Cet article retrace le déroulement d’une enquête sur le harcèlement moral dans un laboratoire de recherche lyonnais. Celle-ci a permis de révéler au grand jour des agissements largement diffusés depuis de longues années, mais jusqu’alors jamais sanctionnés. Nous proposons un retour sur la démarche menée dans le cadre des instances représentatives du personnel, ses succès et ses difficultés.
La question du harcèlement moral au travail connait aujourd’hui une attention importante. Le jugement qui a récemment consacré la qualification de harcèlement moral institutionnel[1] dans le procès France Telecom rappelle que cette affaire est tout autant précurseur que fondamentale dans l’imaginaire collectif autour de la question du harcèlement moral[2]. Notre article propose l’étude d’une situation que nous avons portée en tant que syndicalistes dans notre établissement universitaire, et qui a abouti à la reconnaissance, par notre institution, de situations de harcèlement trop longtemps passées sous silence. Alors que beaucoup de choses ont été faites pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les universités[3], la question du harcèlement moral est encore laissée de côté, malgré des besoins prégnants liés à la dégradation des conditions dans lesquelles s’effectuent l’enseignement et la recherche en France. Il est trop souvent considéré comme un problème interpersonnel et non systémique. Dans un contexte de baisse des financements[4] et de compétition croissante engendrée par une course aux financements créatrice d’instabilité permanente, les violences au travail se multiplient, qu’elles soient sexistes ou non.
Le milieu universitaire est particulièrement concerné par des violences liées à une forte méconnaissance du droit du travail et à la structure des relations professionnelles : souvent, l’entrée dans la carrière dépend de la bonne relation avec un·e responsable de recherche ou de laboratoire, ce qui est un frein au signalement des violences subies. De même, la transformation soudaine d’une relation enseignant/étudiant en une relation entre pairs, crée un terrain propice au harcèlement moral, voire aux violences sexistes et sexuelles[5]. La prise en charge des victimes, « épuisante et défectueuse »[6], encore balbutiante, est peu reconnue et relève du travail gratuit dans le cas des violences sexistes et sexuelles. Dans ce contexte, comment espérer rendre audible le harcèlement moral et la reconnaissance de ses victimes au travail[7] ? Nous proposons ici un retour d’expérience qui peut servir de méthode à la construction d’autres enquêtes et aider à la libération d’une parole trop longtemps passée sous silence[8].
« Ça ne changera jamais » : chronique du mal-être dans le travail de recherche
Entre 2022 et 2023, nous avons réalisé une visite CHSCT/F3SCT[9] d’un laboratoire de recherche en infectiologie. Elle a été menée à l’initiative des représentant·es du personnel de l’ENS de Lyon, et principalement par deux représentant·es du personnel CGT. L’objet de la visite, voté en instance, est une suspicion de situations de harcèlement moral dont nous avions été alertés par des collègues du laboratoires et via un signalement anonyme déposé au sein de la cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de notre établissement[10]. Dès ces alertes, nous avons joué sur la complémentarité entre les ressources syndicales et les outils institutionnels. Lors du premier signalement reçu, qui était celui d’un témoin, l’anonymat n’avait pas pu être levé. Or, ce signalement corroborait des témoignages reçus par la voie du syndicat. C’est pourquoi nous avons collectivement décidé du processus d’une visite de service. En parallèle, au moins deux procédures judiciaires sont en cours, mais leur lenteur et leurs résultats ne présagent pas du traitement administratif de ces situations présumées dans nos établissements. De la même manière, des signalements au Procureur de la république ont été effectués concernant plusieurs situations.
