DOSSIER GRAND PARIS. Pour Patrick Braouezec, l’avenir de la métropole ne peut et ne doit pas être un enjeu consensuel. Parce que l’histoire de ce territoire est profondément marqué par la volonté politique de reléguer les pauvres, les travailleurs comme leurs lieux de travail et de vie hors les murs de la capitale. Et a entraîné une relégation, des inégalités territoriales mais aussi des appartenances et des richesses nouvelles. S’engager dans une métropole, qui attirera toujours plus d’activité tout en rejetant ses populations n’est pas la solution. Le président de Plaine-Commune plaide ainsi pour la reconnaissance de la diversité existante en choisissant une organisation du territoire en marguerite, avec des pôles divers. Le 18 novembre 2008

L’avenir de la métropole : une question pas très consensuelle

L’avenir de la métropole francilienne est en débat depuis maintenant plusieurs années au niveau des collectivités territoriales, autour de la révision du Schéma Directeur de la Région Ile de France. A l’initiative de la capitale, la Conférence métropolitaine anime pour sa part des échanges intercommunaux sur cette question depuis juillet 2005, et vient de créer un Syndicat mixte d’études, dans le but de faciliter la concrétisation d’un travail collectif sur des projets communs. L’Etat a relancé il y a un an un projet de Grand Paris, en missionnant Christian Blanc comme Ministre délégué, et en lançant une consultation internationale d’architectes, dans le même temps qu’il affichait son opposition au Schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF). Enfin on peut admettre qu’en travaillant leurs Plans Locaux d’Urbanisme et leurs Schémas de Cohérence Territoriale, les communes et les intercommunalités travaillent elles aussi à leur Projet de territoire qui positionne le développement de leur bassin de vie dans ses rapports avec l’ensemble de la dynamique francilienne.

Loin d’être un sujet qui se discute progressivement et démocratiquement dans tous les espaces de la vie urbaine, pour converger vers des orientations partagées (ou non), la question du devenir de la métropole capitale est clairement un enjeu politique non consensuel.

L’histoire n’y est pas pour rien, et en ce sens il n’est pas possible de la gommer, non pour s’en plaindre, mais parce qu’elle a façonné les contradictions, les inégalités comme les potentiels à partir desquels il s’agit de construire la métropole de demain. La capitale de la France a construit son identité y compris urbaine au travers de temps forts extrêmement symboliques, souvent violents, et de gestes d’urbanisme destinés à les contraindre : de la prise de la Bastille aux révolutions de 1848, à la Commune de Paris et aux pavés de 68. De la Préfecture de Paris et du Baron Haussmann à la ceinture rouge, la banlieue ouvrière s’est construite dans un double mouvement de rejet hors les murs du travail, du danger social et de tout ce qui dépare l’image attractive de la capitale, en même temps sur l’élan productif irrigant toute la région, avec des municipalités soutenant des logiques de solidarité réparatrices. L’Etat lui-même, au nom d’un intérêt supérieur, a été amené à conforter les inégalités territoriales et sociales : accélération programmée de la désindustrialisation ou réseau autoroutier traversant à l’air libre des zones habitées de familles modestes et traitement différencié de la protection des nuisances – il suffit de faire le tour du périphérique, pour savoir si l’on se trouve à l’Ouest ou au Nord -, inégalité notoire de desserte en transports collectifs.

Ainsi chacun sait bien qu’il ne s’agit pas d’un débat d’école, ni d’un débat technique, mais que derrière les mots et des généralités au premier abord simples et comme évidentes, se cachent des manières bien différentes de concevoir la ville et la vie ensemble.

Dans la crise économique et sociale dans laquelle nous sommes entrés, alors que des territoires de banlieues populaires comme les nôtres connaissent déjà des contradictions et des difficultés lourdes ( la communauté d’agglomération que je préside regroupe les villes de Saint Denis, Aubervilliers, Epinay, L’Ile Saint Denis, La Courneuve, Pierrefitte, Stains, Villetaneuse, 170ème sur 171 communautés d’agglomération françaises quant au revenu fiscal par habitant ), on pourrait estimer ce débat loin des réalités. Bien au contraire, il est au cœur d’enjeux sociaux essentiels. C’est pourquoi nous devons y prendre toute notre part.

