GAZA. En pleine offensive israélienne à Gaza, les manifestations de janvier 2009 ont témoigné de nouvelles formes de mobilisations en France pour la cause palestinienne. Pour nous en parler, Mouvements a interrogé Omar Somi, délégué général de l’association Génération Palestine.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, au cours du mois de janvier 2008, le mouvement de solidarité pour la Palestine en France a mobilisé des dizaines de milliers manifestants. Ces manifestations, souvent décrites sans recul dans les médias focalisés sur les incidents de fin de parcours, quelques dérapages antisémites et les destructions de drapeaux israéliens, s’inscrivent pourtant dans une évolution significative de la cause palestinienne : implication accrue de mouvements musulmans, polémiques sur la légitimité de ces acteurs religieux et changement générationnel. C’est le porte-parole le plus en vue de ces jeunes manifestants, Omar Somi, 27 ans, délégué général de l’association Génération Palestine, que Mouvements a rencontré. Franco-palestinien né en France, diplômé de l’IEP de Paris, Omar Somi a été président de la GUPS, l’Union générale des étudiants palestiniens.
Mouvements : Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Omar Somi : Je suis Omar Somi, j’ai 27 ans. J’ai terminé il y a deux ans mes études à Sciences Po à Paris, après un cursus en économie du développement. Je suis né à Paris, j’y ai toujours habité, dans le 19e arrondissement. Je suis franco-palestinien, français et palestinien – palestinien par mon père qui vient du village de Silt Ed Daher, à côté de Jénine. Mon père est né en Palestine, il a étudié entre la Jordanie et la Syrie, a vécu au Liban avant de venir en France pour faire ses études au début des années 1980, au moment de l’offensive israélienne sur le Liban et juste avant les massacres de Sabra et Chatila. C’est là-bas que mes parents se sont rencontrés, ils sont venus ensemble en France où je suis né après leur arrivée.
En ce qui concerne mon engagement politique, j’ai toujours baigné dans des réseaux militants autour du Centre international de culture populaire (CICP). Ma mère a été secrétaire de l’Association médicale franco-palestinienne (AMFP). Je viens d’une culture de gauche plus ou moins radicale, qui s’est construite avec le temps. Il y a eu une longue phase de gestation entre le début de mes études universitaires, mon premier séjour en Palestine en 1999, après avoir eu la nationalité française, qui m’a permis d’aller là-bas, pas comme Palestinien mais comme Français, sachant que comme Palestinien je ne suis pas reconnu, ni comme citoyen, ni comme résident de droit de la Cisjordanie. C’est en y entrant comme touriste que j’ai pu y accéder. C’était un voyage initiatique dans un cadre familial.
J’y suis retourné en 2000. C’était la période d’Oslo, des illusions de débouchés politiques potentiels avec les négociations de Camp David, c’était une période où il y avait clairement une dynamique de construction nationale. J’envisageais de « rentrer au pays » après mes études, pour participer à cette construction à laquelle je croyais, au moins un petit peu. J’avais des espoirs et peut-être aussi des illusions qui n’étaient pas très politiquement réfléchies. J’ai donc pris violemment dans la figure l’éclatement de la deuxième Intifada en septembre 2000, l’illusion et les rêves se sont écrasés. Pour moi, c’était la découverte de tout ce qui n’avait pas marché dans le processus d’Oslo, la révolte des Palestiniens contre ce processus et ceux qui l’avaient porté. J’ai commencé à participer aux manifestations, aux conférences, à suivre de très près l’actualité.
La Palestine sans les Palestiniens
En 2003, l’année où je suis entré à Sciences Po, j’ai été contacté par les étudiants palestiniens de la GUPS, l’Union générale des étudiants de Palestine, que j’ai rejointe un peu plus tard. Je me suis retrouvé dans les instances de cette organisation, une petite structure qui rassemblait à l’époque quelques dizaines d’étudiants mais jouait historiquement un rôle politique central de représentation, en portant la voix des Palestiniens en France. A cette époque, où la deuxième Intifada battait son plein, je me suis vite trouvé en face de responsabilités importantes. C’est l’année où l’on a commencé à reprendre la structuration de la GUPS. On a essayé de l’inscrire comme un partenaire important pour tout ce qui concernait la question palestinienne, auprès des syndicats étudiants, les forces politiques et syndicales françaises. Mais il a fallu qu’on se batte parce qu’un des problèmes permanents, c’est qu’on parle beaucoup de la Palestine, comme « concept », comme cause, mais en oubliant souvent les Palestiniens. C’était aussi l’époque où on a commencé un travail soutenu avec de jeunes Israéliens, notamment des soldats réfractaires. Du coup, on est beaucoup intervenu avec des Israéliens en France pour porter ce combat commun, ou qui a fini en tout cas par émerger comme un combat commun entre jeunes Palestiniens et de jeunes Israéliens, pour la paix, la justice et le droit.
