INTERVENTION – La réunion du G20 à Londres est annoncée comme le choc des conceptions de la réaction à la crise : relance contre régulation. Choc artificiel et absurde, nous dit Dominique Taddéi, au regard des enjeux posés par la redéfinition d’un nouvel ordre économique et financier mondial. Le 25 mars 2009.

Rien n’est plus stupide en apparence que le clivage apparu dans la préparation du G 20 de Londres entre supporters, anglo-saxons, de la relance, et partisans, Allemagne et France en tête, de nouvelles régulations : non seulement, parce qu’il vaut mieux avoir deux jambes pour marcher, mais surtout parce qu’aucune des deux démarches ne peut réussir sans l’autre.

Supposons une relance aussi massive qu’on voudra, dans le cadre d’une dérégulation néo-libérale inchangée, si ce n’est de façon cosmétique : sans doute les sommes astronomiques injectées seront dépensées une fois, freinant d’autant la chute de la demande mondiale, c’est-à-dire de tous les pays et de presque tous les secteurs d’activité. Mais aucun effet multiplicateur, base de la théorie de Keynes, ne pourrait se produire : les entreprises bénéficiaires de ces commandes n’iraient certainement pas, pour autant, se lancer dans une nouvelle vague d’investissements, facilitant la « divine » reprise de la croissance ! Car leur défiance actuelle ne repose en rien sur un soudain pessimisme irraisonné, mais sur le fait qu’après en avoir bénéficié, souvent de manière éhontée, ils ont déjà payé, et pour certains très cher, leur confiance longtemps aveugle, dans l’ancien système délabré. Rationnellement, ils se dépêcheraient donc de mettre les recettes provenant des dits « plans de relance » (qu’il vaudrait mieux appeler plans de sauvetage), à l’abri (dans des bons du Trésor, l’or ou le foncier), et l’activité mondiale s’enfoncerait de plus en plus dans une dépression du type des années 30 ou du Japon des années 90. Or, l’opération de relance massive ne pourrait être indéfiniment renouvelée, même en supposant une connivence des banques centrales en faveur d’une création monétaire illimitée. Il n’y a qu’un seul tabou en matière de dette publique, c’est d’arriver au moment où celle-ci devient incontrôlable, parce que l’on ne peut emprunter assez pour rembourser les dettes pré-existantes : das la plupart des pays européens, nous en sommes encore éloignés, mais au rythme actuel, nous n’avons que peu d’années devant nous. Autrement dit, la vulgate keynésienne, brutalement redécouverte par les pays anglo-saxons, relève évidemment des conditions nécessaires (encore faudrait il choisir des dépenses sociales écologiques suffisamment justes et efficaces, pour avoir un minimum d’efficacité), mais ne constitue en aucun cas une condition suffisante.

De son côté, le catalogue de nouvelles régulations proposées notamment par les pays d’Europe continentale peut paraître relever des meilleurs intentions, même si, quand on observe le passé encore récent de ceux qui le prônent, il paraît relever de ces paroles d’ivrognes qui, une fois dessoulés, ne se souviennent même plus des promesses extravagantes prononcées en plein crise. Vraiment Berlusconi, Sarkozy et Barroso, pour n’en citer que trois, seraient donc les apôtres de la future soumission des marchés ? Au demeurant, incapables de s’entendre entre eux sur un minimum de régulation crédible de la zone euro, quelle est leur autorité politique, c’est-à-dire intellectuelle et morale, pour faire valoir une régulation mondiale crédible ? A part envahir Andorre (c’est le co-prince qui serait surpris), le Lichtenstein et peut être la Suisse, c’est un remake de « la souris qui rugissait » qu’ils proposent au reste du monde. Mais supposons même que les anglo-saxons, et plus précisément Wall Street et la City se laissent convaincre de la nécessité de régulations internationales, qui leur ferait perdre de fait le rôle hégémonique dans l’accumulatoin financière mondiale, comment espèrent-ils que la demande privée puisse durablement repartir en l’absence d’une forte relance des commandes publiques, vis-à-vis desquelles ils adoptent un comportement de passagers clandestins, chacun comptant bénéficier des commandes du voisin ? Le seul argument de Madame Lagarde (« la remontée des stocks, d’ici à quelques mois ») révèle un nouveau sommet inconnu d’incompétence. Bien entendu, il faut de nouvelle règles, plus audacieuses que celles qu’ils proposent – nationalisation partielle des entreprises renflouées, avec entrée au conseil d’administration des représentants de l’Etat et des syndicats, de telle sorte que la privatisation des pertes puisse préparer une éventuelle nationalisation des gains : là, il y aurait effectivement une véritable « refondation du capitalisme »… -, mais il faut aussi une relance sociale et écologique sur laquelle l’Union européenne est très en retard sur la Chine et les Etats-Unis.