Nous avons donc abordé la question depuis notre angle de vue de banlieue populaire, avec un regard différent sur le territoire global, à partir de la périphérie, ou si l’on préfère, depuis la marge.

En premier, la question sociale

De notre point de vue, le plus grave problème de notre région capitale, la plus riche de France, est celui des inégalités sociales et du creusement des disparités territoriales (qui ne cessent de s’aggraver au lieu de se résorber). En réfléchissant l’avenir à 20 ans, allons nous laisser s’approfondir ce gouffre, avec ses conséquences d’exclusions désastreuses, en premier lieu pour les gens eux-mêmes, pour la qualité de nos villes mais aussi pour l’attractivité économique et le rayonnement de l’Ile de France ? Ou bien estimons nous, élus locaux comme habitants de ces territoires qu’un autre développement, sur des dynamiques nouvelles, est possible ? Que non seulement il est possible, mais que nous en détenons quelques unes des clés dans les villes et les cités qui ont subi le plus les conséquences des crises et des mutations, et ont su être à l’initiative d’une reconquête urbaine, sociale comme économique, avec leurs atouts originaux ? Le rayonnement économique de la métropole capitale dépend d’abord de notre capacité à relever le défi humain.

Pour nous la question principale et première n’est pas celle d’une attractivité économique qui se ferait sans égard pour les populations et nous situerait comme une métropole parmi les autres au niveau mondial, creusant les exclusions, éloignant toujours plus les plus modestes, loin des centralités. Cela, c’est facile, c’est ce qui se fait « naturellement » par la loi du marché, avec une centralité unique, survalorisée, qui ne cesse de créer ses marges. En termes urbains, tous les scénarios qui proposent l’élargissement du centre restent dans la continuité de l’histoire du développement de la capitale, qui est le mode de développement dominant des capitales mondiales : par cercles concentriques, rejetant les plus modestes au-delà des frontières dans des marges de plus en plus en difficultés, sans les aménités de ce qui fait l’attraction irrésistible de la ville. Dans ces scénarios, l’Ouest de la ville protègera de plus en plus ses richesses derrière des murs ; et tout le monde sait déjà que les révoltes sont à tout moment à portée de désespoir dans les quartiers populaires, si ceux-ci ne sortent pas du mépris.

Certes il convient de rationaliser l’organisation institutionnelle, mais pour nous l’essentiel est d’abord de rompre avec une logique de développement monocentrique, productrice d’exclusion.

Participer à la construction de la métropole ne prend, pour nous, tout son sens que si cela permet de porter une logique de développement résolument différente, solidaire, « durable », qui ouvre des perspectives pour les gens. C’est par la question sociale qu’il faut aborder celle de l’attractivité ; lier le développement économique au développement social. Chacun doit pouvoir faire partie d’une dynamique, d’un potentiel, d’un rayonnement.

Il s’agit de construire un projet de territoire qui assure l’égalité, dont le moteur soit la solidarité, avec pour méthode la coopération

Marguerite, mosaïque ou anneaux olympiques… la polycentralité

La question qui se pose est donc : quelle ville voulons nous ? Devrons nous accepter de voir continuer à se créer de l’exclusion en repoussant toujours plus loin du centre les populations modestes, et maintenant les couches moyennes, sans solution possible ? Ou relèverons nous le défi d’une métropole différente engagée dans un développement réellement « durable » ?

Les villes ont été de tous temps le terreau des libertés, des mélanges culturels, de l’ouverture et des échanges, creuset des civilisations, espace de la démocratie. En devenant des métropoles, elles doivent imprimer ces mêmes caractéristiques à leur modernité.

Un développement polycentrique seul permet de changer de logique, de porter une dynamique nouvelle pour toutes les parties du territoire francilien, et de le faire autour des valeurs clé que sont la solidarité et l’égalité.