Et en même temps c’est une époque où avec la GUPS on a commencé à construire un début d’autonomie : notre rôle de porte-parole nous avait rendu complètement dépendant de la dynamique du mouvement. C’est là où on a commencé à organiser nos propres initiatives et du coup on a été un peu libéré des conditionnalités politiques des problématiques franco-françaises et on a pu organiser par exemple des meetings où il n’y avait pas nécessairement un Israélien ou un Juif pour la paix pour venir parrainer ou valider le discours qu’on allait tenir, parce que c’était le sentiment qu’on avait au bout d’un certain temps.
Le gros dossier auquel je me suis attelé à l’époque, c’était le travail avec l’UNEF. Je faisais le suivi d’une mission en Palestine et j’essayais de voir comment, à travers l’UNEF, faire entrer la question palestinienne dans les facs. Mais il s’est vite avéré, que pour l’UNEF, même après avoir été là-bas, partagé la vie des Palestiniens et découvert la réalité de la situation, et même s’ils ont été convaincus par nos positions, tant qu’on n’avait pas une force autonome au niveau de la jeunesse française capable de servir de force d’entraînement et de pressions sur les grandes organisations syndicales et de jeunesse, on ne pourrait pas créer le rapport de forces nécessaire pour qu’elles s’impliquent. Parce qu’on aurait toujours de l’autre côté l’UEJF et les branches de jeunesse des pro-Israéliens qui nous entravent dans notre travail. Notre objectif était donc de créer autour de la GUPS un réseau de jeunes Français mobilisés sur la question palestinienne, ce qui nous permettrait de faire un travail dans les facs et de compenser la démission objective des organisations de jeunesse sur la question.
M : A propos de l’UNEF, il y avait des désaccords de fond ou c’était juste un désintérêt ?
O.S. : L’UNEF, comme tous les syndicats étudiants, a un agenda franco-français qui est prioritaire, ce qui peut se comprendre. Mais en même temps, aujourd’hui, pour un dirigeant de l’UNEF, avec l’avenir qu’il se donne dans le Parti socialiste ou ailleurs, a priori un positionnement ferme sur la question palestinienne n’est pas rémunérateur politiquement, il peut même être assez coûteux. D’où la nécessité de créer un rapport de forces. Mais il y avait aussi un autre enjeu : pour les cadres de l’UNEF, le très grand intérêt de beaucoup de jeunes issus des quartiers populaires et de l’immigration pour la question palestinienne n’était à proprement parler ni légitime, ni constructif, ni intéressant à travailler. Et j’avais là-dessus – également comme Français – une analyse radicalement contraire. Beaucoup de jeunes qui ont du mal à s’approprier les enjeux de leur citoyenneté au niveau français, peuvent, à travers la solidarité internationale et notamment la question palestinienne, construire l’appropriation de leur citoyenneté et de leur engagement.
« Un engagement autour de ce que la Palestine a d’universel »
Voilà donc les bases du travail qu’on a engagé pour que, au final, à l’été 2005, se mette en place la première édition du projet « Des ponts au-delà du mur », qui a été le lancement de toute la dynamique qui nous a amené à la naissance de Génération Palestine. La GUPS en était l’architecte central, avec le soutien immédiat de l’Union juive française pour la paix (UJFP) et des Campagnes civiles internationales pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP) qui avaient toute l’expérience et les réseaux pour faire ce travail… Le but était de permettre, à travers la question palestinienne, de lancer des ponts en France entre jeunes de différentes origines et différents horizons politiques, socio-culturels et religieux, autour de ce que la Palestine a d’universel, pour construire ensemble un engagement commun. Une trentaine de jeunes sont partis avec nous pour la première édition du projet. Ca a créé tout de suite une dynamique très forte autour de l’envie de s’engager, de s’adresser aux jeunes, et très vite on a vu que c’était vraiment ce qui manquait : pour mobiliser des jeunes il fallait des jeunes. Toutes les grandes organisations traditionnelles de solidarité avec la Palestine ont une moyenne d’âge autour de 50-60 ans mais, pour être crédible vis-à-vis des jeunes, il fallait qu’il y ait des jeunes. Dès la première année, nous étions une organisation étudiante mais avec également des jeunes travailleurs, de Seine-Saint-Denis ou du Val-de-Marne, une mixité sociale importante.
