Le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. Incités à prendre en charge les politiques publiques d’action sociale autrefois dévolues à l’Etat, les travailleurs associatifs voient leurs conditions de travail se dégrader. Tableau par Simon Cottin-Marx.
Fragilité de l’idéal
Dans l’imaginaire collectif, travailler dans le monde associatif est le lieu idéal pour se réaliser, avoir un travail qui fait sens et s’épanouir. Pourtant, loin de l’idéal, les conditions de travail y sont plus dégradées qu’ailleurs et le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. De petites structures, partiellement professionnelles, se voient confier par l’Etat la charge de ses politiques publiques d’action sociale sans pour autant bénéficier des financements pérennes dont disposait auparavant le service public. Cet article vise à produire une vision désenchantée du monde du travail associatif transformé malgré lui en lieu d’expérimentation de la flexibilisation du travail.
Le monde associatif a bénéficié d’une extraordinaire croissance salariale ces trente dernières années et en a fait le principal employeur de l’économie sociale et solidaire. Selon le fichier SIRENE de l’INSEE, le nombre d’emplois salariés dans les associations relevant de la loi de 1901 est passé de 660 000 salariés en 1980, à 1,9 millions en 2009.
Malgré ses 14 millions de bénévoles, le constat s’impose : ces dernières années, le monde associatif, par le biais de ses 172 000 associations ayant recours à des salariés, est devenu un véritable marché du travail. Les jeunes, profitant de la manne d’emploi proposée par les associations-employeuses, se tournent vers un ensemble de formations spécifiques se développant aussi bien dans les universités que dans les écoles de commerce, comme l’ESSEC. Une nouvelle génération de travailleurs associatifs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur les sites spécialisés de recrutement. À l’image du service public autrefois, désormais fermé aux jeunes avec la règle de non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, le marché du travail associatif semble un lieu où il est encore possible de travailler avec du sens, une dimension éthique et un souci des autres.
Dans cet article, c’est le point de vue de l’intérieur, celui d’un travailleur associatif, membre du syndicat Asso |1|, que j’aimerais porter sur un univers devenu un véritable marché du travail trop encensé, qui n’arrive pas encore à se mobiliser contre ses « mauvaises pratiques » et les raisons structurelles qui les suscitent.
La précarité dans le monde du travail associatif
Les associations, gouvernées sur un mode démocratique, ont pour objectif premier de satisfaire l’objet social défini par leurs adhérents. Contrairement aux entreprises capitalistes, leur objectif n’est pas la recherche du profit, ou la rétribution des actionnaires : elles défendent l’intérêt général. Encensées par la gauche qui fait des associations les hérauts d’un monde meilleur, on ne devrait que se réjouir du formidable dynamisme du monde associatif du point de vue de la création d’emplois. Pourtant, loin de l’idéal, la réalité fait défaut à l’utopie. Depuis quelques années, des sociologues pointent du doigt une particularité du monde associatif : dans ce marché du travail c’est le salariat « atypique » qui est typique |2|. Les salariés du monde associatif sont fortement marqués par la précarité, c’est-à-dire par la discontinuité associée à la carence du revenu, ou à la carence des protections.
Comparé au secteur privé et public, ce que certains présentent comme le tiers secteur de l’économie |3| est d’avantage marqué par de fortes disparités en termes de conditions de travail –par exemple en ce qui concerne l’application des conventions collectives– et d’emploi. La présence de près de 45% de formes d’emplois atypiques au sens du Code du travail souligne une dérive marquée du monde associatif vers la précarité de l’emploi.
