“Les Polonaises voyagent en Allemagne pour avorter dans des conditions acceptables, car l’interruption volontaire de grossesse est dans leur pays non seulement un pêché, mais aussi un crime.” En Pologne, l’extrême droite au pouvoir s’attaque aux droits des femmes. Dans cet article très bien documenté, le constat est sévère : le carcan religieux s’abat sur le pays. Heureusement, des femmes lucides comme Wanda Nowicka qui co-signe ce texte, de la fédération du droit des femmes et du planning familiale, ne baissent pas les bras et mène le combat. 

En Europe Centrale, parmi tous les débats médicaux, la question de la procréation humaine est sans doute celle qui suscite les plus de conflits indépassables, fondés sur des Weltanschauungen, des visions du monde, différentes. L’absence d’une vision politique forte concernant une gestion cohérente, par le système de santé publique, des problèmes tels que la contraception, la fécondation in vitro, le diagnostic préimplantatoire ou l’avortement, fait que ces champs sont laissés à l’abandon, et les seules règles qui les gouvernent sont celles du marché libre, encouragé par la facilité de communication (internet) et de déplacement.

Car santé procréative est un domaine médical exceptionnel : contrairement à d’autres champs de la politique médicale, l’accessibilité des services ne dépend pas ici des capacités techniques de la médecine ni des capacités économiques des systèmes publics de la santé. Les services de santé qui concernent la procréation et la fécondité sont régis par des lois distinctes, et l’objectif de ces lois n’est généralement celui d’améliorer la qualité et l’accessibilité de ces services, mais celui de les limiter. Cela concerne notamment la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse en Pologne (en vigueur depuis 1993)  – où l’avortement est autorisé dans un nombre limité de cas (viol, danger pour la vie de la mère ou malformation du fœtus) dont le fondement est le système de valeurs des pouvoirs politiques en place, et ces derniers ne sont guère guidés par le désir d’améliorer la santé de la population, mais par des questions idéologiques, ou même religieuses.

Nous aimerions parler ici de l’évolution paradoxale de ces questions en Pologne et en Allemagne, pays parmi lesquels des échanges inattendus se sont installés. Il s’agira d’abord d’évoquer la situation polonaise, marquée par des pressions idéologiques de l’Église catholique en particulier, où notamment l’interdiction de l’avortement provoque des voyages médicaux contraints vers l’Allemagne, la Slovaquie et la République Tchèque. Ensuite, nous parlerons de la législation allemande particulièrement sévère en ce qui concerne l’aide médicale à la procréation, qui pousse les femmes à se rendre en Pologne notamment, cette fois-ci pour y concevoir leurs enfants avec un risque de défauts génétiques moindre que ceux qu’elles courent avec les procédures autorisées dans leur pays. Les Allemandes voyagent en Pologne (et ailleurs en Europe de l’Est) pour échapper aux interdits liés au choix des embryons, jugé eugénique dans leur pays. Les Polonaises voyagent en Allemagne pour avorter dans des conditions acceptables, car l’interruption volontaire de grossesse est dans leur pays non seulement un pêché, mais aussi un crime. L’économie derrière ces échanges de services profite des tabous juridiques, et rend impossible le contrôle de qualité réel des services proposés par des cliniques privées dans les deux pays. Nous terminerons par une réflexion sur les perspectives plus générales relatives au développement volontariste et fort de la santé publique en Pologne et en Europe de l’Est en général.

L’État et la procréation assistée en Pologne

La situation juridique en Pologne a été marquée par deux événements. D’abord, en 1993, l’interdiction de l’avortement, suite aux années de lobbying des partis proches de l’Église. Cette loi n’autorise l’interruption de la grossesse que dans le cas du danger pour la vie ou la santé de la mère, de la malformation fœtale grave ou si elle a été provoquée par un viol. Ensuite, en 2015, une loi qui encadre le traitement de l’infertilité. Entre 1993 et 2015, et cela de façon paradoxale, car dans le contexte de l’interdiction de l’avortement, l’aide médicale à la procréation était parfaitement hors la loi, donc tout était de facto autorisé, notamment les pratiques qui, aux yeux du législateur français ou allemand, sont interprétées comme eugéniques (le diagnostic préimplantatoire pour détecter un nombre de maladies potentielles). Dans cette période, les Polonaises pouvaient profiter des services des cliniques privées de plus en plus nombreuses et performantes, mais elles devaient les financer elles-mêmes (sauf dans les années 2013-2016, quand un programme national de remboursement a été instauré).