M : A la création de Génération Palestine, avez-vous été aidé par d’autres organisations de jeunes ?
O.S : Non, on est parti à l’époque d’un petit réseau qui distribuait des tracts, collait des affiches dans les facs, organisait des manifs, etc. Il y avait une telle demande qu’on s’est vite retrouvé avec une trentaine de jeunes motivés. Cette démarche toute simple visait surtout des jeunes qui étaient, pour 97 % d’entre eux, vierges de tout engagement politique ordinaire. Du coup ils étaient libres de leur positionnement et découvraient l’engagement à travers la question palestinienne. C’est comme ça que s’est formé un début de collectif informel, surtout en région parisienne. Le bouche-à-oreille et l’ampleur des témoignages, la visibilité du projet ont fait qu’il y avait une centaine de jeunes pour participer à la deuxième édition du projet « Au-delà du mur ». Et c’est donc au retour du deuxième camp d’été qu’on a créé Génération Palestine, en 2006.
M : Alors que la GUPS est une organisation étudiante, tu expliques que Génération Palestine comprend des jeunes des quartiers. Comment s’est fait cette connexion ?
O.S. : C’était une intuition que j’avais : dans la société française il y a énormément de gens qui s’intéressent à la question palestinienne, pour beaucoup issus des milieux populaires. Il suffisait donc de créer ce cadre pour que cette mixité se réalise naturellement, sans « quotas ». Un jeune de la fac de Saint-Denis dit qu’il va partir dans le projet à trois potes de sa cité qui, eux, ne sont pas étudiants et partent avec lui dans le projet : ça s’est fait comme ça, avec le bouche-à-oreille.
C’est donc après le retour en 2006 qu’on a créé Génération Palestine. L’organisation se voulait un début de réponse aux problèmes chroniques de la solidarité avec la Palestine : le déficit de jeunes en général, et en particulier le déficit de jeunes des quartiers populaires, issus de l’immigration. Il fallait créer pour eux un cadre divers qui ne soit pas un ghetto de plus. Clairement ils sont pour nous le cœur de la cible. Aujourd’hui, pour un étudiant franco-français, il y a déjà mille cadres pour s’engager, mais pour ces jeunes il n’y en avait aucun pensé pour eux pour pallier à tous les problèmes dont ils sont victimes, notamment la stigmatisation politique qui fait qu’ils sont toujours perçus comme des antisémites, terroristes ou communautaristes potentiels. Nous avons voulu aussi que l’organisation soit fondée directement à l’échelon européen, même si ça reste à l’échelle francophone : France, Belgique et Suisse, avec une coordination qui ne soit pas juste centrée sur les enjeux nationaux français. On compte aussi des groupes locaux en région parisienne, à Lyon, Bordeaux, Nantes, Toulouse, Genève, et un groupe en gestation dans le nord de l’Italie.
« Il y a une vraie différence générationnelle »
M : Pourquoi ce nom « Génération Palestine », alors que ce conflit date d’il y a 60 ans. En quoi est-ce une question générationnelle ? Au-delà du fait qu’il y a d’un côté des vieux et de l’autre côté des jeunes, y a-t-il une différence de style, de mots d’ordre ?
O.S. : Il y a une raison tout d’abord qui explique la rupture générationnelle : la période d’Oslo n’a pas créé un engagement et du militantisme. Entre la génération des fondateurs – les quinqua et sexagénaires – qui ont milité avant la première Intifada, et les gens qui ont aujourd’hui 20-25 ans, il n’y a eu personne pour passer le relais. Et oui, il y a une vraie différence générationnelle : il y a énormément de débats et même de crispations au sein de la gauche française traditionnelle, qui ne se retrouve pas avec la même virulence chez les jeunes Français d’aujourd’hui. Je pense à une certaine méfiance par rapport à tout ce qui ne correspond pas strictement au consensus « laïc » ou « laïcard » et notamment par rapport à tous les jeunes qui auraient des inspirations religieuses prononcées et assumées. A l’inverse, nous aujourd’hui on a été à l’école ensemble, on a vécu ensemble, malgré la ghettoïsation des quartiers, alors que la génération qui nous a précédés, ils ne se sont découverts qu’après.
