Les agressions contre les militants sociaux, écologistes, syndicaux et antifascistes se multiplient depuis plusieurs mois, et le 19 janvier Stanislav Markelov, avocat et militant de gauche des causes sociales, et Anastasia Babourova, journaliste et anarchiste ont été assassinés. Carine Clément replace ces assassinats dans la longue liste des exactions contre les militants et Mouvement reproduit l’appel pour un rassemblement pour les droits et libertés en Russie. 

Les précédents : « Le jeudi noir »

13 novembre 2008, 11h : agression contre Carine Clément, sociologue, directeur de l’Institut indépendant de l’Action collective, engagée dans le réseau « Union des soviets de Coordination de Russie » et dans les luttes concernant le droit au logement. Alors qu’elle se rendait à une réunion publique de mouvements de gauche moscovites, deux jeunes hommes lui ont planté une seringue dans la cuisse. C’est la troisième agression contre Carine Clément en deux semaines, à compter du 24 octobre, à la veille de l’action interrégionale « Journée de la colère » qui a vu participer à une journée de solidarité sur les droits sociaux des mouvements d’une quarantaine de villes de Russie. Depuis 2005 Carine soutient activement, en tant que sociologue et militante, le développement des initiatives sociales, citoyennes et syndicales indépendantes.

13 novembre, tôt le matin, est retrouvé dans la cour de son immeuble le corps criblé de coups de Mikhail Beketov, rédacteur en chef du journal « Kimkinskaïa Pravda » et militant du mouvement pour la sauvegarde de la forêt de Khimki (région de Moscou). A l’hôpital au service de réanimation, il est entre la vie et la mort. Il mène depuis deux ans, avec ses camarades du mouvement, le combat contre la destruction de la forêt et les constructions immobilières spéculatives, ainsi que contre la corruption du pouvoir local.

13 novembre, 18.45, tentative d’agression contre le leader du mouvement des petits propriétaires terriens arnaqués de la banlieue de Moscou, Sergueï Fedotov. Il est attaqué par deux jeunes gens avec des battes de baseball. Il réussit à s’enfuir dans sa voiture. Depuis 5 ans, les militants de ce mouvement mène la lutte pour rétablir leur droit à la propriété des terrains qui leur ont été volés à la suite de privatisations frauduleuses.

Dans la nuit du 13 au 14 novembre, à 1h du matin, Alexeï Etmanov, président du syndicat indépendant de l’usine Ford de la région de Saint-Pétersbourg est attaqué pour la seconde fois en l’espace d’une semaine. Préparé à une éventuelle agression et avec l’aide des camarades du syndicat qui l’escortaient, il réussi à parer l’attaque (à la barre de fer) et à arrêter l’un des agresseurs, qui est livré à la police. Alexeï est connu pour avoir été l’un des fondateurs du nouveau syndicat de Ford qui s’est illustré par la grève la plus longue et massive de l’histoire récente de la Russie, en novembre-décembre 2007.

Qui a osé ?

Les faits étaient choquants en novembre, ils deviennent insupportables après le double assassinat de Stas et Nastia. Aussi les mobilisations et les actions de commémoration se sont-elles multipliées depuis ces derniers jours dans presque toutes les grandes villes de Russie. Car Stas et Nastia étaient connus et respectés dans de nombreux réseaux. Car ils militaient aux côtés des gens, là où ceux-ci se battaient pour leurs droits et leur dignité. Leur assassinat sonne comme un acte de terreur contre les mouvements sociaux émergeants aujourd’hui en Russie. L’émoi et l’indignation ne restent pas cantonnés aux cercles intellectuels ou de défense des droits de l’homme. L’évènement sonne comme une déclaration de guerre à tous ceux qui osent lutter et redresser la tête, à tous ceux qui seraient susceptibles de déstabiliser les situations acquises, de menacer les potentats, gros ou petits, qui sont pris de panique en ces temps de crise économique.
Qui a osé commanditer de tels crimes ? Ce cri retentit dans les manifestations. Il n’y a pas de réponse, et il n’y en aura sans doute jamais, si l’on en juge par l’absence de résultats des enquêtes menées sur les crimes précédents.

Mais ce qui est sûr, c’est que ces crimes interviennent dans une longue suite d’agressions qui témoignent depuis plusieurs mois d’une tendance à l’utilisation de méthodes banditistes, voire criminelles, pour régler les conflits sociaux. Des centaines de militants, plus ou moins anonymes, des causes du logement, du travail, de l’anti-corruption, de l’écologie, du droit à la terre ont été touchés par ces méthodes, dans la plupart des régions de Russie.

Or ce ne sont pas des opposants au régime, ni même, pour la plupart, des militants politiques, mais des citoyens qui ont pris le chemin du militantisme au nom du rétablissement de l’équité et de l’égalité de tous devant la loi, au nom de la dignité de soi et de la défense de droits collectifs violés. Les puissances de l’argent et du pouvoir contre lesquelles ils se battent en viennent aux mains. Cela signifie que la vague montante des résistances ne peut plus être contenue par la seule justice corrompue, l’usage partial de la loi ou le discrédit dans les médias. Cela indique également le degré de déliquescence du système russe, hypercentralisé, sans contre-pouvoirs réels, sans possibilité de réel contrôle citoyen, dévoré par une corruption massive, où le « tout est permis » (re)devient la règle.

