Le rôle du capitalisme dans l’extractivisme et les processus de dégradation des écosystèmes qui sont à l’origine des diverses crises écologiques et de leur approfondissement fait peu de doute. Les manières dont peuvent s’articuler stratégies anticapitalistes et bifurcation écologique restent toutefois incertaines. Dans leur dernier ouvrage, Comment bifurquer, Cédric Durand et Razmig Keucheyan offrent une réponse stimulante : la reconfiguration nécessaire de l’économie requiert une planification démocratique et décentralisée. Ils élaborent ainsi une forme de programme de transition, soulignant le rôle des processus institutionnels dans la capacité de nos sociétés à se dégager des modes dominants de consommation et de production. Ce faisant ils avancent que répondre aux défis environnementaux du présent suppose une intervention massive de l’État et une décentralisation radicale. Autrement dit, sans bifurcation politique, peu de chances d’enrayer la catastrophe en cours. Propos recueillis par Jean-Paul Gaudillière et Julien Talpin.
Mouvements : Notre première question est simple : pourquoi ce livre, pourquoi ce livre maintenant, en particulier, et à qui s’adresse-t-il ?
Razmig Keucheyan (R.K.) : C’est assez simple : on veut gouverner. Je pense que ce n’est pas possible de dire les choses plus simplement. Ce livre voudrait être une sorte de “programme de transition”. Il part de l’existant, au sens où le point de départ de nos propositions se trouve dans des expériences politiques et économiques réelles, passées ou présentes. Il y a certes aussi une dimension spéculative, y compris utopiste, mais avec l’idée que c’est quelque chose qui peut être mis en application relativement rapidement, qui pourrait par exemple guider les 100 premiers jours d’un gouvernement. Nous sommes dans un contexte de crises multiples du capitalisme, où on a l’impression que les perspectives néolibérales s’essoufflent ou en tout cas mutent. Le moment est venu d’être offensif.
Évidemment, gouverner et transformer le pays, cela ne suppose pas seulement d’arriver au pouvoir. Cela implique aussi de se demander comment s’articule un pouvoir d’État avec des mouvements sociaux et syndicaux puissants. De ce point de vue, on est très influencés par une tradition au sein du marxisme qui va de Gramsci à Poulantzas, en particulier le dernier Poulantzas, celui de L’État, le pouvoir, le socialisme (1978). Elle consiste à essayer d’articuler le pouvoir d’État avec une pression exercée de l’extérieur de l’État par les mouvements sociaux et syndicaux, en partant de l’hypothèse que c’est dans cette articulation que la transformation est possible.
Mouvements : En même temps, ce n’est pas un programme parce qu’il n’y a pas le détail des mesures, par exemple celles des 100 premiers jours. D’ailleurs votre sous-titre dit très clairement qu’il s’agit des “principes de la planification écologique”…
Cédric Durand (C.D.) : Le moment dans lequel intervient notre livre compte aussi. Avec la crise du néolibéralisme, et plus particulièrement depuis la crise financière de 2008-2009, la planification a de nouveau droit de cité, y compris dans des cercles qui ne sont pas de gauche. La planification est un des éléments “identitaires” de la gauche en tant que projet alternatif au capitalisme. Ce projet n’a jamais vraiment disparu, mais il a été quand même sacrément amoindri, présenté de manière moins offensive dans les dernières décennies, y compris dans la discussion autour des “communs”.
Mais il n’a jamais vraiment disparu et, à partir de la crise de 2008, l’idée d’une coordination généralisée de la décision économique par les marchés financiers a perdu sa légitimité. La crise de 2008 marque la fin de cette idée que les marchés financiers pourraient servir de pilote général à l’économie, permettant une allocation rationnelle du capital. Ensuite, la crise du modèle néo-libéral a été aggravée par la Covid, puis la guerre en Ukraine. Ces contextes enchevêtrés font que l’enjeu est finalement la ré-intervention du rôle de l’État dans l’économie, dans les conditions du XXIe siècle.
Un autre point concerne la question écologique. L’aporie d’une solution de marché à ce problème, la construction d’un “capitalisme vert”, apparaît de plus en plus problématique, au point que l’on observe une divergence croissante entre ce que dit l’économie mainstream à ce propos et ce que font effectivement les gouvernements.
Tout cela laisse un espace théorique et politique à conquérir. Le terme planification écologique est devenu légitime du point de vue politique, y compris d’un point de vue institutionnel, mais il n’y a pas encore vraiment de pensée de la planification écologique. Les débats sont en cours, et notre livre vise à y contribuer.
Mouvements : Qu’est-ce qui pour vous fait la différence entre ce que vous racontez et ce qui se passer au sein de l’État, au sein d’une partie des élites économiques, autour de la transition écologique ? Qu’est-ce que parler de planification écologique change ? Et qu’est-ce que les enjeux écologiques changent à la planification ?
