Le Rassemblement national n’est finalement pas parvenu au pouvoir. Alors que nous écrivons ces lignes, au lendemain du second tour des élections législatives, le soulagement prévaut. Si la construction d’une majorité parlementaire est encore incertaine tout comme la possibilité pour le Nouveau front populaire (NFP) d’appliquer son programme, l’horizon d’un pouvoir ouvertement raciste, islamophobe, homophobe et anti-social s’éclaircit pour un temps. La séquence politique du printemps 2024 qui a vu une montée historique de l’extrême droite au point de lui faire franchir les portes du pouvoir invite à une réflexion stratégique de fond. À court terme, si le NFP parvient effectivement au pouvoir, il va se heurter à une opposition frontale des sphères politiques, économiques et médiatiques, ce qui obligera les forces progressistes du pays à poursuivre leur mobilisation massive des dernières semaines. Dans l’histoire, seule une pression de la société et, comme en 1936, une grève générale, sont parvenues à transformer l’exercice du pouvoir d’une gauche de gouvernement en vecteur de transformation sociale effective plutôt qu’en déception collective. Plus profondément, la dynamique du RN, qui compte désormais plus de 10 millions d’électeur·ices, invite à repenser les bases sociales de la gauche, les modalités de son travail militant et plus largement sa stratégie politique. Car, malgré ce succès inespéré qu’il faut célébrer, la gauche de transformation sociale demeure pour le moins fragile, affectée par des années de revers répétés. Dans la rue, les réformes du travail, de l’assurance chômage et des retraites, imposées au forceps malgré des mobilisations massives, témoignent de l’impuissance politique des organisations syndicales et partisanes. Dans les campagnes, les militant·es écologistes qui s’opposent aux projets écocidaires se font réprimer violemment. Certes, en France, des combats locaux montrent que la lutte peut encore payer, comme à Notre-Dame-des-Landes ou au Triangle de Gonesse. Des victoires dans l’espace du travail ont aussi été remportées, qu’on pense aux grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris ou aux ouvrières de l’entrepôt Vertbaudet près de Lille. La vague féministe qui déferle aux quatre coins du monde depuis une dizaine d’années se distingue par son ampleur, son inventivité et ses succès1. Pourtant, le moral des troupes semble au plus bas alors que s’accentue l’urgence à répondre aux menaces démocratiques, sociales et environnementales. Déplacer la focale au-delà des frontières hexagonales n’invite pas à plus d’optimisme, y compris du côté des Amériques, qui constituaient ces dernières années un laboratoire vivant de réinvention des gauches et des imaginaires politiques2. En dépit de leur ampleur historique, les révoltes de masse qui ont secoué de nombreux pays dans les années 2010 (Égypte, Turquie, Brésil, Ukraine, Hong Kong) ont surtout débouché sur l’arrivée au pouvoir de forces politiques autoritaires et réactionnaires3.
Porter un regard lucide sur ces échecs invite à reposer cette question vieille de plus d’un siècle, qui semble plus que jamais d’actualité : « Que faire ? »4. Nous avons tenté d’apporter des éléments de réponse à l’occasion d’un colloque organisé en janvier 2024 à la MSH Paris-Nord5, en partant du postulat suivant : les crises auxquelles nous sommes confronté·es et l’impuissance de la gauche à y répondre ont de multiples causes, mais le capitalisme se distingue en particulier par sa capacité dynamique à « dissoudre dans l’air tout ce qui est solide », pour reprendre une formule de Marx et Engels. Ce système économique et politique organise nos sociétés à travers la propriété privée des moyens de production, la marchandisation et la recherche illimitée du profit, qui opèrent au prix de l’exploitation du travail domestique et salarié, du creusement des inégalités et des oppressions sexistes et racistes, du saccage de l’environnement, de la corruption des institutions publiques et des guerres impérialistes6. Répondre à la question « que faire ? » en s’attaquant de front au capitalisme, dans ses nombreuses recompositions contemporaines (financiarisation, globalisation, plateformisation, etc.), invite à faire converger l’analyse théorique de la cause de bien de nos maux avec la nécessité pratique de la dépasser.
L’anticapitalisme s’inscrit dans une histoire longue et prend des formes aussi variées que le capitalisme lui-même. Depuis la crise de 2008 et l’offensive austéritaire menée par les gouvernements des pays capitalistes avancés, le terme semble connaître un nouveau souffle à l’échelle internationale7. Un nombre croissant de mobilisations s’en réclament en réactualisant ou en élaborant de nouvelles critiques – féministes, écologistes, numériques ou encore décoloniales. Historiquement, l’anticapitalisme n’a pas seulement consisté à s’opposer au système capitaliste, mais aussi à élaborer des alternatives et des stratégies pour y parvenir. Pourtant, l’effervescence actuelle des critiques contraste avec la relative faiblesse des débats sur la « question stratégique »8.
