Sebastian Alzerreca nous livre son analyse du Forum social africain, qui s’est tenu au Niger en novembre 2008.
Une réussite incontestable au niveau national, mais à revoir à l’échelle continentale
Bien que n’ayant pas participé aux forums sociaux africains précédents, Bamako (2002), Addis abeba (2003), Lusaka (2004) et Conakry (2005), j’avais tout de même reçu des échos plus ou moins réjouissants de ces différents rendez-vous. De l’avis des organisateurs, comme de celui de nombreux participants, cette édition est incontestablement une belle réussite sur de nombreux points, surtout si l’on prend comme référence d’autres forums de cette envergure (mondial polycentrique de Bamako, mondial de Nairobi, forums sociaux ouest-africains). Mieux, cette édition marque vraiment une nouvelle étape dans la construction d’un espace de convergence des luttes et des mouvements sociaux d’Afrique, à travers l’instauration d’une mentalité nouvelle au sein des participants. Cela dit, bien qu’on puisse évidemment se réjouir de nombreuses avancées, et de l’esprit généralement positif qui a plané sur le forum, force est de constater que la dimension continentale n’a pas été à la hauteur des attentes qu’on pouvait avoir, à l’image de l’immense défi qu’il reste à relever partout pour l’émergence de nouvelles pratiques au sein des mouvements sociaux qui se veulent populaires.
Une nouvelle étape a été franchie : forte participation populaire et du monde paysan
Parlons d’abord des succès, à mettre au compte des organisateurs nigériens : la mobilisation et la participation des paysans, des femmes et des jeunes marque un nouveau pas dans la représentation des classes populaires les plus touchées par la crise et la mondialisation néo-libérale. L’organisation d’une activité autour de la souveraineté alimentaire, pendant toute la durée du forum, dans un espace réservé, a vu une forte participation des paysans venus de l’intérieur du Niger, mais aussi de la sous-région ouest-africaine. Les débats, tenus en majorité dans les langues nationales, et traduites ensuite en français ont passionnés les foules, avides de compréhension et pleines d’interrogations en, particulier sur les réponses à apporter aux difficultés rencontrées par le monde rural ces dernières années, sur les OGM, les changements climatiques, le rôle des femmes, et les enjeux liés aux accords commerciaux (APE, TEC, politiques agricoles etc…).
Cette participation a été rendue possible par l’investissement de tout ceux, nombreux, qui se sont battus, souvent 100% bénévolement, pour la réussite de l’événement. Les jeunes, et les étudiants en particulier se sont investis fortement pour rendre cela possible : impossible de trouver un lieu en ville sans trouver une série d’affiches du forum social africain, pas un chauffeur de taxi qui n’est – au moins – entendu parler de ce forum, pas une radio qui ne se soit fait l’écho de cet événement, à part peut-être la radio nationale, ou plutôt la radio étatique devrais-je dire. Certes, tout le monde n’est pas capable d’expliquer véritablement et dans les détails le contenu de ce rendez-vous, mais nombreux sont ceux qui adhèrent et apprécient l’idée même sur la base des informations qui leurs sont parvenus. C’est une première ! Et une nouveauté à féliciter et encourager.
Un contexte socio-politique qui joue fortement sur l’organisation du forum
Pour apprécier à sa juste valeur cette édition du forum social, et en particulier si l’on compare au précédent événement du même style qui s’est tenu au Niger, à savoir le 2ème Forum Social Nigérien, il convient de rappeler quelques éléments du contexte politique qui précède l’organisation de ce forum : les clivages existants au sein de la société civile nigérienne sont également à lire au travers de ce prisme.
Il faut déjà remonter à la dernière grande mobilisation populaire de 2005 : le grand mouvement contre la vie chère de 2005, soutenu et porté par la Coalition équité contre la vie chère, n’est pas loin de balayer le pouvoir en place. Ce mouvement qui voit des millions de nigériens descendre dans la rue pacifiquement, plusieurs fois de suite et dans tout le pays, ainsi que des opérations villes mortes largement suivies, se termine en queue de poisson sur des accords, signés par une partie des protagonistes seulement qui ne seront finalement pas respectés par le gouvernement, et qui vont scinder la « société civile » nigérienne de façon durable en plusieurs entités plus ou moins distinctes. Dès alors, on peut distinguer de façon grossière les « modérés » qui à travers les négociations et les accords cassent le rapport de force, tandis que les « radicaux » tel le Groupe Alternative, emmené par Moussa Tchangari, proposent eux d’accentuer la pression.