C.D. : Les économistes écologiques sont en quelque sorte les héros dans notre livre. C’est le cas notamment d’Otto Neurath, un des principaux participants au débat sur la planification et le socialisme au début du XXe siècle. Dans le livre, il y a une réflexion sur le débat relatif au “calcul socialiste” qui a fait rage au début du XXe siècle, autour de l’opposition entre le calcul monétaire et le calcul en nature, où Neurath avait notamment pour contradicteur Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek.
On évoque aussi les idées de l’un des fondateurs de l’économie écologique, William Kapp. Dans les années 1970, Kapp disait que si on prend au sérieux la crise écologique et le caractère limité des ressources naturelles, l’idée d’un calcul en nature, basé sur des quantités réelles plutôt que leur (pseudo) traduction dans des valeurs monétaires, doit s’imposer. Car l’idée d’une mise en équivalence générale pour gérer les contraintes écologiques n’a pas de sens. On ne peut pas comparer et mettre en équivalence des gypaètes barbus et des lys martagon, ou l’air pur généré par une forêt et la pollution de l’eau dans une rivière. Or l’économie mainstream raisonne de cette manière à propos de la crise écologique. Chacune de ces entités doit être comptée dans sa pleine autonomie et sa singularité. Cela rend inopérant le calcul économique traditionnellement conçu, qui réduit tout à une seule dimension.
Ce point est très important, et il répond aussi à votre question précédente concernant le public qu’on vise. L’un des publics potentiels de ce livre est la bureaucratie d’État, on l’assume pleinement. Les technocrates qui prennent au sérieux la question écologique voient bien que réduire le problème écologique à la fixation d’un prix pour la nature est absurde. On n’a pas essayé de cliver en disant, par exemple, que ce que font les gens de France stratégie ne sert à rien, que les questions que nous posons n’ont rien à voir avec leurs débats. On leur dit plutôt : ce que vous faites est intéressant mais voyons où ça nous emmène si on est conséquent. On essaie de jeter des ponts vers ces secteurs qui, aujourd’hui, sont en crise parce que conscients de la béance entre les politiques qui sont menées et la conscience grandissante qu’ils ont de la crise écologique.
R.K. : Je voudrais insister sur ce qu’a dit Cédric à l’instant. C’est la crise du néolibéralisme qui nous donne la sérénité d’aller chercher des interlocuteurs qui ne sont pas seulement dans le périmètre habituel de la gauche radicale, voire de la gauche tout court. Nous pensons qu’il ne faut pas hésiter à aller discuter avec des gens à Bercy parce qu’une partie d’entre eux est à la recherche de logiciels alternatifs et que le moment est venu d’être confiants dans la force de nos idées.
Maintenant, pour revenir à votre question sur pourquoi parler de planification écologique. Un enjeu central est celui des échelles : la bifurcation écologique se pose fondamentalement à l’échelle macroéconomique. Cette discussion-là, elle a lieu avec les camarades engagés dans les Zad, les Amap, et des myriades d’autres expériences de ce type. Ces initiatives ont tendance à préconiser des solutions tout à fait intéressantes, mais qui en restent au niveau micro, centrées sur les réseaux sociaux locaux. Or pour toutes sortes de raisons qui sont exposées dans le livre, on défend l’idée qu’il faut monter en échelle, et penser la bifurcation au niveau macro, ou dans une articulation entre le micro et le macro. La planification est un outil stratégique pour penser cette articulation.
Mais bien sûr, il ne s’agit pas non plus de reprendre telles quelles les conceptions de la planification du 20e siècle. Ces expériences ont par exemple toutes été productivistes. L’enjeu a toujours été de produire davantage, soit pour reconstruire après une guerre, comme dans le cas de la France ; soit dans un processus de décolonisation pour construire l’indépendance nationale, pensez à l’Inde, par exemple ; soit pour rattraper des pays capitalistes avancés quand on est un pays en voie de développement comme l’était la Corée du Sud ou l’Union soviétique de Staline. Le productivisme est une caractéristique inhérente aux expériences de planification du XXe siècle. Évidemment, ce n’est plus vers quoi il faut aller aujourd’hui. Le défi est l’invention d’une planification écologique de la décroissance matérielle. Ce qui n’empêche pas, dans une première phase, que des investissements massifs et donc une forme de croissance dans les énergies et infrastructures vertes sera nécessaire.
