peu de temps après, son état était suffisamment grave pour qu’elle l’emmène à l’hôpital. L’équipe soignante l’a renvoyé chez lui avec pour ordre de s’auto-confiner. Son état a continué d’empirer. Quand le bout de ses doigts sont devenus bleus, Desha l’a remmené à l’hôpital. L’équipe soignante l’a de nouveau renvoyé chez lui. « Ils ont dit qu’il n’y avait aucune raison de faire quoi que ce soit, » Desha a-t-elle déclaré plus tard à la presse. Le 29 mars, Jason respirait avec beaucoup de difficulté, et elle l’a emmené pour la troisième fois à l’hôpital. Elle ne l’a plus jamais revu vivant. C’est seulement en appelant pour prendre de ses nouvelles qu’elle a appris la mort de son mari.
Une mortalité très inégalement distribuée
La mort de Hargrove a mis en lumière les risques que le virus fait peser sur les travailleur·euses essentiel·les en col bleu. A Détroit, comme dans le reste des Etats-Unis, les personnes de couleur (people of color) sont surreprésentées parmi ces travailleur·euses. Elder Leslie Mathews, une habitante de Détroit employée comme organisatrice par Michigan United, une association de lutte contre le racisme, se souvient que lorsque les gens ont commencé à s’auto-confiner, en mars, cela a produit un effet de damier. « Les personnes blanches qui ont des bons boulots se sont mises à disparaitre. Et on a vu que les travailleur·euses de première ligne, c’était des personnes noires et basanées (black and brown people). » Des rumeurs ont circulé affirmant que les personnes noires ne pouvaient pas attraper le virus, et quand cette fausse information a été démentie, « il était littéralement trop tard. Ça a fait l’effet d’une bombe atomique. C’est venu de nulle part. Tout à coup, des centaines de personnes se sont retrouvées contaminées. »
Dans le Michigan, 40% des personnes décédées jusqu’à présent du Covid-19 étaient noires, alors que les noir.es représentent seulement 14% de la population totale de l’État. Au niveau des États-Unis tout entiers, une étude a conclu que les noir·es avaient 2,4 fois plus de chance de décéder du coronavirus que les blanc·hes, et que dans de nombreux États, les personnes d’origine hispanique ou autochtone ont souffert de taux de contamination particulièrement élevés.
A cause du Covid-19, Mathews a vu mourir des ami·es et des membres de sa famille, dont son ex-mari, qui est décédé après sa sortie de l’hôpital. « Il avait l’air d’aller bien, et il est mort en moins d’une semaine, » a-t-elle déclaré. « Et puis la semaine d’après, c’est sa mère qui est morte. Quand je scrolle sur Facebook, tout ce qu’on voit c’est ‘Repose en paix. Repose en paix. Repose en paix.’ » Elle estime qu’au moins 10% de ses ami·es du lycée sont décédé.es au cours des dernières semaines. « Moi, d’habitude, je suis quelqu’un qui aide les gens, qui les guide dans leur travail de deuil quand ils ont perdu un être cher. Le Covid-19 a complètement bouleversé tout ça. »
Alors même que la pandémie continuait de se propager, le gouvernement fédéral comme les gouvernements des États ont tardé à rendre publiques les données démographiques indiquant quelles populations tombaient malades et quelles populations décédaient. Mais quand l’ampleur des disparités raciales est devenue impossible à nier, des responsables public·ques de tout bord se sont empressé·es de déclarer que ces statistiques étaient inacceptables. « Ce sont des chiffres très mauvais. Des chiffres terribles, » a affirmé le président Trump lors d’une conférence de presse, le 7 novembre. Mais qu’est-ce que ces responsables sont-iels prêt·es à faire pour inverser la tendance ?
