Le dopage généralisé qui touche le foot fait l’objet d’un déni qui l’est tout autant. Reconnaître l‘étendue du phénomène serait sans doute admettre trop ouvertement que l’important dans le football n’est pas de participer, mais de gagner. Entretien avec Jean-Pierre de Mondenard, médecin spécialisé dans le sport, auteur de Dopage dans le football : la loi du silence, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2010. Cet entretien a déjà été publié dans le n°78 de Mouvements, Peut-on Aimer le Football? Par Noé le Blanc pour Mouvements.
Mouvements : La FIFA annonce sur son site officiel qu’elle “a une vision claire : éradiquer le dopage dans le football.” Le site précise qu’en 2009, seuls 0.21% des 32 526 tests effectués à l’échelle internationale se sont révélés positifs. La mission de la FIFA est donc presque accomplie?
Jean-Pierre de Mondenard (JPM) : Vous connaissez la célèbre citation de Mark Twain : « Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques. » Les acteurs de la lutte antidopage qui sont chargés de faire les contrôles appartiennent au monde du football. Donc bien entendu qu’ils vont dire qu’il n’y en a presque pas. La coupe du monde de football est l’épreuve sportive de grande importance où l’on détecte le moins de cas positifs de dopage. Ils sont les derniers de la classe, mais ils renversent le sens des chiffres et se déclarent premiers : puisqu’ils n’attrapent personne, c’est qu’il n’y a pas de dopage!
Au niveau national, l’hypocrisie est la même. Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), n’a pas peur du ridicule quand il déclare que “le football fait partie des disciplines les plus contrôlées. En 2012, le football a fait l’objet de plus de 10% du total des prélèvements (10,6%), globalement au même niveau que l’athlétisme ou le rugby (11%) et un peu en dessous du cyclisme (13%).” Mais il oublie de rapporter ce chiffre au nombre de licenciés! Dans le cyclisme 1,6% des compétiteurs sont contrôlés par an, 0,18% dans le rugby, 0,03% dans le tennis et à peine 0,002% dans le football. M. Thiriez arrange la statistique à sa façon, une manipulation assez classique chez les dirigeants du ballon rond.
La réalité est bien différente. L’ancien sportif italien Gerardo Ottani, devenu médecin et président de la Société de médecine sportive italienne, avait réalisé en 1958 une enquête sur le dopage des joueurs de Serie A. Il a trouvé que 27% des footballeurs prenaient des amphétamines, 62% des stimulants du cœur et de la respiration et 68% des stéroïdes anabolisants. À l’époque, il n’y avait qu’un match et trois entrainements par semaine, les sommes d’argent en jeu était bien moindres, et le “doping” comme on l’appelait était donc déjà omniprésent. Aujourd’hui, il y a deux entrainements par jour et souvent deux matchs par semaine, et les joueurs tourneraient au Vittel-citron. Qui peut croire cette fable?
Quand les carabinieris ont fait une descente à la Juventus de Turin à la fin des années 1990, suite à l’affaire Festina[i], ils ont trouvé pas moins de 281 substances dopantes dans la pharmacie du club, et un stock de produits équivalent en volume à celui d’un hôpital d’une ville de 50 000 habitants.
Mouvements : Comment expliquer de tels résultats? Les tests ne sont-ils pas fiables?
JPM : D’abord, les laboratoires cherchent des substances que les sportifs ne prennent pas, tandis que les sportifs absorbent des dopants que les analyses ne détectent pas. Il a fallu attendre l’affaire Festina pour que les autorités se décident enfin à dépister l’EPO, les hémoglobines synthétiques, les perfluorocarbones, les corticoïdes… alors que pour les corticoïdes par exemple, les chevaux de compétition sont contrôlés depuis 1985. Certaines substances qui sont de véritables dopants ne sont toujours pas dans la liste : le Viagra par exemple, souvent utilisé dans le cyclisme, ou encore les hormones thyroïdiennes.
Ensuite, il y a des difficultés dans l’effectuation des contrôles eux-mêmes. D’une part, les médecins responsables des contrôles sont souvent fascinés par les champions qu’ils doivent surveiller. Ils se sentent exister par l’intermédiaire du sportif. D’autre part, Il est très intimidant pour un médecin, surtout pour un néophyte, de contrôler une grande star du sport. La pression est parfois énorme. Le joueur peut par exemple se tourner pour éviter que le médecin ne le regarde uriner. Beaucoup de cyclistes utilisaient un système de poire sous l’aisselle pour les tests urinaires. D’autres utilisent des préservatifs remplis d’urine dissimulés dans l’anus. Un footballeur qui utilisait cette technique s’est d’ailleurs fait attraper, non pas pendant le contrôle directement, mais parce qu’il s’était servi d’un lubrifiant à base de cocaïne pour insérer le préservatif.