Mouvements : Vous parlez de décroissance des impacts des activités humaines sur la nature, sur la biosphère, mais pour que la planification serve à cela et pas à la croissance, il faut la changer radicalement, non ? Dans cette perspective, vous insistez beaucoup sur la nature différente du calcul, le passage au calcul en nature. Mais dans les expériences de planification socialiste au XXe siècle il y avait aussi, et parfois beaucoup, de calcul en nature, y compris dans le modèle soviétique. Pour le dire autrement, on a l’impression qu’il y a beaucoup de continuités dans ce que vous proposez : une planification étatique, assise sur la nationalisation des secteurs stratégiques, assurant la satisfaction des besoins essentiels par le développement des services publics…
R.K. : L’histoire est un mélange de ruptures et de continuités… Au XXe siècle, la planification est productiviste, la préservation des écosystèmes n’est jamais centrale, et elle ne surdétermine jamais les politiques économiques. Ça c’est une rupture majeure. Et c’est une rupture que nous essayons de rendre concrète : un chapitre du livre est consacré aux enjeux de la comptabilité écologique, qui est une forme particulière de comptabilité en nature. Il y avait effectivement des formes de comptabilité en nature dans la planification soviétique et dans d’autres expériences de planification au XXe siècle. Mais elles n’avaient pas cet objectif.
Un autre élément : les planifications au XXe siècle sont essentiellement autoritaires, que ce soit en contexte capitaliste ou non capitaliste. La grande philosophe hongroise récemment décédée Agnès Heller disait de l’URSS qu’elle était une “dictature sur les besoins”, où une caste de bureaucrates décide quels sont les besoins légitimes, et où donc les citoyens n’ont pas leur mot à dire sur leur définition et satisfaction. Notre proposition, au contraire, est de mettre la question démocratique au cœur de la planification. Donc, sur ces deux points, en tout cas, il me semble qu’il y a une rupture assez nette.
Mouvements : Nous pensions à votre mise en avant de la décroissance matérielle. Comment fait-on une planification qui ne prend pas la croissance pour solution et donc objectif, une planification qui organise la décroissance de secteurs entiers, la réduction des consommations ? Ce n’est pas le passage à un calcul en nature en remplacement du calcul monétaire qui peut assurer ce basculement ?
R.K. : C’est une certaine utilisation du calcul en nature et non pas le calcul en nature en soi qui distingue la planification du XXe siècle de la planification écologique. Par ailleurs, il est évident que les modes de consommation devront évoluer. Mais quand on lit certains auteurs écologistes, on a l’impression qu’il suffirait de décréter un changement dans les “mentalités” pour que la consommation diminue. Le consumérisme repose sur toute une infrastructure matérielle et comptable, qu’il faut remplacer par une autre pour que la décroissance devienne concevable.
C.D. : On consacre beaucoup de place dans le livre à la critique des solutions mainstream à la crise écologique et ensuite aux propositions concrètes. Je voudrais en évoquer trois.
La première, c’est la question des Constitutions vertes. On assiste à un mouvement dans le droit constitutionnel à l’échelle internationale depuis une vingtaine d’années, que certains appellent green constitutionalism. En gros, de plus en plus, les constitutions de par le monde intègrent des normes écologiques contraignantes. Ce mouvement a ceci d’intéressant notamment qu’il permet que l’écologie échappe en partie au “présentisme” inhérent au processus démocratique : certaines règles écologiques ne peuvent être remise en cause, car devenues constitutionnelles, ou alors selon des modalités très contraignantes. C’est un appui pour concevoir la planification écologique.
La deuxième proposition, on l’a déjà évoquée, concerne la comptabilité écologique. On emprunte à André Vanoli, un théoricien de la comptabilité travaillant à l’Insee récemment disparu, l’idée d’un “inventaire permanent de la nature”. Entre autres choses, la comptabilité écologique doit être aussi un élément pour mesurer la viabilité des entreprises, centré sur leur capacité à respecter l’intégrité des écosystèmes, à ne pas les surexploiter. La comptabilité écologique se déploie donc à l’échelle micro et macro.
Enfin, la troisième proposition qui permet de s’assurer du caractère véritablement non productiviste de la planification est le fait qu’elle doit s’occuper du démantèlement. Ce qu’il faut planifier, c’est non seulement l’investissement vert, mais aussi les coûts du démantèlement de toutes les infrastructures polluantes dont nous héritons de la période industrielle. Cet aspect-là de notre approche est très décroissant. Et bien entendu, cet enjeu était complètement absent des expériences de planification du 20e siècle.
Mouvements : Dans quelle mesure, la volonté de parler à des acteurs au sein de l’appareil d’État vous a poussé à aller vers des propositions assez précises et techniques, notamment sur ces questions de comptabilité écologique ? N’y-a-t-il pas une tension entre le fait d’aller convaincre des experts avec ce niveau de technicité et le fait d’élargir le front, en allant à l’extérieur de l’appareil d’État convaincre des gens qui ne sont pas déjà des professionnels de la planification ?
