DOSSIER GRAND PARIS. Si Paris a une place économique, culturelle et sociale si spécifique et centrale, elle est aussi une ville dont on entre et on sort pour aller vers sa périphérie. Les lieux de vie, d’habitation, de travail, d’approvisionnement ou d’études sont multiples. Il faut donc organiser les pouvoirs de ce territoire avec des partenaires égaux. Avec une nouvelle gouvernance et un réel dialogue. Le 18 novembre 2008
Régulièrement posée, de nouveau soulevée avec le lancement de la réflexion sur l’aménagement régional pour la révision du Schéma Directeur d’Ile de France (SDRIF), la problématique de la gestion spécifique de la zone agglomérée n’en finit pas de mettre à contribution les acteurs de l’aménagement, à de multiples niveaux. Faut-il imaginer un Grand Paris comme entité géographique, politique, institutionnelle ?
Le premier de ces niveaux, et le plus simple, conduit à analyser la question du point de vue de l’aménagement strict et de l’intervention sur le milieu urbain constitué. Il parait alors évident que les approches foncières, les projets d’urbanisme, l’organisation de la mobilité sont réellement spécifiques : personne n’imagine intervenir en tissu dense comme on le ferait en tissu plus diffus. La gestion du projet urbain global semble donc pouvoir être dissociée des approches qui vont prévaloir hors agglomération. Le « Grand Paris » est réellement une représentation géographique pertinente pour l’appréhension physique des politiques publiques. Encore faut-il pousser l’analyse jusqu’à la définition précise, « géographique » des limites de ce territoire : selon les angles choisis, que ce soit la densité bâtie, l’usage des transports collectifs, la densité en emplois…les limites varient et chacun s’accorde à le reconnaître. L’INSEE s’est hasardé à identifier une « zone dense », d’autres pourront faire cet exercice en mêlant les points de vue : limites actuelles ou anciennes de collectivités, syndicats techniques, géographie physique…, les critères ne manquent pas.
L’observation plus attentive des modes de vie apporte néanmoins des informations qui nuancent cette première évidence. Les espaces caractérisés par leur morphologie urbaine (la zone dense centrale) et des espaces vécus, quotidiennement ou dans un parcours de vie personnelle ou professionnelle, ne coïncident pas. Autrement dit, la population « francilienne » n’arrête pas d’entrer et de sortir de cette fameuse zone dense, que ce soit pour se loger/travailler, pour changer de résidence, pour ses loisirs ou ses approvisionnement. Et ce mouvement perpétuel vaut dans les deux sens : que l’on habite au cœur pour « sortir » vers les espaces qui ceinturent l’agglomération, ou bien que l’on réside hors agglomération centrale, voire hors Ile de France, et que l’on vienne y travailler. Les données statistiques que l’Institut d’Urbanisme notamment avait analysées, nous avaient démontré que les parcours de vie étaient globalement organisés selon un modèle spatial particulier : selon son lieu de naissance et d’études primaires, le Francilien situerait majoritairement ses lieux d’études supérieures, ses premières résidences d’adultes ou ses emplois dans de grands faisceaux dont les pointes se plantent toutes dans Paris « intra-muros » mais dont les bases s’élargissent assez loin hors de la région. D’où l’idée de créer une conférence territoriale régionale appuyée sur 5 grands faisceaux, qui se superposent en partie sur leurs marges, pour créer des lieux de dialogue entre toutes les collectivités qu’ils regroupent. Cette proposition adoptée par le Conseil régional en 2005 et confirmée lors de l’adoption du SDRIF vise à établir les coopérations entre acteurs de la zone dense et ceux de la zone hors agglomération pour prendre au mieux en compte la continuité territoriale vécue par les habitants au sein de la région et au-delà. Il ne s’agit pas de figer les territoires dans leur niveau actuel de développement et de richesse. Les faisceaux sont au contraire une façon de réduire les inégalités, en particulier en matière de transports collectifs de qualité et de grands services publics, sur la base d’une évaluation des infrastructures existantes et des besoins non satisfaits.
Il s’agit encore moins de nier la place spécifique et centrale de la zone dense et de Paris. Mais de mettre en lumière le lien structurel entre la zone centrale (le Grand Paris ?) et les territoires qui interagissent avec elle.
