Les médias internationaux ont eu tôt fait de qualifier de « manifestations de l’opposition » la mobilisation importante à Moscou et dans d’autres villes russes qui a fait suite aux fraudes massives des élections du 4 décembre 2011. Un parallèle avec les « révolutions arabes » ne permet guère de mieux comprendre la motivation politique et la constitution sociale des manifestants russes. Une observation participante révèle que cette réalité est plus complexe que de tels schèmes d’explication. Car celle-ci reste tout de même socialement et historiquement intelligible, loin de clichés sur les mystères de « l’âme russe ».

En dépit d’une intimidation massive, d’une contre-propagande écrite et filmée, de menaces de licenciements, d’appels de célébrités à ne pas sortir dans la rue, de rumeurs évoquant des soldats prêts à tirer contre la foule – fantasme de « régiments tchétchènes » envoyés à Moscou afin d’exécuter férocement ce que les soldats russes n’oseraient pas faire -, le 10 décembre 2011, la manifestation de Moscou a réuni entre 30 et 50 000 participants (voire 80 000, selon certaines estimations), et s’est déroulée de manière paisible et presque festive, situation inconnue depuis longtemps. Malheureusement, ce ne fut pas le cas dans les autres villes russes, où des interpellations et des violences policières et administratives se sont répétées selon le schéma habituel.

Logiques sociales de la mobilisation

Était-elle une « manifestation de l’opposition », comme l’ont qualifiée de nombreux médias internationaux ? Cette tentative de définir ainsi les événements est peu respectueuse des faits. Ce qui s’est passé, à Moscou et en Russie, correspond beaucoup mieux à ce qui se définit comme une mobilisation spontanée. Les gens sortis dans la rue, les 4-5 puis 10 décembre, ont participé à une auto-mobilisation s’appuyant fortement sur les blogs et les réseaux sociaux, sans toutefois s’y limiter.

Cela ne fut pas non plus un équivalent des « révolutions arabes », souvent perçues par les médias comme un éclat social dû à des nouvelles technologies. Le « chaud hiver russe », par opposition au « printemps arabe », ne trouvait pas sa source dans une solidarité entre les participants préalablement formée dans la vie de quartiers, dans le désespoir des chômeurs cultivés et la motivation émancipatrice des femmes qui ont joué un rôle important dans les pays arabes, ou encore dans des conditions cohésives professionnelles ayant conduit l’armée à s’opposer à la police, dans le cas égyptien. La cohésion sociale entre les gens qui se sont retrouvés dans les rues de Moscou a été très faible, peu assurée par des communications et contacts antérieurs. Les participants n’avaient ni un projet politique précis, ni un consensus préalablement acquis. Ils n’ont pas visé non plus un changement du pouvoir. Par la suite, dans la rue, ils ont peu communiqué entre eux en dehors de leurs groupes amicaux et n’ont presque pas coordonné leurs activités, en restant principalement dans la logique d’un flash mob gigantesque.


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La dimension collective visible de la mobilisation provenait des propriétés sociales communes, et non d’une adhésion à l’opposition politique patentée. Dans l’espace de la manifestation, sur place, parmi les participants les plus actifs (avec leurs propres pancartes, souvent très originales et pleines d’esprit), j’ai observé beaucoup de ceux qui possédaient visiblement une expérience des activités autogérées et partagées avec les autres : le noyau dur des forums sur Internet, les fans des chanteurs de rock importants (comme Chevtchouk et Kintchev), des jeunes free-lancers (journalistes, artistes, designers, juristes, rédacteurs, spécialistes en technologies informatiques et en relations publiques), végétariens, rasta, étudiants appartenant à des cercles amicaux et thématiques (y compris des groupes d’étudiants de ma faculté portant des pancartes), supporteurs de foot au-delà des groupes ultras combatifs, membres des cercles amateurs de toutes sortes, aspirants musiciens rock et hard, entrepreneurs. Autrement dit, tous ceux, – bien évidemment aux côtés des militants de l’extrême gauche, de l’extrême droite, des libertariens, etc., ou bien des sympathisants des partis – qui ont « perdu » suite à la fraude électorale.