De nombreux·ses expert·es de la santé publique espèrent que l’ampleur de la crise conduira à une opération politique d’importance visant à réduire les inégalités en santé, dont l’existence et la persistance ont été établies depuis plus d’un siècle par de nombreux travaux. Le docteur Clyde W. Yancy, de l’école de médecine Feinberg à l’université Northwestern (Illinois) a récemment décrit la situation comme étant « un moment de choix éthique décisif ». « On a l’impression que les médias couvrent davantage ce sujet que les autres formes d’inégalité, et j’espère qu’à la fin de tout cela, une attention et un financement particuliers seront consacrés à ces questions, » a déclaré le docteur Uché Blackstock, médecin urgentiste à New York et fondateur de la société de conseil Advancing Health Equity.
La mobilisation sanitaire des communautés
Cependant, alors même que les États commencent déjà à autoriser la réouverture des commerces et à adopter des règles de distanciation sociale moins strictes, aucun effort n’a été fait pour s’attaquer de façon coordonnée à la pandémie, et encore moins au caractère inégalitaire de son impact. « Je pense que les gens sont devenus insensibles à la souffrance des communautés noires, » a déclaré Blackstock fin avril. « Que pouvons-nous faire maintenant tout de suite, structurellement, pour atténuer les effets de ce virus dangereux ? Je n’ai rien entendu là-dessus. Je n’ai entendu personne proposer de solution. »
Conscientes de l’urgence de la situation, des associations de défense des droits et des militant·es comme Mathews travaillent à subvenir aux besoins les plus pressants des communautés vulnérables tout en faisant pression sur les responsables public·ques pour qu’iels placent l’égalité raciale au cœur des politiques publiques mises en place en réaction à la pandémie. « Les gens sont en colère, » affirme Mathews, qui a organisé plusieurs réunions citoyennes avec des habitant·es de Détroit. « Je crois que beaucoup de gens sont en train de se réveiller en ce moment. »
Si la Covid-19 est bien une maladie nouvelle, son impact différencié selon les communautés était prévisible: les personnes de couleur (people of color) et les pauvres souffrent de façon disproportionnée des infections, des maladies chroniques ou des catastrophes naturelles. L’idée que le Covid-19 mettait « tout le monde à égalité » était une supposition non seulement fausse mais préjudiciable. Le fait de s’être attaqué au virus sans prendre en compte la couleur (a colorblind approach) a signifié que les responsables public·ques ont laissé passer les occasions de limiter l’impact différencié du virus au début de l’épidémie.
Le plus criant de ces manquements est de ne pas avoir rendu les tests de dépistage plus largement accessibles, tout spécialement au sein des communautés vulnérables. Initialement, les tests ont été réservés aux personnes qui avaient voyagé dans des pays où le virus était répandu, comme la Chine et l’Iran, ou aux personnes qui avaient été en contact rapproché avec une personne porteuse du virus. « Il était très clair pour moi dès le début que ces critères excluaient certain·es patient·es, pour la plupart des patient·es noir·es dans les quartiers où je travaille, » a déclaré Blackstock, dont le cabinet se trouve dans le centre de Brooklyn.
La plupart des États ne publient pas de données démographiques liées au dépistage, mais dans l’Illinois, qui en publie, à la date du 22 mai, moins de 10% des tests avaient été administrés à des résident·es noir·es, alors que ces personnes constituaient 30% des décès et 17% des cas positifs. A Philadelphie, une analyse menée par Usama Bilal, épidémiologiste à l’université Drexel, a montré que les habitant·es des quartiers huppés avaient été dépisté·es quasiment six fois plus que celleux des quartiers les plus défavorisés. Ala Stanford, une chirurgienne pédiatre, était tellement insatisfaite des dispositifs de dépistage dans la ville qu’avec d’autres volontaires, elle a créé la Brigade Covid-19 de Docteur·es Noir·es (Black Doctors Covid-19 Consortium), association qui a organisé des dépistages gratuits sur des parkings d’église et chez des particuliers.
Mis·es sous pression, les responsables dans certains États et dans certain·es municipalités, dont celles et ceux de la ville de New York et du comté Broward en Floride, ont rajouté des sites de dépistage dans les quartiers à majorité noire. A Détroit, des responsables ont ouvert un service de dépistage au volant sur le terrain municipal prévu pour accueillir les fêtes foraines. Mais plus d’un tiers des habitant·es de Détroit ne possèdent pas de voiture, ce qui constitue un obstacle supplémentaire, que la ville a essayé de surmonter en contractant des compagnies de taxi pour qu’elles offrent des trajets à 2$ pour véhiculer les personnes jusqu’au site.
