LABORATOIRE DES LUTTES. En mars, l’Espagne a adopté la « Loi d’Identité de Genre » qui autorise les trans’ à changer leurs papiers d’identité. Entretien avec la Guerrilla Travollaka, groupe d’action directe féministe et queer qui organise la marche trans’ de Barcelone. 5 octobre 2007.
Mouvements : L’Espagne a récemment adopté une législation sur les droits des trans’ qui la place, selon certains, a l’avant garde des pays européens. Qui est a l’initiative de cette loi ? Pouvez-vous nous expliquer le contenu de la loi ?
Guerrilla Travollaka :
L’Espagne a adopté en mars 2007 une loi pour permettre aux trans’ de changer leur prénom et leur sexe dans leurs documents officiels. Cette loi est connue ici, par les médias comme par les activistes, comme la « Loi d’Identité de Genre ».
L’initiative de cette loi est le fait des groupes trans’ espagnols. Une majorité des groupes ont décidé de participer à l’écriture d’un projet de loi et se sont réunis pendant quelques mois à Madrid pour en rédiger les termes et le présenter au Parlement Espagnol. Dans ce projet de loi, les activistes ont proposé des conditions qu’ils ont estimé convenables et nécessaires pour changer le prénom et le sexe. Après la discussion parlementaire, le projet de loi a été adopté. Cette loi établit deux conditions indispensables pour pouvoir changer le prénom et le sexe dans nos documents d’identité :
Présenter un certificat de « dysphorie de genre » établi par un médecin.
Présenter un document qui prouve que l’on a subi au moins deux ans de traitement médical (hormonal ou chirurgical).
Selon vous, pourquoi les autorités espagnoles ont-elles légiféré ? Conviction politique, opportunisme, pression des militant-e-s ?…
La « loi d’Identité de Genre » était une des promesses électorales du Parti Socialiste espagnol de même que celle du mariage homosexuel. Toutefois, si le PS a cherché à élargir les droits des minorités, à travers de simples modifications du Code Pénal, il ne s’implique pas véritablement dans le débat de fond. Par exemple, il ne parle pas d’assistance médicale gratuite pour les personnes qui ont besoin d’une opération ou d’un traitement hormonal pour avoir une vie digne, dans de bonnes conditions psychologiques.
Quelles sont les limites de cette loi ? En quoi est-elle critiquable ?
D’abord, il faut souligner que la « Loi d’Identité de Genre » exclut les personnes mineurs, les personnes ayant des situations psychologiques complexes (trisomiques 21, névrotiques…) et les étrangers. Ensuite, nous considérons qu’il est très grave que l’État exige des citoyens des modifications de leur corps pour pouvoir changer leurs documents d’identité, de même que l’on considère que le fait de devoir se présenter en tant que malade mental (ou ayant un trouble d’identité de genre) devant l’Administration pour avoir un changement dans nos papiers est une discrimination. Les changements de prénom se font quotidiennement et ils ne posent aucun problème à l’administration : on peut changer notre prénom avec un autre du même « genre » sans devoir passer par ces conditions là. Finalement, on pense que les changements de prénom doivent pouvoir se faire sans des certificats psychiatriques et sans l’obligation de subir un traitement.
Quant au discours qui prétend qu’il est nécessaire de contrôler toutes ces transitions parce que c’est peut-être des « faux » trans’ qui demandent à changer leur prénom, on répond qu’il n’y a pas de « faux trans’ » et que dès le moment où un citoyen désire changer son identité dans ses documents, l’État n’a rien à dire : la construction de nos identités et de nos corps ne fait pas, et ne doit pas faire, partie de ses compétences.
L’État ne s’implique d’ailleurs pas dans d’autres procès de modification des corps, telle que la chirurgie esthétique, par exemple, et comprend parfaitement le besoin de certaines femmes, ayant souffert de l’amputation d’un ou des seins après un cancer, de les reconstruire. Au sujet des hormones, c’est la même chose. Beaucoup d’hommes qui ne produisent pas de la téstorerone pour x motifs, prennent de la testostérone sans un examen psychologique, et encore une fois, la médecine et les pouvoirs publics comprennent cette nécessité.
Quelle est la situation de la militance/de l’activisme trans’ en Espagne ?
En Espagne, les activistes trans’ sont très politisés, dans le sens où ils sont en général des militants du PS ou des militants d’autres formations politiques importantes de gauche : leur discours va assez dans le sens d’une alliance avec le pouvoir actuel. Toutefois, ils sont très politiquement corrects.
L’adoption de la Loi a largement déterminée la situation actuelle du mouvement trans’ en Espagne. Quand la Guerrilla parle de « dysphorie de genre », la plus grande partie des groupes trans’ de l’État espagnol nous répondent que ce n’est pas le moment de mettre ce débat sur la place publique. Qu’il faut attendre. Disons qu’il y a une grande partie du mouvement qui travaille très bien avec les partis politiques et qui ne critiquera jamais cette Loi, puisqu’elle considère que ce n’est pas stratégique : cela pourrait remettre en question l’assistance médicale publique. Pourtant, il y a quelques groupes minoritaires et critiques qui deviennent de plus en plus forts et questionnent les conditions établies par la loi.
Enfin, en Espagne il y a beaucoup d’activistes trans’ qui ne veulent pas prendre position dans la lutte contre la dépsychiatrisation, ce qui est très grave.
Qui est la « Guerrilla Travolaka » ? Depuis quand existe la Guerrilla Travolaka ? En quoi vous distinguez-vous des autres groupes trans’ (en Espagne, mais aussi en Europe) ? Quels sont vos points de convergence ?