La question majeure est en effet celle de la forme et de l’étendue du système métropolitain. La controverse est en partie reprise par les équipes d’architectes et d’urbanistes mises à contribution par la consultation internationale sur le Grand Paris. Avant toute conclusion sur cette définition de la métropole, notons d’abord que la grande majorité de ces équipes récusent un schéma radioconcentrique qui verrait la croissance métropolitaine prendre la forme d’une assiette de plus grand diamètre pour se substituer au périmètre existant. Il nous faut penser différemment tant la forme que l’organisation d’un nouveau système.
Le caractériser par de nouvelles limites me semble peu fructueux. « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts » disait Isaac Newton ! Le lien fonctionnel entre des territoires qui n’offrent évidemment pas les mêmes services, n’organisent pas leurs centralités sur les mêmes attraits ou atouts, doit néanmoins exister pour faire émerger et se développer une métropole d’envergure qui réponde à la fois aux besoins de ses habitants et à son aspiration à l’attractivité, dans un contexte de nécessaire adaptation à la « nouvelle donne » mondiale. Faut-il qu’elle possède un lieu de gouvernance unique ? Sans avoir de réponse définitive à cette question, je dirais plutôt que cette solution ne me semble pas répondre à la lourde question de l’équilibre et de l’égalité entre les espaces qui composent cette métropole. Un lieu unique de décision n’a jamais produit spontanément de l’égalité entre toutes ses composantes. Outre que cela suppose un projet politique qui porte cette valeur de mutualisation et de solidarité, la décision très centralisée est trop souvent émise de façon très classique : en arrosant là où c’est déjà mouillé, on finira bien par voir l’ensemble de la collectivité en tirer bénéfice. Mais ça ne marche pas si bien ! Cela ne donne pas des équipements scolaires de qualité équivalente au sein des grandes communes françaises qui gèrent pourtant toutes leurs écoles !
Deux pistes me semblent en revanche devoir être explorées.
La première vise à vouloir résoudre les conflits d’échelle plutôt que les conflits de voisinage. En matière de transport, l’illustration est fort simple : à l’échelle d’un quartier, les habitants souhaitent légitimement des modes apaisés et des vitesses lentes. A l’échelle d’une région, les transports sont massifs, plus rapides, plus bruyants. Derrière cet exemple caricatural qui dit que la légitimité des demandes ne suffit pas à trancher et que ni le plus petit ni le plus grand ne peuvent avoir raison seul, il faut trouver le mode de régulation qui ne tirera sa légitimité ni de sa pertinence technique ou de l’expression de la réalité du besoin (les deux types de besoins sont réalistes et faisables, et nécessaires), ni de la légitimité démocratique au sein du territoire concerné (les deux le sont !). C’est de l’articulation des échelles que nous avons besoin pour résoudre ce type de tension.
La seconde revient sur les territoires pour affirmer que si le « grand tout » ne saurait veiller par sa nature à l’égalité entre les territoires qui le composent, il faut plutôt organiser les pouvoirs entre les territoires pour leur permettre de discuter réellement comme des « égaux » ! Et cela ne se fait pas avec des rapports de taille et de puissance trop inégaux. Penser l’émergence de nouvelles solidarités territoriales dans le zone dense, organisées autour de polarités bien définies n’isole personne, pas plus le cœur, Paris, que ses banlieues. Au contraire, me semble-t-il, cela devrait ouvrir de nouvelles pistes de coopération et, là encore de mutualisation. Une forme confédérale plutôt qu’un gouvernement central ! Au-delà de la boutade, je crois qu’il nous faut réfléchir encore et ne pas récuser cette idée aussi vite que cela a été fait parfois.