Notre objectif était de mettre au jour ces situations de harcèlement moral présumé, dans un cadre juridique, celui de la visite, qui nous permettait de porter une parole collective et d’aider les collègues victimes à aller témoigner officiellement de ce qui leur arrivait dans le contexte professionnel. Des doctorant·es ou des jeunes chercheur·ses semblaient particulièrement concerné·es par les agissements qui étaient signalés. Par ailleurs, de nombreux signalements, effectués en interne au laboratoire, étaient restés sans suite, laissant des comportements potentiellement délictueux persévérer et être perçus comme normaux et nécessaires, au vu des conditions d’exercice du métier et de la compétition inhérente à ce milieu scientifique. La parole ne sortait donc pas du laboratoire, dont certains responsables recommandaient de ne pas parler à la médecine de prévention ou aux représentants du personnel. Dans ces circonstances, à notre arrivée, on nous a beaucoup dit que les choses ne changeraient jamais et que nos démarches n’aboutiraient à rien : en somme, on faisait face à une certaine désespérance, renforcée par la méconnaissance des outils syndicaux et des procédures de signalement existantes et des droits en matière de travail.
Le laboratoire visité comprend environ 400 agents publics, titulaires et contractuels, des personnels d’enseignement, de recherche, d’accompagnement à la recherche et de services supports. Il s’agit d’un laboratoire de recherche dont les personnels sont employés principalement par quatre établissements publics de l’État : le CNRS, l’Inserm, l’ENS de Lyon et l’Université Lyon 1. Au vu des premiers éléments dont nous disposions, nous avons choisi de nous intéresser tout particulièrement à la situation de 150 agents, répartis sur l’un des cinq sites du laboratoire, dont l’activité est par ailleurs partagée entre de nombreux locaux universitaires et hospitaliers dans la métropole de Lyon.
Le contexte « multi-tutelle » est un véritable enjeu pour l’action syndicale. Les salariés sont tous agents publics, mais ont des employeurs différents et donc des interlocuteurs et des procédures variées en termes de santé au travail. Dans cette situation, le signalement des problèmes est plus difficile car les interlocuteurs compétents sont difficiles à identifier du fait de l’éclatement des sites, des fonctionnements institutionnels différents, de niveaux de formation à l’accompagnement variés. Les dispositifs de signalement des violences au travail n’ont pas tous les mêmes règles : des cellules d’écoute étaient récentes et commençaient seulement à se faire connaitre, les interlocuteurs de ces cellules étaient parfois des membres des services juridiques, d’autre fois des ressources humaines, parfois des interlocuteurs extérieurs. Une méfiance envers les dispositifs était également présente. Concernant l’action syndicale, elle est partiellement entravée puisqu’il faut que les acteurs rencontrent les élus des instances des autres établissements, et il rend nécessaire une coopération entre les élus de ces différentes instances. Enfin, il faut prendre en compte le fait que les enquêtes internes et les sanctions disciplinaires ne peuvent être décidées que par l’employeur de l’agent mis en cause, ce qui rend les choses peu lisibles pour les victimes et pour les personnes qui les accompagnent dans leur démarche[11].
Dans notre cas, nous nous sommes mis en relation rapide avec les élus des CHSCT/F3SCT des autres établissements, qui ont été invités lors des différentes étapes de notre visite. Cela nous a permis d’avoir des leviers pour interpeller les différents employeurs, tout en nous renseignant en parallèle sur les procédures administratives et disciplinaires des autres tutelles. Face à nos constats, celles-ci ont réagi de manières différentes : en particulier, les élus de l’une d’entre elles n’ont pas donné suite à notre sollicitation, ce qui a ensuite rendu plus difficile la sensibilisation de cette administration aux problèmes soulevés par notre enquête.