R.K. : Il y a deux choses qu’on ne fait pas dans le livre, délibérément. La première est qu’on ne décrit pas le fonctionnement d’une société communiste à venir. Comme déjà dit, on essaie d’écrire un “programme de transition” qui consiste à partir de l’existant et à aller vers quelque chose d’autre, mais en laissant relativement ouvert le cheminement et, encore plus, le point d’arrivée. La seconde est qu’on ne produit pas des scénarios de transition écologique de type Négawatt ou Shift Project. On n’a pas ce degré de précision dans la quantification de la bifurcation, et notamment des enjeux de consommation énergétique, de réorganisation du territoire, des mobilités, du bâti, etc.
L’idée est de se situer à un échelon intermédiaire entre la précision technique et les principes généraux pour discuter avec les acteurs de mobilisations et débats écologistes au sens large, y inclus les gens qui sont aux manettes dans des ministères par exemple.
C.D. : Il y aussi dans le livre une volonté de pousser aussi loin que possible la discussion pour tester le caractère réaliste des options qu’on essaie de défendre. On a discuté avec beaucoup de gens pour l’écrire. Cela fait quand même six ou sept ans qu’on est dessus. Et il y avait un peu l’idée d’affiner nos hypothèses, y compris en se projetant dans la perspective de gouverner. On se situe entre le détail du modèle et le général des valeurs.
Mouvements : Je voudrais rebondir sur la remarque que vous venez de faire sur le fait de ne pas proposer des scénarios précis comme Négawatt ou le Shift Project, parce ce que dans le livre, il y a un moment où vous engagez un peu plus spécifiquement dans la description de ce que signifie concrètement une vie décente pour tous et toutes, pour la totalité des habitant·es de la planète et pas simplement les Français·es ou les Européen·nes. Dire par exemple que cette universalité est possible si les déplacements sont, par exemple, limités à 5 000 ou 10 000 km par an et par personne, ce n’est pas si loin des calculs et des efforts de priorisation des besoins et des moyens de Négawatt. Dire qu’on ne propose que des scénarios de décarbonation de la consommation énergétique sans nucléaire comme ils le font, ce n’est pas un truc d’ingénieur·e, c’est un choix fondamental – technique, social et politique… De même quand Négawatt discute des conditions d’une électrification du parc automobile et estime que ce n’est compatible avec une consommation soutenable des ressources (par exemple celle du lithium pour les batteries) que si on le réduit drastiquement en gros au cinquième de ce qu’il est aujourd’hui et donc qu’il faut pour cela proposer des mobilités alternatives… Pourquoi n’êtes-vous pas allés plus loin dans la discussion de ce type de scénarios puisqu’ils sont déjà là dans le débat public ?
R.K. : Une manière de répondre à votre question est de revenir sur le choix des mots : pourquoi parler de bifurcation et non de “transition”, comme c’est l’usage dans le débat public ? La réponse est simple : si on considère qu’on peut remplacer toutes les voitures thermiques par des voitures électriques, on est dans la transition. C’est ce que fait Joe Biden aux États-Unis et aussi dans la foulée l’Union Européenne. On remplace simplement un système énergétique par un autre. Cela revient, entre autres problèmes, à passer sous silence les problèmes de l’extractivisme. A l’inverse, la bifurcation, c’est quand on joue sur le nombre de voitures en circulation. La question n’est plus de savoir s’il faut ouvrir ou non une mine de lithium en Auvergne mais de subordonner cette décision à une délibération sur la quantité de lithium nécessaire, compte tenu de la façon dont on va réorganiser la société en profondeur. Diminuer le nombre de voitures en circulation, c’est un choix politique et évidemment, la contrepartie, c’est d’investir massivement dans les mobilités collectives, dans le transport public.
C.D. : Au-delà, c’est un registre de discussion dans lequel on ne voulait pas rentrer. Si on veut discuter sérieusement les propositions de Négawatt ou du Shift Project, il faut une approche d’ingénieur. On a essayé de parler de là où on était un peu solide, c’est-à-dire de notre cœur de métier : sociologie et économie politique. Plusieurs personnes nous ont interpellé : qu’est ce qui se passe si on essaie de combiner ces deux types d’approches ? Les scénarios ne suffisent pas : il leur manque la machinerie institutionnelle. C’est ce que nous avons travaillé : quelles sont les institutions de la bifurcation écologique ? Il y a là une matière qui est d’une autre nature que celle que les scénarios élaborent. Mais c’est complémentaire.
Pour reprendre votre exemple sur le plafond kilométrique des mobilités : on ne dit pas que c’est ce qu’il faut faire. On dit que les gens qui ont fait des calculs basés sur un certain concept de “vie décente” (qu’on discute dans le livre) estiment qu’on peut réduire fortement la consommation énergétique actuelle à l’échelle du globe. En citant leurs calculs, on ne dit pas que c’est ce vers quoi il faut tendre, que 5 ou 10.000 km de déplacement annuel par an et par personne est la norme à atteindre – ce serait d’ailleurs contradictoire avec notre perspective de planification démocratique. On dit qu’il y a des marges de manœuvre importantes pour assurer à tous le minimum décent et on espère pouvoir aller au-delà de ce minimum, pour autant qu’il soit compatible avec la préservation des écosystèmes.