La procréation médicalement assistée, et en particulier la fécondation in vitro sont en Pologne autorisées mais très peu soutenues par le secteur public. De façon traditionnelle, le catholicisme s’est toujours opposé à la procédure in vitro, et le catholicisme politique en Pologne dit aujourd’hui, par la bouche de ses ministres successifs de la santé notamment, qu’elle est mauvaise. La délégalisation simple n’aurait pas été possible pour autant, malgré un discours d’hostilité extrême à son égard : l’aide médicale à la procréation jouit d’un soutien social sans ambigüité – depuis 1995, ce soutien oscille entre 60 et 80% (étude du CBOS, 96/2015). Elle est néanmoins marginalisée dans les politiques publiques, et ce ne sont que les personnes les plus aisées qui peuvent se permettre d’y recourir. Même elles vont rester discrètes, car la propagande menée contre cet acte de « rupture avec l’ordre naturel » fait qu’il est devenu embarrassant.

Dans ce contexte des non-dits officiels, nombreuses cliniques privées invitent les clientes polonaises et étrangères pour profiter de l’aide médicale à la procréation in vitro, au sein d’un État tantôt désengagé, tantôt hostile. La régulation est laissée de ce fait entre les mains invisibles du marché des cliniques privées et des administrations régionales. Les décisions de ces dernières sont influencées, sans surprise, par des forces politiques locales et de ce fait diffèrent d’une région à une autre. Cette absence d’engagement n’est pas exclusivement due au gouvernement du parti catholique Droit et Justice, en place depuis 2015. De fait, les gouvernements précédents (de Plateforme Civique notamment), face à l’opposition conservative à la fécondation in vitro, retardaient toute régulation définitive de cette procédure, ce qui a fait de la Pologne un pays dont le secteur privé n’était, jusqu’à la loi votée en 2015 (une des dernières lois de l’équipe précédente), nullement limité dans ses pratiques – ni éthiquement, ni juridiquement.

Pour répondre au problème de l’infécondité, les conservateurs ont développé une politique nataliste en mettant en œuvre des techniques qui jusqu’à présent étaient promues depuis plusieurs années par l’Église catholique. Au lieu de subventionner les procédures qui correspondent au savoir actuel et aux bonnes pratiques (la fécondation in vitro), ils ont investi dans la « naprotechnologie » (Natural Procreative Technology, procréation naturelle médicalement assistée, NPT). Il s’agit d’une approche en grande partie triviale dans ses postulats (« il faut vivre sainement pour augmenter ses chances de grossesse »)1, qui propose une stratégie visant à optimiser les conditions physiologiques de la conception in vivo. Aucune information au sujet de cette « technique » n’est disponible dans les dossiers de l’OMS. Comparée aux traitements impliquant la fécondation in vitro, la NPT est simplement inefficace, et son seul avantage est son respect de la « naturalité » de la conception, et donc aussi le fait de ne pas créer d’embryons potentiellement inutilisables.

Le programme national de naprotechnologie a été mis en œuvre par le Ministère de la Santé en 2016. Son bilan est désastreux. Selon le communiqué d’octobre 2018, 1300 couples ont manifesté leur volonté de profiter du programme, 1289 ont été acceptés, et 70 enfants sont nés en conséquence, ce qui fait que le programme se caractérise de 5% de réussites2 (l’efficacité est calculée en comparant le nombre de grossesses et des transferts d’embryon). Quant au programme de remboursement des procédures de fécondation in vitro mis en œuvre par l’équipe précédente dans les années 2013-2016, les résultats sont sans surprise plus probants. Sur 31 735 transferts d’embryons vers l’utérus, on a obtenu 10 035 grossesses (efficacité de 32%), et, finalement, 8395 enfants. Les hôpitaux publics ont été mis devant un choix impossible : soit vous allez proposer les traitements NPT, soit nous allons limiter vos ressources. Les moyens budgétaires alloués à la NPT, avec l’inefficacité qui la caractérise, c’est de l’argent dépensé pour rien, sinon pour donner un semblant d’assise scientifique à une procédure en l’introduisant dans le cadre hospitalier. A cela s’ajout le coût social pour les femmes. Celles qui, après jusqu’à deux ans du traitement par la NPT, souhaitent tenter la fécondation in vitro, voient leurs chances de grossesse diminuée (par leur âge).

Les Polonaises ne croient pas en naprotechnologie (les chiffres supra montrent que le nombre d’applications était bien moindre que pour celles au programme proposant la fécondation in vitro), et se tournent vers le secteur privé. La promesse d’accès égal aux services se la santé n’est donc pas tenue dans le contexte de la procréation.