Avec les autres, la coopération s’est construite par des réunions régulières : en tant qu’initiateurs de la visite du CHSCT, nous menions généralement ces moments de discussion et de partages d’informations. Ceux-ci nous ont permis de construire une stratégie commune en identifiant, à chaque étape, la meilleure manière d’obtenir une réaction de nos administrations. Certains collègues des autres syndicats pouvaient ainsi demander l’inscription du sujet à l’ordre du jour de leurs propres instances, ce qui nous a permis de présenter rapidement nos résultats dans les autres établissements ; mais également émettre des avis appuyant les conclusions du rapport et allant parfois plus loin. Cette coopération a aussi permis un partage des difficultés rencontrées (lorsque les tutelles ne réagissaient pas assez vite) ou des expériences vis-à-vis de nos collègues des autres syndicats. Elle a permis également de pouvoir mieux cerner et comprendre les enjeux des différentes tutelles. Lorsque nous avons enfin présenté notre rapport à l’ensemble du laboratoire, les représentants des différents syndicats étaient présents et nous leur avons laissé la parole afin qu’ils puissent eux aussi être identifiés comme des personnes ressources par les collègues. La coopération mise en œuvre au cours de notre enquête a ainsi permis de renforcer le tissu relationnel syndical, tout en nous rendant plus efficaces dans l’action vis-à-vis de nos employeurs.
Les textes applicables à la fonction publique de l’État prévoient que la visite de service est paritaire : dans notre contexte, la représentante du Président de l’ENS de Lyon était présente pendant la majeure partie de notre travail, et nous avons progressé en bonne intelligence avec elle, sans qu’il n’y ait d’obstacles à notre travail. La représentante de la direction régionale du CNRS a assisté à plusieurs réunions avec le personnel du laboratoire, ce qui lui a permis d’entendre des témoignages extrêmement forts, et d’être directement interpellée par les personnels. Notre enquête a probablement été aidée par ce rapport de confiance : il ne nous a pas été demandé d’atténuer les constats et les préconisations présents dans notre rapport, et le processus de rédaction puis de présentation du rapport a eu lieu dans de bonnes conditions, les directions de l’ENS de Lyon et du CNRS n’ayant pas remis en cause nos conclusions après des échanges constants au vu de la gravité des situations décrites. La présentation de notre rapport devant la direction régionale de l’Inserm s’est avérée plus complexe : nos conclusions ont parfois été remises en cause pendant la discussion, ceci pouvant s’expliquer par l’absence de cette tutelle au cours de notre enquête. En effet, cet institut avait préféré se concentrer sur une démarche CHSCT qui n’impliquait pas les autres tutelles, et concernait seulement l’état d’un bâtiment. Cette situation a représenté une limite à notre action, car l’institut n’entendait pas évoquer les risques socio-organisationnels dans ce cadre. Il est possible également que l’Inserm ait choisi de ne pas se prononcer dans le cadre administratif, préférant ne pas interférer, en raison d’une procédure pénale déjà en cours de leur côté concernant des agents du laboratoire.
Méthode de travail et résultats
Notre travail d’enquête s’est construit en trois temps : tout d’abord, la diffusion d’un questionnaire de pré-visite, dix jours avant la visite dans les locaux et les réunions avec le personnel, nous a permis d’identifier des problèmes majeurs et, par déduction, des situations de violences au travail dans certaines équipes du laboratoire. Le questionnaire traitait des questions très variées, pour aider les collègues à répondre en ne nous focalisant pas seulement sur les questions de harcèlement moral, potentiellement effrayantes[12]. Nous étions prêts pour le deuxième temps : la visite des locaux et les réunions avec le personnel du laboratoire, qui ont eu lieu pendant une journée. Pour faciliter la prise de parole, nous avions réuni les personnels par catégorie : les chercheurs titulaires dans une réunion, les doctorant·es et chercheurs non-titulaires dans une autre, les personnels d’accompagnement à part, tout comme la direction du laboratoire. Dans un climat particulièrement tendu, ces réunions ont mis au jour des situations de travail dégradées, avec un lourd impact sur la santé des collègues. Dans un troisième temps, nous avons proposé, dans les jours qui suivaient notre venue dans les locaux, aux personnes qui le souhaitaient de venir nous rencontrer individuellement.