Mouvements : Ce qui nous amène à une autre question qu’on voulait vous poser. Vous insistez, avec raison, sur le démantèlement et la contraction matérielle. Mais qui va décider de ce qu’on arrête ? Comment les éléments institutionnels que vous proposez permettent-ils d’élargir le cercle de ceux et celles qui vont être impliqués et vont participer à cette discussion. Et pour compléter : comment on délibère sur les besoins ? Comment faire pour que les institutions que vous proposez ne viennent pas enregistrer uniquement l’état des besoins tels qu’ils ont été définis dans le cadre hégémonique d’aujourd’hui ?
C.D. : La planification, c’est quatre choses pour nous. C’est la discussion sur les besoins, dans un sens large, qui recoupe la question des scénarios de bifurcation. Deuxièmement, c’est la question de la technique, du déploiement, de la planification et aussi de l’information, en fait essentiellement la question de la comptabilité écologique et du calcul économique qui permet de déployer les projets en fonction de la contrainte écologique. Troisième temps, la socialisation de l’investissement : comment on pilote dans le moyen terme la satisfaction des besoins. Et le quatrième temps, c’est ce qu’on appelle la “demande émancipée”, qui est discutée à la fois au niveau de consommateurs, à l’aide du numérique, mais aussi en lien avec l’élargissement et le renouveau des services publics.
De quelle manière la délibération peut-elle contribuer à redéfinir les besoins ? Il n’y a pas un seul levier, il y en a plusieurs. Une des discussions très importantes est celle qui porte sur les différentes échelles du pouvoir et les conséquences du principe fédéraliste qui est au cœur du livre. Autrement dit, tout ce qui peut être planifié et discuté au niveau local, en démocratie directe, doit l’être. Mais on l’a dit, cette planification locale ne suffit pas. Par conséquent, on met en avant l’idée de “commissions de post-croissance”, inspiré des “commissions de modernisation” de Jean Monnet dans la planification “indicative” à la française. On laisse au lecteur le soin d’aller lire le chapitre concerné pour savoir comment ça marche concrètement dans le contexte de la planification écologique…
On fait le pari que dès lors que les cadres de la démocratie offrent aux différents acteurs le moyen de s’approprier les enjeux, on peut avoir confiance dans l’issue de cette délibération. Ce d’autant plus que comme on l’a dit, des normes constitutionnelles écologiques viennent “encadrer” la délibération démocratique. Pour que la légitimité des choix productifs soit vraiment solide, ce qui ressort des commissions de post-croissance est in fine validé par le Parlement. En ce sens, la planification est aussi une manière de régénérer la représentation parlementaire, qui ne se borne plus à assister passivement à des choix productifs qui déterminent toute l’infrastructure de la société mais qui sont effectués par le privé.
Un dernier élément sur lequel on insiste : l’émancipation de la consommation. Les individus ont une agentivité propre. Ils s’inscrivent dans des collectifs qui sont multiples et différenciés. Il faut que dans ces espaces, il y ait une forme de libération par rapport à la logique marchande. En tout cas par rapport à la logique de domination des grandes firmes, de leur contrôle de la production de connaissances par les consommateurs et de leurs prescriptions des modes de consommation. On décrit des mécanismes qui pourraient contribuer à cette émancipation.
R.K. : Une de nos boussoles dans cette réflexion est d’éviter la “dictature sur les besoins”. Comment on fait pour donner toute sa place à la délibération démocratique, tout en la délimitant par des normes constitutionnelles et des savoirs scientifiques portant sur les écosystèmes ? Notre réponse se trouve notamment dans le concept de fédéralisme écologique.
La manière dont on réfléchit concrètement au fédéralisme, pour ne pas en rester à des abstractions un peu faciles, c’est en discutant du cas de la Chine. Il y a deux caractéristiques majeures de la planification chinoise des quarante dernières années, celle par laquelle la Chine opère une transition vers une forme originale de capitalisme : d’une part, son caractère décentralisé, et de l’autre son caractère cyclique. La Chine est tellement vaste que la planification s’est souvent déroulée de la manière suivante : après avoir défini centralement des objectifs généraux, on laisse les régions expérimenter dans une première phase du plan, puis dans une seconde ce qui a marché, on le généralise, tandis que ce qui n’a pas marché, on l’abandonne. Cela laisse aux régions, mais aussi aux villes et aux communes, une marge de manœuvre relativement importante par rapport à d’autres expériences de planification plus centralisées.