En plus de la facilitation de l’accès au dépistage et de la publication de données démographiques, de nombreuses associations citoyennes se sont donné comme objectif prioritaire de réduire le nombre de personnes incarcérées dans des prisons ou dans des centres de rétention, où l’accès au savon, aux autres produits d’hygiène et aux soins en général est limitée. D’après l’ACLU (American Civil Liberties Union), les Afro-états-unien·es constituent plus de la moitié de la population carcérale dans plusieurs États qui présentent un différentiel racial de contaminations au Covid important, dont le Michigan, l’Illinois, et la Louisiane. La réponse des autorités a de nouveau été très erratique : tandis que de nombreuses collectivités locales ont réduit la population carcérale de 25% ou plus, d’après le Prison Policy Initiative, les prisons gérées par les États n’ont libéré « presque personne ». Membres de cette organisation, Emily Widra et Peter Wagner écrivent ainsi : « La plupart des États ne prennent même pas les mesures les plus simples et les moins polémiques, comme de refuser les admissions pour non-respect technique de conditions de sursis ou de liberté conditionnelle, et de libérer les personnes incarcérées pour ces mêmes manquements techniques. » Pendant ce temps, plus de 1 100 personnes détenues par la police des frontières (Immigration and Customs Enforcement) ont été testées positives au Covid-19 – soit quasiment la moitié des personnes dépistées.
Les mesures de protection sur le lieu de travail sont un autre domaine où les dirigeant·es politiques pourraient en faire davantage pour ralentir la propagation du virus. « Dire que l’on n’a aucune garantie de salaire, pas de prime de risque [universelle]… ni de réglementation plus stricte de l’OSHA (Occupational Safety and Health Administration, chargée de la santé au travail) pour s’assurer que les travailleur·euses bénéficient de conditions sûres – rien de tout cela n’existe afin de protéger les personnes les plus vulnérables à ce virus et qui ont le moins facilement accès aux soins, » a déclaré la docteure Sharrelle Barber, une épidémiologiste sociale à l’université Drexel et l’une des coordinatrices du Comité de conseil Covid-19 pour la justice en santé (Covid-19 Health Justice Advisory Committee), collectif nouvellement créé au sein de la Poor People’s Campaign. Quasiment un quart des salarié·es états-unien·nes employé·es dans le civil n’ont droit à aucun jour de congé maladie payé. De plus, si le paquet de mesures votées en mars pour faire face au coronavirus inclut bien deux semaines de congé maladie payées pour certain·es employé·es, les compagnies de 500 salarié·es ou moins en sont exemptes, une restriction qui laisse à elleux-mêmes des millions de travailleur·euses. « On a presque partout laissé les communautés se débrouiller toutes seules », a affirmé Barber. « C’était vraiment frustrant, je suis vraiment furieuse de voir à quel points les gens ont été abandonnés. »
En l’absence de toute stratégie comme de tout effort de coordination de la part des autorités fédérales, divers États et municipalités ont mis en place des groupes de travail pour étudier le caractère asymétrique de l’impact de la pandémie et proposer des mesures pour y répondre. Début avril, la ville de Chicago a annoncé la formation d’une Équipe de réponse rapide pour l’équité raciale (Racial Equity Rapid Response Team) en partenariat avec West Side United, une ONG locale, avec pour objectif « d’appliquer une stratégie de santé publique hyper locale à des communautés ciblées ». Le Michigan et la Louisiane ont mis en place des groupes de travail couvrant l’État tout entier. Au niveau fédéral, la sénatrice Kamala Harris a déposé un projet de loi visant à obliger le ministère de la santé (Department of Health and Human Services) à créer un groupe de travail dédié aux disparités raciales et ethniques.