Le fond du fond c’est que contrairement à nos parents, nous sommes des citoyens français. Ca fait une vraie différence dans la façon de s’engager. S’engager comme un étranger résidant en France, en gros comme un Arabe qui s’intéresse à une cause arabe, ce n’est pas la même chose que s’affirmer comme des citoyens français, européens, de toutes les origines, qui construisent ensemble leur engagement sur la Palestine.
Après, il y a des différences pratiques, qui ont aussi leur importance. On est à l’heure d’Internet, du web 2.0 : les stratégies de mobilisation et de communication de la génération qui nous a précédés ne sont plus opérantes. Le vieux tract noir et blanc, fait à la manière des années soixante-dix, ça ne marche plus. Les approches diffèrent aussi : nous, on est plus dans l’action : pour une heure de débat on a dix heures d’action, alors que c’est souvent la proportion inverse chez les anciens. On est plus dans l’action directe, on assume clairement la nécessité d’une désobéissance civile face à la complicité de nos dirigeants avec la machine de guerre israélienne. On est plus dans une démarche où il faut amener les artistes, les sportifs… Et il faut créer des cadres où l’individu trouve aussi son compte dans l’engagement : on n’est plus dans la mentalité du sacrifice total pour une cause.
« La Palestine peut permettre à ces jeunes d’exister politiquement »
M : On ne peut qu’être frappé par la présence dans les dernières grandes manifestations de jeunes musulmans venus de toute la région parisienne. Comment s’est faite la jonction entre leurs organisations et les organisations plus « traditionnelles » de la solidarité palestinienne ?
O.S. : Clairement ces liens ne se sont pas noués au début de la deuxième Intifada. Dans les premières manifestations de cette époque, il y avait deux groupes très défiants l’un par rapport à l’autre : celui de la gauche traditionnelle, organisée, et celui plus « communautaire », dont l’approche du conflit israélo-palestinien n’était pas foncièrement politique. Et depuis 2001, le 11 septembre, la vague néo-conservatrice, la polémique sur le port du voile et la laïcité en 2005, il y a eu un gros travail de fond entre des altermondialistes de gauche d’un côté et de l’autre des associations de quartiers, politiques, culturelles, cultuelles, qui voulaient apporter des réponses à la stigmatisation au racisme et à l’islamophobie que tout le monde sentait monter. C’est le travail de fourmis accompli, sur la question palestinienne, par l’Union juive française pour la paix (UJFP), les CCIPPP, avec le Collectif des Musulmans de France (CMF), Tariq Ramadan etc, qui a permis de poser les bases d’un engagement commun. Et aussi sur d’autres questions autour du Collectif Une école pour tou-te-s (CEPT), le Forum social européen de Londres…
Le CMF a servi de cheville ouvrière dans la communauté musulmane pour amener tout le monde, notamment presque toutes les mosquées de région parisienne, sur une plate-forme politique irréprochable proche de celle du Collectif national Palestine (CNP), au-delà des divisions au sein de la communauté. Il y avait une très forte demande alors que, jusqu’ici, la question palestinienne était abordée essentiellement d’un point de vue humanitaire. Cela provient d’une demande des Français d’être reconnus comme tels, pour la justesse de la cause qu’ils défendent. A mon avis, cette évolution correspond même à un changement en Palestine même, où le Hamas a politisé son positionnement. Tout cela explique que les musulmans se soient si bien organisés.
Dans le mouvement général, il y a encore des réticences qui sont pesque xénophobes, contre les femmes voilées où les hommes à la pilosité forte, jugés un peu trop barbus. D’autres expriment des craintes face à la « communautarisation » de la cause palestinienne. Il y en avait même qui condamnaient les slogans en arabe, alors que notre plate-forme refuse les slogans racistes ou antisémites, mais pas les slogans en arabe. L’arabe, c’est la deuxième langue de ce pays, c’est une langue qui est légitime pour porter des revendications en France.
Les associations d’éducation populaire ou antiracistes sont traversées par des contradictions entre leurs militants internationalistes et les autres, qui avaient peur de « l’importation du conflit » et du « communautarisme », et qui n’ont pas su transformer ces peurs en approche positive, reconnaître la Palestine comme espace d’engagement citoyen essentiel pour les jeunes des quartiers, notamment ceux issus de l’immigration arabe et musulmane, admettre que la Palestine peut permettre à ces jeunes d’exister politiquement. C’est toujours pareil : on demande des efforts à ceux qui sont discriminés, à qui on donne l’injonction de s’intégrer, alors qu’ils sont déjà stigmatisés, enfermés dans les ghettos, mais on ne demande jamais aux autres de faire des efforts de compréhension.