En France, ce débat a été marqué ces dernières années par la traduction de deux ouvrages du regretté Erik Olin Wright : Utopies réelles (2017) et Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle (2020)9. Ce sociologue marxiste y élabore une théorie de la transformation sociale qui prend en compte les forces et les contradictions du capitalisme, ainsi que les dynamiques sociales et stratégiques qui permettent d’envisager son dépassement. Écartant la voie révolutionnaire, il plaide pour une stratégie plurielle visant à éroder plutôt qu’à renverser l’hégémonie capitaliste. Selon lui, cette stratégie d’érosion doit combiner des luttes « par le haut » et « par le bas ». Les premières, qui se jouent au niveau de l’État, visent à domestiquer et à démanteler le capitalisme (en renforçant les services publics, la Sécurité sociale, le droit du travail, la démocratie par le tirage au sort ou encore les budgets participatifs). Les secondes, portées par les mouvements sociaux, cherchent à résister (par la grève, le sabotage, etc.) et à fuir le capitalisme en élaborant dans ses failles des utopies réelles qui s’adossent ou partent de combats féministes, écologistes ou décoloniaux (par les coopératives, les squats ou encore les « zones à défendre », pour reprendre quelques cas étudiés dans ce dossier). Quels rôles les sciences sociales peuvent-elles jouer dans ces mouvements ? Pour Wright, elles n’ont pas uniquement un rôle descriptif ou critique vis-à-vis des systèmes de domination. Elles peuvent également analyser les alternatives en acte qui se déploient à travers le monde afin de nourrir les imaginaires politiques face à la résignation. Par les démarches d’enquête qui leur sont propres, les sciences sociales ont la faculté de contribuer à observer autant qu’à outiller les forces sociales qui s’engagent dans des luttes émancipatrices.
C’est tout l’enjeu de ce numéro. Donner à voir l’état des débats, des idées et des pratiques stratégiques à gauche, pour ne pas en rester au constat des défaites répétées et participer à faire émerger des horizons émancipateurs réalistes et désirables. Bien sûr, l’ampleur des enjeux abordés est considérable. Faut-il encore chercher à prendre le pouvoir malgré les désillusions historiques ? Qui seront les sujets actifs du changement social ? Comment garantir que la lutte anticapitaliste s’articule et s’attaque aux autres structures de pouvoir et de domination que sont notamment le racisme et le patriarcat ? Comment généraliser les alternatives écologiques et sociales qui foisonnent, mais restent marginales dans l’économie mondiale ? Quelles formes les mouvements pourraient-ils prendre pour renouer avec les succès et les lendemains qui chantent ? Ce numéro a moins vocation à trancher ces questions classiques – qui sont loin d’être propres aux stratégies anticapitalistes – qu’à les actualiser, tant il nous semble impérieux de sortir des seules luttes défensives et du constat de notre impuissance collective pour penser d’autres voies de transformation sociale. En posant centralement la question du « que faire ? », on ne considère pas une voie unique pour sortir de l’ornière capitaliste. La mise en débat des différentes options stratégiques gagne à dépasser les cercles d’entre-soi convaincus où elles sont souvent confinées.
Faut-il vraiment chercher à prendre le pouvoir ?
Pour commencer se pose la question de la prise du pouvoir politique. La victoire électorale reste-t-elle un objectif désirable au regard des trahisons et des déceptions historiques des gouvernements de gauche ? Cette question classique est plus que jamais d’actualité. Comme le rappelle ici Ugo Palheta, les expériences historiques des gauches au pouvoir témoignent des difficultés à mettre en œuvre un programme de rupture. Les contraintes sont fortes. Financières d’abord, tant l’expérience grecque nous a enseigné que les institutions néolibérales, de l’Union européenne notamment, ne laisseraient pas faire et que le risque du « mur de l’argent » est toujours présent. Comment se préparer à de telles épreuves dans le contexte français10 ? Les obstacles sont aussi institutionnels. Comment lutter de l’intérieur face à l’opposition des forces réactionnaires de la police, de l’armée ou de la haute fonction publique qui ne manqueront pas de surgir (voir l’article de Raphaël Cos) ? Derrière ces questions, c’est donc le rapport à l’État qui se pose. État que la longue tradition anarchiste et libertaire, réactualisée dans certaines théories écoféministes (voir l’entretien avec Jeanne Burgart Goutal et Aurore Chapon sur notre site), invite à considérer moins comme un instrument dont il faudrait se saisir que comme un obstacle à la transformation sociale, voire un adversaire à démettre. A contrario, la perspective de la planification écologique, défendue par Cédric Durand et Razmig Keucheyan11, ou encore Claire Lejeune dans ce numéro, considère que la prise du pouvoir étatique constitue un horizon indépassable pour répondre aux crises écologiques, quand bien même cela suppose de le démocratiser radicalement par un fédéralisme poussé et des formes d’auto-organisation à la base.