Il n’y avait donc pas de « centre constitutif » de la manifestation, ni de représentants reconnus sans réserve par les manifestants eux-mêmes. En fait, la plupart des participants présents sur place ont fait part de leurs avis sceptiques, sinon négatifs, envers certains intervenants qui se sont exprimés sur la grande scène mise en place à cette occasion et représentant l’opposition « officielle » (comme Boris Nemtsov, Mikhaïl Kassianov, Guennadi Goudkov, Vladimir Ryjkov, Grigori Iavlinski). Dans les années 2000, ces derniers se sont régulièrement révélés peu fiables, voire ouvertement opportunistes dans leur course d’obstacles vers le Kremlin. L’initiative de manifester contre la fraude n’est pas venue de l’opposition, ni en 2004 (présidentielles), ni en 2007 (législatives). En 2011, l’appel à l’action ne venait pas non plus de l’opposition « officielle ». La mobilisation s’est cristallisée dans une construction graduelle et entretenue par des gens qui n’avaient pas d’ambitions politiques, et comptait, parmi les participants acharnés, des personnages aussi inopinés que ceux qui appartiennent aux people ou aux « élites » de blogs russes incarnant en eux-mêmes les modèles de goûts et des styles de vie. Ce ne sont pas eux qui ont ouvert la piste les premiers.

Dans le mois de préparation aux élections et au moment même de leur tenue, un nombre important de membres d’associations et de personnes « civiles », sans aucune appartenance aux partis, se sont constitués comme observateurs pour contrôler le vote. Le 4 décembre, jour des élections, et les deux jours suivants, ces observateurs ont publié sur Internet un nombre très important de vidéos et de témoignages montrant les fraudes et violations choquantes de la procédure. C’est ce qui a provoqué immédiatement la colère et l’envie d’agir chez beaucoup de ceux qui avaient d’abord voté pour sanctionner le parti monopoliste de Poutine et Medvedev.

Un groupe d’alliés tactiques issues des fractions relativement marginalisées de l’opposition politique (Solidarnost et le Front de gauche) a déposé une demande d’autorisation pour la manifestation peu avant la date des élections. Ils n’avaient aucun pressentiment de la mobilisation spontanée massive et ont demandé, comme d’habitude, une place pour 300 manifestants, dans un lieu proche du Kremlin. Ce qui est arrivé ensuite, le jour même des élections, a dépassé toutes les attentes. Le mot d’ordre « manifestation » a sonné dans l’air, mais n’a été qu’un prétexte pour des milliers de personnes pour exprimer le sentiment dominant de méfiance envers un jeu électoral indigne.

Consolidation d’une nouvelle classe sur la scène urbaine

Le 10 décembre 2011, face à cette présence dans la rue de dizaines de milliers de participants, aussi politiquement que socialement diversifiés, les forces policières ont adopté une tactique originale et payante : elles ont reculé en ordre discipliné, évitant la confrontation, et réfrénant ainsi en partie la rage des manifestants. Les intervenants et les manifestants ont remercié continûment les forces de l’ordre pour leur conduite correcte et rassurante. Une telle attitude est difficile à croire, quand on connaît les précédents en matière de violence policière dans l’espace urbain moscovite et l’expérience des « accords verbaux » avec la mairie pour le défilé citoyen antifasciste du 19 janvier (qui, les deux dernières années, a réuni entre 1 200 et 1 500 participants), ou d’autres, qui se terminaient habituellement avec des interpellations des participants sous des prétextes inventés. Cette fois, la non-intervention de la police a été quasi totale, y compris lors de la longue marche entre le premier lieu de rassemblement (ploschad’ Revolucii — la Place de Révolution) et le point finalement accordé Bolotnaia ploschad — la Place de Marécage).