Deuxièmement, en plus de ce caractère décentralisé du plan, il y a une dimension cyclique. Quand on pense planification, on imagine qu’il y a un plan tout fait dans la tête de planificateurs, et puis la réalité est mise en conformité avec ce plan de manière plus ou moins complète. En Chine les choses ne se passent pas de manière aussi unilatérale. Dans le cadre des plans quinquennaux il y a une sorte d’aller et retour entre ce préconisent les planificateurs centralement et les expériences concrètes sur le terrain. Ce double caractère décentralisé et cyclique nous intéresse pour donner de la chair empirique au modèle fédéraliste.
Dans les débats sur la planification au XXème siècle, et particulièrement dans le débat qu’on évoquait sur le “calcul socialiste” à partir des années 1920, la dimension institutionnelle était quasiment absente. Nos camarades au XXe siècle, je pense à Otto Neurath en particulier, se sont laissés piéger dans un débat sur le calcul économique – visant à déterminer si un calcul économique “rationnel” est possible dans un contexte de planification ou pas. C’est Mises qui a fixé les termes du débat. A ce petit jeu, il était couru d’avance que les partisans du marché l’emportent parce que leurs réponses à la question sont adéquates à la manière dont elle est posée.
Nous on pense, au contraire, que le calcul est un des piliers de la planification, mais que l’autre c’est sa dimension politique. Et cette dimension politique se décline elle-même en trois dimensions qui sont détaillées dans le livre, à savoir la dimension institutionnelle, la dimension administrative et troisièmement, la dimension de coalition de classe.
Mouvements : Dans le cas de la Chine, on a un processus de planification qui a une certaine efficace mais qui est autoritaire et pour ce qu’on arrive à en savoir pas vraiment écologique…
C.D. : Il y a plusieurs choses dans ce que vous dites. Il y a une réflexion à avoir sur le modèle chinois et une réflexion sur notre méthode. D’abord sur la question du modèle chinois. La planification écologique que nous présentons est souhaitable dans les pays ayant déjà atteint un niveau de richesse qui est celui que l’on connaît en Europe et aux États-Unis. Or le PIB par habitant en Chine reste encore très en-deçà de ce qu’il est dans les pays riches. Du coup, forcément les enjeux de la planification ne sont pas les mêmes. Un autre élément, est que la Chine a atteint ses objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Évidemment, ce sont des objectifs qu’on peut juger insuffisants, mais le point ici est que l’existence de cette forme de planification originale a permis une action systématique et donc non seulement d’atteindre mais même de dépasser ces objectifs. Sur le modèle chinois, vous avez en partie raison. C’est une planification qui est autoritaire et à sa manière productiviste, mais qui, par ailleurs, du point de vue de sa responsabilité écologique prend en compte le stade de développement où en est la Chine et est sans doute du point de vue économique moins pire que d’autres modèles.
Ensuite, quel est l’usage de la Chine dans notre livre ? Ce n’est pas du tout comme modèle. Il ne s’agit pas de reproduire en Europe ou dans d’autres pays ce modèle autoritaire. La méthode des “utopies institutionnelles” qu’on propose consiste à dire qu’il y a des dispositifs existants, des agencements réels qu’on peut remobiliser pour arriver à inventer un nouveau modèle. Mais aucun d’entre eux n’est entièrement satisfaisant, sinon il s’agirait juste d’importer ou de redéployer. On essaie de picorer des bouts de modèle qui sont tous à leurs manières problématiques. L’autre méthode aurait été celle des utopies intégrales et des abstractions, mais cela ne nous intéressait pas. Le marxisme est un réalisme.
Mouvements : Vous consacrez un chapitre entier à la question de la consommation. Par contre, il y a peu de choses sur les salarié·es, sur les consommateur·ices/usager·es quand ils et elles sont en position de travailleur·euses, que ce soit du point de leur implication dans la délibération sur les besoins et les ressources, ou du point de vue de leur rôle dans l’organisation de la production une fois les priorités fixées. Il me semble que c’est un point important, qui était central dans les débats sur la planification au XXe siècle. C’est sans doute encore plus important quand il s’agit aussi d’arrêter des activités, chose pour laquelle on n’a pas beaucoup d’expériences historiques en dehors des guerres et des faillites.
C.D. : C’est précisément pour cela qu’on commence la présentation de la planification écologique par la contrainte écologique. L’ordre de présentation dans le livre n’est pas anodin. On a mis cette contrainte face à celle des besoins, pas face à la question de la production. C’est un renversement de perspectives. Vous avez raison de souligner qu’il s’agit d’un déplacement important par rapport à la discussion sur le socialisme au XXe siècle : nous mettons davantage l’accent sur la valeur d’usage par rapport à la démocratie des producteurs.