M : Comment avez-vous géré la présence de groupes d’extrême-droite au sein des manifestations, sans tomber dans la tentation de créer des « cordons sanitaires » entre cortèges comme certains le proposaient ?
O.S. : Tout le monde était d’accord pour exclure les mouvements pas clairs à propos de l’extrême-droite. Ceux qui ont soutenu le colonialisme en Algérie ne peuvent être que du côté des Israéliens. Après le succès de la manifestation du 10 janvier, nous avons subi des tentatives de récupération : la clique d’Alain Soral a appelé à la manifestation du 17 organisée par CAPJPO-Europalestine. Du coup, nous avons eu un problème pour notre manifestation du 24 janvier, avec la présence de mouvements comme MDI, le Centre Zahra, Banlieue antisystème, le « Parti antisioniste » ou Kémi Séba. Il y a eu un consensus total au sein du collectif national pour que les services d’ordre les éjectent hors des cortèges et leur interdisent de manifester avec nous. Le problème, c’est que ces mouvements ont réussi à manipuler beaucoup de gens qui manquent de culture politique, qui applaudissent quand on compare Gaza à un « camp de concentration ». Mais au final, nous n’avons eu affaire qu’à 15 ou 20 vrais fascistes, des skins : eux se sont fait taper dessus par des jeunes des quartiers qui voient clair et leur sont rentré dans le lard pour les éjecter…
M : Au-delà de l’extrême-droite classique, il y avait aussi la présence de cortèges du type du Parti des Musulmans de France (PMF) de Mohamed Latrèche…
O.S. : Oui, le 3 janvier, le PMF a essayé de prendre la tête de la manifestation, mais on s’est organisé pour l’éviter. Et les 10 et le 24 janvier, ils n’étaient même plus visibles, voire absents. On a travaillé pour avoir notre propre service d’ordre, unitaire, divers et mixte avec beaucoup de femmes.
M : Par ailleurs, comment avez-vous géré les « débordements » de fin de manifestation (affrontements avec la police, bris de vitrines…) qui attirent souvent les médias ?
O.S. : C’est habituel à la fin de toutes les grandes manifestations. Il y a une colère qui s’exprime de cette façon-là. Mais le 3 janvier c’était louche, près d’Opéra, il y a eu manifestement des « agitateurs professionnels », proches de certains appareils sécuritaires français. Mais l’ampleur du mouvement a rendu ces incidents plus marginaux, et quand ils se produisent on ne peut pas faire grand-chose, à part lancer des appels au calme, à la responsabilité.
M : Est-ce que votre mouvement a été divisé par le conflit en Palestine entre Fatah et Hamas ? Le Mouvement des Indigènes de la République (MIR), par exemple, affichait un soutien clair au Hamas.
O.S. : On ne se positionne pas sur ce conflit. Certains sont plus sympathisants des uns ou des autres mais on a fait de la pédagogie. En Palestine même, tout le monde cherche l’unité pour l’application du droit international, donc nous on en reste là : la liberté pour les prisonniers politiques, le droit au retour des réfugiés, Jérusalem capitale d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967. Pour nous, le grand débat stratégique, au début de la mobilisation, portait sur la question de la « résistance ». On a conclu sur une formule générique, le « soutien à la lutte du peuple palestinien ». Tout le monde n’est pas d’accord mais ça ne menace pas le mouvement. La posture des Indigènes de la République n’était selon moi pas très constructive : d’ailleurs la résistance en Palestine était le fait de toutes les factions, pas seulement du Hamas. Les vrais enjeux portent désormais sur l’après-guerre. Israël n’a pas obtenu de victoire décisive, et se pose la question du siège et de qui va reconstruire. Ainsi que, pour nous, la question de nos relations avec le Hamas, sur laquelle il y a encore des réticences au sein du collectif national. Le débat porte aussi sur la légitimité du pouvoir à Ramallah, tant qu’il n’y a pas d’élections.
« Les autorités ne veulent pas d’une mobilisation politique »
M : La perception de votre mouvement par les médias est également un enjeu important, comment avez-vous abordé ce problème ?