Je ne vois pas pourquoi c’est un médecin qui devrait regarder un sportif uriner. Cela devrait être un huissier, et en tous cas deux personnes. En France, jusqu’à récemment, les contrôles inopinés – qui sont les seuls véritablement utiles – était réalisés par un médecin seul. Le sportif pouvait donc contester les résultats, puisque c’était sa parole contre celle du médecin. Un huissier est toujours accompagné de policiers ou de gendarmes… Ce laxisme ou cet amateurisme juridique est très préjudiciable à la lutte antidopage. Quand à la fin des années 1990 par exemple, Christophe Dugarry a été testé positif à la nandrolone, il a pu bénéficier d’un non-lieu parce que le médecin qui avait effectué l’examen de contrôle n’était pas assermenté au moment du test. Il existe des avocats spécialisés dans les affaires de dopage et ils font leur miel de ces vices de procédure.
La triche au contrôle est cependant devenue plus difficile aujourd’hui parce que les médecins et les protocoles sont devenus plus professionnels. Il existe depuis 2004 une brigade spéciale de lutte contre le dopage appartenant à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP). Les contrôles progressent, mais comme les techniques de dopage aussi, l’écart reste identique. L’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) dépense 7 millions d’euros par an, et l’Agence mondiale antidopage (AMA) 19 millions. Vu leurs faibles résultats, ce sont des gouffres financiers. Le pire, c’est que la FIFA se sert de ces coûts pour remettre en cause la lutte anti-dopage! Jiri Dvorak, directeur médical de la FIFA, a par exemple déclaré au journal le Monde (21/02/2010): “Pour attraper un seul tricheur, le monde du football doit dépenser trois millions de dollars. Aussi, la question se pose réellement de savoir s’il est sensé de continuer ainsi.”
Mouvements : Le même Jiri Dvorak a déclaré : “Je suis convaincu qu’il n’existe pas de culture du dopage systématique dans le football.” Il a pourtant annoncé en février 2014 que de nouvelles procédures seront mises en place pour la coupe du monde 2014. Tous les joueurs qui participeront à cette compétition feront l’objet d’un suivi régulier avec un passeport biologique et des contrôles d’urine et de sang. Est-ce un signe de bonne volonté?
JPM : Au cours des précédentes coupes du monde, à chaque match on tirait au sort à la mi-temps les joueurs qui seraient contrôlés en fin de partie, ce qui permettait de s’organiser en conséquence. En 1988, par exemple, à la mi-temps de Nice-OM, Germain (n°6) et Di Meco (n°3) avaient été tirés au sort, mais ce sont Papin (n°9) et Thys (n°2) qui se sont présentés au contrôle au terme de la rencontre. L’OM a expliqué avoir mal lu les numéros de joueurs… et la LFP n’a condamné le club qu’à une amende pour négligence.
Ces réformes sont donc une sorte d’aveu de la part de la FIFA qu’un problème existe bien… Le suivi régulier de tous les joueurs semble néanmoins une bonne initiative. Il permettra de détecter des variations physiologiques et donc éventuellement de mieux repérer les joueurs malades. Mais le dopage continuera tant qu’un certain nombre de substances dopantes ne seront pas identifiables par les tests.
Mouvements : Comment est établie la liste des produits dopants?
JPM : C’est l’AMA qui établit la liste des substances illicites. Avant 2004, c’était le CIO qui s’en chargeait. Mais à la suite de l’affaire Festina, on a créé cette agence soi-disant indépendante, codirigée en fait par le CIO et par des représentants du monde politique. La FIFA ne s’est affiliée à l’AMA qu’en 2006, mais pour une fois sa réclamation était légitime : elle demandait que tous les produits illicites ne soient pas punis aussi lourdement, bref une hiérarchisation dans les sanctions, ce qui est du bon sens.