Les expériences latino-américaines des deux dernières décennies illustrent bien ce débat sur l’État. Elles indiquent que la prise de pouvoir par des coalitions de gauche peut être vectrice de justice sociale et d’endiguement de la mainmise du capitalisme sur l’économie. Mais le bilan esquissé par Patrick Guillaudat, Pierre Mouterde et Gonzalo Delamaza est mitigé : dérives autoritaires (Venezuela), personnalisation du pouvoir (Équateur, Bolivie), polarisation de la société et montée en puissance de l’extrême droite (Argentine, Chili). Ici comme ailleurs, les pressions internationales, les organisations financières, les conflits de classe ou encore les tendances autocratiques des dirigeant·es s’accrochant au pouvoir ont fragilisé la portée émancipatrice de ces expériences.
Les prises de pouvoir à l’échelle locale affichent également un bilan en demi-teinte. En Espagne, la victoire des « municipalités du changement » à Barcelone, Madrid ou Cadix en 2015 avait été portée par une forte mobilisation populaire. « Un pied dans les institutions, mille pieds dans les rues » était le slogan de Podemos et des coalitions citoyennes municipales. Celles-ci sont parvenues à protéger certains groupes sociaux marginalisés, à légiférer contre les plateformes capitalistes comme Airbnb, à soutenir des acteurs de l’économie sociale et solidaire, à entreprendre des réformes ambitieuses en matière d’égalité femme-homme, ou encore à instituer des formes de démocratie plus directe (voir l’article d’Héloïse Nez sur le site). Mais elles ont également buté sur d’importantes oppositions pour déployer leur programme de rupture, tout en dévitalisant certains mouvements sociaux qui les ont soutenus (voir l’article de David Hamou). En France, il y a eu des soubresauts à gauche, notamment avec l’élection d’Éric Piolle à Grenoble depuis 2014. Dans l’entretien que nous avons mené avec lui, ce dernier revient sur son bilan, en soulignant que c’est moins le poids des intérêts privés qui a freiné la mise en œuvre de son programme que les contraintes financières limitant les marges de manœuvre des collectivités locales. Il rappelle aussi combien l’élection de représentant·es issu·es du monde militant contribue à assécher la société civile de ses forces vives, témoignant d’une difficile articulation entre prise du pouvoir et contre-pouvoirs. Comme le montre Jasson Perez (sur notre site) à partir du cas états-unien, ces écueils invitent à penser les conditions institutionnelles et matérielles pour garantir le maintien de contre-pouvoirs puissants, afin que l’exercice du pouvoir ne soit pas vain, ce qui impose de leur accorder davantage de place dans la pensée stratégique de la gauche.
Quelles formes d’action collective ?
Les débats sur la conquête du pouvoir d’État (l’exercer ou le contester) et les moyens de sa réalisation (par les urnes ou par la rue) font apparaître une seconde question stratégique centrale qui relève des modalités de mobilisation à même de conduire à une transformation sociale profonde. Quelles formes d’action collective adopter pour lutter efficacement contre le capitalisme, entre mouvements spontanés et organisations pérennes, conflictualité et institutionnalisation, luttes qui font primer la classe sur les autres rapports sociaux et luttes intersectionnelles qui refusent la hiérarchisation des causes, « guerre de mouvement et guerre de position »12 ? Se demander « que faire », c’est aussi se demander comment le faire, avec qui et à quelle échelle13.
