A première vue, l’ouvrage d’Héloïse Nez semble confirmer l’implacable mécanisme d’institutionnalisation des mouvements sociaux. Le titre Podemos, De l’indignation aux élections , il semble n’y avoir qu’un pas. Le parti de gauche, récemment arrivé sur l’échiquier politique espagnol, a suscité la surprise au moment des élections européennes de 2014, puis, beaucoup d’espoir lors du scrutin législatif national en novembre 2015. En s’imposant durablement dans le paysage politique européen, la liste dirigée par Pablo Iglesias Turrion apparaît dans les médias comme la partie émergente de l’iceberg qui, le 15 mai 2011, avait réunis des milliers de personnes pour l’occupation de la Puerta del Sol, à Madrid. La même mobilisation qui, au nom de la démocratie directe et du droit à la dignité, avait redonné à l’Espagne un rôle de leader dans les mouvements sociaux. Dans une Union européenne reléguant la péninsule ibérique parmi les autres « régions périphériques », le « 15 M » est apparu comme un réveil.

Un réveil, mais pas une nouveauté. C’est ce que l’on comprend quand on se plonge dans le livre, qui fait la part belle aux initiatives qui, depuis la transition démocratique de la fin des années 1970, ont refusé l’injustice. Allant à l’encontre du cliché, souvent véhiculé par la gauche elle-même, d’une génération politique spontanée succédant à l’apathie générale, l’enquête d’Héloise Nez recontextualise les sillons politiques et les initiatives citoyennes qui ont contribué à nourrir Podemos. En Espagne, avec, au-delà du mouvement 15 M, le réseau autonome d’occupation Okupa ou la Plateforme contre les Hypothèques (PAH) ; dans le monde, à travers les influences intellectuelles des philosophes engagés italiens comme Antonio Gramsci ou des leaders sud-américains.

Héloïse Nez est sociologue, son engagement passe par le travail de terrain. Le livre est le résultat d’une enquête fouillée, le résultat des soirées passées en assemblée, des heures de bande son enregistrées, des colonnes de journaux alignées, comparées, critiquées. Un pied dans la réalité, à Parla, une ville sinistrée dans la région de Madrid. Un autre dans la structure d’un parti en formation, auprès de ses élites, volontaires, et au capital socioculturel très élevé et qu’ils mettent au service d’un programme politique réellement inséré à gauche. Dans l’un et l’autre espace, l’auteure a mené des entretiens interrogeant les trajectoires personnelles et politiques des militants. Sans condescendance, mais toujours avec respect et un grand intérêt, elle a posé clairement des questions qui divisent : « Podemos, un parti comme les autres », est par exemple le titre du quatrième chapitre. Car, comme dans tous les mouvements, les militants dits « de base » se confrontent et divergent autour de la confrontation avec les structures institutionnelles du politique. Une invitation à l’introspection, donc, tant pour le parti en construction, que dirigé vers les autres pays européens, en vue d’une reprise en main du politique.