La liste établie par l’AMA est cependant très incomplète. Il ne faut pas oublier que tout produit qui agit sur le système nerveux central doit être considéré ipso facto comme un dopant. En 2005, la FIFA a effectué 23 000 tests, ce qui lui a permis comme toujours de prétendre qu’elle était à la pointe de la lutte antidopage. Les tests ont révélé 78 cas positifs, donc 0,34%, dont 80 à la cocaïne et au cannabis. Au prétexte qu’il s’agit de drogues à usage récréatif, la FIFA a retiré ces cas des statistiques finales. Pourtant, ces deux substances sont de véritables dopants. La cocaïne a des effets stimulants proches de ceux des amphétamines. Le cannabis est utilisé pour ses propriétés désinhibantes, en particulier par les gardiens de but. Certains toreros des années 1960 fumaient un joint avant d’entrer dans l’arène pour ne pas mollir face au taureau. On peut imaginer qu’un gardien ressente une émotion similaire lorsqu’il doit jouer dans un grand stade face à un public hostile.
La liste établie par l’AMA est sujette à des variations surprenantes. La caféine, par exemple, qui faisait partie des produits inclus dans les premières nomenclatures des dopants établies au milieu des années 1960, a été retirée des substances prohibées en 1971 au prétexte que l’on ne pouvait pas différencier les buveurs de café (drogue sociale) des personnes stimulées à la caféine injectable ou en comprimés. Mais vu l’ampleur de son utilisation comme dopant, la caféine a été réintégrée en 1982 dans la liste des produits interdits… avant d’être à nouveau autorisée en 2004 sous la pression de Coca-Cola, grand sponsor du football dont le produit phare en contient évidemment.
L’important, pour tous les produits, c’est la dose. L’alcool, qui est l’un des plus anciens dopants, est un bon exemple. Le premier cas positif dans l’histoire des Jeux Olympiques, où les dépistages ont commencé en 1968, l’a été pour l’alcool. Il s’agissait d’un athlète concourant dans l’épreuve du penthatlon: il se trouve que l’alcool à faible dose améliore la précision du tir. L’année précédente, l’un des compétiteurs en avait trop consommé et avait tiré sur le jury, qui s’était décidé ensuite à classer la boisson oenolique comme dopant.
Mouvements : Comment les clubs se fournissent-ils?
JPM : Il est facile de se procurer les substances dopantes par internet. Certains dopants sont simplement des médicaments classiques détournés de leur usage premier, d’autres sont fabriqués par des laboratoires clandestins spécialisés, notamment en Chine. Quelques laboratoires ayant pignon sur rue produisent aussi des substances illicites de façon dissimulée.
Mouvements : Le dopage existe-t-il à tous les échelons?
JPM : Le dopage, c’est tout simplement de la triche, et la triche fait partie intégrante de la nature humaine. Le dopage existe donc à tous les échelons, du foot amateur au foot professionnel. Cependant, plus on va vers le haut niveau, plus la médicalisation de la performance est omniprésente. Or, la médicalisation de la performance, c’est du dopage, dans la mesure où l’objectif du du produit consommé n’est pas de soigner la personne mais d’augmenter ses capacités physiques, au risque d’ailleurs de sa santé.
Depuis quatre décennies que j’exerce mon métier, j’ai pu constater que le sport de haut niveau est l’une des meilleures écoles de la triche. Philippe Troussier, l’entraîneur français de l’équipe du Japon lors du Mondial en 2002, le reconnaissait implicitement quand il affirmait que “pour progresser dans la hiérarchie, le Japon doit apprendre à tirer le maillot, à mettre un coup de coude ou un coup de tête sur un corner.” D’après une enquête du Centre d’évaluation et de recherches médicales de la FIFA, “pratiquement tous les joueurs (92%) se disent prêts à commettre des fautes intentionnelles ou “professionnelles” si cela apparait nécessaire au vu du score ou de l’importance du match”. Ils seraient donc tous prêts à tricher, mais aucun ne se doperait.
Mouvements : Que pensez-vous de l’argument de Sepp Blatter (président de la FIFA) qui prétend qu’il “n’existe aucun produit capable de faire d’un mauvais joueur un bon joueur et d’un bon joueur un grand joueur”?
JPM : Grâce au dopage vos démarrages sont plus explosifs, vous courez plus vite, vous sautez plus haut, vous tapez plus fort dans le ballon et vous avez plus d’endurance pour être en pleine possession de vos moyens du début à la fin de la partie. Au final, le dopage améliore le footballeur dans tous les compartiments du jeu. Prétendre le contraire expose Blatter à se couvrir de ridicule. L’argument de l’omnipotent président de la FIFA depuis 1998 s’apparente à une comptine pour enfants attardés.