O.S. : On a fait des progrès, c’est la première fois que nous mettons en place une vraie cellule de crise pour gérer le travail d’attaché de presse. Si bien que dès le 10 janvier, nous pouvions communiquer sur nos propres estimations du nombre de manifestants, pas seulement ceux de la préfecture. Il y a des médias qui ne couvrent que ceux qui cassent, mais pas seulement. Il reste un gros défaut, c’est la couverture de la situation là-bas, en Palestine. De plus, beaucoup de débats sur la mobilisation elle-même sont monopolisés par des groupes comme SOS Racisme pour représenter les quartiers, alors qu’ils n’ont aucune légitimité. Mais nous n’avons pas réussi à faire émerger nos figures, c’est un travail de longue haleine.
En fait, cela recoupe la question des débouchés politiques. Nous n’avons pas obtenu de rencontre officielle avec les ministres ou leur cabinet. On continue à être considéré comme des interlocuteurs de second rang. On mène la mobilisation et au final ce sont les autres qui sont reçus. Par exemple, Bernard Kouchner a reçu le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), mais pas nous. Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, elle, a convoqué le Conseil du Culte des Français musulmans (CFCM). Alors qu’ils prétendent refuser le « communautarisme ». En réalité, les autorités ne veulent pas d’une mobilisation politique. C’est la hantise de ceux qui défendent Israël, parce que c’est la seule chance de faire bouger la position française.
Ce sera le deuxième temps de la mobilisation, le temps de sa structuration pérenne, pour capitaliser sur ce qui a été accompli en janvier. C’est un enjeu pas seulement pour la Palestine, mais aussi pour la société française. Tous ceux qui ont manifesté nous interpellent : « A quoi ça a servi ? ». La France envoie une frégate pour sécuriser les frontières de la bande de Gaza et continue sa collaboration militaire avec Israël, le Parti socialiste n’a pas franchement bougé. Si rien ne change, cela ouvrira un boulevard à ceux qui critiquent nos alliances et réclament qu’on s’organise tout seul.
M : Justement, comment qualifierais-tu la politique française à propos du conflit à Gaza ?
O.S. : Sarkozy, c’est ce qui le caractérise, a fait de l’agitation, sans fond politique. Dans le fond, même s’il dit admirer Obama, il reste aligné sur les néo-conservateurs. Il affiche une posture ferme sur le gel des colonies et le processus de paix, mais c’est l’ami d’Israël : il n’a pas de ligne politique. Aujourd’hui, notre cible c’est Sarkozy, et c’est pour ça qu’on doit faire la jonction avec les autres mouvements sociaux. Nous faisons face à un système sécuritaire global où la sécurité prime le droit, une promotion du choc des civilisations, où les Judéo-chrétiens affronteraient le monde arabo-musulman, avec carte blanche aux marchands d’armes qui s’emparent des groupes médiatiques. En réalité, la France républicaine, la France de Guy Môquet, c’est nous.
M : Quelles sont les faiblesses de ce mouvement ?
O.S. : On manque de structuration : au Collectif national, quasiment tout le monde est bénévole. Par exemple, l’idée du boycott a déjà décollé au niveau des consciences individuelles, mais il faudrait le politiser, le rendre plus collectif. Les choses bougent, pour la première fois un syndicat comme la FSU affirme son soutien aux demandes de boycott, désinvestissement et sanctions, relayant ainsi l’appel signé par 3 000 organisations palestiniennes. Les objectifs, ce sont la suspension de l’accord de coopération entre l’Union européenne et Israël et la poursuite des criminels de guerre israéliens. Mais pour trouver des débouchés politiques, nous avons besoin d’une structure européenne de lobbying, dans les années qu viennent, qui puisse être influente et mettre la pression dans les couloirs des parlements. Et même si on a déjà la légitimité, la crédibilité et la justice de notre côté, il nous faut de l’argent, et pas seulement pour les actions humanitaires habituelles.
M : Enfin, comment analyses-tu ta médiatisation personnelle, s’agit-il d’une stratégie collective ?
O.S. : La stratégie collective a été de mettre Génération Palestine en avant. Quant à moi, c’est une réussite d’avoir construit et argumenté un discours qui sorte de la confidentialité. Mais enfin je ne suis pas encore connu du grand public. On n’existe pas encore. Il nous reste à faire émerger davantage de cadres, d’ambassadeurs de la cause palestinienne.
Propos recueillis par Jim Cohen et Manuel Domergue
Vous pouvez également écouter Omar Somi en images dans cette interview accordée au site Oumma.com le 1er avril 2005.