L’autre aspect concerne le contexte politique récent, qui autorise finalement la tenue de ce forum, et amène même le gouvernement à financer une partie des activités à travers un financement de 15.000 euros (contre 105.000 euros initialement promis) contrairement au bras de fer de 2006 qui avait bien failli rendre impossible la tenue du second forum social nigérien. Les raisons peuvent être multiples : le gouvernement a finalement compris que c’était plutôt son intérêt que de laisser tenir cette activité, rien de grave ne s’étant passé lors des premiers. Par ailleurs, les élections approchent, et il faut éviter de se mettre encore plus de gens à dos. Par ailleurs, les forums se sont tenus un peu partout dans la sous-région, comment justifier une interdiction au Niger ?
Les caravanes sous-régionale. Un demi-succès : où est la transparence ?
Le forum a réclamé à cor et à cris la transparence des industries extractives, mais on peut aussi se demander où est la transparence dans l’organisation des caravanes ? Quel budget alloué à qui et par qui ? Qui a décidé des participants à ces caravanes ? Quelle communication autour de ces activités ? Pour ne pas voir toujours les mêmes têtes, le forum se doit d’ouvrir véritablement les coulisses de ces choix, pour permettre à tout un chacun des éléments d’information claire, sans quoi, le forum social africain restera le forum de quelques altermondialistes qui seront taxés, comme d’autres auparavant de reproduire les mêmes comportements que ceux que l’on reproche souvent à nos dirigeants.
Des défis qui restent à relever : logistique, pédagogie, représentativité
Le principal écueil, qui peut sembler moins important au regard des nombreux défis relevés, mais qui a largement influencé négativement l’appréciation des participants, c’est d’abord celui de la logistique : l’accueil des délégations, leur hébergement dans des lieux éloignés les uns des autres, et parfois isolés, leurs déplacements, et la gestion des traductions en particulier vers l’anglais, tout cela fut parfois fastidieux, mais semble-t-il un peu difficile à améliorer en l’état actuel des choses, et surtout au vu des exigences des participants ! Heureusement que la restauration, généralement source de bien des conflits, était géré individuellement ! Pour cela encore, les organisateurs ont étés bien inspirés, même si cela a parfois été critiqué par ceux qui pensent encore que ceux qui invitent à participer sont ceux qui doivent forcément tout prendre en charge…
Là où un effort reste à faire, et qui à mon avis peut faire encore l’objet d’une grande amélioration, c’est dans la pédagogie, et dans le processus d’intégration du plus grand nombre dans l’ « aventure altermondialiste ». Enfin, et ce n’est pas là le fait des organisateurs, le mouvement social dans son ensemble cherche à engranger les mobilisations de grande ampleur : cela ne se fait pas sans un travail de fourmi à la base, que chacun des organisations qui cherchent un véritable changement social se doit de continuer à amplifier.
On pourra également souligner la faible participation des européens à ce forum, qu’on pouvait pour ainsi dire compter sur les doigts de la main (surtout si l’on exclue ceux qui vivent déjà sur place, coopérants, expatriés etc…). Cela s’explique, au moins partiellement par la proximité dans le temps du grand rendez-vous altermondialistes qui aura lieu dans moins de deux mois, le forum social mondial qui se tiendra à Belem, au Brésil, pour lequel il faudra prévoir des dépenses importantes pour ceux venus d’Europe.
Deux thèmes clés, et qui traversent quotidiennement les débats au sein de la population nigérienne n’ont pas occupés la place à laquelle nous nous attendions. Pour ma part, à travers le témoignage sur ma participation au « Collectif Areva ne fera pas la loi au Niger », j’aurais souhaité pouvoir apporter ma contribution à certains débats contre la guerre qui frappe le nord du pays, entre le Mouvement des Nigériens pour la Justice et les Forces Armées du Niger. Un thème qui, semble-t-il, a été soigneusement évité, même si abordé rapidement par un éloquent révérend venu du Nigeria. Et pourquoi si peu de débats autour du « Tazarché » pendant ce forum ? Quid de la véritable démocratie et du risque qui plane de tripatouillage de la constitution pour permettre à Tandja de rester sur le trône ? Qui cela pouvait-il déranger ou arranger ? La question reste pour le moment sans réponse.
Mais finalement, ce qu’on doit retenir, et qui restera dans l’histoire des forums sociaux africains, c’est cette farouche volonté des organisateurs nigériens d’instaurer un nouveau style, un nouvel état d’esprit qui favorise le changement des mentalités et la prise de conscience que cet autre monde possible commence d’abord dans nos comportements quotidiens et dans notre façon d’aborder de telles rencontres. Un comportement qui rompt avec de vieilles habitudes, prises notamment par le secrétariat africain du forum social dont l’opacité, l’arbitraire, et le copinage sont devenus la spécialité : on ne les a pour ainsi dire pas vu pendant ce forum, si ce n’est en train de pérorer dans les tribunes qu’ils s’étaient eux-mêmes attribués… Et il est plus qu’urgent que cela change…