Mouvements : Michel Platini (président de l’UEFA) admet qu’il existe quelques “quelques cas isolés” de dopage dans le football, mais pas de “dopage organisé”. Il affirme que ce sont les différences de cadrage et de façon de filmer qui donnent l’impression d’une différence de rythme entre certaines équipes ou certains championnats. Y a-t-il une omerta sur la question du dopage dans le football?
JPM : Il y a en tous cas une omerta sur le dopage dans les médias sportifs. Typiquement, l’Equipe a réalisé une interview de Zidane en septembre 2011 qui se proposait en grande pompe d’aborder “tous les sujets qui fâchent”. Il n’y avait pas un mot sur le dopage. Autre exemple: alors que tous les grands médias généralistes ont rendu compte de mon ouvrage “Dopage dans le football: la loi du silence”, aucun journal ou magazine de football ne l’a jamais mentionné. Au contraire, ma crédibilité a été attaquée, j’ai même été menacé par téléphone.
Les pressions sur les journalistes sont parfois énormes. En 2006, dans l’affaire Puerto, un vaste réseau de dopage par transfusion sanguine a été démantelé par la police espagnole. Alors que ce trafic concernait le cyclisme, le tennis et le football, seuls des cyclistes ont été condamnés, dont un seul coureur espagnol, mais pas par la justice de son pays, uniquement par l’UCI[ii] sur enquête du Comité olympique italien. Un journaliste du Monde avait réalisé une interview du médecin au cœur du réseau dans lequel celui-ci expliquait s’occuper de joueurs de l’équipe de Barcelone. Mais le club a porté plainte, le médecin s’est rétracté et finalement, le journal a été condamné pour diffamation par la justice espagnole.
Quand elles ne sont pas étouffées, les affaires sont tout simplement ignorées. En 1999, Fabio Cannavaro, capitaine de l’équipe d’Italie championne du monde en 2006, joue à Parme. Il est déjà international. Le matin de la finale de la coupe UEFA contre l’Olympique de Marseille, un médecin en blouse blanche lui fait une perfusion sanguine pour lui injecter de la créatine. C’est un produit qui sert en réanimation cardiovasculaire, mais qui n’est pas inclus dans la liste des substances interdites. Cannavaro filme toute la scène en plaisantant sur ce que l’on est obligé de faire pour jouer au football. Parme écrase Marseille 3-0. La vidéo atterrit à la RAI en 2005 et elle circule rapidement. Personne, ni le président de la fédération italienne, ni le président de l’UEFA, n’a jamais demandé d’explications au joueur.
Même chose pour les révélations concernant Zidane. En octobre 2003, dans l’émission de Canal + “Merci pour l’info”, le présentateur demande à Johnny Halliday, son invité, de lui révéler le secret de sa jeunesse apparente. Le chanteur répond qu’il fréquente deux fois par an la clinique Merano en Italie pour qu’on lui change le sang. Il affirme que c’est ”son ami Zidane” qui lui a donné l’adresse, et que lui aussi y va deux fois par an. Il n’y a eu aucune réaction de la part des divers responsables de la lutte antidopage. Au passage, c’est d’ailleurs Maradona qui avait fait la célébrité de cette clinique au départ
Le public n’est pas dupe, cependant. Suite à l’affaire Puerto en décembre 2006, le journal l’Equipe a réalisé un sondage selon lequel 83% des 91 000 répondants jugeaient que le football était “gangréné” par le dopage. Mais parler, c’est risqué d’être exclu du monde du foot. Patrick Mendelwitsch, agent de joueurs de la FFF, parle dans son livre de “la règle des trois “S”: cela signifie: secret, silence et solidarité. C’est ce qui se passe dans le football aujourd’hui. Si vous comprenez cela, vous comprenez le reste.”[iii] Le paradoxe est que lorsque des anciens dopés se confessent, le milieu les traite de menteurs en prétextant qu’ils avaient menti auparavant et qu’ils ne font donc que continuer dans le mensonge.
Mouvements : Quelles sont les conséquences du dopage sur la santé des joueurs?
JPM : D’abord, il y a un lien entre le dopage et les blessures. Se doper signifie que l’on pousse son corps jusqu’à ses limites extrêmes. Le dopage augmente la puissance musculaire, mais les tendons, qui sont les courroies de transmission de cette puissance, ne subissent pas le même développement. Ils sont donc soumis à un stress sévère. Cela provoque des tendinites, des claquages… De plus, on ne prend pas le temps de soigner les joueurs correctement, d’où des blessures à répétition.
