Le huitième Forum Social Mondial s’ouvre ce mardi à Bélem. Un retour sur ses terres natales (le Brésil) qu’accompagne une manifeste volonté de le renouveler. En effet, Bélem n’est pas Porto Alegre, et les organisateurs de ce forum insistent : il ne s’agit pas tant d’un FSM au Brésil que d’un FSM en Amazonie. L’un des objectifs politiques majeurs de cette édition est, en effet, de mettre l’Amazonie et les populations indiennes d’Amérique latine au centre de la galaxie alter. Il s’agit donc de poursuivre “l’élargissement”, entamé par le déplacement du FSM à Mumbai (2004) puis Nairobi (2007), qu’est venue compléter l’édition polycentrique de 2006 (Bamako, Caracas puis Karachi).

Au cours des derniers mois, les acteurs de la dynamique alter ce sont engagés dans un vaste débat sur les orientations stratégiques à donner aux forums sociaux et ont quasiment tous relayé l’idée qu’il était nécessaire de passer à “un second souffle”, d’entrer dans une “nouvelle phase”, voire de refonder les bases politiques de cette vaste mouvance.

Un tel constat peut surprendre : après tout, la dynamique alter est relativement jeune, 10 ans tout au plus, selon la date de baptême que l’on voudra choisir (Attac est née en 1998, le contre-sommet de Seattle date de novembre 1999 et le premier FSM remonte à 2001). Qui plus est, le contexte semble plus que jamais propice : la crise financière est venue confirmer bon nombre des analyses et des prédictions de la contre-expertise altermondialiste, tout en déplaçant les lignes de clivage. Bon nombre d’adversaires résolus des mesures prônées dans les forums sociaux ou autres espaces de sociabilité altermondialiste sont désormais convertis, au moins en apparence, à l’idée d’une intervention accrue des États, d’un contrôle plus strict des flux financiers, voire parlent ouvertement des limites du système capitaliste.

La sociologie des mobilisations enseigne cependant que la “structure des opportunités politiques” ne suffit pas à déterminer le succès ou l’échec d’un mouvement social ou d’une mobilisation. En outre les discours et débats sur le “second souffle” du “mouvement” alter sont presque aussi vieux (ou jeunes !) que ce “mouvement” lui-même. Dès la deuxième édition du Forum Social Mondial, nombreux étaient les militants à estimer qu’il fallait “passer de la contestation à une phase de proposition et d’élaboration d’alternatives”. L’injonction à innover et à se renouveler fait donc partie de la (micro)culture alter.

Ajoutons que l’idée d’un “essoufflement” est liée à des déformations produites par le traitement médiatique auquel ont été soumis les forums sociaux et autres rendez-vous des altermondialistes : le plus souvent, ces événements transnationaux n’ont été relayés que sous deux angles : transfert d’enjeux nationaux sur une scène transnationale (comme lors de la 3è édition du FSM, très largement couverte par la presse française… en raison de la présence à Porto Alegre de 8 candidats à la présidentielle) ou internalisation d’enjeux transnationaux (art dans lequel José Bové est, parmi d’autres, passé maître).

Au-delà du seul traitement médiatique, il est intéressant d’interroger plus profondément le décalage entre les attentes des militants et commentateurs de la dynamique alter et ce qui est réellement advenu de cette dernière. Dans son article “l’altermondialisme en temps de crise : réflexions sur un déclin annoncé“, le politiste Éric Agrikoliansky propose d’interroger la nouveauté et le caractère transnational de la dynamique alter : en pointer les angles morts permet de réajuster les attentes – non pour renoncer à faire évoluer la dynamique alter, mais pour mieux la comprendre, et donc la changer.

Gus Massiah présente de son côté les horizons auxquels les multiples crises (financière, économique, environnementale et géopolitique) confrontent les alter – autoritaire, néo-kéynésien et émancipateur : chaque crise doit être perçue comme une opportunité pour les alter de faire avancer leurs revendications et leur projet de société. Pierre Khalfa esquisse lui une possible évolution du consensus qui structure les forums sociaux et la dynamique alter : le FSM repose en effet sur des principes d’autolimitation assez radicaux (absence de déclaration finale, fonctionnement au consensus, refus de la délégation, etc.). Le détour par des coopérations renforcées pourrait permettre de respecter ces principes tout en ouvrant la porte à la mise en œuvre de stratégies communes. Pour d’autres, comme Bernard Cassen et Christophe Ventura, l’enjeu serait de passer à ce qu’ils nomment le “post-altermondialisme”. Au-delà de ce que recouvre concrètement ce terme (la volonté de se rapprocher de gouvernements “amis” en Amérique latine), il semble cependant que cette controverse soit très largement rhétorique, et n’ait d’autre but que de faire passer pour obsolètes les positions de ceux qui restent attachés aux limites que se sont volontairement assignés les organisateurs des forums sociaux.

Les débats stratégiques ne doivent pas faire oublier ce qui se passe lors des forums sociaux : l’élargissement dont il est question dans les contributions mentionnées ci-dessus est un processus complexe et contradictoire, plein de surprises et de doute pour celles et ceux qui le vivent et le rendent possible. C’est ce dont rendent compte les deux dernières contributions que nous publions dans ce dossier : un bilan du dernier Forum Social Africain, par Sébastian Alzerreca et deux textes issus de l’ouvrage “un autre monde à Nairobi”, publié aux éditions Karthala, qui entend rendre compte de manière originale de la première édition du FSM organisée sur le continent africain.