 

Le désert contraceptif en Pologne

Étant donné l’inefficacité de la NPT, l’État polonais – dans sa politique pro-nataliste – semble compter sur l’absence de contraception. Selon les données de l’organisation contraceptioninfo.eu de février 2019, qui reflètent les mesures gouvernementales concernant l’accès à la contraception remboursée par la sécurité sociale, l’existence du planning familial et celle des services publics expliquant les méthodes disponibles, la situation de la Pologne est aujourd’hui la moins bonne en Europe.

Concernant l’accès à la contraception, très peu d’information à ce sujet sont disponibles sur des sites internet gouvernementaux, le planning familial est quasi inexistant, et les médecins peuvent refuser de prescrire le traitement en profitant de la clause de conscience. La clause de conscience peut être également mobilisée par le médecin quand il refuse de prescrire à sa patiente un examen prénatal. Le remboursement ne concerne en Pologne que deux types de pilules contraceptives, il va donc de soi que la plupart parmi celles qui veulent les utiliser doivent les payer elles-mêmes.

La pilule du lendemain de nouvelle génération EllaOne (qui empêche la fécondation, à la base de l’acétate d’ulipristal), a été disponible sans ordonnance depuis sa mise sur le marché dans l’Union Européenne en 2015. Le ministère de la santé polonais a décidé de la mettre parmi les médicaments disponibles uniquement sur prescription médicale. L’opinion publique polonaise était divisée à ce sujet, selon le sondage publié par une agence de recherches publique (CBOS, 27/2015) : la moitié de celles et ceux qui avaient une opinion sur la question soutenaient la décision du ministère, et l’autre moitié – y était opposée. Le même sondage montre que les Polonais.e.s ont peur que faciliter l’accès à la pilule du lendemain a pour conséquence la propagation des mœurs légères et des relations intimes sans responsabilité (57%), incite les jeunes à l’initiation sexuelle précoce (56%), augmentera la popularité de cette méthode de contraception (67%) et va en faire la méthode principale de contraception (65%). L’esprit de ces réponses reflète assez fortement les thèses de l’ancien ministre Konstanty Radziwiłł, qui dans les interviews soutenait que les jeunes Polonaises avalent les pilules comme des bonbons, en ajoutant qu’il s’agit d’une pilule qui provoque l’avortement (ce qui n’est pas le cas).

En novembre 2016 (selon une étude menée par l’agence Millward Brown), la pilule a été disponible dans seulement 39% de pharmacies polonaises – les Polonaises de moins de 18 ans ne sont que 2% parmi celles et ceux qui l’achètent. Aujourd’hui, après l’imposition effective de l’ordonnance en 2017, l’accès à la pilule est devenu extrêmement difficile. La patiente peut aller dans une clinique publique locale, le lendemain, et tenter sa chance avec un gynécologue – sachant que souvent, il faut s’inscrire plusieurs semaines en avance pour avoir une visite. Si elle parvient à trouver un médecin prêt à l’accueillir dans la journée, il s’agira d’une visite non remboursable (dont le coût peut aller jusqu’à l’équivalent de 35 euros, comme dans un cas récemment médiatisé3). La solution par défaut devient alors celle des ONG, comme « Lekarze Kobietom » (Médecins au service des femmes).

Ces difficultés récentes, tout comme les discussions autour du fonctionnement réel de la pilule (qui empêche la fécondation et ne provoque nullement d’avortement précoce), ont fini par modifier l’opinion publique. Ainsi, selon la même agence Millward Brown (en septembre 2018), 63% des Polonais.e.s pensent aujourd’hui que le médicament devrait être librement disponible en pharmacie.