Lors des réunions collectives, la présence de membres de l’administration est à la fois bénéfique, car elle permet aux tutelles de prendre la mesure des choses, mais elles peuvent être parfois un frein à la liberté de parole. c’est pourquoi les entretiens en plus petit comité, dans un cadre privilégié, sont essentiels et complémentaires. Il est à noter que ce type d’entretiens est souvent refusé par les tutelles : celles-ci n’ayant pas toutes la même « politique » en la matière, nous avons pu les faire accepter. Faire reconnaitre ces entretiens lors des visites de service est crucial. C’est dans ce cadre que des situations de travail très dégradées déjà évoquées succinctement pour certaines lors des réunions collectives, ont pu être portées à notre connaissance plus en détail : par exemple, des doctorant·es se voyaient interdit·es de déposer leurs congés, de manière répétée, et subissaient les pressions répétées d’une personne qui n’était dans aucun organigramme. Un doctorant s’était ainsi vu proposer un arrangement consistant à venir travailler plusieurs week-ends d’affilée pour pouvoir obtenir et compenser deux semaines de vacances en été.
Au total, le questionnaire, les réunions et les entretiens nous ont permis d’échanger avec une centaine de collègues : notre questionnaire a reçu 75 réponses, soit la moitié du périmètre visé, nous avons rencontré une quarantaine de personnes dans les réunions collectives et nous avons réalisé une trentaine d’entretiens individuels (en rencontrant parfois plusieurs fois les mêmes personnes). Nous voulions défendre une approche globale qui donne la parole à toutes et tous, notamment des collègues souvent invisibilisées dans les espaces de discussion collective à l’Université. Au vu de la gravité des problèmes que nous avons rencontrés, seule une telle action permettait de tirer au clair la nature des dysfonctionnements et de trouver des moyens d’y mettre fin : il ne fallait pas seulement aider individuellement les personnes victimes, mais tenter de mettre fin à des problèmes de fonctionnement généraux.
Une fois la visite du laboratoire réalisée, nous sommes entrés dans une phase où nous avons essayé d’utiliser à la fois les outils syndicaux et la voie institutionnelle. Les entretiens réalisés pendant l’enquête ont été une pièce majeure du dispositif que nous avons mis en place pour donner confiance aux collègues que nous avions entendus et les aider à témoigner. Ainsi, en parallèle de la rédaction de notre rapport, nous avons mené un travail de conscientisation et d’orientation auprès des collègues qui étaient venus témoigner auprès de nous. Il s’agissait de les accompagner dans la rédaction de leur témoignage en les informant le plus précisément possible sur les facteurs, les déterminants et les « symptômes » du harcèlement moral. L’objectif était de les aider à définir factuellement ce qu’ils et elles avaient vécu, dans un contexte où nous faisions le constat d’une difficulté à poser les mots sur les agissements subis car ils sont malheureusement très implantés dans notre milieu professionnel.
Nous avons aussi continuellement et inlassablement informé nos collègues, en toute transparence, sur l’avancée de nos démarches, l’utilité, les risques et les limites des procédures administratives et disciplinaires auxquelles notre rapport d’enquête pouvait donner lieu[13]. Ce travail individuel et collectif a permis d’installer un climat de confiance auprès de nos collègues victimes : alors que nous partions d’une situation d’une grande détresse, où le sentiment que rien ne pouvait changer était prégnant, cette prise de conscience progressive était une première victoire pour nous !
Après plusieurs semaines de rédaction, notre rapport a été présenté dans les instances compétentes, et en premier lieu lors de la F3SCT de l’ENS de Lyon. Notre rapport dressait des constats forts sur plusieurs situations de harcèlement moral, une surcharge nette de travail avec des temps de travail peu respectés, ainsi que d’autres constats sur le bâtiment, les espaces de travail et la sécurité dans le laboratoire. Ainsi, nous constations d’importants problèmes d’ergonomie du poste de travail, puisque les bureaux, situés en bout de paillasse dans certains locaux, créaient des problèmes de posture pour nos collègues. Mal ventilés, les locaux étaient par ailleurs particulièrement chauds en été. Enfin, la sécurité était parfois en cause, avec un manque de contrôle d’accès au laboratoire de nuit, plusieurs fois mis en lien avec l’enjeu du respect des horaires de travail.