Quant aux conséquences sur le long terme, elles sont mal connues car il n’y quasiment aucun travail scientifique sur le sujet à cause du déni généralisé dont cette question fait l’objet. Une étude que j’avais moi-même réalisée sur des coureurs cyclistes du Tour de France entre 25 et 34 ans montraient qu’ils mouraient cinq fois plus de maladie cardiovasculaire que la population européenne non sportive, alors qu’en réalité à cet âge-là, personne ne décède à cause d’une panne de cœur. En revanche, il n’y avait pas plus de cancers, ni de suicides.
De nombreux joueurs en Italie ont développé une sclérose latérale amyotrophique, appelée aussi maladie de Charcot. Entre 1998 et 2010, 43 joueurs de la Serie A en sont morts, alors qu’elle touche en moyenne touche 6 personnes pour 100 000 dans le reste de la population. Le procureur Raffaelle Guariniello qui enquêtait sur la question a dû s’aider d’albums Panini pour retrouver les dates et les lieux de naissance des joueurs italiens concernés, car la fédération italienne prétendait ne pas avoir ces informations! Il est vrai que le lien entre le dopage et cette maladie n’a pas encore été établi. On a aussi incriminé les pesticides utilisés pour les pelouses, les chocs reçus par les footballeurs à la tête (ballon contre crâne) ou encore les anti-inflammatoires que prennent tous les sportifs. La maladie est peut-être due à une sommation de tous ces éléments. Il y a aussi un effet tératogène du dopage. En 2011, plusieurs joueurs algériens se sont retournés contre leur fédération car nombre de leurs enfants étaient nés avec des malformations. Évidemment, alerter la fédération algérienne était le moyen le plus sûr d’enterrer l’affaire.
Mouvements : Les principales victimes du dopage sont les joueurs. On peut supposer que laxisme des dirigeants traduit un désintérêt pour le sort des joueurs. En ce sens, l’importance du dopage est le signe d’un certain état des rapports de force entre les différents acteurs du football. Pensez-vous que si les joueurs avaient plus de voix dans les institutions de régulation, le dopage diminuerait? Y a-t-il des luttes internes autour de cette question?
JPM : Je ne pense pas que les joueurs soient en mesure d’inverser la tendance. Quand on est jeune, la maladie et la mort semblent loin, donc les joueurs n’ont aucun scrupule à se doper. Ils sont formatés dès le plus jeune âge à la prise de produits pour améliorer leurs performances. On commence par les vitamines, on continue avec des vitamines injectables, puis on change simplement la substance qui est dans la seringue. Ce qui intéresse les joueurs, c’est de marquer des buts et d’être applaudi. De toute façon, la connaissance du risque ne modifie pas le comportement des gens. Typiquement, 25% des cardiologues sont des fumeurs. Donc on ne peut pas compter sur les joueurs pour remettre le dopage en cause.
Mouvements : Les sanctions prévues sont-elles suffisamment dissuasives?
JPM : Les peines sont purement sportives, pas pénales. Elles sont dissuasives en principe, mais les différentes étapes pour arriver à la sanction, les enquêtes et les procès, trainent tellement en longueur que la dissuasion ne fonctionne pas.
Un point important est que dans un sport d’équipe tel que le football, les sanctions devraient être collectives plutôt qu’individuelles. Raymond Domenech, ancien sélectionneur de l’équipe de France, déclarait ainsi dans Ouest-France en novembre 2006 : “C’est l’équipe qui devrait être punie. En disant aux équipes qu’elles sont responsables, on les obligerait à faire des contrôles internes et à écarter les fautifs, sous peine de perdre beaucoup plus qu’un joueur. (…) Je ne connais pas d’athlète qui se dope tout seul. (…) Le dopage, c’est une structure, une organisation.”
Aux Jeux Olympiques, lorsqu’un sportif est contrôlé positif, c’est toute l’équipe qui est sanctionnée. Aux J.O. d’hiver de 1976 à Innsbruck, par exemple, l’équipe de hockey sur glace tchèque a perdu son match contre la Pologne à la suite du contrôle positif à la codéine de son capitaine. Même chose pour les Championnats d’Europe de volleyball en 1983 : l’équipe de France, qui avait gagné son match contre la Pologne 3-2 sur le terrain, l’a finalement perdue 3-0 à la suite du contrôle positif au prolintane de l’un des remplaçants.