Des réactions négatives se sont bruyamment manifestées au vu du détournement du trajet annoncé, arrangé par les représentants de l’opposition « officielle », à la dernière minute, et dans le dos des dépositaires de la demande légale. Nous étions tous inquiets d’être assignés à un trajet plus facilement contrôlable par la police. Pourtant, les « garanties » obtenues de la mairie par les organisateurs officiels, lors des négociations pour un passage pacifique entre les deux grandes places, ont été respectées. Je dirais même que la police et l’armée ont été amicales, dans la mesure du possible, avec les manifestants et les passants. Ils ne se sont pas retenus de répondre aux questions et remarques non-agressives qui leur étaient adressées, et ils avaient l’air plutôt content (sourires et rires), probablement parce que, cette fois-ci, ils étaient délivrés de l’obligation de casser la gueule aux gens. Selon les informations disponibles, il n’y a pas eu une seule interpellation durant les quatre heures de mobilisation.

Cette transfiguration des policiers habituellement brutaux en policiers-citoyens ne peut cacher le désir impérieux des autorités, qui n’était pas tant de laisser la mobilisation se dérouler tranquillement que de chercher un prétexte pour employer la force et accuser les gens de ne pas pouvoir se maîtriser. Pourtant, à la place d’une foule criminelle, le 10 décembre, c’est un défilé bourgeois discret et prudent qui s’est présenté.

Pour compléter cette image inhabituelle pour Moscou, je dirais que la présence de la police dans l’espace même de la manifestation a été minime. La manifestation s’est très bien autogérée, malgré le voisinage des adversaires politiques côte-à-côte (sur des photos, on peut voir des drapeaux anarchistes/antifascistes, libéraux/libertariens et nationalistes/néonazis). Le seul incident est venu d’un provocateur, qui a déchiré la carte de presse d’un journaliste. Il a été saisi par les gens eux-mêmes et il a fallu attendre l’arrivée d’un policier solitaire, ce qui a pris 3-4 minutes, afin de convoyer le provocateur vers la périphérie de la manifestation.

Cette manifestation était un moment fort et tranquille en même temps. Les autorités de Moscou et du Kremlin, pour la première fois depuis onze ans, se sont montrées plutôt « molles », enclines à négocier et laisser les gens suivre leur propre choix : une mobilisation cadrée et légère ou une agitation plutôt violente. Le public moscovite a choisi la première option. C’était un moment de la reconstitution de la bourgeoisie urbaine (dans son sens historique et non néolibéral) où les gens d’un certain niveau de formation et d’aisance (mais pas forcément), qui mènent des activités autonomes ou en commun, ont retrouvé publiquement leur dignité sur la scène urbaine, celle qu’ils ont commencé à acquérir dans leurs expériences de fréquentation des cafés, des voyages touristiques à l’étranger, des loisirs partagés, voire consuméristes, dans des lieux communs de la ville, etc. Plus qu’une lutte contre les inégalités, c’était une exigence pour l’autoréalisation et pour la vie sociale autonome. Un moment de la normalisation bourgeoise.

On pouvait observer une susceptibilité aux thèmes sociaux, mais cette attention ne s’appuyait pas sur une sensibilité « rouge », ni soviétique, ni d’extrême gauche. Elle partait surtout d’un désaccord avec les excès de la politique néolibérale, comme des projets d’abandon de la formation publique gratuite ou la montée importante des frais médicaux. Des slogans se référant explicitement à la révolution étaient fortement désapprouvés sur place, en partie par crainte d’une dégradation de la manifestation, se tournant vers la violence, et dans les réactions postérieures des manifestants qui ont continué de donner leurs réactions dans les réseaux sociaux.

