Jean-Christophe Cambadélis, Député de Paris, secrétaire national du PS, nous donne son point de vue sur le Nouveau Parti Anticapitaliste.
La question du dépassement n’est pas nouvelle dans le courant trotskyste. Léon Davidovitch Bronstein l’avait conseillé pour le mouvement ouvrier américain. Il préconisait un parti des travailleurs où les trotskystes seraient simplement une tendance. La perspective n’avait pas effarouché les trotskistes brésiliens où toutes les nuances du trotskisme se retrouveront au sein du Parti des travailleurs de Lula. Si on y regarde de plus près, Lutte ouvrière, ce n’est pas l’Union communiste internationale qui est son vrai noyau trotskiste. Et les « Lambertistes », avec leur stratégie de la Ligue ouvrière révolutionnaire, ont déjà tenté l’expérience autour du Parti des travailleurs qui vient de « muter » en Parti ouvrier indépendant. Le programme de transition, fondateur de la IVème internationale, n’indique t-il pas que « la crise de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Il semble que pour les trotskistes, la question reste le comment. Leur grand problème demeure toujours le même. Ils sont des « avant-gardes » isolées dans le salariat. Propulsés ou médiatisés parfois, il leur faut capitaliser au plus vite le rayon de soleil médiatique.
Si le trotskisme fut une critique de gauche du stalinisme défendant avec passion une révolution trahie, rien ne nous est dit sur aujourd’hui, cette époque marquée par la chute du mur de Berlin et la mondialisation triomphante. Daniel Bensaïd nous propose de « suivre l’invitation de Derrida, de tenir bon sur le concept d’émancipation sans lequel il n’est plus que dérive de chien crevé au fil de l’eau » (Éloge de la politique profane), très bien ! Mais cela fonde t-il une gauche alternative ? Tous les courants du mouvement ouvrier seraient-ils sommés de s’interroger sur leur devenir, sauf les trotskistes de la LCR ? Pour la LCR, la question organisationnelle est d’une simplicité biblique : soit ramener l’effet Besancenot à elle, soit aller à l’effet Besancenot. Or réduire le « gavroche médiatique » à la LCR, c’est le priver de tout rayonnement. Et aller au rayonnement « Besancenien », c’est priver la LCR de ses couleurs.
Évidemment, il existe des raisons objectives pour tout dirigeant de la LCR à la constitution du Nouveau parti anticapitaliste. La crise finale du Parti communiste ne libère-t-elle pas un champ à la radicalité ? Cette dernière tout entière absorbée par le syndicalisme ou le mouvement associatif altermondialiste voire alternatif, a-t-elle un débouché politique ? Lutte ouvrière avec la retraite bien méritée d’Arlette Laguiller, n’est-elle pas à la fin d’un cycle ?
La LCR avait en son temps le choix de la poupée médiatique entre Christophe Aguiton et Olivier Besancenot. Le premier était le héros d’un syndicalisme, SUD et de l’altermondialisme avec Attac. Il était tout autant médiatique que le postier. Mais il s’était un peu éloigné et fricotait avec la mauvaise tendance. Ce fut donc Besancenot. La LCR n’a pas eu à le regretter. Encore que ! Chacun remarque un Olivier Besancenot solidaire avec les luttes. Mais ces dernières en font-elles un débouché ? Ou le vivent-elles comme un adjuvant ?
Tout le problème est là. Qu’est-ce que l’autre gauche ? Certes on a compris que pour Besancenot et les dirigeants de la LCR, c’est tout ce qui n’est pas la social-démocratie. C’est assez convenu mais est-ce suffisant ? Où sont les courants, les mouvements, les formations qui engagent sérieusement la discussion avec le parti en constitution ?
Tant que Besancenot n’aura pas trouvé de fiançailles symboliques avec des courants du PCF ou dans l’extrême gauche, on s’interrogera : grosse LCR ou nouvelle donne ?
On comprend que devant l’impossibilité de trouver un ou des partenaires fiables pour co-fonder le nouveau parti, la LCR ait choisi la voie d’en bas. Mais peut-on fonder une formation politique sur le simple fait d’être « le porte-parole de la multitude » pour paraphraser Toni Negri.
Le « porte-voix des sans voix » est possible dans une élection ; celui des sans droits/sans papiers/sans logement, des précaires, des relégués, des discriminés… Mais y a-t-il là la base d’un parti politique, même néo-trotskiste ? L’interpellation n’est pas un programme même si cela peut être une « appellation contrôlée ».
Enfin, reste l’essentiel : la stratégie. Philippe Corcuff, après avoir réhabilité Léon Blum et estimé que seule la LCR était socialiste au sens 1920 du terme, propose une stratégie nouvelle… « Les trois espaces stratégiques (…) sont ceux de la protestation, de l’expérimentation et du champ politique institutionnel. La prise du pouvoir d’Etat n’est pas abandonnée (…) mais elle est réinsérée dans un ensemble pluriel » |1|. Le déplacement effectué par Corcuff semble fixer comme but stratégique, non plus le pouvoir pour la transformation mais la contestation comme lieu de pouvoir. Ce qui expliquerait l’impasse stratégique de la formation en gestation.
Elle ne se situe plus dans un rapport gauche/droite mais dans la contestation globale du champ politique. Au moment où la mondialisation vit son souffle au cœur avec la crise énergétique, la crise alimentaire, la crise financière, au moment où ces crises débouchent sur les guerres et une destruction sans précédent de l’environnement humain, le temps est-il à l’identification incertaine ou à l’élaboration collective de la résistance avant la contre attaque ?
Le « parti anticapitaliste » pêche par son impasse stratégique. La critique sans arrêt et sans temps mort de la social-démocratie, creuse un sillon difficilement surmontable. Le refus de tout programme minimum dans la gauche nécessaire à cette critique « de gauche » rend sa perspective peu praticable pour des secteurs ancrés dans la réalité sociale. Cette tension entretenue, entrecoupée d’appels à l’union qui sont autant de mise au pied du mur du PCF et du PS, provoque le rejet des deux côtés. Certes il s’agit du but recherché. Mais ce faisant, le projet ne peut intéresser que des secteurs violemment contestataires et totalement anarchisants.
Il produit une absence d’intérêt pour le dit parti en gestation, même si Besancenot reste un « produit d’appel » remarquable dans les sondages. Mais précisément les sondages n’ont pas besoin de parti, nous en savons quelque chose au Parti socialiste.
Il y a donc fort à parier que dans la lutte entre l’effet Besancenot et la réalité partidaire anticapitaliste, les deux finissent par y perdre. Car le pays cherchera l’efficacité dans une alternative crédible à la droite. Et il est peu probable que Lutte ouvrière, les collectifs issus du « non », ou même Patrick Braouezec, voir Pierre Zarka et ses amis, refondateurs du PCF, laissent faire. On peut penser que la « troisième voie » Blairiste a sombré dans les sables d’Irak et les défaites électorales. Et que l’alternative altermondialiste a symétriquement échoué, n’offrant pas de chemin crédible. Alors la question d’une nouvelle gauche est posée mais son creuset reste le Parti socialiste.
|1| dans “Le socialisme français”, Textuel, page 205