Malgré une forte présence, la précarité dans ce marché du travail a encore peu de visibilité ; les raisons de cette occultation partielle sont peut-être à chercher du côté de l’absence de syndicat spécifique au monde associatif jusqu’en 2010 avec la création du syndicat ASSO, ou peut-être du côté du peu d’intérêt porté par les sciences sociales à ce secteur. En effet, comme l’écrit Philippe Frémeaux, « Jamais aucun congrès ou réunion d’acteurs de l’économie sociale et solidaire ne se déroule sans qu’un intervenant se désole de sa faible visibilité dans le champ social » |4|. Le statisticien-économiste Philippe Kaminski, président du comité scientifique de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale, estime quant à lui, que seulement une centaine de chercheurs travaillent sur le sujet. Ce n’est que récemment, que certains d’entre eux, ont abordé le monde associatif sous l’angle de la « question sociale » qui s’y joue pleinement selon nous, c’est-à-dire sous l’angle des métamorphoses néolibérales du salariat.
I. Les formes des contrats atypiques dans le monde associatif
1. Dénormalisation du CDI
Dans le monde associatif, « c’est le salariat « atypique » qui est typique » |5|. Ce bon mot résume la situation, notamment en ce qui concerne le CDI contrat sésame pour louer ou acheter un appartement, décrocher un emprunt, bénéficier pleinement de ses droits sociaux et ainsi échapper à la précarité.
Le contrat de type CDI est moins répandu dans les associations que dans le reste de l’économie : plus du quart des emplois sont des emplois de type CDD et seulement 53 % sont en CDI, contre 88 % dans le reste du marché du travail, et 83% dans la fonction publique |6|.
Si le dynamisme de l’emploi associatif ne se dément pas sur la période 2000-2009 et que les embauches de plus d’un mois ont progressé de 139 % contre 31 % pour le secteur privé, cependant l’essentiel de l’augmentation des déclarations d’embauche du secteur associatif provient de la croissance des déclarations d’embauche en CDD court. Les contrats à durée déterminée ont progressé de 197 % sur la période.
De plus le secteur associatif compte une proportion élevée d’emplois de statuts divers qu’il est encore difficile à quantifier : emplois aidés, stagiaires, volontaires, auto-entrepreneurs, vacataires, etc.
2. Les emplois aidés
Contrats aidés
Derrière la notion d’emploi aidé, il existe différents statuts : « Contrat d’aide à l’emploi » (CAE), « Contrat Unique d’Insertion », etc. Uniquement en ce qui concerne les CAE, le projet de loi de finances 2010 prévoyait un objectif annuel de 360 000 signatures dans le secteur non-marchand, dont les associations sont d’importantes bénéficiaires. Ce type d’emploi n’est pas généralisé, mais sa présence est significative et marque le secteur associatif. Ces contrats à durée déterminée, souvent à temps partiel (4/5e temps) et payés au SMIC sont dévoyés de leurs objectifs originaux. Imaginés pour venir en aide aux personnes « loin de l’emploi », avec un accompagnement des salariés et une part importante de formation prévue, ils sont plus souvent utilisés comme une aubaine permettant aux associations de prendre des salariés à moindre coût. Contrats atypiques, ils participent à la « dénormalisation » des CDI. De plus, pour le sociologue des associations Matthieu Hély, si l’emploi associatif ne repose pas uniquement sur des dispositifs de contrats aidés, force est de constater que leur développement massif entraîne une incertitude chez des travailleurs en quête de reconnaissance, parfois même disqualifiés, qui restent « avant tout définis comme des « bénéficiaires » avant d’être considérés comme des « travailleurs » » |7|.
Volontariat
D’autres statuts ne permettent pas une reconnaissance explicite de « travailleur ». Depuis 2010, une nouvelle forme de « volontariat », créée par Martin Hirsch alors Haut Commissaire à la Jeunesse, est venue remplacer l’ancien « service civil volontaire », dorénavant appelé « service civique volontaire » par la loi du 10 mars 2010. Ce nouveau statut mérite notre attention du fait de la volonté politique de généralisation de ce statut. En effet, l’objectif annoncé par le gouvernement est de recruter, à terme, 10 % d’une classe d’âge en volontariat, soit 80 000 jeunes en 2012. Le développement de ce nouveau statut et le financement de l’indemnisation de 450 euros soutenu à 90 % par l’État représente une véritable manne « salariale » pour le monde associatif, partenaire avec les collectivités locales de l’encadrement des volontaires. Car si les associations doivent compléter de 100 euros l’indemnité des volontaires, la main-d’œuvre travaillant entre 26 et 35 heures par semaine reste très peu chère : une véritable aubaine pour les associations soucieuses de maintenir ou développer leurs activités.