Les autorités et leurs opposants sur la scène de représentation

La réponse des autorités, dans les deux semaines suivantes, ne s’est sûrement pas révélée aussi positive et facile qu’elle en avait donné l’impression lors de la manifestation. Le président Medvedev a fait connaître son désaccord profondément ambigu deux jours plus tard, en confirmant le droit des citoyens de manifester et en accusant toute la documentation volumineuse exposée publiquement par des nombreux observateurs afin d’attester les fraudes d’être factices. Le Premier ministre Poutine s’est prononcé dans le même double sens, et a conclu que les manifestants avaient sûrement été manipulés, voire payés par des meneurs étrangers. La président de la Commission électorale centrale Tchourov, dont la démission a été exigée par les manifestants, a réagi en convergence avec ses chefs, niant la moindre possibilité de falsification. Au même moment, Medvedev a proposé de faciliter les règles d’enregistrement des partis politiques qui, aujourd’hui, afin d’être admis aux élections législatives, sont obligés de justifier un minimum de 40 000 membres et d’antennes régionales comptant au moins 400 membres chacune dans la moitié de 83 régions de la Russie. Or, dans cet espace d’incertitude politique et de manœuvres réouvert par la mobilisation citoyenne du 10 décembre, les déclarations politiques perdent beaucoup d’importance. Ce sont les actes de force ou la résiliation de la violence qui s’avèrent décisifs.

Une tendance regrettable, déjà visible lors de la manifestation du 10 décembre, a consisté dans la tentative de certains intervenants « politiques », qui visent le Parlement ou le Kremlin, de s’approprier une mobilisation largement spontanée. Ils ont cherché à focaliser l’attention publique sur leur propre personne, en tant que leaders du mouvement. De plus, dans le souci de se légitimer devant toutes les forces politiques, les organisateurs ont laissé la parole à un représentant de l’extrême droite, un certain Krylov, qui est assez fantasque en tant que nationaliste mais qui a cherché tout de même à gagner les suffrages des supporteurs de la « révolution des Russes », contre tous ceux qui ne sont pas perçus comme « ethniquement pures ». Les manifestants l’ont sifflé et lui ont coupé son discours en scandant « Réélections ! ».

Dans ce contexte, il vaut la peine de mentionner deux moments permettant de mieux comprendre la composante politique du 10 décembre 2011. Ces mêmes moments se sont reproduits et amplifiés dans les jours de préparation à la deuxième grande manifestation, celle du 24 décembre 2011. Le premier consiste en une lutte intense se déroulant au sein du comité auto-nommé d’organisateurs, qui décide des intervenants admis à prononcer leur discours sur la scène centrale, montée sur des tréteaux lors des manifestations. Une prétention quasi monopolistique d’une fraction d’organisateurs plus ou moins constante de représenter la mobilisation le 10 et le 24 décembre s’est traduite, entre autres, par une importance extrême accordée, dans les débats préliminaires, à l’existence même de la scène centrale et de la liste unique des intervenants. Ici, le jeu essentiel se menait autour de restrictions de parole plutôt que d’une invitation proportionnée des diverses initiatives sociales et politiques. Comme résultat, des participants de syndicats indépendants, de mouvements sociaux, d’initiatives locales ont été peu ou pas représentés dans la liste finale. A la recherche d’un « équilibre », le comité a mis la gauche à l’écart, pendant qu’au moins trois représentants de l’extrême droite recevaient une place dans la liste et intervenaient sur la scène centrale, le 24 décembre.

Qui constitue alors ce noyau représentant « officiellement » la mobilisation qui cherche à monter une nouvelle alliance politique plus réticente envers la gauche radicale qu’envers l’extrême droite ? Il ne faut pas s’étonner de trouver ici, finalement, l’« opposition libérale ». Une nuance biographique/historique mérite d’être prise en considération pour qualifier politiquement cette fraction. Elle est constituée essentiellement de ceux qui, à l’époque de Eltsine, avaient été élus au Parlement, y compris en qualité de membres des versions antérieures du parti au pouvoir (Ryjkov) et de ministres et Premiers ministres (Nemtsov, Kassianov) du gouvernement. A l’arrivée de Poutine, ils ont été éliminés de la compétition politique légale et, depuis sept ou huit ans, cherchent à y entrer à nouveau, rejoints, depuis environ un an, par d’autres alliés. Parmi eux, les plus visibles sont les porteurs d’initiatives citoyennes qui avaient précédemment attiré l’attention publique des luttes écologistes (comme Evgenia Tchirikova, pour la forêt de Khimki) ou anticorruption (comme le blogueur Alexeï Navalny), et qui ont quitté le sol des revendications spécifiques en faveur d’une critique plus générale du régime politique en Russie. Ces militants, blogueurs et personnalités connues comme Nemtsov, Ryjkov, Tchirikova se sont invités en tant que négociateurs principaux avec la mairie concernant le lieu et les conditions des manifestations. En revanche, ils furent également perçus par le Kremlin comme un groupe d’intérêts essentiel de la mobilisation. Autrement dit, les représentants auto-nommés de la mobilisation sont avant tout ceux reconnus en cette qualité par les autorités. A leur tour, à l’étape suivante, les membres du comité d’organisation ont laissé entrer l’extrême droite sur l’avant-scène du mouvement.