En football, le club ou l’équipe ne sont sanctionnés que d’une pénalité financière, alors que le règlement stipule que la sanction peut aller “de l’exclusion du joueur fautif au match perdu par son équipe.” Cette éventualité avait été “envisagée” par la FIFA après le contrôle positif à l’éphédrine de Diego Maradona lors du match Argentine-Nigéria en 1994 comptant pour le premier tour de la coupe du monde aux États-Unis. Le point 4 du texte officiel de la FIFA annonçant l’exclusion de Maradona du mondial stipulait : “en accord avec les principes établis par la FIFA et ses règlements pour les affaires de cette nature, si un joueur seulement d’une équipe est reconnu coupable de violation des règlements, cela n’a pas d’influence sur le résultat du match concerné.”
Si, généralement, le dopage dans un sport collectif est une affaire organisée, en revanche le refus de se doper est une décision individuelle. Elle reste rarissime dans le sport de haut niveau, notamment dans les disciplines les plus médiatisées. Durant toute sa carrière, Lance Armstrong a déclaré n’avoir rencontré que trois sportifs qui refusaient de se doper.
Mouvements : De quand date le phénomène du dopage?
JPM : Le dopage existe bien entendu depuis la nuit des temps. Au VIe siècle avant Jésus Christ, les athlètes mangeaient la viande de certains animaux pour acquérir leurs propriétés. Les sauteurs mangeaient de la viande de chèvre, les lutteurs du porc gras, les lanceurs et les pugilistes de la viande de taureau… On se dopait aussi avec du lait maternel, ou des plantes. Au départ, il s’agissait de produits naturels. Le dopage tel qu’on le connait aujourd’hui a débuté avec la naissance des premières compétitions sportives, organisées à partir du milieu du 19e siècle. Pas une seule activité sportive n’échappe au dopage. On en trouve même parmi les joueurs de fléchettes, de curling, de pétanque…. Le football n’est donc pas différent des autres sports, même s’il y a plus de dopage quand les enjeux et la médiatisation vont de pair. Sur ce double plan, le football caracole en tête.
Mouvements : Comment pourrait-on rendre les contrôles efficaces?
JPM : Tant que les instances sportives seront responsables des contrôles, ils resteront inefficaces. L’objectif de ces instances est de montrer qu’elles luttent contre le dopage, tout en n’attrapant personne pour ne pas ternir l’image du sport. Imaginez un jury d’assises constitué par la propre famille de l’accusé, ou un patron qui soit aussi délégué syndical! Cela fait 50 ans que cela dure, c’est inefficace, mais personne ne réagit.
C’est vrai qu’il y a eu une commission d’enquête sénatoriale sur la question qui a publié un rapport en juillet 2013, mais elle ne débouchera comme d’habitude sur rien.[iv] Les sénateurs ont formulé 60 propositions qu’ils ont présentées au ministère des sports. Mais ce ministère sera le dernier à s’attaquer au problème : on ne peut pas lui demander à la fois d’obtenir un maximum de médailles dans les compétitions internationales et de policer le dopage! Donc tout est fait pour que cela ne marche pas. La lutte antidopage devrait relever des ministères de la justice et de la santé, qui pourtant ne s’en occupent pas aujourd’hui. Pour l’arbitrage, c’est la même chose. Si l’on veut mettre fin aux trucages de matchs, entre autres, il faudrait retirer l’arbitrage des mains des responsables sportifs.
Le paradoxe est que la lutte contre le dopage crée des emplois. Au début des années 1970, quand j’ai commencé à exercer, personne ne s’en préoccupait, mais maintenant il y a des antennes régionales partout. Pourtant, le dopage n’a cessé d’augmenter.
Notes
[i] L’affaire Festina est une affaire de dopage qui a touché le cyclisme professionnel en 1998. L’affaire Festina a eu un retentissant énorme car c’était la première fois qu’une équipe entière était exclue du Tour de France pour violation du règlement antidopage.
[ii] Union Cycliste Internationale
[iii] Jérôme Jessel et Patrick Mendelewitsch, La Face cachée du foot business, Paris, Flammarion, 2007.
[iv] “Lutte contre le dopage : avoir une longueur d’avance”, Commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, 24 /07/2013. Ce rapport note que : “Les statistiques sous-évaluent l’ampleur des pratiques dopantes dans le sport, notamment parce que la mise au point des méthodes de détection a toujours un temps de retard sur l’apparition de nouvelles substances ou l’ingéniosité des protocoles de dopage. Plus généralement, la loi du silence à laquelle se heurte la lutte contre le dopage a des conséquences particulièrement néfastes : difficile recherche de la preuve, tentatives d’intimidation, manque de crédibilité du monde sportif quant à sa capacité d’autorégulation, déni sociétal généralisé, mise en péril du travail d’information et de pédagogie…”