Le syndicat ASSO, jeune syndicat des salariés du secteur associatif, a manifesté son inquiétude à l’égard du déploiement du volontariat, car bien que présentant des caractéristiques similaires à celles d’un contrat de travail, le statut de Volontaire Civique ne relève pas du Code du travail. Théoriquement non soumis à la subordination, les volontaires ne dépendent pas du droit du travail et ne profitent pas de ses protections. Or, alerté par le peu de débouchés professionnels de la jeunesse, le volontariat risque selon le syndicat ASSO d’être « un palliatif au chômage et l’indemnité deviendra un « salaire ». »
Si dans l’idéal, cette loi vise à permettre un engagement citoyen tout en renforçant la cohésion sociale, en pratique, ces belles paroles justifient une forme nouvelle de sous-emploi qui a surtout pour but d’occuper la jeunesse. Le Volontariat avait d’ailleurs été remis au goût du jour après les émeutes de 2005, faute d’emplois, il s’agissait de mettre les jeunes en activité.
Stage
Un autre statut de travailleurs est utilisé de manière significative, il s’agit du statut de stagiaire. Malgré l’absence de chiffres sur la question, les associations sont d’importantes pourvoyeuses des 1 200 000 stages signés chaque année en France |8|.
Pour Maud Simonet, les statuts de stagiaire et de volontaire sont à rapprocher. « La situation des volontaires est assimilable à celle de certains stagiaires : un niveau de rémunération qui exacerbe les inégalités sociales, des tâches non couvertes par le droit du travail parce que non reconnues comme telles, et des formes de sujétion du travailleur qui reposent, en partie au moins, sur le consentement et l’engagement volontaire de celui-ci » |9|.
Bien que ces évolutions restent à étudier, nous assistons aujourd’hui à un phénomène de remplacement du statut de stagiaire par celui de volontaire. Le nouveau statut est devenu plus avantageux du point de vue de la rémunération pour le stagiaire-volontaire, et également plus avantageux pour les associations. Au lieu de payer au stagiaire la gratification de 417 euros obligatoire |10|, le statut de volontaire permet aux associations de payer moins de la moitié de ce qu’elles devraient débourser pour un stagiaire.
Stagiaires et volontaires sont utilisés comme de véritables variables d’ajustement par les associations, incapables de les embaucher, pour remplir leurs missions. Pour reprendre les mots de Robert Castel, les jeunes sont victimes d’« une pénurie de places disponibles », d’un véritable « chantage moral », une injonction « à travailler à n’importe quelles conditions », sous n’importe quel statut, afin d’être « socialement respectables » |11|. Les jeunes préfèrent travailler en stage ou en volontariat et profiter de l’intégration sociale du travail que de se retrouver dans la position peu enviable de « surnuméraire » et subir la « stigmatisation du non-travail assimilé à l’oisiveté coupable » |12|.
3. Emploi féminin et temps partiel
L’économie sociale, en général, est un secteur très féminisé : 70 % des emplois sont occupés par des femmes dans les mutuelles, les associations et les fondations, contre 45 % dans le reste de l’économie. Alors que ce secteur concentre 9,1% des emplois en « équivalent temps plein », il concerne 9,8 % de l’emploi salarié : l’emploi à temps partiel y est plus développé qu’ailleurs.