La question du travail dans la planification écologique est néanmoins traitée a minima en particulier dans le chapitre sur la socialisation de l’investissement avec le renvoi à l’expérience social-démocrate en Suède, qui montre comment la participation, l’autonomie, les garanties sociales au niveau de l’entreprise ont été poussées assez loin mais justement sans poser la question de la planification. La conclusion qu’on en tire, c’est qu’il faut faire place à l’autonomie des producteurs et des garanties sociales qui sont associées, mais que la planification implique un moment de centralisation irréductible à l’autogestion. Un autre point que nous développons est celui de la garantie de l’emploi : la planification écologique doit permettre de piloter la restructuration de nos économies tout en assurant que tout un chacun pourra y contribuer, en éliminant le risque du chômage.
R.K. : Votre question est intéressante parce que nous nous réclamons du marxisme. Et sur cette question, peut-être qu’il y a un écart assez fort par rapport à ce qui est le cœur du marxisme, à savoir la démocratie des producteurs. Quand on définit la planification écologique comme un “gouvernement par les besoins” et qu’on entre dans la problématique par les besoins, il n’y a pas forcément de raison d’accorder aux producteurs un rôle ou un point de vue privilégié, aussi bien politiquement qu’épistémologiquement. Dès lors qu’on dépasse la problématique de la planification socialiste en disant que la planification, ce n’est pas seulement la démocratie des producteurs, mais c’est le gouvernement par les besoins, il n’y a pas de raison pour que le cœur de cette nouvelle démocratie soit les producteurs plutôt que les citoyens plus en général. Donc ce déplacement de la problématique est inhérent à la manière dont on définit la planification écologique.
Ceci dit, il y a quand même plusieurs endroits dans le livre où on évoque le rôle des collectifs de travail. Le plus évident c’est avec la question de l’État employeur en dernier ressort, qui est la question de l’emploi garanti. Ensuite il y a, au début, l’exemple des économies de guerre qui correspondent à des moments où l’emploi fait l’objet d’une reconfiguration massive à l’abri de l’État. L’État, par exemple, va prendre des travailleurs dans le secteur de l’automobile et va les former pour les rendre aptes à produire de l’armement. Certes, on n’en déduit pas une analyse portant sur le rôle politique des producteurs, mais il y a dans l’analogie avec les économies de guerre quelque chose de fondamentalement lié à la thématique du travail dans la planification écologique, à la mobilisation des travailleurs et travailleuses pour la bifurcation écologique.
Mouvements : Vous avez parlé d’autogestion, ce qui suggère un autre bouclage qui procède moins de l’implication des travailleur·euses dans les structures du plan, par exemple les commissions post-croissance, que de l’autonomie des collectifs de travail, pas seulement des collectifs de la production matérielle. Cela a-t-il un lien avec votre argument sur le fédéralisme et sur l’expérimentation ?
C.D. : Oui, et c’est très important. L’argument sur le fédéralisme est un argument démocratique anti-autoritaire. Mais c’est aussi un argument contre les monocultures techniques visant à favoriser l’expérimentation. On a réfléchi à comment éviter ces deux écueils que sont d’un côté la dictature sur les besoins, et de l’autre celui des monocultures techniques, d’un système qui sclérose, qui perd en capacité d’innovation, qui perd en flexibilité, en initiative, etc. Le fédéralisme est une des modalités pour permettre que différentes solutions puissent être apportées au même problème, ce qui permet d’apprendre davantage. C’est un garde-fou contre toute forme de système trop centralisé et finalement sclérosé.
Mouvements : Si on suit ce fil pour réfléchir aux liens entre production et enjeux de sobriété dans l’utilisation des ressources, on pourrait dire que, potentiellement, ce qui met les producteur·ices ou les travailleur·euses, pour inclure les services, dans une position particulière pour guider la planification écologique, c’est aussi leurs connaissances et leur expérience des processus matériels, de la technique, des transformations et usages des ressources. Du coup, ils et elles devraient avoir une représentation spécifique dans les commissions de post-croissance…
C.D. : On le dit, les secteurs industriels, les compétences techniques, sont présents dans les commissions de post-croissance. C’est extrêmement important. De quelle façon cette présence est liée aux formes de propriété ? On n’est pas rentré dans le détail, c’est vrai. Donc, si c’est un ensemble de coopératives autogérées, ce sera les collectifs de travail qui interviendront au niveau de leur fédération de branche, par exemple. Dans les commissions de post-croissance, il doit y avoir des représentations du monde de la production, des représentations du monde du vivant, ceux qui connaissent les écosystèmes et la nature, et puis les citoyens lambda qui réfléchissent sur les besoins.