En France, des mobilisations récentes se sont faites en marge, voire contre les organisations syndicales et partisanes. De Nuit debout aux Gilets jaunes, en passant par les mobilisations féministes des années 2010 – plus particulièrement celles dans le sillage de #MeToo –, les révoltes urbaines, les Soulèvements de la Terre, ou encore le mouvement des squats (voir l’article de Caroline Douat), la dynamique de « désinstitutionnalisation » des mouvements semble gagner du terrain. Pour certain·es, les organisations instituées entraînent une pacification des luttes du fait de leurs lourdeurs bureaucratiques ou de la défense de leurs intérêts propres, ce qui les conduit à affirmer que les grandes mobilisations sociales ne pourraient plus se faire que de façon insurrectionnelle, par des modalités de mobilisation plus ou moins spontanées14. De fait, la tendance « appelliste », incarnée tant par le Comité invisible que par une galaxie de publications et de collectifs, a connu un succès unique au cours de la décennie écoulée. « L’hypothèse autonome », si elle s’inscrit dans une longue tradition à l’échelle continentale, a connu une actualité particulièrement vive en France ces dernières années15. Elle invite à saisir les luttes émergentes comme des formes organisationnelles souples, articulées à l’expérimentation locale d’autres formes de vie. Stratégie de l’archipel ou du rhizome, il s’agit moins de chercher à prendre le pouvoir d’État qu’à le saper par en bas en instituant ici et maintenant des alternatives qui pourront constituer un réservoir de forces capables d’appuyer les insurrections à venir.
D’autres, à l’inverse, défendent que la mobilisation des opprimé·es et des exploité·es passe nécessairement par la médiation d’organisations collectives : partis, syndicats, associations. Se passer de ces médiations serait prendre le risque d’accroître la marginalisation politique de groupes subalternes (voir l’article de Karel Yon, en ligne). C’est notamment ce que soutiennent Antonio Delfini, Charles Reveillere et Julien Talpin (sur le site) en proposant un syndicalisme radical des quartiers populaires. Mais ces organisations traditionnelles de la lutte politique ne pourront faire l’impasse d’une réinvention, tant les dynamiques sociales contemporaines diffèrent de celles qui ont prévalu à leur apparition à la fin du XIXe siècle, ni d’une réflexivité sur les dynamiques de bureaucratisation. Ce qui les conduit à devoir trancher toute une série de dilemmes stratégiques et organisationnels qu’exposent Manuel Cervera-Marzal et Rémi Lefebvre (sur notre site) à partir du cas de La France insoumise, en particulier pour tenter de combler les fractures qui divisent les classes populaires.
Un des enjeux soulevés par Wright consiste donc à penser la complémentarité des tactiques. Comment les organisations partisanes et syndicales peuvent-elles jouer leur rôle d’éducation populaire et de socialisation politique, sans enrayer les dynamiques plus émergentes issues des mobilisations sociales ? Comment accompagner les moments de crise politique sans les canaliser ? Comment articuler de manière intersectionnelle les luttes centrées autour du rapport capital/travail aux autres luttes antiracistes, féministes ou encore pour le droit des minorités sexuelles ? Quelle place accorder à la violence ? Autant de questions ouvertes qu’aborde l’entretien avec la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet.
En filigrane de ces interrogations, on voit émerger la question des pratiques militantes. Si la réflexion stratégique anticapitaliste s’est longtemps concentrée exclusivement sur le travail productif, façonnant en creux un ethos militant viriliste, Fanny Gallot et Pauline Delage invitent à se saisir d’outils théoriques féministes comme la notion de travail reproductif pour désandrocentrer les modes d’action collective, réinventer la pratique de la grève et reconstruire des imaginaires alternatifs. Ainsi, les enjeux de solidarité apparaissent comme un ingrédient essentiel aux débats stratégiques. Pour construire cette solidarité par-delà les divisions de classe, de race, de genre, de sexualité ou de nationalité, Mie Inouye propose (sur notre site) d’encourager l’endurance sociale des individus, la capacité à participer à des cadres collectifs malgré tout, alors que le capitalisme néolibéral pousse à toujours plus d’atomisation et d’individualisation.
Suffira-t-il d’expérimenter des alternatives ici et maintenant ?
Au regard de l’horizon incertain de la prise du pouvoir et de la conflictualité propre à la lutte politique, de nombreux mouvements favorisent l’expérimentation d’utopies réelles en se nichant dans les failles du système capitaliste, sans attendre son renversement, selon une logique « préfigurative » héritée des luttes des années 1960-1970. Les articles rassemblés dans la troisième section du dossier présentent les cas d’une coopérative associant consommateur·rices et producteur·rices (Arthur Guichoux), du mouvement pour la Sécurité sociale de l’alimentation (Xenophon Tenezakis, en ligne), de projets de communalisme (Sixtine Van Outryve), de la communauté d’Auroville en Inde (Cansu Gurkaya) ou encore d’alternatives aux outils des grandes firmes du capitalisme numérique (Sébastien Shulz). Ces travaux soulignent les limites et les contradictions auxquelles font face ces expérimentations. Mais ces dernières n’en dessinent pas moins la possibilité d’un horizon post-capitaliste nécessaire pour nourrir les imaginaires et armer les luttes quotidiennes. Elles nous invitent à questionner le travail, depuis la redéfinition de sa valeur et de sa division jusqu’à l’effectivité de son organisation démocratique. Elles nous poussent à élargir la focale de l’émancipation du capitalisme au-delà de la seule sphère productive, pour embarquer l’ensemble des enjeux intersectionnels et repenser l’articulation des activités humaines avec le reste du vivant.