Concernant plus spécifiquement les associations, l’équivalent temps plein du travail salarié dans les associations serait ainsi de l’ordre de 1 045 800 salariés. Ce chiffre rapporté au nombre moyen de salariés dans les associations – 1 902 000 – donne une indication de l’importance du travail à temps partiel dans le secteur associatif. Temps partiel choisi ou imposé, l’exemple du service à la personne tend vers la piste d’un temps partiel contraint. En effet, ces emplois tenus essentiellement par des femmes peu diplômées, travaillent en moyenne seulement 10 à 12 heures par semaine, pour 3,9 employeurs, selon l’économiste Florence Jany-Catrice |13|. L’emploi associatif, morcelé, entraîne une plus grande précarité que dans le secteur public et du privé.
4. Horaires atypiques
Travailler dans le monde associatif, c’est également sacrifier plus souvent ses soirées et ses week-ends. Comme l’explique Matthieu Hély, « travailler de façon habituelle ou ponctuelle le week-end (samedi et dimanche), ou en soirée, sont des attributs qui caractérisent plus particulièrement des rythmes de travail « hors normes » » |14|.
Plus que dans l’administration, mais aussi davantage que sur le marché de l’emploi privé, les salariés associatifs sont à l’avant-garde de la flexibilité.
Mythe : « travailler plus pour gagner plus »
Alors que la législation du travail impose une majoration de salaire dans le cas où un salarié se voit privé du repos du dimanche |15| ou obligé de travailler en soirée, on observe que c’est effectivement le cas dans la fonction publique où le travail le week-end est très fréquent ou encore dans le privé : travailler le dimanche entraîne une augmentation significative de la rémunération.
Pourtant, si le travail en soirée (entre 20h et minuit) et le week-end fait l’objet d’une compensation salariale importante et très significative pour l’ensemble des salariés, les travailleurs associatifs font exception. Dans l’entreprise associative, les horaires hors normes sont « normaux ». C’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’une compensation salariale alors même que celle-ci serait tout à fait légitime sur le marché du travail traditionnel.
L’observation des pratiques de rémunération dans le monde associatif conforte également sa singularité et révèle même l’une des particularités les plus frappantes de ce secteur : à emploi égal, si le statut peut être différent, le salaire perçu diffère sensiblement de ce qu’il pourrait être dans le cadre d’une entreprise privée à but lucratif |16|. Matthieu Hély, reprenant l’enquête INSEE menée en 2000 et 2001 par deux économistes, Diégo Legros et Mathieu Narcy, souligne « qu’à catégorie professionnelle équivalente, travailler pour une association entraîne une baisse de la rémunération perçue d’environ 18% » pour des personnes travaillant à temps plein.
II. Explications de la présence de la précarité
La différence de qualité du travail est évidente entre monde associatif et le reste du marché du travail. Plusieurs hypothèses essayent d’apporter une réponse à l’existence de ces désajustements.
1. Externalité positive…
Pour Preston, le différentiel de qualité du travail observé résulte de la disposition des travailleurs à accepter un salaire certes réduit, mais compensé par le fait que leur activité est source « d’externalités positives » |17|. Autrement dit, le fait de servir un projet à but non lucratif apporte une satisfaction morale au travailleur qui justifierait une rémunération plus faible que ce à quoi il pourrait prétendre dans une organisation à but lucratif.
La contribution des individus au bien commun serait une compensation en profits symboliques qui rendrait acceptable une rémunération plus faible. Cette idée soulignerait que le salaire ne constituerait pas le critère principal de la reconnaissance professionnelle et que d’autres éléments, comme la satisfaction morale d’accomplir un projet d’utilité sociale, viendraient compenser une rémunération plus faible.
Si cette explication apporte une part non négligeable à la compréhension du phénomène, elle n’est pas satisfaisante, du moins pas suffisante. Comme nous l’avons vu précédemment, notamment avec Robert Castel, le statut et les conditions d’emploi et de rémunération sont parfois –souvent– le résultat d’une nécessité ou de l’inexistence d’autres choix.