Des disparités raciales en matière de santé connues de longue date
Rien ne dit que ces comités d’experts auront un impact. « Il ne faut pas que la fonction première de ce groupe de travail soit de discuter longuement ou de mener des études prolongées pour analyser en long, en large et en travers comment on en est arrivé là », a déclaré Jumaane Williams, le Défenseur des droits de la ville de New York, en réaction à la formation d’un groupe de travail municipal. « Ce dont nous avons besoin, c’est de résultats, pas d’un rapport ». Andre Perry, membre de la Brookings Institution, m’a affirmé : « On me propose sans arrêt de participer à des groupes de travail pour l’équité raciale, mais même si j’adore faire de la recherche, aucun travail de recherche n’est nécessaire sur ce sujet. Ce qu’il faut, c’est accorder aux personnes noires et basanées (black and brown people) un accès privilégié aux moyens de dépistage ».
Les causes des disparités raciales en matière de santé sont bien documentées. Les personnes de couleur (people of color) sont plus susceptibles que les blanc·hes de vivre dans des quartiers ségrégués qui concentrent davantage de pollution, des logements insalubres, ainsi qu’un accès limité aux soins, à une alimentation équilibrée et à des opportunités économiques. Ces facteurs, ainsi que d’autres facteurs sociaux et environnementaux, peuvent avoir des conséquences préjudiciables sur la santé, parmi lesquelles un taux plus élevé de maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension, qui ont été associés à la mortalité liée au Covid-19. « Une pandémie est d’une certaine façon une question de pathogène, mais est bien davantage une question d’hôte et d’environnement, » a déclaré le Dr Abdul El-Sayed, ancien directeur exécutif des services de santé de la ville de Détroit. « Détroit est un environnement qui malmène l’hôte – principalement les noir·es et les habitant·es de la ville à faibles revenu – depuis très, très longtemps. »
Ces facteurs environnementaux sont aggravés par les préjugés qui existent au sein du système de santé. De nombreuses études montrent que les patient·es noir·es sont moins bien soigné·es que les patient·es blanc·hes. Bien qu’il soit difficile de déterminer la part des préjugés dans le traitement de cas individuels, de nombreuses histoires existent de personnes comme Hargrove à qui l’on a refusé l’accès à un hôpital à de nombreuses reprises, et qui sont décédées ensuite. (Les hôpitaux ont en général nié les accusations de partialité dans le traitement de patient·es atteint·es de Covid-19, en pointant plutôt des problèmes de capacité d’accueil les obligeant à n’admettre que les cas les plus graves).
Des preuves existent que le racisme systémique affecte la santé de manière plus subtile également. Au cours des années 1990, Arline Geronimus, professeure à l’École de santé publique de l’Université du Michigan (University of Michigan School of Public Health), a proposé le terme d’ « usure » pour décrire la façon dont la discrimination dégrade le corps, provoquant l’apparition précoce de maladies chroniques ainsi que d’autres problèmes de santé, alors même que les gens connaissent une ascension sociale. « Un vieillissement biologique accéléré est la conséquence d’une exposition chronique à des facteurs de stress ainsi que de l’importance des efforts déployés pour faire face à ces facteurs de stress [liés] au fait de vivre dans un système structurellement raciste », avance-t-elle. Selon elle, c’est peut-être l’une des raisons qui explique que l’épidémie de Covid-19 frappe de façon particulièrement dure les communautés de couleur (communities of color). Pourtant, historiquement, les politiques publiques visant à lutter contre les disparités raciales se sont focalisées sur une modification des comportements individuels. Selon Geronimus et d’autres praticien.nes, ce qui est requis, ce sont des changements structurels visant à éradiquer la discrimination et les préjugés.
