Avant la grande journée de mobilisation intersyndicale du 29 janvier et après les attaques contre Sud Rail faisant suite au mois de grève au dépôt de Saint Lazare, entretien avec Annick Coupé, porte parole de l’Union Syndicale Solidaire. 

Mouvements : La grève du mardi 13 janvier 2009, suite à l’agression d’un conducteur, s’est superposée à un autre mouvement, qui durait depuis près d’un mois. Quels sont les enjeux de ces deux conflits ?

Annick Coupé : Il y a effectivement deux conflits tout à fait différents. D’une part, un conflit social je dirai classique, un conflit revendicatif qui durait depuis plusieurs semaines. Il portait sur des choses très concrètes, autour de la réorganisation des horaires et des services. Les organisations syndicales, dont Sud-Rail, mais également les autres, avaient prévenu la direction de la SNCF dès le mois de novembre que les conditions de la réorganisation n’étaient pas acceptables. Un préavis de grève a donc été déposé dès novembre. La grève menée depuis est tout à fait légale : le préavis a été respecté, et la grève de 59 minutes se tient dans le cadre de la loi.
Avec la loi sur le service minimum, Sarkozy s’est vanté qu’il n’y aurait plus de problèmes les jours de grèves. Mais tout le monde, et en particulier les syndicalistes, savait très bien que pendant les grèves, les services ne peuvent pas fonctionner comme un jour normal… C’est une évidence. Sarkozy a également déclaré que qu’on ne remarquait plus les grèves… Il a donc été particulièrement agacé que ses deux affirmations soient démenties par la réalité.

Le conflit était d’abord porté par des salariés, qui se réunissaient en assemblée générale tous les jours et décidaient de poursuivre ou d’arrêter la grève. Ce n’était pas seulement parce que Sud Rail était pour la poursuite de la grève, parce qu’il n’y avait pas eu de vrais négociations ou d’acquis revendicatifs. Ce sont d’abord les salariés qui ont porté le mouvement. La direction de la CGT a arrêté le mouvement, mais les militants ont continué localement. La direction de la SNCF a vraiment joué le pourrissement et a désigné Sud Rail comme unique responsable. Elle a cherché à expliquer que ce n’était pas un conflit revendicatif mais de la surenchère électorale de Sud vis à vis de la CGT dans la perspective des élections professionnels qui auront lieu en mars. Une version largement reprise par les médias.

La direction de la SNCF s’est plantée, parce qu’il y avait une motivation très grande des salariés concernés. Là-dessus est arrivée l’affaire du droit de retrait suite à l’agression d’un conducteur. Et là aussi, il s’agit d’une situation assez classique. A chaque fois qu’il y a une agression, les conducteurs cessent le travail. Ca n’est pas une affaire de Sud Rail ou de syndicat.

Le recours à la grève d’une heure a créé une certaine surprise et semble avoir renouvelé les formes de lutte.

Avant 1981, dans les entreprises publiques et la fonction publique, on ne pouvait faire grève qu’à la journée. C’était la fameuse règle du trentième, alors que dans le privé, si tu fais grève 10 minutes, on te retire 10 minutes, si tu fais grève deux heures, on te retire deux heures. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, elle a changé la loi. Ils ont fait des tranches : entre 0 et 59 minutes ont te retire une heure, entre une heure et 4 heures une demi-journée et entre 4 et 8 heures une journée. En 1986, la droite a voté un amendement, l’amendement Lamassoure qui est revenu sur la situation d’avant 1981. Et la gauche n’est plus jamais revenue dessus. Mais à la SNCF, cet amendement ne s’applique pas. On peut donc faire grève 59 minutes.
Par contre, les fonctionnaires de la Poste ne peuvent faire grève qu’à la journée, alors que les contractuels, qui relèvent du droit privé, peuvent faire grève quelques minutes à la prise de service, par exemple. La Poste a attaqué Sud PTT là-dessus, d’ailleurs, mais a perdu.
Sud Rail et la Fédération des Usagers des Transports et des Services Publics ont fait un communiqué commun pour demander la légalisation de la grève de gratuité. D’ailleurs, ce qui est assez intéressant c’est que Sud Rail est la seule organisation syndicale qui travaille avec la FUT. Tout au long de l’année, il y a des déclarations communes pour rappeler que les services publics, ce n’est pas qu’une question qui se pose les jours de grèves, mais qu’il y a une véritable dégradation, notamment en Ile de France sur les trains de banlieue ou certaines lignes de métros… Pourtant la FUT, ce ne sont pas des gauchistes, mais ils ne travaillent qu’avec Sud Rail.
Après, c’est évident que l’objectif des syndicalistes n’est pas de gêner les usagers. On se pose depuis longtemps la question d’autres formes de grève, mais c’est compliqué. En 1989, quand les contrôleurs ont fait la grève de la pince, ils ont été lourdement sanctionnés. On peut réfléchir à d’autres formes de lutte, notamment la gratuité, mais en même temps, la grève est un droit sur lequel nous ne voulons pas revenir. C’est un outil fondamental dans le rapport de force, parce que c’est ce qui gène la production, c’est un outil collectif. Ca n’est pas le seul outil, mais c’est un droit fondamental. On ne lâchera pas sur ce droit.