…et faux choix professionnel
Tout se passe effectivement comme si l’invocation des valeurs « solidaires » qui imprègnent systématiquement le discours des travailleurs associatifs, venait en fait justifier un désajustement entre aspirations initiales et réelles possibilités.
Il convient de minimiser l’importance du libre choix solidaire. C’est le cas en particulier du cadre quinquagénaire pris en exemple par l’auteur de L’économie sociale et solidaire n’existe pas |18|. À la suite d’un licenciement, il décide de fonder une épicerie sociale, en utilisant pour les besoins de la cause le carnet d’adresses constitué pendant sa carrière dans le privé, pour être « utile à la société » mais aussi pour trouver une forme honorable de reconversion professionnelle.
Pour Matthieu Hély, le développement du monde associatif est le « fruit du double processus de la « privatisation » du public et de la « publicisation » du privé : la « privatisation » du public, au sens que lui donnent les juristes en termes d’affaiblissement du droit administratif, s’observe depuis une vingtaine d’années en particulier dans la transformation du statut des agents de la fonction publique et dans les attentes des citoyens à l’égard de l’action publique » |19|.
En 2012, c’est une première, la masse salariale de l’État devrait diminuer de 0,25 %. Ce choc démographique va exclure les postulants à la fonction publique. Comme le souligne Louis Chauvel, l’État a préféré réguler le flux d’entrées plutôt que d’agir sur les titulaires en place : « malgré un sacrifice constant de la jeunesse qui a vu depuis vingt ans se réduire de plus de la moitié les places dans la fonction publique, le nombre de fonctionnaires demeure rigoureusement le même depuis 1984. Ici comme ailleurs, on a préféré traiter le flux des nouveaux entrants, qui ont été sacrifiés, faute de pouvoir prendre position sur le stock, inexpugnable » Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Le Seuil, « La république des idées », 2006, p.69.||.
Les jeunes individus à l’habitus plus solidaire se voient fermer les portes du service public, aux valeurs plus altruistes que celles proposées par le marché privé d’avantage à la recherche de plus-values que de l’intérêt général. Le développement de l’économie sociale et solidaire profite ainsi de la présence de « surnuméraires », « d’inutiles au monde ».
2. Relation bénévole-employeur, et bénévolisation du travail
Une deuxième explication non pas exclusive mais complémentaire mérite d’être développée.
Être employé dans le cadre d’une entreprise associative implique souvent de collaborer avec des bénévoles. La frontière est parfois floue entre employeurs travaillant gratuitement, bénévoles et salariés du monde associatif. Cette spécificité entraîne une banalisation des heures supplémentaires et une injonction à s’engager sans compter son temps.
Au nom de « l’esprit associatif », une part de travail bénévole « va de soi », est irrémédiablement et implicitement prescrite. Cette non-valorisation du travail par une rémunération pourtant due, fait penser à ce que Maud Simonet appelle une « bénévolisation du travail » |20| : « Au nom de la citoyenneté, on crée des statuts qui dérogent au droit du travail, comme avec les volontariats civils et associatifs ou récemment le service civique entré en vigueur l’an dernier » |21|.
Ce phénomène, s’explique en partie par le processus amenant à l’embauche du salarié. Généralement, les travailleurs d’une association sont d’abord les bénévoles, ce n’est que dans un second temps que vient l’embauche, quand les bénévoles ne peuvent plus répondre à la charge de travail. Les postes salariés sont destinés à remplacer ou seconder les bénévoles, ce qui peut facilement entraîner une confusion par la suite entre statut de salarié et bénévole.
De plus, la proximité entre bénévoles et salariés et la substituabilité du travail salarié au travail bénévole constituent souvent un risque de dénégation de la qualification : si les bénévoles mettent en œuvre gratuitement les mêmes compétences que les salariés, une rémunération élevée de ces derniers semble inutile, voire injuste. En effet, cela semble signifier que « n’importe qui », avec « un peu de bonne volonté », peut effectuer le travail.