Dans cette ambition de substituer à une mobilisation large une représentation politique rétrécie, le second moment important consiste en un décalage des significations publiquement transmises de la scène centrale par rapport aux significations sociales, politiques, culturelles qui circulent dans le corps de la manifestation. Eu égard au motif commun de la mobilisation, celui de dénoncer les élections frauduleuses, la différence peut sembler subtile. Elle est pourtant décisive et s’aligne sur un clivage entre représentation politique et autoreprésentation stylistique. L’espace de la manifestation fut animé par des dizaines et des centaines de groupes et d’initiatives indépendantes, scandant des slogans largement diffusés par les médias et fabriqués par des gens apolitiques, dans la rue pour la première fois de leur vie, animant des discussions sur les problèmes de l’enseignement et des emprisonnements politiques. On trouvait des personnes utilisant le micro-humain, dont l’idée a été empruntée à Occupy Wall Street (ceux de devant répètent tous les dires de l’orateur pour que ceux de derrière puissent entendre), du thé et de la nourriture végétarienne distribués par des partisans de Food Not Bombs, le tout reposant sur une adhésion symbolique large diffusée grâce à internet, comme l’invitation de porter des rubans blancs faite à tous ceux qui voulaient protester contre la fraude. La majorité des participants de la mobilisation, y compris le public bourgeois, suffisamment cultivés pour s’auto-représenter dans l’instant, se sont opposés assez explicitement à une délégation institutionnelle de leur voix à des leaders.

Il est arrivé à répétition, lors de débats publics pour l’organisation des manifestations, que des membres de ces initiatives spontanées s’adressent directement au comité politique dominant la scène : « Modérez vos ambitions ! Ce n’est pas pour vous qu’on sort dans la rue ! » Une façon de prendre en compte ce caractère anti-institutionnel du mouvement, voire de l’instrumentaliser, a consisté en une insertion abondante, dans la liste des intervenants, des acteurs, téléprésentateurs, chanteurs, écrivains et journalistes connus. Cependant, le décalage a persisté, prédéfini par le modèle favorisant leaders et stars. Une fois sortis sur la scène urbaine, revenus une autre fois encore plus nombreux, les manifestants ont cherché à se réapproprier et à préciser le sens de leur propre activité inédite, surtout pour une perspective plus longue.

Au cas où ce décalage persiste, le public russe qui partage une déception profonde envers tout ce qui incarne la politique institutionnalisée a toutes les chances de se retirer progressivement et d’abandonner l’opposition politique à elle-même, tablant de nouveau sur 300 participants pour les actions de rue. Si la machine de la représentation politique traditionnelle est mise en marche de manière plus astucieuse, elle laissera entrer dans le jeu électoral quelques nouveaux participants, sans exclure l’extrême droite, ce qui changera peu le sens du jeu. C’est finalement l’avertissement de Robert Michels dans sa « loi de fer de l’oligarchie » : indépendamment de la provenance d’une mobilisation, si celle-ci se termine en une délégation du pouvoir, elle se transforme inévitablement en un groupe de chefs équipé d’un appareil tourné vers ses propres buts et intérêts. Il reste à espérer que la commercialisation politique de la montée citoyenne, dans cet hiver russe, ne va pas se passer trop vite, et que cette loi tardera à entrer en vigueur.