On assiste à un climat de forte agressivité contre le droit de grève venant des plus hauts responsables de l’Etat. Nicolas Sarkozy en particulier est en première ligne dans l’offensive, largement préparée par un article du Figaro qui stigmatisait Sud Rail…

Venant d’un président de la République, de tels propos sont très graves… Sur le fond, c’est contre Sud Rail maintenant, ce sera contre Solidaires demain, mais bientôt, ce sera contre tous ceux qui luttent. L’enchaînement est prévisible.
Les médias se sont focalisés sur les déclarations de Sarkozy contre les syndicats irresponsables, ils ont parlé du mécontentement des usagers, mais à aucun moment, ils n’ont dit que cette grève avait permis de gagner 80 emplois. Et par les temps qui courent, peut-être que le gouvernement et la direction de la SNCF n’avaient pas du tout envie que ça se sache et que ça donne des idées à d’autres dépôts. Parce que la leçon de ce conflit, c’est que quand on se bat, on peut gagner. On ne gagne pas à chaque fois, bien sûr… Dans une période où les questions sociales réémergent, le gouvernement ne propose rien face aux conséquences sociales de la crise, et il attaque ceux qui luttent. Parce qu’il sent bien que le 29 janvier, ou plus tard, les luttes vont se radicaliser et sans doute se rejoindre. La stratégie de stigmatisation vise à contenir et à intimider. Et puis il y a aussi un calcul plus stratégique : séparer le bon grain de l’ivraie dans le syndicalisme. Il y a les syndicalistes responsables, que moi j’appelle dociles, et puis les autres.

Le paysage syndical est travaillé par cette stratégie, que je relie aussi à la loi de l’an passé sur la représentativité syndicale : il s’agit de reformater par le haut et à faire en sorte qu’il y ait deux grosses organisations syndicales, la CGT et la CFDT, dans le but d’accompagner la CGT vers un syndicalisme plus “raisonnable”. On l’avait vu au moment de l’affaire des régimes spéciaux également.

Quels sont les enjeux de la journée intersyndicale du 29 janvier ?

Les ingrédients sont là pour une forte mobilisation. Quand je dis les ingrédients, j’entends les raisons de faire grève, mais aussi le fait qu’il y ait un appel de toutes les organisations syndicales. Ca n’est pas arrivé depuis très longtemps… et en plus c’est un appel qui a un peu de contenu. Evidemment, nous, on n’est pas en accord avec tout, ou disons qu’on aurait aimé aller plus loin. Mais pour bien connaître les positions des uns et des autres, je pense que l’appel à la journée du 29 et le texte revendicatif qui l’accompagne, n’auraient jamais été signés par toutes les organisations syndicales il y a 6 mois ou un an. Les syndicats voient bien qu’il faut faire quelque chose, et dans leurs propres rangs, il y a des demandes de mobilisation. Les prud’hommes sont passées par là, et le recul très important de la CFDT et de FO les oblige à être plus combatifs qu’il y a quelques mois.
Est-ce qu’on va être dans une mobilisation exceptionnelle ? On sent bien que c’est le premier rendez-vous de mobilisation sur la crise et contre Sarkozy. Il faudra regarder le nombre de grévistes, notamment dans le privé, mais aussi apprécier les cortèges dans les manifestations. Dans le privé c’est difficile de faire grève on le sait : il n’y a pas toujours de présence syndicale. Et même quand il y en a… si on prend l’industrie automobile, où il y a déjà des retraits de salaire, ce n’est pas évident de rajouter une grève. Mais pour autant, une partie des gens viendront aux manifs, sans faire grève, comme il l’avait fait en 2003 ou pendant le CPE. Donc je pense qu’il faudra regarder la composition des manifs, leur taille et la présence des jeunes.

Et les suites ?

C’est la question… C’est évident que le 29 ne va pas suffire pour forcer Sarkozy a commencer à inverser les logiques engagées ou à annoncer des mesures en faveur des salariés. Les suites dépendront de la hauteur de la mobilisation le 29, et des secteurs en situation de partir en reconductible. Je suis incapable de le dire aujourd’hui, même dans les secteurs sensibilisés, dans l’éducation nationale, la santé… Il y a une réunion intersyndicale le 2 février pour faire le bilan de la mobilisation. C’est assez exceptionnel. Au mieux on a des appels communs… mais sinon, je n’ai pas l’expérience de telles réunions rapprochées pour faire le bilan et envisager des suites. Hormis pendant le CPE où on se voyait très souvent, c’est vraiment rare. Le fait que toutes les organisations aient accepté de se voir montre bien que toutes envisagent des suites.

Le scénario d’un emballement est-il crédible ?

Tout dépend de l’attitude du gouvernement. Soit le gouvernement continue dans la voie actuelle, et il est très possible que le mouvement se durcisse, soit il commence à ouvrir quelques négociations. On retrouve une situation assez proche de celle du CPE. Il ne s’agissait pas à l’époque uniquement du CPE, mais de questions plus fondamentales sur l’avenir.

Les journalistes ont beaucoup demandé, en décembre, si ce qui se passait en Grèce pouvait se produire en France… C’est un peu simpliste de présenter les choses ainsi. Les raisons pour lesquelles une mobilisation réussies sont souvent obscures. Je me souviens qu’au début du CPE, je n’aurais pas forcément donné cher de la mobilisation ou que je n’aurais du moins pas parié sur un tel succès.

Propos recueillis par Maxime Combes et Nicolas Haeringer