Dans les scénarios pour le devenir de la métropole qui ont canalisé les débats, la dynamique polycentrique a été désignée par l’image de la marguerite, avec ses pétales et son coeur représentant les pôles, solidairement reliés en un tout cohérent. Le défaut de cette représentation est de ne pas traduire le dynamisme et le rayonnement propre de chacun des pôles de centralité, dont les relations doivent relever davantage d’une mise en réseau que d’une interdépendance de complémentarité. Elle ne rend pas compte non plus des imbrications et des appartenances multiples à des centralités. Ce qu’exprimerait mieux peut être l’image de la mosaïque ou des anneaux olympiques. Mais peu importe l’image. Lorsque, à Plaine commune, nous travaillons avec nos voisins sur la dynamique de la centralité Nord dont nous sommes partie prenante, nous avons pris l’habitude de dire que nous travaillons sur notre pétale !

Pourquoi la polycentralité ?
Plusieurs centralités, c’est rapprocher chacun d’un centre plus accessible : permettre à chacun d’être proche d’une densité de services et d’équipements qui font la qualité de la vie en ville ; c’est la proximité des transports et des instances de décision ; l’accès à ce qu’offre la ville dans la diversité de ses fonctions : depuis les commerces jusqu’aux universités, depuis ses espaces de loisirs et de respiration jusqu’à l’emploi. C’est pouvoir donner à tous accès au droit à la ville. C’est aussi avoir la possibilité d’être partie prenante d’une centralité urbaine, se rattacher à un dynamisme local, faire partie d’un rayonnement, se retrouver dans une identité valorisante partagée. C’est certainement faciliter la participation démocratique en rapprochant des pouvoirs publics territoriaux.
C’est aussi lutter contre l’étalement urbain en densifiant la ville autour de ses centralités, ou plutôt travailler à intensifier une ville à vivre ensemble.
C’est diffuser et ouvrir des synergies pour des dynamiques économiques nouvelles et faciliter leur ancrage territorial (un ancrage territorial utile pour l’économie classique et particulièrement favorable pour sa diversification ainsi que l’économie solidaire et sociale), à partir de quoi il est possible d’avoir des politiques reliant développement économique et développement social.

Est-ce que ce serait créer des marges nouvelles, zones d’exclusion en périphérie de chaque centralité ? Est-ce que cela revient à nier la centralité parisienne, comme certains le craignent ?
Bien au contraire. Ces centralités urbaines, reliées en réseau, se renforcent réciproquement, sur le principe d’égalité avec des rayonnements et une attractivité non concurrentiels. C’est un regard différent sur le territoire global, décentré, démultiplié, qui est une autre façon pour la capitale de sortir de ses murs, en même temps que pour la banlieue d’être … au centre !
En effet des dynamismes singuliers se développent et sont animés en banlieue, des expériences volontaristes, la construction de territoires de solidarité.Il est important que la métropolisation se fasse à partir du local et non pas d’en haut, sur des logiques imposées.

Un territoire n’est pas donné, il se construit. Nous tenons à participer à la construction de ce grand territoire complexe qu’est la métropole capitale, pour que cela se fasse avec tous, autour de valeurs et d’objectifs, et en s’appuyant sur tous les potentiels, toutes les forces vives, et celles-ci sont souvent novatrices en banlieue.

Un autre type de développement

Notre participation active au travail du Syndicat mixte d’études, outil d’un travail commun, va dans ce sens. Au terme de débats nombreux, un consensus s’est fait sur l’essentiel : l’objectif de réduction des inégalités sociales et de solidarité est affirmé dès le préambule ; la formule demeure suffisamment souple pour inscrire les études dans le cadre d’une logique de développement polycentrique ; et le périmètre retenu, insatisfaisant en l’état, pourra évoluer par la possibilité d’adhérer pour toutes les communes qui le souhaiteront (en particulier des deuxième et troisième couronnes) au sein de la zone métropolitaine telle que définie par l’INSEE.