Les salariés associatifs, travaillant avec des bénévoles non-rémunérés, ont ainsi des difficultés à obtenir une reconnaissance et même une légitimité professionnelles.
3. Logique de libéralisation et de mise en concurrence
La précarité dans le monde associatif est également directement le résultat des politiques publiques d’action sociale. L’engouement et le développement du monde associatif n’est pas simplement le résultat d’une volonté, mais davantage d’un besoin structurel de la société.
La décentralisation a eu pour effet de diminuer les financements de l’Etat, tandis que les Départements et Régions étaient investis de compétences sociales qu’elles ont confiées en partie aux associations. La restructuration des finances publiques a entrainé une modification des missions des associations ainsi que l’augmentation du nombre d’organisations.
Si les financements publics ont augmenté en volume, les associations se trouvent en concurrence entre elles pour l’accès aux ressources publiques comme pour l’accès aux autres ressources ou au bénévolat. Les restrictions budgétaires qui ont affecté le budget de l’État en 2005 et 2006 ont amplifié les difficultés des associations touchées par cette restructuration.
La réduction des transferts d’argent en direction des associations remplissant des missions de service public – reconnue ou non – et de lien social, s’est poursuivie. En novembre 2009, à la question « La crise a-t-elle entraîné pour votre association une réduction des financements ? », 32 % des grandes associations déplorent une diminution des financements publics |22|.
Mais au-delà d’un désengagement de l’État, plus ou moins bien pallié par l’investissement des collectivités locales, un nouveau mode de financement s’est développé et fragilise la possibilité de perspectives longue-termistes pour les associations.
Le rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations » paru en 2008 |23| est révélateur du passage de la culture de subvention à celle de la commande publique. Abandonnant progressivement les subventions de fonctionnement, pour la commande publique, les institutions publiques mettent en Contrat à Durée Déterminée les bénéficiaires de l’argent public, ce qui fragilise l’emploi associatif condamné à ne pouvoir embaucher que sur les durées déterminées des appels d’offre.
S’ajoute à la moindre qualité des financements de l’État, la circulaire du 18 janvier 2010 signée par le premier ministre français François Fillon qui fragilise davantage encore des milliers d’associations. En effet, en affirmant que « la majorité des activités exercées par |celles-ci| peuvent être considérées comme des activités économiques », la décision gouvernementale étend la réglementation européenne des aides aux entreprises à l’ensemble des subventions attribuées, quel que soit l’objet |24|. Les associations marchandes non-lucratives sont abandonnées par l’Etat dans leurs efforts d’insertion sociale, et se retrouvent mises en concurrence avec les entreprises du secteur privé lucratif.
Le monde associatif terreau de la précarité de l’emploi
Fragilisées par la mise en concurrence entre elles, et avec les entreprises privées, par le reflux et l’instabilité des subventions, les associations doivent prendre conscience du processus dans lequel elles sont inscrites. Victimes de la dégradation des politiques publiques de la jeunesse, de l’insertion, de l’emploi, elles investissent les nouveaux statuts précaires. Contraint à l’effet d’aubaine pour poursuivre leurs missions, elles risquent d’institutionnaliser le développement du sous-emploi.
L’économie sociale et solidaire, engagée, militant contre la précarité, pour un monde plus juste, se retrouve par « pragmatisme » le terreau des tenants de la flexibilisation du travail et des promoteurs du travail gratuit : en somme d’une nouvelle précarité.
Nous devons rester vigilants face à la banalisation de la bénévolisation du travail, car cette offensive politique dépasse largement le seul monde associatif. En mai 2011, le ministre Laurent Wauquiez, chef de file de la Droite sociale, propose à l’instar de Hartz 4 en Allemagne, que « les bénéficiaires du RSA consacrent, en contrepartie de leurs allocations, 5 heures de service social par semaine au sein d’une collectivité ou d’une association ». 70 % des personnes interrogées répondent positivement à cette proposition. L’opinion française, spontanément, trouve justifiable que les richissimes bénéficiaires des 460 euros du RSA travaillent gratuitement pour y avoir droit. La proposition de Laurent Wauquiez s’inscrit dans un tout idéologique plus général de valorisation politique et idéologique du travail bénévole et volontaire.