La Guerrilla Travolaka est un groupe de lutte contre les pressions de genre qui limitent et censurent nos identités et nos pratiques sexuelles. Ces pressions nous concernent tous, c’est pourquoi nous sommes un groupe ouvert, multi-identitaire. Nous travaillons pour un projet commun, qui va au-delà de la seule question de comment nous sommes classifiés par les autres, et nommés par nous-mêmes. Ni hommes, ni femmes, ni trans ni homos, nous renonçons à ces étiquettes qui nous lassent. Nous travaillons par petits groupes de travail des problématiques qui concernent principalement, depuis notre création, des problématiques trans, mais aussi l’homophobie, le sexisme, en un mot : l’hétéro-patriarcat.
Le groupe a été essentiellement crée par des militants du Groupe de Trans FtM de Barcelone (GTMB), qui a connu des scissions lors des négociations des groupes trans’ avec le Gouvernent pour rédiger le projet de Loi d’Identité de Genre. De par ses origines, et surtout, de par l’urgence du moment que nous vivons, le groupe a travaillé avec beaucoup d’énergie contre la pathologisation et la psychiatrisation des identités non-normatives (trans, transgenre, intersexe). En ce sens, nous avons organisé une première Assemblée Trans Internationale à Barcelone, le 29 Juin 2007, qui s’est achevée par une action de dénonciation, en face de « l’ Hospital Clínic de Barcelona », centre qui s’occupe des « traitements » pour les trans.
La plupart des groupes trans’ en Espagne ont une attitude très victimisante, et cherche des explications pseudo-scientifiques à leur identité. Cette attitude est aussi manifeste dans la plupart des groupes trans’ européens…. En revanche, nous refusons toute morale médicale, et adoptons une approche plutôt constructiviste, queer… D’une part, nous croyons fermement que le genre est une construction sociale, culturelle, et donc, toute transgression à cet ordre de genres établi, n’existe que dans ce contexte concret. D’autre part, tandis que la lutte trans’ se concentre sur l’augmentation des prestations sociales aux trans’, à travers des négociations avec le gouvernement, nous restons très indépendants par rapport aux pouvoirs publics : nous croyons en l’action directe et au pouvoir de l’éducation. Nous organisons des ateliers, des colloques, des rencontres, pour diffuser notre message, et le mettre en commun avec des activistes, des chercheurs d’autres domaines, et surtout avec nos voisins, nos amis, nos coiffeurs…
Nos vraies alliances au niveau international sont avec des groupes qui ne sont pas exclusivement trans’, mais qui ont une approche radicale (« qui vont à la racine des choses ») : Les Panthères Roses de Paris |1| Nous sommes aussi en contact avec des militants qui résident à Londres, en Bosnie, en Allemagne quoique, avec ces derniers, il s’agit plus d’un échange d’information et de projets que de véritables actions communes.
Quelle est la position du mouvement féministe espagnole par rapport aux revendications trans’ ?
Il y a une très forte séparation implicite entre les mouvements de lutte des femmes et le mouvement LGBTQI |2| . La plupart des groupes féministes sont toujours très essentialistes et séparatistes et revendiquent une spécificité féminine qu’il faut protéger et mettre au même niveau que la masculinité. On peut dire que même les lectrices les plus avouées de Butler sont toujours très éloignées d’autres dimensions. Elles travaillent principalement pour la parité, le droit à une maternité dans de bonnes conditions, pour une convergence entre la vie privée et la vie professionnelle… ce qui est absolument nécessaire, d’ailleurs, mais il n’y a pas de questionnement de fond en matière d’identités de genre et de sexualité.
Le point de rencontre entre nos revendications et le mouvement féministe, sont les groupes radicaux de lesbiennes féministes. On se sent très proches de groupes comme le Grup de Lesbianes Feministes de Barcelona, les Ex-Dones (Ex-Femmes) ou la disparue MAMBO (Momento Autónomo de Mujeres y Bolleras Osadas – Moment Autonome de Femmes et Gouines Osées).
On ne connait pas de première main les alliances des groupes trans’ plus institutionnalisés avec les féministes (radicales ou pas), mais on soupçonne qu’elles restent assez loin de ces problématiques….
Quelles sont vos prochaines luttes ?
Le prochain 7 octobre va avoir lieu à Barcelone la première manifestation pour la visibilité des trans’ et pour dénoncer la pathologisation des identités Trans, Transgenre et Intersexe (18h, Plaça Universitat). On a la chance de compter sur le soutien direct de nombreux activistes venus de l’étranger, notamment des Panteras Rosa du Portugal, avec qui on maintient une relation de connivence très forte. Pour célébrer cette rencontre, et financer toutes les dépenses (nous sommes un groupe auto-géré), nous organisons une soirée Trans à la salle Bahía de Barcelone, ou l’on projettera des vidéos d’actions du G.A.T |3| et de la Guerrilla. On aura aussi le plaisir de compter sur les performances d’artistes Argentines et du Venezuela.
Après cette rencontre, nous commencerons à préparer un projet pour le 25 novembre, journée internat
ionale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Merci à Miguel et Marina de la Guerilla Travollaka. Propos recueillis par Elsa Dorlin.
|1| Les Panthères Roses est l’un des groupes de « gouines trans et pédés » les plus actifs en France. Basé à Paris, elles luttent contre l’ordre moral, le patriarcat, le sexisme, le racisme et le tout sécuritaire.
|2| Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, Queer, Intersexes |NdE|.
|3| Groupe Activiste Trans emblématique (France, 2001-2006) – http://transencolere.free.fr . Voir le texte du GAT dans ce dossier |NdE|.