Parmi les résultats les plus forts issus de notre questionnaire, nous constations tout d’abord un très fort taux de réponse parmi les doctorant·es travaillant dans les locaux de notre établissement. Presque l’ensemble d’entre elles et eux avaient répondu à notre questionnaire : ceci était particulièrement marquant dans la mesure où l’on perçoit parfois les doctorant·es comme éloigné·es et peu concerné·es par l’action syndicale à l’échelle des établissements. Or, notre enquête, en nous intéressant particulièrement à leur situation, a permis de les impliquer dans un processus collectif. Ce taux de réponses très important ne lissait pourtant pas les résultats vers le meilleur : parmi ces collègues, plus de 70% déclaraient sauter leurs repas ou ne pas prendre de pause (contre 54% de l’ensemble des répondant·es) et 57% déclaraient être exposé·es au risque de pression psychologique (contre 31% de l’ensemble des répondant·es). Ces constats étaient mitigés par le taux de répondant·es considérant que l’institution était en mesure de répondre à leurs problèmes, supérieur chez ces collègues par rapport à la moyenne. Ce dernier argument a probablement incité les administrations à se saisir des problèmes.
Les sujets de harcèlement moral n’étaient pas les seuls abordés dans nos préconisations : celles-ci contenaient de nombreux éléments en faveur d’une meilleure prévention du harcèlement, des mesures concrètes pour le respect des congés et des temps de travail, ainsi que des recommandations concernant les locaux. Compte tenu de la gravité de certaines situations, nous avons également pris la décision de préconiser des enquêtes administratives ciblées. Nous avons fait face à la direction du laboratoire dont la réaction, publique dans ce cadre de la présentation en instance, a heurté les autres représentants du personnel, des étudiants et la direction de l’établissement par le déni dont elle faisait preuve.
Nous avons ensuite présenté les résultats au CNRS, à l’Université Lyon 1 et à l’Inserm. Dans ce même temps, le lancement d’une enquête interne pour faire la lumière sur les faits de harcèlement moral a été annoncé par le CNRS, suite à une fuite dans la presse dont nous n’étions pas à l’origine. L’enquête interne a eu lieu au cours de l’automne et de l’hiver 2023-2024 : elle a donné lieu à une suspension temporaire de fonction pour le directeur de la structure, ainsi que plusieurs autres sanctions pour une dizaine de personnels, dont une fermeture d’équipe de recherche dont les personnels ont été affectés dans d’autres équipes ainsi que des interdictions d’encadrement. Les échanges réguliers avec la secrétaire CGT de notre F3SCT ministérielle[14], ainsi qu’avec le maillage d’élus CGT dans les instances CNRS locales et nationales nous ont permis de suivre l’évolution des procédures jusqu’à la prise de décision finale, et de peser collectivement sur le processus. Le fait d’avoir bénéficié d’une formation syndicale solide[15] et d’œuvrer dans un collectif soudé a été essentiel.
La publicité et le collectif dans notre démarche
Les échanges réguliers entre les structures syndicales et le contexte plus institutionnel d’une visite de service durant cette enquête sont, de notre point de vue, un facteur fondamental de notre réussite. Mais celle-ci est aussi due à un autre élément : la publicité des résultats. Nous voulions que notre rapport soit diffusé à ces collègues après l’avoir été à la direction puisqu’il devait être un outil pour tout le monde. Le document a donc été transmis aux collègues par la voie syndicale, et il a été présenté publiquement lors d’une réunion en format d’assemblée générale du laboratoire qui a rassemblé près de 150 personnes.