Récemment, certaines collectivités locales ont commencé à prendre en compte le lien qui existe entre discrimination et problèmes de santé. L’année dernière, Milwaukee est devenue l’une des toutes premières villes des États-Unis à déclarer le racisme une crise de santé publique. Milwaukee est l’une des zones urbaines les plus ségréguées du pays : le taux de mortalité des nourrissons noirs dans le Wisconsin est le plus élevé du pays, et le taux d’incarcération associé au code postal de Milwaukee est l’un des les plus élevés du pays. L’objectif de cette résolution était de faire de l’équité raciale un élément central de toute prise de décision, ce qui a peut-être contribué au fait que la ville de Milwaukee a été plus transparente que d’autres localités concernant les données montrant une disproportion dans le nombre de décès au début de la pandémie.
Le Dr Dierdre Cooper Owens, historien de la médecine à l’Université du Nebraska-Lincoln, a avancé l’idée que le gouvernement fédéral devrait procéder à une déclaration similaire en réaction au Covid-19. Elle affirme que le racisme est une menace pour la santé publique selon les critères des Centres de contrôle et de prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention) : il pèse lourdement sur la société, il affecte de façon disproportionnée une certaine partie de la population, les mesures mises en place pour y faire face sont actuellement insuffisantes et il requiert une réaction d’ampleur et coordonnée. « La plupart des Américain·nes blanc·hes n’aiment pas qu’on leur parle de racisme », m’a affirmé Cooper Owens. « Il faut que l’on puisse éradiquer le mal à la source et appeler un chat un chat. »
Tandis que villes et États mettent en œuvre leur plan de réaction à la pandémie, les associations de défense des droits tentent de s’assurer que ces initiatives n’aggravent pas les inégalités existantes. « Lorsque des gens meurent, on privilégie la rapidité et l’efficacité, mais privilégier l’efficacité et la rapidité et continuer à faire comme d’habitude a pour conséquence que les personnes noires et basanées (black and brown people) se retrouvent laissées pour compte », a déclaré Mme Perry, de la Brookings Institution. C’est ce qui s’est passé à la suite de l’ouragan Katrina, selon Ashley Shelton, qui travaillait auparavant dans la reconstruction après catastrophe, et qui dirige maintenant la Power Coalition, un collectif regroupant plus de 20 associations en Louisiane. « De nombreuses personnes de couleur (people of color) ont été exclues des aides fédérales » distribuées après Katrina, a-t-elle affirmé, et la réaction fédérale à la pandémie a jusqu’ici suivi un scénario familier, en accordant une aide financière aux client·es des grandes banques et aux grandes entreprises. En avril, la Power Coalition a publié une Feuille de route pour le redressement (Roadmap for Recovery) qui recommande la mise en place de politiques spécifiques en faveur de l’équité raciale et économique au niveau des États et des collectivités locales. En Louisiane, une commission d’État va déterminer la manière dont seront dépensés les 1,8 milliards de dollars d’aides fédérales, tandis que Shelton et son collectif contrôleront la façon dont cet argent sera dépensé et plaideront en faveur des politiques publiques qu’iels jugent prioritaires. Shelton devra affronter un paysage politique difficile en Louisiane. Au capitole de l’État, où nous nous sommes entretenues, un projet de loi visant à étendre le paiement des congés maladie avait été enterré en commission quelques jours plus tôt par un vote selon des lignes partisanes.
Bien que les forces militantes se concentrent surtout au niveau des États et au niveau local, Shelton a qualifié le gouvernement fédéral de « moteur » nécessaire au redressement. Plusieurs autres personnes ont insisté sur ce point, dont Sharrelle Barber. « Les personnes marginalisées, les personnes noires, les personnes pauvres ont toujours eu à se battre, même en pleine pandémie, pour accomplir le nécessaire », a-t-elle expliqué, en faisant référence aux réseaux d’entraide et aux autres groupes qui se sont emparés de la situation. Mais « un grand nombre de besoins existent encore qui ne peuvent être satisfaits que par les structures de pouvoir responsables de ces inégalités ».
Lorsque j’ai demandé à Elder Mathews ce dont sa communauté à Détroit avait le plus besoin, elle a simplement répondu : « Je pense que ce dont ils avaient besoin était qu’on leur dise la vérité – et d’un véritable plan ».
Traduit de l’anglais par Noé le Blanc et Amine Tiamaz