Entre l’Allemagne et la Pologne : les échanges improbables

Les interdits de la conception en Allemagne

En Allemagne, aussi bien concernant la pratique clinique que la recherche, la législation relative aux questions biomédicales est sans surprise marquée par la crainte des dérives bien connues de l’histoire de ce pays. Depuis 1990, la loi relative à la protection des embryons (Embryonenschutzgesetz) interdisait par son esprit (bien que guère par sa lettre) le diagnostic préimplantatoire des embryons conçus in vitro. La situation effective était celle d’un vide juridique et d’une présomption de l’interdiction. Toutefois, étant donné que le pays tente de repenser son rapport à la génétique humaine depuis plusieurs années, l’Allemagne voulait rester compétitive face aux développements législatifs dans d’autres pays, et ne plus être prisonnière des « prohibitions fondamentales ». En conséquence, et après la consultation du Comité Ethique Allemand, le Embryonenschutzgesetz a été amendé en 2011. Depuis sa mise en œuvre en 2014, DPI peut être effectué si les parents sont prédisposés à une maladie génétique grave : les demandes doivent être approuvées par un comité d’éthique et les couples sont tenus de suivre des consultations. Cette ouverture est considérée comme une exception à la loi de 1990, et non pas comme sa modification, ce qui fait que les autorisations sont rares, et difficiles à obtenir. L’État allemand continue à vouloir empêcher tout soupçon d’eugénisme qui pourrait peser sur les procédures médicales permises par son système de santé.

Dans ce contexte législatif qui évolue, il existe une forte demande des Allemand.e.s en ce qui concerne les possibilités de la sélection des embryons de façon à éviter les anomalies génétiques, de l’insémination avec le donneur de sperme indiqué, le don d’ovocytes. Cette demande est depuis des années remplie par les cliniques espagnoles, tchèques, slovaques et polonaises. Le cas de la Pologne est particulièrement intéressant, car il témoigne d’un mélange cynique de liberté économique et d’un carcan idéologique, cette apparente contradiction y est poussée à ses limites.

Depuis l’apparition du marché de cliniques privées offrant les services autour de la procréation médicalement assistée en Pologne à la fin des années 1990, ce pays est devenu pour les Allemandes un paradis des enfants conçus artificiellement. A Szczecin par exemple, une ville au nord de la Pologne proche de la frontière allemande, un tiers des patients dans une des cliniques travaillant sur l’insémination artificielle étaient allemands (en 20154). Il ne s’agit pas toujours du DPI, mais parfois aussi de l’insémination artificielle avec le donneur de sperme (jusqu’en 2017, cela était clairement interdit en Allemagne). Parfois aussi, il s’agit d’une fécondation in vitro classique, mais avec l’utilisation des embryons congelés – de nouveau, procédure interdite en Allemagne, et pourtant très commode pour des femmes de plus de 40 ans. Enfin, il peut s’agir d’une fécondation in vitro à partir des ovocytes issus d’un don (contre un dédommagement), ce dernier étant également impossible en Allemagne.

Les interdits procréatifs en Allemagne font que ce sont les femmes allemandes qui paient effectivement pour la culpabilité face à l’histoire, hantée par l’ombre du docteur nazi Josef Mengele célèbre pour ses recherches en génétique eugéniste. Elles le paient littéralement, quand elles se tournent vers les cliniques privées qui offrent l’assistance médicale à la procréation beaucoup moins efficaces (à cause des limitations imposées par la loi5). Elles le paient littéralement et métaphoriquement en choisissant de partir à l’étranger, rester quelques semaines dans un pays dont elles ne connaissent pas la langue, et ne pouvant donc pas faire suivre leur grossesse par le même médecin.

Les interdits de l’interruption en Pologne

Les Polonaises, évidemment, avortent. Culpabilisées par le discours officiel, elles le font soit illégalement, soit à l’étranger. Pendant des années, l’avortement semble avoir être réellement rejeté par l’écrasante majorité de Polonais.e.s, si l’on croit aux sondages. En mars 2016, l’avortement devait être « légalement autorisée » dans le cas de la détresse matérielle pour 14% d’interrogé.e.s, de la détresse personnelle pour 13%, et 13% aussi pensaient que la femme pouvait simplement ne pas vouloir d’enfant (CBOS 71/2016). On doit y voir le succès de la propagande de l’Église catholique et du catholicisme politique qui dépasse la communauté de croyant.e.s et qui devient un paradigme. En 1992 par exemple, les difficultés matérielles étaient une raison suffisante pour l’avortement aux yeux de 45% des enquêté.e.s, et en 2002 et en 2005, 28% soutenaient l’avortement pour celles qui « ne voulaient pas d’enfant » (CBOS, 100/2010). Toutefois, après les protestations récentes massives contre le projet de loi introduisant des restrictions supplémentaires à l’avortement (en 2016-2017), les statistiques ont évolué : on note alors 69% de soutien pour l’IVG jusqu’à la 12e semaine de la grossesse6.