Nous avons aussi informé par communiqué l’ensemble des collègues de nos établissements sur l’avancée des procédures. Sur la base du travail effectué pendant l’enquête, nous avons réalisé une campagne de prévention sur le harcèlement moral et les humiliations au travail[16], qui a été reprise dans plusieurs universités françaises. Reprenant des phrases-choc issues de situations réellement vécues, ces affiches ont eu un grand écho dans la communauté de notre établissement, montrant que les agissements de harcèlement moral pouvaient concerner tout le monde, des étudiant·es aux personnels Biatss[17], en passant par les enseignant·es-chercheurs·es.
Affiche réalisée dans le cadre de la campagne de prévention de la CGT et des élu·es étudiant·es de l’ENS de Lyon, novembre 2023.
Plusieurs articles de presse ont rendu compte des événements quelques mois après la publication du rapport de visite. Dans l’ensemble, ces modalités de publicisation nous ont permis de mettre la pression pour obtenir des changements et de montrer à nos collègues qu’ils et elles n’étaient pas seul·es. Il s’agissait de montrer que les agissements de harcèlement moral ne sont pas inéluctables dans notre milieu professionnel. Nous souhaitions donner un sens collectif à une démarche qui devait porter des améliorations pour les conditions de travail de toutes et tous, et permettre à l’ensemble des collègues de se saisir de ces problématiques dans leurs collectifs de travail. L’occasion a notamment été saisie lors d’une rare manifestation organisée par des doctorant·es devant notre établissement en février 2024. En somme, l’enquête a permis à la fois de donner confiance aux collègues pour libérer leur parole, et de donner la conscience collective de situations de travail insupportables, en stigmatisant ce qui relevait justement de l’inacceptable. Nous espérons qu’elle puisse servir d’exemple afin que justement, « ça ne finisse pas comme à France Télécom ».
- Décision sur le pourvoi n°22-87.145 de la Cour de Cassation (en ligne : https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2025/01/21/communique-reconnaissance-du-harcelement-moral-institutionnel). ↑
- Voir notamment le numéro de la revue Travailler publié en 2021 sur le sujet : « Le jugement France Télécom : un tournant juridique historique ? » ↑
- On peut notamment citer le travail du CLASCHES, Collectif de lutte antisexiste contre le harcèlement dans l’enseignement supérieur. La circulaire du 9 mars 2018 oblige les établissements d’enseignement supérieur à se doter de dispositifs d’alerte et de signalement contre les violences sexuelles et sexistes. Voir aussi le témoignage publié dans la revue Mouvements en 2023 : « Témoignage : dix ans de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans des grandes écoles », Mouvements, n°113, 2023, p. 94-100. ↑
- Amandine Miallier, « La SCSP par étudiant a diminué de 2,3 % en moyenne entre 2016 et 2022. Le détail par université », AEF Info, 20 novembre 2023 (en ligne : https://www.aefinfo.fr/depeche/702844-la-scsp-par-etudiant-a-diminue-de-23-en-moyenne-entre-2016-et-2022-le-detail-par-universite, consulté le 27 février 2025). ↑
- Voir le rapport détaillé de l’étude « Pressions, silence et résistances » sur les violences sexistes et sexuelles et les discriminations en milieu doctoral en France, réalisée en 2024 par l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur. ↑
- Farah Deruelle et Julie Jarty , « Qui gère les violences sexuelles à l’université ? Coût et pénibilité d’un (autre) travail académique », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 43, no 2, 2 janvier 2025, p. 78-93. ↑
- Cette difficulté est particulièrement présente dans la fonction publique, où la vulnérabilité des agents victimes de harcèlement moral est moins reconnue, comme l’expliquent A.-S. Denolle et F. Gabroy, « Vulnérabilité et harcèlement moral : étude comparée du droit de la fonction publique et du droit du travail », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no 18, 19 novembre 2020, p. 65-72. ↑