Une étape est donc franchie, et le travail est devant nous. Car rien ne va de soi, comme naturellement, si ce n’est l’expression des dominations ordinaires. Nous n’avons pas, pour l’instant défini de projet commun, de référence commune. C’est à élaborer ensemble, dans le débat contradictoire. Il ne s’agit pas en effet de questions techniques, ni simplement de cohérence, mais de la question de « quelle ville nous voulons ».

Parmi les premiers objectifs, il y aura celui des péréquations financières à trouver pour les rééquilibrages urgents indispensables. Et au-delà, c’est une dynamique nouvelle qui sera capable d’assurer un développement solidaire qu’il faut initier dès maintenant, pour porter rapidement ses fruits et mettre le développement économique au service des populations sans rejeter les plus modestes. La situation est telle dans nombre de communes, tant pour les populations que par l’absence de moyens de la commune pour des réponses de services publics, que l’Etat se doit d’accompagner ce mouvement de manière volontariste : faire le choix de moyens importants au service de politiques publiques ambitieuses portées par les collectivités, à la fois de rattrapage, de rééquilibrage et leviers d’un développement.

Il nous faut maintenant travailler et approfondir la logique de la polycentralité au travers des études et de la gouvernance qu’il faudra réfléchir : faire surgir les potentialités des territoires, rapprocher les gens des services urbains et des lieux de décision, animer des synergies inédites, y compris économiques, créer des dynamiques nouvelles sur des territoires élargis, intensifier la ville, implanter des équipements assurant à la fois des liens et du rayonnement. Les études à effectuer sont à dimensionner sur cette base : comment avancer sur les déplacements sans prendre en compte des liens entre pôles de centralité ? Comment avancer un plan métropolitain du logement si des villes continuent à refuser la construction de logements sociaux, alors qu’il s’agit de construire dans chaque territoire des politiques qui incluent toutes les populations ? C’est pourquoi la commande d’études doit pouvoir se faire à l’initiative de toute collectivité du Syndicat mixte, à partir de ses besoins, dans une logique métropolitaine (par exemple les déplacements, du point de vue de Clichy sous bois, Stains ou Sevran, donnant accès aux zones d’emplois, aux équipements, à la centralité de référence). Il convient de territorialiser les études pour travailler sur les moteurs de dynamisme des pôles de centralité.

Et la société civile ?

La question de la gouvernance se posera rapidement : qui et comment va-t-on décider ? Quelles formes se donner pour des processus de décisions partagés, sans blocages mais sans dominations ? Notre expérience des processus de décisions de Plaine Commune tend à montrer que le respect de chaque ville coopératrice n’est pas antinomique avec un projet de territoire partagé.

Il est clair qu’il faudra assumer une gouvernance en phase avec la pluralité des centralités, dans un respect d’égalité, une gouvernance complexe comme l’est le territoire métropolitain.
Des regroupements en intercommunalités de projet structurantes sont indispensables pour des cohérences de territoire, pour une dynamique de développement solidaire, pour que les communes assument pleinement l’initiative, que toutes leurs voix participent à égalité.

Et puis, il y a urgence à sortir des huis clos et à faire toute sa place à la société civile dans le débat public comme dans l’élaboration des projets. Urgence à définir concrètement les contours d’une gouvernance démocratiquement partagée où la société civile porte contribution active à l’élaboration des projets.

Il me semble qu’il est possible de travailler à partir d’expériences existantes, comme les Conférences territoriales qui se sont créées, ainsi qu’autour des Conseils de développement.
On est au tout début d’un travail où il s’agit d’affiner les analyses, d’oser des propositions et des projets novateurs et différents et surtout d’oser décentrer les points de vue.

Les enjeux sont très importants : il s’agit de la vie des gens. C’est pourquoi nous voulons porter l’ambition d’un contre exemple de métropole, humaine. Le syndicat peut en être un des outils. Mais ce n’est pas le seul espace de la construction métropolitaine. Nous continuerons de prendre toute notre part de débat, de travail et d’initiatives, à tous les niveaux, pour bâtir un projet de territoire permettant d’épanouir des réponses neuves.