Plusieurs dizaines de milliers d’IVGs sont réalisées en Pologne même, de façon clandestine, dans des cabinets privés – tous les ans, il n’y a que quelques centaines d’avortement légaux qui sont autorisés. Les cliniques privées publient des annonces qui promettent, par exemple, « le retour des règles », mot-code pour l’avortement. Mais celles qui ont peur des conséquences éventuelles d’illégalité (associée à un prix exorbitant, 1200-2500 euros) vont choisir de partir à l’étranger (400-500 euros). Il est impossible d’avoir des données exactes, et les estimations varient. En 2010, on évaluait le nombre total d’avortements à étant de 80 000 à 200 000, dont 15% seraient effectuées à l’étranger.

Depuis plusieurs décennies, l’Europe a vu naître en son sein des voyages contraints à la recherche de l’avortement : les pays plus libéraux accueillaient les femmes des pays où l’avortement devait se faire dans des conditions clandestines, donc infiniment plus risquées. La Pologne même accueillait des femmes de Belgique de et Suède notamment déjà dans les années 1960. Le Royaume Uni, grâce à l’autorisation de l’avortement en 1967, accueillait les Françaises jusqu’en 1975, et les Allemandes jusqu’en 1993. Il accueille aujourd’hui les Polonaises qui profitent ainsi de la famille qui y habite (depuis 2004, env. 2 millions de Polonais.e.s ont choisi de vivre dans ce pays, de façon aussi bien passagère que définitive). En 2010, la directrice de British Pregnancy Advisory Ann Furedi Service disait à Varsovie qu’un tiers de ses interlocutrices étaient Polonaises, et que « récemment, la police polonaise a téléphoné à notre clinique et a exigé de recevoir des informations sur des patientes polonaises qui ont eu un avortement »7.

Mais la destination préférée pour les voyages à la recherche de l’IVG, c’est l’Allemagne. A Berlin, il existe un réseau d’information et d’aide gratuit destiné aux Polonaises qui cherchent à avorter, maintenu par des militant.e.s, « Ciocia Basia » (Tante Basia). Des médecins polonais.e.s travaillent dans des cliniques allemandes et sont également prêt.e.s à aider celles qui se trouvent dans la situation sans issue, dont la figure pionnière du mouvement, docteur Janusz Rudzinski.

Conclusion

Le contexte de la reproduction illustre l’un des paradoxes du néolibéralisme – l’individu est censé être capable de régenter sa vie de façon tout à fait autonome, sauf dans un domaine : celui qui concerne la religion et ses conséquences dans la vie de la cité (aussi bien la Pologne que les Etats-Unis illustrent cette attitude). Et comme pour le christianisme les questions reproductives sont centrales, car liées au début de la vie, elles sont particulièrement régulées. Ceux et celles qui souhaitent agir de façon non conforme à ce système de valeurs se mettent sur les marges de l’État, et ne peuvent pas compter sur son aide. Cette dépendance de la loi des stratégies électorales et des personnes au pouvoir accroit le sentiment d’insécurité. Le sentiment d’insécurité sociale et économique qui, de nouveau, est le point-clé d’une certaine vision de la politique.

Les idéologies qui pèsent sur la politique de la santé en Pologne et en Allemagne ont deux conséquences majeures. La première : celle de cibler les femmes – et même si ce sont les couples qui en souffrent, il s’agit toujours de l’interdit posé sur le corps et le comportement de la femme. La seconde : l’accroissement des inégalités dans l’accès aux services de la santé reproductive par leur relégation au marché libre.

1 Barbara Dolińska, « Naprotechnologia – przekłamanie czy nieporozumienie? », Nauka, 1, 2011, p. 115135.

2 Karolina Nowakowska, « Tak PiS wspiera prokreację. Z rządowego programu – 70 dzieci », Gazeta Prawna, 15 octobre 2018.

3 Anton Ambroziak, « “Nie pomogę Pani”, “Najbliższy termin za pięć miesięcy”, czyli dostęp do tabletki “dzień po” w Polsce », oko.press, 17 février 2019.

4 Anja Schrum et Ernst-Ludwig von Aster, « Glaubenskampf in Polen – Der Streit um die künstliche Befruchtung », Deutschlandfunk Kultur, février 2015.

5 Marion Kraske et Udo Ludwig, « Die Babygrenze », Der Spiegel, 46, 14 novembre 2005, p.

6 Magdalena Chrzczonowicz, « Aż 69 proc. Polek i Polaków za prawem kobiety do przerwania ciąży do 12 tygodnia – najnowszy sondaż », oko.press, 27 septembre 2018.

7 « Polki wykonują do 200 tys. aborcji rocznie, 15 proc. za granicą », Gazeta Wyborcza, sierpnia 2010.