Après une période d’engouement pour l’économie sociale et solidaire nous devons questionner cette économie « au service d’un autre développement »… qui pourrait se retrouver être celui de l’économie néo-libérale En se développant sur la privatisation de l’action publique, le monde associatif y gagne son dynamisme, mais participe également à la dégradation de l’emploi. L’Etat néo-libéral confronté à une fonction publique organisée et politisée a confié ses missions historiques de service public à un monde associatif dont les acteurs précarisés ont perdu le statut naguère garanti par la fonction publique.
À s’engager « ici et maintenant », l’économie sociale et solidaire ne doit pas hypothéquer le « changer le monde », partout et pour toujours. Le monde associatif, bien que morcelé en une myriade d’organisations, doit apprendre à s’organiser et se politiser afin de ne pas se retrouver à la merci du moindre coup de frein idéologique, et ne pas devenir une variable d’ajustement consentante de l’économie néolibérale.
|2| Matthieu Hély, « À travail égal, salaire inégal : ce que travailler dans le secteur associatif veut dire », Société contemporaine, n°69, p.129.
|3| Jean-Louis Laville, Une troisième voie pour le travail, Desclée de Brouwer, Paris, 1999.
|4| Philippe Frémeaux, La nouvelle alternative ?, Les petits matins, Paris, 2011, p. 42.
|5| Matthieu Hély, art. cit., p. 129.
|6| En avril 2011, 875 000 des 5,2 millions de fonctionnaires étaient des agents non-titulaires de la fonction publique.
|7| Matthieu Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », 2009, p. 81.
|8| Collectif Génération Précaire, Sois-stage et tais-toi !, Paris, La découverte, 2006.
|9| Maud Simonet, « Entre emploi et bénévolat : le volontariat associatif », Connaissances de l’emploi, n°45, août 2007.
|10| Depuis la promulgation de l’article 30 de la Loi n°2009-1437 du 24 novembre 2009
|11| Robert Castel, La montée des incertitudes, Paris, Seuil, 2009, p.114
|12| Ibid.
|13| François-Xavier Devetter, Laurent Fraisse, Laurent Gardin, Marie-France Gounouf, Florence Jany-Catrice, Thierry Ribault, « L’aide à domicile face aux services à la personne. Mutations, confusions, paradoxes », Rapport pour la DIIESES, 2008.
|14| Matthieu Hély, art.cit., p. 136.
|15| Article L221-19 du Code du travail
|16| Matthieu Hély, art. cit., p.128.
|17| A-E Preston, « The nonprofit worker in a for-profit world », Journal of Labor Economics, vol.7, n°4, oct 1989, pp. 438-463.
|18| Article de Mathieu Hély, en ligne.
|19| Matthieu Hély, « l’économie sociale et solidaire n’existe pas », art. cit.
|20| Maud Simonet, Le travail bénévole. Engagement citoyen ou travail gratuit ?, La Dispute, 2010, Paris, p.217.
|21| Entretien avec Maud Simonet, sociologue à l’IDHE (CNRS), Propos recueillis par Manuel Domergue, Alternatives Economiques, n° 303 – juin 2011
|22| « La France associative en mouvement », Recherches et Solidarités, Lextenso éditions, oct. 2009.
|23| Rapport de Jean Louis Langlais, inspecteur général honoraire de l’administration, intitulé « Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations », 2008.
|24| Didier Minot, « De la « concurrence libre et non faussée ». Menace sur le liberté d’association en France », Le Monde Diplomatique, janvier 2011, p. 23.