- L’ouvrage d’Adèle Combes sur le sujet a rencontré un succès important. Voir Adèle. B. Combes, Comment l’université broie les jeunes chercheurs: précarité, harcèlement, loi du silence, Paris, Éditions Autrement, 2022. Voir aussi Alice Raybaud, « Plagiat, vol, appropriation de thèses… quand les encadrants s’emparent du travail des jeunes chercheurs », Le Monde, 25 janvier 2022. ↑
- Dans la fonction publique d’État, les CHSCT ont disparu le 31 décembre 2022 pour être remplacés par la F3SCT (formation spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail). Notre visite de laboratoire s’est déroulée à cheval sur les années 2022 et 2023. Le cadre de la visite de service est fixé par le décret n°2020-1427, récemment codifié au titre V du livre II du Code de la fonction publique. ↑
- Nous précisons que le dispositif de signalement de l’établissement respecte la confidentialité et la volonté des victimes présumées, aucune décision n’a été prise sans leur consentement. Notre dispositif officiel de signalement et d’écoute, à l’ENS de Lyon, bien que rendu obligatoire depuis la circulaire ministérielle du 9 mars 2018, s’était construit dans la douleur (https://www.liberation.fr/societe/education/a-lens-lyon-aucune-des-agressions-nest-un-accident-20210323_ZR7VUZWFQNEOLPHEWIGIATFCGY/ ; https://www.mediapart.fr/journal/france/240321/violences-sexuelles-l-ens-de-lyon-une-si-laborieuse-et-tardive-prise-de-conscience ; https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/violences-sexuelles-a-l-ens-de-lyon-le-rapport-d-enquete-epingle-la-presidence_4825793.html). ↑
- Cela peut conduire à des situations ubuesques. Un agent travaillant dans les locaux de l’établissement A, mais salarié de l’employeur B, et victime d’un responsable salarié de l’employeur C, peut être accompagné par les représentants du personnel de l’établissement A et par la médecine du travail de B, alors qu’il doit solliciter les procédures disciplinaires des ressources humaines de l’établissement C (avec lesquelles il n’a en temps normal aucune relation professionnelle) lorsqu’il est victime d’agissements de harcèlement. Le signalement relève dès lors d’un parcours du combattant. ↑
- Dans le questionnaire, nous posions ainsi des questions sur la connaissance des interlocuteur·ices compétent·es en santé et sécurité au travail ; ou sur l’organisation des locaux et le confort du bâtiment. En nous intéressant à ces questions plus classiques, nous voulions obtenir un aperçu général des situations de travail, nous permettant à la fois d’aider les collègues à répondre à des questions de divers ordres, et de croiser ensuite les données obtenues. Voir le détail ici : https://cgt.fercsup.net/IMG/pdf/questionnaire_chsct_pour_publication_site.pdf . ↑
- De la même manière, il était essentiel de ne rien entreprendre sans l’accord de nos collègues, et cela fait aussi partie de notre conception du rôle des représentants du personnel. ↑
- À l’échelle du ministère, la F3SCT émet des avis et des préconisations sur les conditions de travail des agents du ministère et des établissements relevant de celui-ci. La représentativité au sein de l’instance est déterminée par les résultats des élections professionnelles à l’échelle de l’ensemble des établissements. ↑
- Les représentant·es du personnel en F3SCT, dans la fonction publique d’État, peuvent bénéficier de cinq jours de formation pour l’exercice de leur mandat, dont trois sont dispensés par l’organisation syndicale de leur choix. ↑
- Voir article de France 3 (https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/harcelement-moral-parmi-les-scientifiques-campagne-de-sensibilisation-a-l-ens-lyon-2876681.html) et page dédiée sur site CGT (https://www.cgt.fercsup.net/syndicats/auvergne-rhone-alpes/ecole-normale-superieure-o-ens-de-lyon/harcelement-moral/article/informations-et-ressources-sur-le-harcelement-moral) . ↑
- Personnels de bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniques, sanitaires et sociaux. ↑