Il est souvent reproché aux utopies réelles de constituer des enclaves radicales, mais inoffensives pour le système. D’où la nécessité d’articuler ces stratégies interstitielles, pour reprendre les termes de Wright, avec d’autres stratégies de symbiose et de confrontation (voir l’article Willy Gibard). La montée en puissance des Soulèvements de la Terre démontre l’intérêt de fédérer de manière souple, mais coordonnée, des agriculteur·rices, des militant·es, des syndicalistes ou encore des élu·es pour lutter contre des projets capitalistes écocidaires tout en défendant d’autres modes de vie, de production et de consommation16.
Au final, la complémentarité des stratégies semble se dégager comme l’option la plus viable pour les luttes anticapitalistes en cours et à venir. Le foisonnement des enquêtes et des questionnements qui traversent le dossier témoigne autant de la richesse des perspectives émancipatrices que du chemin à parcourir pour les faire dialoguer. Le colloque suivi de la publication de ce dossier dans Mouvements ne sont qu’une contribution modeste au travail d’articulation à mener, dans la lignée des travaux de Wright.
Les chances de succès restent minces. Les énergies militantes sont limitées face à la puissance du capitalisme financiarisé et du néolibéralisme autoritaire. Mais l’effervescence de formes de vie alternatives, de propriétés partagées, de mobilisations spontanées, de luttes fédérées, la vigueur de la révolution féministe en cours, la persistance des mobilisations syndicales et associatives, la ténacité des médias indépendants, et la synergie de tous ces éléments impulsée par la dynamique du Nouveau front populaire, sont autant de phénomènes qui invitent à l’espoir. Face à l’urgence politique, sociale et environnementale, ces forces devront peser de tout leur poids pour que s’amplifient l’espoir et la confiance et que l’exercice du pouvoir par le NFP ne soit pas vain.
Notes
[1] Pauline Delage et Fanny Gallot, Féminismes dans le monde. 23 récits d’une révolution planétaire, Paris, Textuel, 2020.
[2] « Amérique latine. Capitalismes, résistances et reconfigurations politiques », Mouvements, no 76, 2013 ; « Emancipation in the USA », Mouvements, no 110-111, 2022.
[3] Vincent Bevins, If We Burn. The Mass Protest Decade and the Missing Revolution, New York, Public Affairs, 2023.
[4] Lénine, Que faire ?, Paris, Seuil, 1966. Pour un clin d’œil contemporain à ce questionnement, voir l’ouvrage de Ludivine Bantigny, Que faire ?, Paris, 10/18, 2023.
[5] Pour le programme complet, voir https://calenda.org/1128798.
[6] Nancy Fraser, Cannibal Capitalism. How Our System Is Devouring Democracy, Care and the Planet – and What We Can Do About It, Londres/New York, Verso, 2022.
[7] Marcos Ancelovici, Pascale Dufour et Héloïse Nez (dir.), Street Politics in the Age of Austerity. From the Indignados to Occupy, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2016.
[8] Daniel Bensaïd, La politique comme art stratégique, Paris, Syllepse, 2011.
[9] Erik Olin Wright, Utopies réelles, Paris, La Découverte, 2017 et Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2020.
[10] Renaud Lambert et Sylvain Leder, « Face aux marchés, le scénario d’un bras de fer », Le Monde diplomatique, octobre 2018, p. 10-11.
[11] Voir Cédric Durand et Razmig Keucheyan, Comment bifurquer ? Les principes de la planification écologique, Paris, La Découverte, 2024.
[12] Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position, Paris, La Fabrique, 2012.
[13] Parmi les numéros récemment publiés par Mouvements sur ces questions, voir par exemple les numéros « Syndicalisme transnational » (2018), « Réinventer la lutte contre la finance » (2019) et « Grèves générales » (2020).
[14] Argument avancé dès les années 1970 par Francis Piven et Richard Cloward dans Poor People’s Movements. Why They Succeed, How They Fail, New York, Pantheon Books, 1977, voir plus récemment Philippe Poutou, « Mais que faut-il faire pour gagner ? », Le Monde diplomatique, avril 2024.
[15] Julien Allavena, L’hypothèse autonome, Paris, Amsterdam, 2020.
[16] https://www.contretemps.eu/soulevements-terre-entretien-ecologie-bassines-sainte-soline/.