Il nous faut donc tenter des propositions inédites. La Conférence métropolitaine, désormais assise sur le Syndicat mixte d’études qui vient de naître peut en être la matrice. Penser des lieux politiques de coordinations des collectivités, des lieux de dialogue avec les milieux économiques ou les aménageurs est une nécessité. La Conférence métropolitaine remplira là un rôle essentiel. Personne n’imagine en effet que ce sont les études qui seront menées avec ce syndicat qui apporteront la valeur ajoutée de cette nouvelle organisation. Les lieux d’études, agences d’urbanismes, instituts, syndicats…sont déjà nombreux et les budgets qui leur sont attribués ont d’ores et déjà une puissance que le Syndicat mixte d’études (SME) ne pourra égaler. Mais ce n’est justement pas son objet : son originalité et sa valeur proviennent de l’opportunité offerte aux élus qu’il réunit de débattre des grands sujets d’aménagement, dans un contexte qui remet au cœur de l’avenir métropolitain la question de l’investissement public. Là va se situer le nœud de la gestion politique de la métropole francilienne.
Cette émergence arrive dans un contexte qui pourrait empêcher ses développements les plus structurants. Sans parler du contexte politique qui voit une commission – la commission Balladur – à la légitimité non démontrée s’emparer d’un sujet aussi sensible que la clarification des échelons institutionnels et les découpages administratifs des collectivités territoriales, le contexte financier va en effet peser très lourd. La Conférence métropolitaine devra montrer assez rapidement le degré de convergence des élus composant cette réalité géographique puisqu’elle trouve là une occasion majeure de démontrer sa réalité politique. Dans le domaine des logements par exemple, plus encore que dans celui des transports, la synergie de toutes les collectivités, communes, agglomérations, départements, région devra permettre le maintien de l’activité de construction de logements neufs en lançant des signaux clair de maintien de l’activité aux très nombreux acteurs privés qui interviennent dans ce secteur. La volonté réelle de rendre concrète la solidarité entre les territoires, de créer de la mutualisation, de se battre de concert pour promouvoir de grands projets urbains dans l’Est parisien, de mieux localiser les créations d’activités et d’emplois va devoir se concrétiser rapidement désormais.
Faudra-t-il un jour une nouvelle structuration administrative-institutionnelle pour porter cette politique ? A terme et dans le cadre d’une réforme d’ampleur des échelles administratives et des redéfinitions du nombre et des compétences des collectivités territoriales, la réponse est oui, sans aucun doute. Cela prendra du temps et la pire des réponses serait de pousser les feux en se contentant d’une opération assez banale de définition d’un périmètre à peine plus large que celui de la ville de Paris et de compétences inextricablement imbriquées avec les collectivités existantes.
La forme qu’elle prendra devra apporter les meilleures conditions de réalisation pour trois objectifs majeurs et indispensables : comment garantir un équilibre et une égalité entre les lieux qui constituent l’espace métropolitain ? Comment le rendre plus autonome et plus solide face aux tensions créées par les difficultés nouvelles d’accès aux ressources diverses ? Comment préserver sa qualité globale (de service, de cadre de vie, de paysage), sa beauté en quelque sorte dans un contexte de transformation radicale et d’intensification des espaces urbains ?
Finalement, quelle forme peut prendre une métropole qui se fixe ces trois objectifs et quelle gouvernance faut-il inventer pour qu’elle s’épanouisse ? Elle devrait repenser le lien entre l’espace central dense et les territoires urbains qui l’enserrent, et se révèlent autant de lieux de centralités multiples et complémentaires. Elle devrait définir de nouveaux contrats entre les espaces urbains et les espaces ruraux qui participent de la création d’autres centralités, elles aussi complémentaires. Elle devrait articuler ses lieux de décisions politiques et poser l’autonomie comme garante de l’équilibre final des répartitions de richesses et d’un fonctionnement global du système malgré les discontinuités territoriales.
Ce système pourrait former la nouvelle métropole. Basée sur des niveaux d’organisations différents et complémentaires, elle pose comme méthode de gouvernance nouvelle le dialogue entre les échelles territoriales et la régulation des conflits. Elle se donne comme objectifs politiques majeurs l’égalité entre les territoires et entre les populations, grâce à des contrats passés entre les divers pôles de la métropole. Elle pense l’intervention publique comme moteur essentiel de l’aménagement en imaginant dans une période de transition le « green new deal » comme seul moyen de ne pas régresser dans une société en crise vers l’individualisme et de l’aggravation des tensions pour l’accès aux ressources ; elle admet des liens dépendances/autonomie repensés au sein de la métropole et à l’échelle du monde. Elle se négocie…