R.K. : Les commissions de post-croissance ont au moins deux fonctions dans notre approche. D’une part, il s’agit de monter en échelle par rapport aux collectifs de travail. C’est une étape vers la centralisation mais qui s’arrête en quelque sorte à mi-chemin. On n’est pas dans un jeu binaire entre la décentralisation et la centralisation, il y a des étapes intermédiaires. Cela permet de réfléchir à une échelle qui n’est ni celle de l’autogestion des collectifs de travail, mais pas non plus encore celle de l’État. Et puis deuxièmement, il y a la montée en compétence, un enjeu qui était déjà très présent chez Jean Monnet. Pour lui, le plan était un outil pour mettre la France au niveau de productivité des pays développés de l’époque, en fait des États-Unis. Il fallait que les techniques nouvelles et les compétences scientifiques soient mises en discussion dans le contexte des commissions de modernisation de l’époque. On reprend cette idée d’une appropriation/mise en discussion des savoirs et des techniques.
Mouvements : Un dernier enjeu dont nous voudrions parler est celui de la façon dont on peut faire des écosystèmes l’unité centrale d’analyse et d’action de la planification écologique. Dans le livre, vous citez le modèle CARE (élaboré par des universitaires de Dauphine et Agro ParisTech) comme exemple de scénarios élaborés à partir d’une alliance entre biologistes et économistes. Vous insistez sur les ruptures qu’un tel recentrage sur les écosystèmes amènent par rapport à l’analyse économique classique et à son fantasme d’une comparabilité généralisée. Le problème que pose l’idée d’un calcul éco-écologique centré sur les propriétés et la préservation des écosystèmes est qu’il peut difficilement s’agir d’un simple calcul des stocks et des flux. Si on prend au sérieux ce qu’est un écosystème avec ses multiples espèces en interaction pour une variété de besoins, on ne peut pas imaginer réfléchir les effets délétères des activités humaines en se contentant d’évaluer ce que ces derniers prélèvent et les capacités de compensation du système comme dans le modèle CARE. Cela c’est la logique de la plantation d’arbres à couper au bout de trente ans pas celle de la forêt avec toute la complexité, la spécificité et l’extrême variété des interactions qui préside à son existence. De ce point de vue la lecture du livre laisse l’impression d’une tension très forte entre cette logique des ressources maximales qu’on peut prélever et la mise au centre du lien entre besoins et écosystèmes.
R.K. : Vous voulez dire qu’il y a une dimension de non calculabilité ?
Mouvements : Il y a une dimension de complexité et de non-calculabilité, mais il y a aussi une dimension de relations des humains aux autres espèces et aux autres êtres vivants qui est irréductible à ce qu’est la valeur d’usage et à son optimisation collective. La forêt tropicale, ce n’est pas seulement les 30 espèces de bois que les humains utilisent et les flux qui y sont associés. Et si le calcul est centré uniquement sur ces 30 espèces, c’est la mort de la forêt tropicale.
C.D. : J’ai deux réponses mais soyons clair que là on est aux limites de la réflexion que nous avons proposée. La première réponse est qu’il y a bien une limite au calcul écologique. On est vraiment dans l’idée de rationalisme tempéré. Nous le disons dans le livre, il y a une forme de limite dans la connaissance possible de la nature et donc une limite dans nos capacités à maîtriser ce qui s’y passe. Le rationalisme tempéré est une invitation à la prudence dans notre rapport aux écosystèmes. C’est un principe sous-jacent à l’ensemble de notre réflexion.
Le deuxième point que vous évoquez est la dimension systémique des impacts écologiques. Dans le chapitre sur la comptabilité écologique on parle de deux niveaux de comptabilité : un niveau microéconomique qui est au niveau des écosystèmes et où on peut mesurer une série de choses qui permettent d’assurer la viabilité locale. Mais on a aussi le niveau global qui est celui du macro-écologique où les effets systémiques apparaissent avec un autre type de comptabilité écologique. On explique bien que, justement, à chacun de ces deux niveaux, il y a une forme d’incomplétude et que les deux niveaux de comptabilité écologique sont là pour à la fois essayer de saisir ses effets systémiques et pour obtenir la finesse de ce qui est expérimenté au niveau local. La comptabilité écologique n’est unifiée que ex post, à partir de la construction de deux points de vue différents.
R.K. : Un autre élément de réponse à votre question concerne la relation entre la dimension comptable et la dimension juridique ou constitutionnelle de la planification. Il me semble que dans notre approche la comptabilité est sous l’hégémonie du droit. C’est-à-dire qu’en dernière instance, s’il y a un doute, il y a un principe de précaution qui est mis en œuvre. S’il y a par exemple un risque de mise en danger d’un écosystème, c’est le droit qui doit prévaloir, c’est à dire l’interdit et la sanction éventuelle qui l’accompagne. On cite une phrase du constitutionnaliste spécialiste des enjeux environnementaux Laurent Fonbaustier, qui dit que le nouvel imaginaire écologique n’ira pas sans un “interdit massif” (c’est son expression). Un tel interdit est notamment justifié par le niveau d’incertitude sur la connaissance des écosystèmes, les relations avec les autres espèces, et les dimensions holistiques des effets de l’activité humaine.