Une pétition, intitulée « Arrêter la terreur contre les militants sociaux ! » et signée par des centaines d’associations, syndicats, groupes d’intiatives et mouvements de régions différentes de Russie, sonne parfaitement juste :
« Ce n’est pas une coïncidence, mais une tendance évidente : contre les citoyens en train de se mobiliser, qui essaient de rétablir la justice et de défendre leurs droits légaux, est de plus en plus utilisée la force brutale. A court d’arguments, les puissances contre lesquelles ils se battent ont recours au banditisme. Certes, les commanditaires sont différents dans chaque situation, mais la tendance actuelle montre qu’en Russie sont réunies aujourd’hui des conditions idéales pour le développement ultérieur de ce type d’usage sauvage du « dialogue social ». C’est le règne de la non-loi, l’absence de toute responsabilisation pour violation de la loi par les personnes au/ou proche du pouvoir, la corruption massive, l’hypercentralisation du pouvoir sans aucun contrôle « d’en bas ». La plupart des ces affaires « politiques » ne font pas l’objet d’une réelle enquête, les responsables ne sont pas identifiés, ce qui donnent aux agresseurs le sentiment d’impunité et ne fait que provoquer de nouveaux actes de banditisme contre les militants.

Nous disons : ça suffit !
Nous exigeons des enquêtes soignées et efficaces concernant tous les faits d’agressions contre des militants sociaux. Le regroupement de tous ces faits dans une catégorie particulière, la mise en place d’une unité spéciale au sein du Ministère de l’Intérieur pour l’investigation de ces cas, ainsi que la garantie d’une information large de l’opinion publique sur le cours de l’enquête.
Nous exigeons que les agresseurs soient condamnés et subissent les peines prévues par la loi, quel que soit le degré de pouvoir de leurs protecteurs.
Nous déclarons que la violence et la terreur ne nous font pas peur, nous continuerons notre lutte pour les droits sociaux des citoyens du pays.
Nous nous adressons au pouvoir d’Etat qui se positionne comme le garant de « l’ordre public » pour le sommer de faire respecter cet « ordre public » y compris par les personnes de pouvoir. Parce que pour le moment nous assistons surtout aux arrestations de grands-mères et jeunes militants lors de réunions de quartier, de rassemblements ou de grèves, alors que nous n’entendons presque pas parler de l’arrestation de gouvernants corrompus ou d’employeurs arbitraires. A bas la politique du deux poids, deux mesures !
Dans cette situation nous affirmons notre droit à l’autodéfense ; nous utiliserons tous les moyens possibles pour garantir la sécurité de nos camarades. »

Solidarité avec tous les défenseurs et militants pour les droits, les libertés et la justice en Russie !

Tristesse et colère : tous ceux qui défendent les droits et les libertés chaque jour un peu plus menacés en Russie sont sous le choc après l’assassinat, lundi 19 janvier de l’avocat Stanislav Markelov et de la jeune journaliste Anastassia Babourova qui l’accompagnait.
Ces assassinats sont les deux derniers d’une liste de meurtres et d’agressions de toute sorte dont la longueur nous est insupportable. Ces derniers mois les agressions n’ont fait que se multiplier en Russie, protester ou exprimer son désaccord devient une prise de risque pour sa propre vie. La menace s’est démultipliée et la violence contre les contestataires peut prendre bien des visages. La Russie ne doit pas être condamnée, dans l’indifférence générale, à un trou noir où la justice n’aurait plus de place.

Stanislav Markelov était un des rares avocat défendant les militants des mouvements sociaux, des syndicats et plus généralement des droits de l’Homme en Fédération de Russie. Il ne plaidait pas seulement à Moscou mais n’avait de cesse de se déplacer dans toute la Russie, notamment dans le Caucase,et même en Biélorussie, ou à Strasbourg devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Avocat engagé et homme de gauche, il prenait également part aux forums sociaux qu’ils soient russes ou européens. Ses activités dérangeaient beaucoup de personnes. Il avait défendu Anna Politkovskaïa, les victimes du Nord-Ost, celles d’un tabassage policier en Bachkirie. Plus récemment, il défendait un jeune tchétchène accusant Ramzan Kadyrov (Président de la Tchétchénie) d’enlèvement et de torture, le journaliste de Khimki, Mikhaïl Beketov, passé à tabac pour avoir dénoncé l’administration locale…Stanislav avait été violemment agressé dans le métro de Moscou en 2004. Suite à des dernières menaces par SMS, beaucoup font le lien entre son assassinat, lundi 19 janvier en plein centre de Moscou, et la libération le 15 janvier, pour bonne conduite, du colonel Boudanov, incarcéré en 2003 pour une peine de 10 ans suite au meurtre d’Elza Koungaieva. En effet Stas sortait d’une conférence de presse où il disait son indignation et sa volonté de poursuivre ce haut militaire accusé d’avoir étranglé de ces propres mains cette jeune Tchétchène lors d’un interrogatoire. Il avait l’intention de faire appel devant la Haute Cour de Justice. Sa connaissance et son engagement pour une paix en Tchétchénie et dans tout le Caucase Nord étaient larges, tout comme son soutien à la lutte contre le fachisme, le racisme et la xénophobie.

Anastassia Babourova était journaliste à Novaïa Gazeta et avait le courage de se saisir du sujet de la Tchétchénie comme l’avait fait auparavant Anna Politkoskaïa. Elle était également militante écologiste et était présente aux côtés de Stas au dernier Forum Social Européen de Malmö. Elle est décédée à l’hôpital quelques heures après l’assassinat de Stanislav. C’est en voulant rattraper le meurtrier qu’elle a été abattue. Nous voulons dire notre soutien à toux ceux qui luttent pour que leurs droits soient défendus et pour qu’une société plus juste voie le jour en Fédération de Russie.
Nous vous appelons à un rassemblement de solidarité et de recueillement en hommage à Stanislav Markelov et Anasstasia Babourova.

|*RASSEMBLEMENT LE 1er FEVRIER 2009 à 15h sur le parvis de Beaubourg*|