Dès lors que les deux stratégies tronquées qui s’opposent ont toutes les chances de déboucher aujourd’hui, au sommet du G20 ou ailleurs, sur un accord (car il en faut tout de suite, sous peine d’une nouvelle aggravation du dévissage), basé sur les plus petits dénominateurs communs : le minimum de régulation consenti par les anglo-saxons versus le minimum de relance accepté par les européens, le tout assorti de la promesse de faire mieux lors du prochain sommet, à la fois parce qu’il faut faire bonne figure sur la sempiternelle photo de famille et par ce qu’en bonne politique, il ne faut jamais insulter l’avenir, surtout par les temps qui courent,… de plus en plus vite.

En réalité, il faut bien comprendre que le retard tragique pour les millions de victimes, qui sont les mêmes que ceux des années de la folie spéculative, pris sur un nécessaire changement de paradigme repose sur des difficultés subjectives faciles à comprendre – in fine, les dirigeants actuels vont devoir se soumettre ou se démettre – et objectives, qui méritent une analyse plus approfondie, car ces dernières posent la question du futur ordre mondial et des stratégies réalistes qui peuvent y conduire.

Une nouvelle donne mondiale

Le principal point commun aux tenants des deux stratégies est le rôle qu’on s’apprête à faire jouer au Fonds Monétaire International (FMI), et plus généralement aux institutions financières internationales (IFI). Ceci est nécessaire pour les tenants de la relance, parce qu’en dehors des 4 grandes zones monétaires (dollar, euro, yuan et yen) le reste du monde ne dispose pas de moyens de financement autonome : toute politique de fuite en avant les conduirait à l’effondrement de leur monnaie et à la banqueroute. Outre la question politique et éthique que cela poserait, il y a depuis quelques semaines, la prise de conscience que des relances, même continentales, ne peuvent réussir dans un contexte d’effondrement d’une autre partie du monde pour des raisons qui ne sont pas seulement économiques. Il faut donc augmenter au plus vite les moyens d’intervention du FMI, qui sont déjà presque épuisés avec les quelques sauvetages déjà mis en œuvre ces derniers mois en Europe (de l’Islande aux pays de l’est) et en Afrique, notamment. La mesure d’urgence la moins compliquée est celle de la vente d’une partie du stock d’or du FMI (un huitième, début mars) : poursuivre celle-ci ne soulève aucune autre difficulté que d’éradiquer ce qui reste de « métalliste » dans la tête des conservateurs américains, qui ont ici 100 ans de retard sur Lénine !

Mais cet expédient utile ne permettra évidemment pas de financer la relance dans le reste du monde, hors des grandes zones énoncées ci-dessus : quid des masses nécessaires, s’il s’agit de renflouer le Royaume Uni, décidément mal en point, sans parler des plans de développement humain et de sauvegarde environnemental, bien identifiés par les organismes internationaux du système des Nations unies et les ONG ? C’est ici que la création de Droits de Tirages Spéciaux, c’est-à-dire d’une monnaie mondiale immédiatement disponible, apparaît comme la seule mesure susceptible de financer une relance réellement orientée vers le développement durable et les populations les plus défavorisés. De plus, son rôle d’alerte dans les politiques macroéconomiques serait renforcé et le caractère anti-social des conditions de ses prêts serait aboli.

Encore faut-il redéfinir les structures de pouvoir de l’ensemble du système financier international et, concrètement que les USA acceptent de renoncer à leur hégémonie, pour la remplacer par un véritable multilatéralisme équilibré, en particulier vis-à-vis des pays émergents : pour l’instant, B. Obama a admis que la réforme prévue du FMI soit avancée. Mais, évidemment, ceci ne préjuge pas un seul instant de la nature et de l’ampleur des réformes qu’il pourrait accepter dans le domaine économique comme dans d’autres et, encore moins de celles qu’il pourrait faire ratifier par le Congrès américain. On ne doit jamais oublier qu’au lendemain de la première guerre mondiale le Président américain Wilson, initiateur de la Société des Nations, n’a jamais pu en obtenir la ratification par son Congrès, ce qui a favorisé la montée des mouvements d’extrême droite dans la décennie suivante, ou, du moins garder présent à l’esprit ce formidable paradoxe de la puissance américaine : une hégémonie mondiale, conduite par des élus provinciaux. Et, puis, dans l’histoire universelle, il n’y a guère d’exemple qu’une puissance impériale accepte sans heurt de passer du leadership au partnership…

Quoiqu’il en soit c’est, au lendemain du G20 de Londres, bien plus que pendant celui-ci, que la nature profondément géo-politique de la crise de la mondialisation financière va commencer à apparaître au grand jour.