Clémentine Autain, rédactrice en chef de la revue Regards, nous donne sont point de vue sur le Nouveau Parti Anticapitaliste.

Forte du succès de son porte-parole Olivier Besancenot, la LCR a lancé un processus de création d’un « nouveau parti anticapitaliste ». Même si l’on peut toujours craindre le simple « ravalement de façade », le NPA est la seule proposition neuve dans l’espace de la gauche d’alternative. D’où l’importance d’en débattre, sérieusement et sereinement, en regardant devant et non dans le rétroviseur, en ayant pour seule boussole l’urgence à faire vivre une gauche de transformation sociale. « À nouvelle période, nouvelle force », dit la LCR. Assurément ! Le XXe siècle a produit des clivages à gauche qui doivent être revisités. Trotskisme versus stalinisme, pour en prendre qu’un exemple : l’opposition a vécu, elle n’évoque rien ou presque à la majeure partie des nouvelles générations militantes. Les expériences du « socialisme réel » ont mis sévèrement à mal l’idéal de dépassement du capitalisme. Or, revendiquer une alternative à l’économie libérale renvoie aujourd’hui encore aux échecs passés, à la bureaucratie d’État, à un système économique défaillant dans la production de richesses… Cette histoire exige un retour critique global, sur le pouvoir et la démocratie, sur réformes et révolution. L’ambition transformatrice, elle, ne saurait être escamotée tant les inégalités se creusent, notre modèle de développement est mortifère, les oppressions et les dominations se conjuguent toujours au quotidien.

Dans le même temps, la social-démocratie européenne a échoué. N’ayant pas fait la démonstration de sa capacité à bouger significativement la donne de l’intérieur – des institutions existantes et de l’économie de marché -, elle se trouve aujourd’hui dans l’impasse. En France, l’analyse des chartes successives du PS traduit l’évolution sur un siècle. En 1905, 1946 et 1969, l’organisation s’affirme révolutionnaire – sur le principe |1|. Si le tournant de la rigueur en 1983 indique le changement de cap, c’est dans les années 1990 que les textes invitent clairement à « ne pas méconnaître les règles du marché ». Le recentrage s’est fait doucement mais sûrement. En 2008, l’aggiornamento s’affiche et se revendique, comme l’illustre le duel entre la sociale-libérale Ségolène Royal et le « socialiste et libéral » Bertrand Delanoë. Moralité : la droite au pouvoir, qui détricote les acquis sociaux et sert les dominants, peut se frotter les mains de la perte d’hégémonie culturelle à gauche. Le PS voulait changer la vie. N’y étant pas parvenu, il a renoncé à raconter qu’il allait la changer…

Pourtant, le capitalisme est entré dans une nouvelle phase qui rend la recette de l’accompagnement plus difficile encore, voire improbable en terme d’amélioration substantielle des conditions de vie du plus grand nombre. Crise des subprimes, émeutes de la faim, grève des salariés de Dacia… : les violences sociales engendrées par le « capitalisme pur » et les contradictions du système sont mises à jour. C’est la logique même du capitalisme qui est en cause, à savoir la quête du profit. Le ver est dans le fruit. Une dose de keynésianisme ne suffira pas à « remettre à l’endroit ce que le libéralisme met à l’envers », pour reprendre la devise de la fondation Copernic. L’heure est aux ruptures sociales, économiques, écologiques, féministes, culturelles.
Aujourd’hui, il y a bien deux grandes orientations à gauche, de plus en plus inconciliables… Les Collectifs antilibéraux, issus de la campagne du non au référendum européen, portaient l’exigence de recomposition politique et d’unité de « l’autre gauche ». Ils avaient l’avantage de rassembler sur un pied d’égalité un spectre large d’organisations et de sensibilités. Si, sur le papier, la recherche d’un accord entre forces politiques constituées semblait la voie la plus sûre pour mêler les traditions et rassembler largement, le résultat ne fut pas au rendez-vous…

L’appel récemment lancé par Politis, que j’ai signé, exprime la volonté de nombreux acteurs et actrices de cette gauche de maintenir le cap d’un mélange des cultures politiques pour faire du neuf. L’appel propose de créer un « cadre permanent de discussion ». Vu les déboires de 2007, l’attente est forte du côté de l’action. Le PCF, affaibli, entre dans une phase de repli identitaire, la gauche du PS semble davantage tournée vers ses batailles internes en vue du congrès de Reims… La pétition vise à faire pression. De son côté, le NPA a pour lui une démarche concrète et immédiatement opérationnelle. Mais peut-il (veut-il) emporter largement tous les tenants d’une gauche de gauche ? Une formation créée à partir de la LCR paraît rédhibitoire pour des franges entières de militants, notamment communistes ou ex-trotskistes. L’abandon de l’adhésion à la IVe Internationale, prévu pour le NPA, n’y suffira pas. Cette difficulté ne peut être sous-estimée. Ceci étant, faut-il raisonner à « flux constant » de militants ? Ce qui importe, c’est la dynamique à même de faire écho dans les catégories populaires et de drainer de nouveaux publics, notamment chez les jeunes. De ce point de vue, la capacité à créer un espace ouvert, dans lequel la diversité des trajectoires et des identités politiques peuvent s’exprimer et compter, qui fasse de l’articulation des cultures un objectif et accepte d’être bouleversé par la rencontre avec d’autres points de vue, est décisive. De cet enjeu dépend, pour une large part, la réussite ou l’échec du NPA…

En outre, l’axe stratégique du NPA d’indépendance vis-à-vis du PS est sans doute l’aspect potentiellement le plus clivant. Ce fut l’argument de la LCR pour rompre avec les Collectifs antilibéraux, jugés trop flous sur le sujet. Après moult débats, nous avions pourtant abouti à une formulation relativement claire pour l’échelon national qui nous occupait : « nous ne participerons pas à un gouvernement sous domination sociale-libérale ». Cette assertion constituait un acte fort de la part de communistes, de Verts ou socialistes, qui avaient participé il y a peu à des gouvernements dominés par le PS. La relation avec la social-démocratie est un enjeu : elle doit être affrontée et ouvertement mise en débat, en évitant autant que possible la répartition figée entre, d’un côté, ceux qui assument les responsabilités et font gagner la gauche et, de l’autre, ceux qui revendiquent une pureté révolutionnaire et concentrent leur action sur la lutte sociale. Les évolutions du rapport de force au sein de la gauche et l’orientation actuelle du PS obligent à réinterroger la pertinence de ces alliances, à chaque échelon. La satellisation actuelle des forces partenaires du PS montre le besoin de reconquérir une indépendance… Reste à laisser ouvert le débat sur les formes et les conditions de cette indépendance.

Vient alors le dernier point, essentiel, de l’identité d’un nouveau parti : s’atteler clairement à bâtir une alternative. Comment faire l’impasse sur la perspective majoritaire, sur la prise de responsabilités pour pouvoir transformer, sur le travail de réflexion débouchant sur des propositions neuves et crédibles (et pas seulement de modernisation des slogans…), la rédaction d’un programme et non d’un cahier de revendications (qui reviendrait à se positionner dans un rapport délégataire vis-à-vis du PS) est indispensable. Le NPA est-il prêt à ce travail constructif ? Ce qui est sûr, c’est que cet enjeu occupe d’ores et déjà les débats au sein des comités NPA.


|1| A lire : dossier dans le mensuel Regards sur le Parti socialiste, été 2008 (www.regards.fr).